Archives de pédiatrie 18 (2011) 482–485
Adoption internationale et vulnérabilité psychologique de l’enfant International adoption and child psychological vulnerability M.-O. Pérouse de Montclos * Service de psychologie et psychiatrie de l’enfant et l’adolescent, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France
Résumé Les consultations pédopsychiatriques spécialisées dans le domaine de la filiation et de l’adoption internationale accompagnent de enfants adoptés et parents adoptifs en difficulté psychologique. À la lumière de cette expérience et des données récentes de la littérature dans le domaine de l’attachement et de la narrativité, du psychotraumatisme et du transculturel, sont mis en lumière certain facteurs de vulnérabilité psychologique de l’enfant adopté à l’étranger justifiant un accompagnement spécialisé. ß 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. Abstract Child psychiatry consultations specialised in filiation and international adoption help adopted children with psychological troubles and their adoptive parents. Regardless to this experience and to recent issues in the fields of attachment and narrativity, psychotraumatism and transcultural, some psychological risk factors for internationnally adopted children are described, requiring specialised psychological help. ß 2011 Published by Elsevier Masson SAS. Mots clés : Adoption internationale ; Vulnérabilité de l’enfant ; Facteurs de risques psychologiques Keywords: International adoption; Child vulnerability; Psychological risk factors
1. INTRODUCTION En France, les enfants adoptés à l’international représentent 80 % des adoptions, soit 4000 enfants par an. Leur symptomatologie confronte les cliniciens à une question psychopathologique récurrente : quelle place donner à « l’événement adoption internationale » dans la lecture de la souffrance psychologique de l’enfant sans toutefois en faire un élément explicatif réducteur et simplificateur ?
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected]. 0929-693X/$ see front matter ß 2011 Publie´ par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.arcped.2011.01.014
Pendant longtemps la clinique de l’enfant adopté en France intégrée à la psychopathologie générale a souligné surtout la question des origines et la symptomatologie parfois bruyante de l’adolescent adopté. La complexité du déroulement de l’adoption internationale ainsi que l’apport des théories de l’attachement [1] et/ou transculturelles [2] et les connaissances sur les effets de l’institutionnalisation et du psychotraumatisme [3] chez l’enfant jeune, nous permettent d’enrichir ce propos : si nombre d’adoptions se déroulent sans doute paisiblement, les situations très médiatisées d’enfants « renvoyés » par leurs parents adoptifs dans leur pays d’origine sont la partie émergée des difficultés rencontrées par certains parents adoptants. Elles méritent attention afin d’apporter aux cliniciens des pistes de
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réflexion pour mieux accueillir ces enfants et familles en souffrance. La variété des histoires (pays d’origine, âge et modalités d’adoption, antécédents de l’enfant et de la famille) rend difficile d’émettre des généralités sur les causes de « réussite » ou d’« échec » de ces adoptions. Nous retiendrons donc des facteurs de vulnérabilité de cette filiation adoptive mettant en échec un processus affiliatif non plus dicté par le primat du biologique mais inscrit dans le législatif. Notre argumentation s’appuie sur une réflexion autour du déroulé de l’histoire de l’enfant et ses aléas spécifiques dans la dynamique abandon– adoption, de l’accès à la parentalité chez les adoptants dans la dynamique du deuil d’une parenté biologique, de la rencontre affiliative parents/enfant au regard de leurs différences. La clinique des enfants et adolescents sera abordée à la lumière de ces facteurs de risque. 2. CONTEXTE JURIDIQUE DE L’ADOPTION INTERNATIONALE Le processus d’affiliation dans le cadre de l’adoption est soumis au droit. Ce cadre va permettre symboliquement l’inscription de l’enfant dans la lignée transgénérationelle de sa famille adoptive [4]. Une compréhension du parcours administratif et juridique complexe des familles adoptantes, ainsi que des différentes formes d’adoption, est importante pour tout praticien s’occupant de ces enfants. 2.1. De nouveaux cadres juridiques Ils ont vu le jour sur les scènes internationale et française. 2.1.1. Cadre juridique international Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (20 novembre 1989) sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale ; convention de la Haye (29 mai 1993) sur la protection des enfants et la coopération des états en matière d’adoption internationale. 2.1.2. Cadre juridique français Le rapport Colombani (mars 2008) a créé ou conforté un certain nombre d’instances : service de l’adoption internationale (SAI) rattaché au MAEE et Autorité Centrale pour la France, au titre de la convention de la Haye (14 avril 2009) ; Comité interministériel pour l’adoption ; Conseil Supérieur de l’Adoption (30 membres) conforté dans ses missions (propositions, avis et élaboration de lois pour le gouvernement) ; organismes agréés pour l’adoption (OAA) et agence française de l’adoption, opérateur public (AFA), intermédiaires entre pays d’origine et pays d’accueil pour accompagner les futurs parents adoptifs dans leur procédure d’adoption (AFA gère 20 % des dossiers d’adoption, OAA 40 % et 40 % sont des adoptions réalisées individuellement) ; associations de parents adoptants par pays d’origine et deux fédérations EFA et MASF susceptibles d’aider au parcours d’adoption avant et après la procédure.
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2.2. Les parents Malgré l’aide de toutes ces instances dans la procédure d’adoption et d’accueil de leur enfant, sont confrontés à des démarches administratives longues et éprouvantes et à l’obtention d’un agrément. Ce dernier obtenu, la procédure d’apparentement ne va pas de soi car le nombre d’agréments délivrés est très supérieur à celui d’enfants adoptables et doit aboutir dans les cinq ans. L’adoption de l’enfant peut donc intervenir au bout d’un processus éprouvant, expliquant ainsi la massivité de l’attente et de l’investissement affectif de ces familles. 2.3. L’enfant 2.3.1. L’adoptabilité L’adoptabilité de l’enfant varie selon les critères du pays d’origine : durée entre l’abandon effectif de l’enfant par ses parents de naissance et son adoption potentielle ; placement en famille d’accueil ou institutionnalisation ; prise en compte de l’histoire passée de l’enfant avant son abandon, qui joue un rôle décisif dans le devenir psychoaffectif de l’enfant ; dossier d’adoption de l’enfant (présentation très ou surmédicalisée, avec ou sans mention des aspects développementaux, environnementaux et psychoaffectifs). L’ensemble de ces données conditionnera la perception de l’enfant par ses futurs parents. 2.3.2. Le type d’adoption Enfin le type d’adoption simple ou plénière n’aura pas la même signification symbolique pour l’enfant et sa famille : l’adoption simple est une filiation par superposition des deux filiations alors que l’adoption plénière est une filiation par substitution, l’enfant perdant tout lien avec sa filiation biologique d’origine et prenant le nom et la nationalité de ses parents adoptifs. L’adoption simple est la seule adoption possible pour les plus de 15 ans. 3. CONTEXTE PSYCHOAFFECTIF ET FACTEURS DE RISQUE PSYCHOLOGIQUE Par sa nature même l’adoption remet en cause le dogme de l’amour maternel (abandon de l’enfant par sa mère biologique) et de la filiation biologique, ces deux facteurs conditionnant l’affiliation adoptive. L’adoption internationale complexifie ces données en multipliant les différences entre parents et enfant, occasionnant ainsi des risques de malentendus relationnels dans l’affiliation de l’enfant à ses parents adoptifs. 3.1. Les facteurs de risques psychologiques chez l’enfant Ces facteurs s’organisent autour de deux axes : les conséquences de troubles d’ordre médical, souvent effets de la carence durant la grossesse et les premiers mois de la vie de l’enfant (syndrome d’alcoolisme fœtal, carences métaboliques et nutritionnelles. . .) ; les conséquences psychoaffectives de
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l’abandon, des ruptures relationnelles successives et des effets de l’institutionnalisation bien décrites grâce à la théorie de l’attachement [1], et les effets du psychotraumatisme chez l’enfant, précisés récemment dans leur dimension pathogénique. 3.2. Les facteurs de risques chez les parents Ces facteurs sont liés aux « aléas de la parentalité » rencontrés chez tout parent mais revisités et souvent majorés par : « l’importance respective des styles d’attachement » des parents adoptants et de l’enfant adopté [5], pour la création d’un lien d’attachement secure (l’enfant adopté arrive au foyer parental déjà chargé d’une histoire interpersonnelle le plus souvent difficile et à un âge de plus en plus tardif) ; « les processus d’idéalisation » excessifs de l’enfant tant attendu, voire de la démarche adoptive elle-même, et notamment « humanitaire », source de décalage majeur entre la réalité de la démarche de la parentalité adoptive et la représentation que s’en était faite les parents. Spécifiques de l’adoption : les effets délétères de la longueur du parcours, liés au deuil d’une parentalité biologique et à la complexité de la procédure adoptive (agrément et apparentement), remettent en question de manière aigue la « capacité des parents à être de bons parents » et fragilisent ainsi leurs assises narcissiques. 3.3. Aléas de la rencontre adoptive et du lien parents/enfant
3.3.3. Les malentendus affectifs Les « malentendus affectifs » : liés à la rencontre adoptive, paradigmatique de l’attachement [1], ils impliquent : un enfant qui, du fait d’une adoption le plus souvent tardive, a déjà expérimenté des relations chaotiques et a une représentation négative de la relation à l’autre ; des parents qui, du fait de leur histoire, ont un modèle inconscient dictant leur façon de rentrer en relation avec leur enfant ; leurs attentes relationnelles et affectives complexes parfois incompatibles. 4. SYMPTOMATOLOGIE DE L’ENFANT ET L’ADOLESCENT Inscrite le plus souvent dans le champ de l’expression séméiologique classique de la pédopsychiatrie, elle ne justifie pas de soins dans une unité spécialisée dans l’adoption ou la filiation. Néanmoins, l’adoption internationale favorise parfois l’apparition de troubles de la lignée affective et relationnelle pouvant dégénérer en une symptomatologie psychiatrique si une guidance précoce alliant parents et enfant n’est pas mise en place. Une écoute spécialisée visant à rétablir la continuité psychique de l’enfant par une guidance familiale autour des histoires affectives respectives des parents et de l’enfant et de leur rencontre est alors tout à fait souhaitable, pouvant offrir soins et prévention de troubles ultérieurs, particulièrement à l’adolescence. Les parents apaisés apprennent alors à situer les expressions de leur enfant au regard de son passé et de leur rencontre, dans une meilleure compréhension réciproque. 4.1. Les signes d’appel
Comme dans toute rencontre parents/enfant, la création d’un lien affectif et affiliatif de qualité et adapté à l’enfant nécessite du temps et des ajustements quotidiens autour d’un axe éducatif et affectif tracé par les parents en fonction de leur propre histoire. Dans le cas de l’adoption, cette rencontre est soumise à trois facteurs de risque : 3.3.1. Les modalités de la rencontre et ses risques psychotraumatiques Les « modalités de la rencontre et ses risques psychotraumatiques » [6] : la démarche adoptive est pour beaucoup de parents un parcours à effet traumatique avant l’apparentement (démarches nombreuses, très administratives et cortèges de déceptions liées à l’attente ou l’improbabilité d’un apparentement, déplacements à l’étranger. . .) ou au moment de la rencontre des parents avec l’enfant réel (décalage entre l’enfant réel et l’enfant imaginaire favorisant la déception et donc les difficultés relationnelles). 3.3.2. Les malentendus culturels Les « malentendus culturels » : l’adoption internationale multiplie les différences entre parents et enfant : habitus culturels (rituels quotidiens de la vie courante), langues, apparences physiques, autant d’obstacles pour une communication fluide, une reconnaissance réciproque des besoins affectifs et des processus identificatoires favorisant le processus d’affiliation.
Ces signes sont variables en fonction de l’âge de l’enfant. Chez l’enfant jeune dans les deux premières années de vie : troubles psychosomatiques récurrents (sommeil et alimentation essentiellement) ont un lien avec le vécu traumatique des enfants et à des problèmes d’ajustement entre parents et enfant. Les retards d’acquisition (langage, psychomotricité, acquisitions scolaires) sont à resituer en fonction des différences culturelles (bains langagiers) et du passé de ces enfants (effets des carences de tous ordres et de l’institutionnalisation dés le plus jeune âge [3]). Les troubles du comportement, parfois majeurs, s’accompagnant souvent d’une dysharmonie du développement affectif, forment un tableau complexe parfois très invalidant pour l’intégration de l’enfant dans sa famille et dans le milieu scolaire. Ils sont le plus souvent l’expression des troubles de l’attachement liés à l’institutionnalisation précoce de l’enfant ou à ses carences affectives graves [7]. Chez l’enfant plus grand, les signes d’appel fréquents et d’intensité variable sont les difficultés d’apprentissages scolaires, les troubles du comportement, le syndrome d’hyperactivité avec troubles de l’attention et de la concentration. Ils traduisent souvent des troubles de la lignée relationnelle et affective prenant racine dans le passé traumatique de l’enfant éventuellement associés à des difficultés instrumentales d’origine complexe avec malentendus culturels. Évaluation et soins spécialisés évitent une désinsertion scolaire de l’enfant dans les situations extrêmes.
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Chez l’adolescent : à cette époque de la vie, caractérisée par des remaniements identificatoires et affectifs intenses, les symptômes sont bruyants dans les cas difficiles (échec scolaire, troubles du comportement avec conduites oppositionnelles, antisociales et agressives, ou troubles de l’humeur, primaires ou consécutifs à des difficultés de l’enfance non amendées). La problématique identitaire et affiliative y est souvent centrale justifiant une approche familiale spécialisée.
accompagne les questionnements des parents et permet des réajustements en cas de malentendus relationnels (cf. facteurs de risques) et une orientation thérapeutique adaptée en cas de besoin.
4.2. Les questions récurrentes
Le suivi médicopsychologique ou pédopsychiatrique est justifié en cas de symptomatologie avérée (cf. signes d’appel) par une structure de soins pédopsychiatrique de proximité en lien avec une consultation spécialisée dans le domaine de l’adoption internationale (cette dernière se centrant sur le déroulé de l’affiliation adoptive dans ce contexte très spécifique).
La question des origines se pose avec beaucoup d’acuité, le plus souvent dans tous les moments affectifs parents/enfant difficiles ; alimentée entre autres par la réalité des différences (physique, culturelle, linguistique.), elle justifie un accompagnement parents/enfant qui aborde la problématique de l’abandon de l’enfant par ses parents biologiques, source de souffrance psychologique pour lui et ainsi permettre des ajustements affectifs spécifiques à chaque famille. Les troubles de l’attachement : relativement fréquents chez les enfants très carencés ou ayant été placés dès les premiers mois de vie en orphelinat mal équipé, ils prennent trois formes principales par ordre de gravité croissante : la rupture du lien d’attachement, les troubles de la base de sécurité, la pathologie du non attachement. Ces troubles sont souvent à l’origine de la grande difficulté de certains parents à rentrer en relation émotionnellement avec leur enfant [1] et justifient une aide spécialisée.
5.3. Le suivi médicopsychologique ou pédopsychiatrique
6. CONCLUSION La notion de vulnérabilité psychologique nous paraît le mieux répondre à la question de la psychopathologie de l’enfant/adolescent adopté à l’international. Elle justifie guidance parentale spécialisée et consultation « adoption internationale » quand l’expression symptomatologique de l’enfant/adolescent interroge le processus d’affiliation parents/ enfant. RÉFÉRENCES
5. PREVENTION – GUIDANCE PARENTALE – SOINS 5.1. La vulnérabilité psychologique La vulnérabilité psychologique de l’enfant adopté à l’international (absence de symptomatologie spécifique corrélée à des facteurs de risques bien repérables et complexes) impose des « actions de prévention et de suivi spécialisés gradués ». 5.2. Guidance parentale Souhaitable avant l’adoption et surtout dans les premiers mois après l’arrivée de l’enfant, assurée par des « équipes médicopsychologiques spécialisées dans l’adoption internationale », elle
[1] Guedeney N, Dubucq-Green C. Adoption, les apports de la théorie de l’attachement. Enfance et psy 2005;29:84–94. [2] Pérouse de Montclos MO, Brisset C, Miocque-Dalili D. Aspects transculturels du concept d’attachement. In: Guedeney N, Guedeney A, editors. L’attachement : approche théorique. Masson éd; 2009. [3] Mouchenik Y, Gaboulaud V, Pérouse de Montclos MO, et al. Questionnaire guide d’évaluation des difficultés psycologiques des jeunes enfants pris en charge par la Protection de l’Enfance. Enfance 2010; 143–66. [4] Lévy-Soussan P. Adoption internationale : spécificités et risques psychiques. J pediatr pueric 2005;18:13–9. [5] Hongari B, Tomasi F. Représentations d’attachement chez des enfants adoptés et chez leurs parents. Devenir 2010;22(2):109–31. [6] Harf A, Taïeb O, Moro MR. Le récit de l’adoption : un révélateur du trauma des parents adoptifs. Neuropsychiatr Enfance 2008;43:10–1 [420-6]. [7] Pérouse de Montclos MO, Ducamp ME, Ridel B. Lien social et processus d’attachement chez l’enfant adopté en milieu kanak. Psychiatr enfant 2001;XLIV 1:233–65.