Revue française d’allergologie 53 (2013) S30-S32
Allergies aux huiles essentielles : aspects pratiques Allergy to essential oils: practical aspects J.-L. Bourrain Exploration des allergies, Hôpital Arnaud-de-Villeneuve, 371, av. du Doyen Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France
Résumé Bien que d’usage populaire, les huiles essentielles ne sont pas neutres et peuvent nous exposer à des risques toxiques, mais aussi allergiques essentiellement cutanés pour ces derniers. Les sensibilisations allergiques sont d’autant plus fréquentes que les composants présents ont pu s’oxyder à l’air. Les modes d’expositions sont variés et pas toujours rapportés par les patients. Aussi la recherche de leur usage doit-elle faire partie de l’interrogatoire habituel d’autant plus qu’une sensibilisation au myroxylon pereirae, à la colophane ou à des parfums est connue. L’huile d’arbre à thé a été la plus souvent en cause, responsable d’eczémas de contact allergiques parfois sévères pouvant être aéroportés ou par procuration. Mais l’huile de nigelle a également été responsable de tableaux d’érythèmes polymorphes. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : Allergie ; Arbre à thé ; Érythème polymorphe ; Eczéma de contact ; Huile de nigelle ; Huile essentielle ; Parfum.
Abstract Although widely used, essential oils are not without danger and they can expose us not only to toxic effects but they also cause allergies, mainly cutaneous allergies. Allergic sensitivities are all the more frequent when the component oils present can be oxidized when exposed to air. The nature of exposure varies and is not always reported by patients. Of course, investigation of their use should be included in the usual questioning of patients, especially when sensitivity to myroxylon pereirae, colophane or perfume is known. Tea tree oil, which can be airborne or on the surface of contaminated objects, is the most frequent cause, and sometimes it is responsible for severe allergic contact eczema. Finally, Nigella sativa oil has been equally responsible for cases of erythema multiforme. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords : Allergy; Essential oils; Contact dermatitis; Erythema multiforme; Tea tree oil; Nigella sativa oil; Perfume.
1. Introduction
2. Définitions et composants
Les huiles essentielles sont à la fois populaires, associées à l’image d’effets bénéfiques et d’innocuité liés à leur origine naturelle. Malgré cet engouement actuel, tant les patients que les médecins eux-mêmes sont peu informés de la nature de ces substances et de leurs risques potentiels, qu’ils soient toxiques ou allergiques [1]. Elles sont couramment utilisées en parfumerie, en balnéothérapie et en aromathérapie, souvent de façon empirique et le sujet de leur tolérance est d’actualité. Elles font partie de la pharmacopée européenne et font poser des questions de santé publique, c’est pourquoi il a été créé au sein de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) un Comité « Plantes médicinales et huiles essentielles » [2].
La définition des huiles essentielles précise leurs origines et leurs modalités d’obtention. Ainsi une huile essentielle est une « substance odorante, généralement de composition complexe, obtenue à partir d’une matière première botaniquement définie, soit par entraînement à la vapeur d’eau, soit par distillation sèche, soit pas un procédé mécanique approprié sans chauffage. Elle est le plus souvent séparée de la phase aqueuse par un procédé physique n’entraînant pas de changement significatif de sa composition ». Cela exclut les extractions par enfleurage ou incision et surtout par macération dans l’alcool [3]. Ce mode d’extraction isole la partie volatile des plantes, odorante. Il s’agit d’un mélange de substances chimiques s’oxydant facilement ce qui implique la nécessité de conditions strictes de stockage, car cette oxydation augmente le pouvoir allergénique d’un certain nombre de molécules présentes [4]. Leur composition est variable en fonction de
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la partie concernée de la plante, mais aussi selon l’origine géographique des végétaux utilisés. Les composants des huiles essentielles peuvent être partagés en trois grands groupes : • les terpènes : monoterpènes et terpènes sesquiterpéniques dont les formes oxydées, les hydroperoxydes sont sensibilisants ; • les composés aromatiques, ex : alcool cinnamique, coumarine… ; • d’autres composés très divers (acides, alcools, aldéhydes, esters…) mais aussi des produits phytosanitaires tels que des pesticides par exemple. Les huiles essentielles sont hydrophobes et lipophiles ce qui expliquerait in vivo leur interaction avec la peau et une partie de leurs effets pharmacologiques et toxiques. Toutes les familles végétales ne sont pas également utilisées. Les principales sources sont : • les astéracées : camomille, estragon, inul ; • les cupressacées : cyprès, genévrier, thuya ; • les éricacées : gaulthérie, lédon… ; • les lamiacées : lavande, lavandin, basilic, marjolaine, mélisse, menthe, origan, romarin, sauge, aspic ; • les lauracées : laurier noble, cannelle, « bois de rose » ; • les myrtacées : eucalyptus, giroflier, myrte, niaouli ; • les pinacées ou abiétacées : pin ; • les poacées : citronelle, lemon grass ; • les rosacées : rose ; • les rutacées : citron, orange.
3. Effets des huiles essentielles Les huiles essentielles sont naturelles mais cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas dénuées d’effets, en particulier secondaires. En effet, les molécules récupérées par l’extraction ont vraisemblablement un rôle physiologique dans la plante. Ce sont des molécules actives intervenant au sein de processus variés : action anti-infectieuse, inhibition de la germination… Aussi, outre les risques allergiques il faut également évaluer leurs différents potentiels toxiques et irritatifs d’autant qu’elles peuvent être utilisées chez des adultes comme chez des enfants voire au cours de grossesses. Les modes d’exposition sont également divers, principalement par voie topique sur une peau saine mais aussi sur des peaux pathologiques. Dans ces cas, la fonction barrière de l’épiderme est le plus souvent altérée, entraînant une augmentation de la perméabilité cutanée. Des haptènes peuvent ainsi pénétrer et être pris en charge par le système immunitaire d’autant plus qu’une inflammation est déjà présente et les cellules in situ activées. Les voies systémiques par ingestion ou inhalation sont également possibles. Il faut envisager la toxicité aiguë et chronique, la carcinogénicité, la reprotoxicité, la tératogénicité… Le législateur, que ce soit à l’échelon national ou européen,
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a donc précisé les critères de qualité qu’elles doivent respecter mais aussi préciser les substances interdites et des règles d’utilisation. Les allergies font partie des effets secondaires qui peuvent être induits par les huiles essentielles [5]. Elles sont essentiellement d’expression cutanée. Il est donc important dans notre pratique allergologique de demander de façon active aux patients s’ils utilisent ou s’ils ont utilisé ce type de produit. En effet, spontanément, ils ne le rapportent pas ou peu leur utilisation, les croyant inoffensives. Bon nombre de molécules à potentiel allergisant sont présentes dans les huiles essentielles. Toutefois, les publications les incriminants restent en nombre modéré et c’est plus par les recherches concernant les allergies vis-à-vis des molécules parfumantes que l’on peut avoir une idée de la fréquence de ce type d’allergie [6]. Ainsi l’IDVK (Information network of departments of dermatology), a publié il y a quelques années l’analyse de 9 années de tests par épidermotests des huiles essentielles [7]. Parmi 84 716 patients testés, 15 682 l’ont été à au moins une huile essentielle, et parmi eux 637 ont eu au moins un test positif à l’un de ces haptènes. L’huile d’ylangylang a été le plus souvent en cause (3,1 %), puis l’huile essentielle de jasmin (1,6 %), enfin les huiles de bois de santal et de girofle (1,5 %). Parmi les patients sensibilisés, il y a eu une légère surreprésentation des patients ayant une atteinte des mains d’étiologie professionnelle, des sujets atteints de dermatite atopique et des personnes âgées. Les kinésithérapeutes sont eux statistiquement plus souvent concernés. Ces huiles essentielles contiennent des parfums : géraniol, eugénol, isoeugénol, citral, farnesol, citral, menthol, alpha pinène… Un certain nombre sont présents dans les mélanges de parfums testés par la batterie européenne standard d’épidermotests. Mais tester avec ces mélanges n’est pas suffisant pour détecter l’ensemble des allergies aux huiles essentielles. De plus, il existe une certaine discordance entre les résultats des tests aux huiles et à leurs constituants. Il est donc important de tester les huiles elles-mêmes et de compléter les épidermotests par une batterie de parfums pour pouvoir fournir aux patients les conseils les plus pertinents possibles. Enfin, tester uniquement le Myroxylon pereirae (Baume du Pérou), la colophane et les deux mélanges de parfums de la batterie européenne standard est insuffisant pour dépister les patients allergiques à des huiles essentielles. Mais en cas de positivité des épidermotests à ces haptènes, il faut penser à évoquer cette allergie. Il est donc important de demander de façon active aux patients si de tels produits sont utilisés, car ils oublient fréquemment de les citer. Il ne faut pas non plus hésiter à reposer cette question lors de la lecture des patch-tests en cas de positivité vis-à-vis de ces haptènes à risque de réaction « croisée ». Le mieux est ensuite de tester les huiles essentielles utilisées par les patients en épidermotests à 2 % dans la vaseline. En cas de négativité et de forte suspicion, cette exploration peut être complétée par un ROAT (repeated open applicated tests).
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Quelques cas particuliers méritent également d’être dé aillés. C’est le cas tout d’abord de l’huile de l’arbre à thé ou Melaleuca alternifolia (angl. : tea tree oil) dont l’huile essentielle est utilisée de façon empirique et ancestrale pour diverses dermatoses et maladies ORL par les aborigènes australiens [8]. La phytothérapie moderne et la cosmétologie l’ont donc adoptée, mais cela a été suivi rapidement de cas d’eczémas de contact allergiques suffisamment nombreux pour que les dermatologues nord-américains ajoutent cet haptène à leur batterie standard d’épidermotests. En effet, elle pouvait être présente dans des préparations topiques jusqu’à la concentration de 5 à 10 % ce qui était largement suffisant pour être sensibilisant surtout en cas de condition de stockage ayant entraîné une oxydation [9]. Cela a été montré pour d’autres huiles essentielles. Ainsi, l’auto-oxydation spontanée à l’air de l’huile de lavande permet l’apparition d’hydroperoxydes sources d’allergies [4]. De façon plus exceptionnelle, ces haptènes peuvent induire des tableaux cliniques sévères aboutissant à l’hospitalisation des patients en déclenchant des dermites de contact à type d’érythème polymorphe pour Melaneuca alternifolia [10]. Mais aussi de vrais érythèmes polymorphes avec l’huile de nigelle ou cumin noir lors de son utilisation topique et systémique [11].
Références
4. Conclusions
[10] Khanna M, Qasem K, Sasseville D. Allergic contact dermatitis to tea tree oil with erythema multiforme-like id reaction. Am J Contact Dermat 2000;11(4):238-42.
[1] Vigan M. Les huiles essentielles : leur retour et leur toxicité. Progrès en dermato-allergologie, Bordeaux, 2009, John Libbey Eurotext, Esher 123-8. [2] http://ansm.sante.fr/L-ANSM2/Comites-francais-de-la-pharmacopee/ Comites-francais-de-la-pharmacopee/Comite-francais-de-pharmacopeeplantes-medicinales-et-huiles-essentielles [3] http://ansm.sante.fr/S-informer/Presse-Communiques-Points-presse/ Qualite-des-huiles-essentielles-dans-les-produits-cosmetiques-l-Afssaps-publie-des-recommandations-pour-les-industriels [4] Hagvall L, Sköld M, Brared-Christensson J, Börge A, Karlberg AT. Lavender oil lacks natural protection against autoxidation, forming strong contact allergens on air exposure. Contact Dermatitis 2008;59(3):143-50. [5] Lalko J, Api AM. Investigation of the dermal sensitization potential of various essential oils in the local lymph node assay. Food Chem Toxicol 2006;44(5):739-46. [6] Frosch PJ, Johansen JD, Menne T, Pirker C, Rastogi SC, Andersen KE, et al. Further important sensitizers in patients sensitive to fragrances. II Reactivity to essentials oils. Contact Dermatitis 2002;47(5):279-87. [7] Uter W, Schmidt E, Geier J, Lessmann H, Schnuch A, Frosch P. Contact allergy to essential oils: current patch test results (2000-2008) from the Information network of departments of dermatology (IVDK). Contact Dermatitis. 2010;63(5):277-83. [8] Fritz TM, Burg G, Krasovec M. Dermatite de contact allergique aux cosmétiques à base de Melaleuca alternifolia (tea tree oil). Ann Dermatol Vénéréol 2001;128(2):123-6. [9] Larson D, Jacob SE. Tea tree oil. Dermatitis 2012;23:48-9.
Les huiles essentielles ne sont pas des produits naturels sources de bienfaits et toujours bien tolérés. Elles peuvent induire des manifestations toxiques et allergiques. Leurs sources d’exposition sont parfois anecdotiques et il faut savoir les rechercher et les demander. Elles peuvent être présentes dans des produits de toilette ou ménagers, des bains de boue [12]… Ce sont des haptènes aéroportés ou agissant parfois par procuration fixés sur des objets (ex : lunettes) [13, 14]. Enfin, leur vente par Internet court-circuite les réseaux pouvant garantir, non pas leur innocuité mais leur qualité, exposant encore plus à des effets secondaires notamment allergiques de ces substances facilement oxydables et donc allergisantes.
Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
[11] Nosbaun A, Ben Said B, Halpern SJ, Nicolas JF, Bérard F. Systemic allergic contact dermatitis to black cumin essential oil expressing as generalized erythema multiforme. Eur J Dermatol 2011;21(3):447-8. [12] Garcia-Abujeta J, Hernando de Larramendi C, Pomares Berna J, Munoz Palomino E. Mud bath dermatitis due to cinnamon oil. Contact dermatitis 2005;52(4):234. [13] Ackermann L, Aalto-Korte K, Jolanki R, Alanko K. Occupational allergic contact dermatitis from cinnamon including one case from airborne exposure. Contact Dermatitis 2009;60(60):96-9. [14] Williams JD, Nixon RL, Lee A. Recurrent allergic contact dermatitis due to allergen transfer by sunglasses. Contact Dermatitis 2007;57(2):120-1.