Amylose AA secondaire à une tuberculose pulmonaire multi-résistante : implications thérapeutiques

Amylose AA secondaire à une tuberculose pulmonaire multi-résistante : implications thérapeutiques

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ARTICLE IN PRESS

PNEUMO-496; No. of Pages 4

Revue de Pneumologie clinique (2015) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE

Amylose AA secondaire à une tuberculose pulmonaire multi-résistante : implications thérapeutiques AA-type amyloidosis secondary to multidrug resistant pulmonary tuberculosis: Implications for therapy E. Baux a,∗, S. Henard a, C. Alauzet b, F. Goehringer a, C. Laurain b, J. Champigneulle c, P. Vaillant d, A. Hardy e, C. Rabaud a, T. May a a

Service de maladies infectieuses et tropicales, CHU Nancy-Brabois, 9, allée du Morvan, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy, France b Laboratoire de bactériologie, CHU Nancy-Brabois, 9, allée du Morvan, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy, France c Laboratoire d’anatomie et cytologie pathologiques, CHU Nancy-Brabois, 9, allée du Morvan, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy, France d Service de pneumologie, CHU Nancy-Brabois, 9, allée du Morvan, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy, France e Département de soins polyvalents — Sanatorium, centre médical de Bligny, 91640 Bris-sous-Forges, France

MOTS CLÉS Amylose ; Multi-résistance ; Tuberculose



Résumé Une tuberculose pulmonaire, qui s’avèrera multi-résistante et associée à une amylose rénale secondaire, est diagnostiquée chez un homme de 32 ans d’origine arménienne. Une hexa-antibiothérapie probabiliste basée sur les résultats bactériologiques préliminaires de l’antibiogramme génotypique est débutée en urgence, sans attendre l’antibiogramme phénotypique définitif. L’évolution clinique et biologique sera lentement favorable et la tolérance du traitement sera acceptable. Cette observation illustre le premier cas d’association entre amylose secondaire et tuberculose multi-résistante, qui pose le problème de la nécessité de traiter en urgence un patient chez qui les risques de résistance et d’échec thérapeutique sont élevés. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Baux).

http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2015.01.001 0761-8417/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Baux E, et al. Amylose AA secondaire à une tuberculose pulmonaire multi-résistante : implications thérapeutiques. Rev Pneumol Clin (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2015.01.001

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E. Baux et al.

KEYWORDS Amyloidosis; Multidrug resistant; Tuberculosis

Summary Multidrug resistant pulmonary tuberculosis was diagnosed to a 32-year-old man. An AA-amyloidosis was subsequently diagnosed on the renal biopsy performed for nephrotic syndrome and macroscopic hematuria. A 6-drug antibiotic treatment was delivered quickly after first results of genotypic antibiogram given the renal failure, and was secondarily adapted to the phenotypic antibiogram. Multidrug therapy was fairly well tolerated. Clinical and biological improving were slow. Although tuberculosis is a classic cause of amyloidosis, this is the first case reporting an association between a multidrug resistant case and an amyloidosis in adults. This case also raises the question of MDR probabilistic treatments in situations whether a vital organ prognosis is engaged. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction L’OMS estime à 650 000 le nombre de cas de tuberculose MDR dans le monde en 2011 sur les 12 millions de cas de tuberculose [1]. Durant les cinq dernières années, une augmentation du pourcentage de tuberculose MDR a été observée, mais les notifications sont très en dec ¸à de ces estimations car 60 % des pays n’ont pas la capacité de caractériser ces résistances. La tuberculose « multi-résistante » (MDR) correspond à une résistance simultanée à l’isoniazide et la rifampicine. La tuberculose « ultrarésistante » (XDR) correspond à une résistance à l’isoniazide et à la rifampicine ainsi qu’aux fluoroquinolones, et à au moins un des trois antituberculeux injectables de seconde ligne (capréomycine, kanamycine, amikacine). La recherche spécifique par PCR de mutations sur les gènes associées à la résistance à certains antibiotiques est un moyen diagnostique rapide. Les facteurs de risque faisant suspecter une tuberculose MDR sont selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) un échec de traitement antérieur, une exposition à un cas connu de tuberculeuse MDR, les patients dont les expectorations restent positives à l’examen direct après 2 ou 3 mois de chimiothérapie, une rechute après interruption ou abandon de traitement, une exposition dans des établissements ou des zones de forte prévalence de tuberculeuse pharmacorésistante, une malabsorption ou une diarrhée provoquant un transit rapide et le VIH [2]. L’amylose est un groupe de maladies définies par la présence de dépôts de protéines insolubles dans les tissus. Dans le cas de l’amylose AA, c’est une protéine de l’inflammation : la Serum Amyloid A Protein (SAA) qui se dépose lors d’une inflammation prolongée, comme la tuberculose, cause majeure dans les pays en développement [3,4]. Cette association n’a encore jamais été rapportée dans le cadre d’une tuberculose MDR. Il s’agit ici, à notre connaissance, du premier cas publié.

Une tuberculose pulmonaire bacillifère est diagnostiquée. Dans l’attente de la culture et de l’antibiogramme phénotypique (méthode de culture avec tests conventionnels in vitro), un antibiogramme génotypique par PCR permet, d’une part, d’affilier les bacilles acido-alcoolorésistants vus à l’examen direct aux mycobactéries du complexe tuberculeux et, d’autre part, de mettre en évidence des mutations associées à une résistance à la rifampicine (rpoB) et une résistance de haut niveau à l’isoniazide (katG). Les principales mutations responsables d’une résistance aux fluoroquinolones (gyrA) n’ont pas été détectées. La sérologie VIH est négative. Le scanner thoracique retrouve des images cavitaires des apex en faveur d’une tuberculose pulmonaire active (Fig. 1). Devant l’hématurie macroscopique, un bilan rénal est effectué. Un syndrome néphrotique est découvert avec hypoalbuminémie à 7,6 g/L. Une protéinurie de Bence Jones de type lambda est mise en évidence sous forme de traces, le dosage pondéral des immunoglobulines est normal. Les anticorps antinucléaires sont faiblement positifs, les c-ANCA sont positifs au titre de 16. Le dosage du complément est normal.

Observation Venant directement d’Arménie, un homme de 32 ans se présente aux urgences pour toux, dyspnée fébrile et altération de l’état général, associées à une hématurie macroscopique. Il aurait déjà été traité par comprimés et perfusions dans son pays d’origine pour une pathologie pulmonaire, sans autre précision.

Figure 1. Coupe tomodensitométrique axiale de thorax : images cavitaires.

Pour citer cet article : Baux E, et al. Amylose AA secondaire à une tuberculose pulmonaire multi-résistante : implications thérapeutiques. Rev Pneumol Clin (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2015.01.001

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Amylose AA secondaire à une tuberculose pulmonaire multi-résistante

Figure 2. Biopsie rénale, coloration Rouge Congo grossissement × 40 : coloration des dépôts amorphes en rouge orangé.

Il n’y a pas d’anomalie morphologique rénale. La ponction biopsie rénale décrit un épaississement nodulaire mésangial fait d’une substance amorphe au niveau des glomérules. Il existe un infiltrat inflammatoire minime composé de lymphocytes associés à une discrète fibrose interstitielle. Quelques rares tubes sont atrophiques dans les zones de fibrose et des dépôts amorphes sont observés sur les rares sections vasculaires. L’immunofluorescence ne met pas en évidence de dépôts significatifs d’ IgA, IgG, IgM, C1q, C3, C4, albumine, fibrinogène, chaînes kappa ou lambda. La coloration rouge Congo retrouve des dépôts abondants d’amylose au sein du mésangium des glomérules ainsi qu’au niveau des sections vasculaires (Fig. 2). L’étude immunohistochimique met en évidence l’expression par ces dépôts de la protéine amyloïde AA. Le diagnostic retenu est une amylose rénale AA secondaire à une tuberculose multi-résistante. Grâce aux résultats bactériologiques préliminaires, et compte tenu de l’amylose rénale dont le pronostic est lié à l’inflammation chronique, une antibiothérapie probabiliste par éthambutol, amikacine, moxifloxacine, acide para-aminosalicylique (PAS), éthionamide et linézolide est débutée en urgence, conformément aux recommandations de l’OMS [2]. Un traitement par inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) est instauré à visée néphro-protectrice. L’identification de la souche en tant que Mycobacterium tuberculosis est effectuée sur la culture. Le résultat définitif de l’antibiogramme phénotypique confirme une résistance de haut niveau à l’isoniazide et une résistance à la rifampicine. La souche est résistante à l’éthambutol, à la kanamycine, à la streptomycine, à l’éthionamide, au pyrazinamide, et sensible au PAS, à la cyclosérine, aux fluoroquinolones, à l’amikacine, à la capréomycine et au linézolide. L’absence de résistance aux fluoroquinolones ne permet pas de classer cette souche de M. tuberculosis en tant que XDR mais le nombre important de molécules antituberculeuses touchées suggère qu’elle pourrait être considérée comme pré-XDR. Le traitement, constitué par l’association cyclosérine, moxifloxacine, linézolide, PAS et amikacine, est adapté à l’antibiogramme. L’évolution est lentement favorable, avec négativation des expectorations après 5 mois de traitement. L’amikacine,

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administrée par voie intraveineuse, est arrêtée 3 mois après la négativation des expectorations. Il n’a pas été retenu d’indication chirurgicale chez ce patient, du fait de la lourdeur du geste et des séquelles prévisibles. Après avis auprès du Centre national de référence, le traitement est poursuivi pour une durée totale de 2 ans, en raison de la présence de l’amylose et de lésions pulmonaires chroniques. L’OMS recommande une durée de traitement pouvant aller jusqu’à 24 mois dans ces cas chroniques. La tolérance du traitement a été correcte, hormis une neuropathie des membres inférieurs s’améliorant avec la renutrition et une ototoxicité vestibulaire à type d’acouphènes et vertiges cédant à l’arrêt de l’amikacine. La fonction rénale reste conservée mais la protéinurie persiste pendant deux ans (fluctuant entre 2,5 et 8 g/24 h), malgré plusieurs traitements par IEC puis antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II. Après deux ans de traitement, la fonction rénale est toujours normale et la protéinurie a totalement disparu.

Discussion L’association entre tuberculose MDR et amylose pose d’importants problèmes thérapeutiques puisque l’instauration d’une antibiothérapie en urgence, sans attendre les résultats de l’antibiogramme, est nécessaire en raison du pronostic rénal de l’amylose secondaire. Cependant, certains auteurs recommandent, en cas de suspicion de MDR, de ne pas instaurer de traitement probabiliste d’emblée et d’attendre l’antibiogramme, au moins génotypique, pour débuter un traitement adapté secondairement modifié en fonction des résultats définitifs [5]. Il existe d’autres situations où un traitement doit être entrepris de fac ¸on rapide : miliaire, hémoptysie menac ¸ante, AEG majeure, localisation(s) extra-pulmonaire(s) menac ¸ante(s) type Mal de Pott. . . Dans une série de 1977, 9 à 11 % des patients ayant une tuberculose ont développé, malgré une antibiothérapie efficace, une protéinurie secondaire à une amylose rénale [6]. Elle peut apparaître quelques semaines seulement après le diagnostic de tuberculose [7]. La littérature rapporte un cas d’amylose d’évolution favorable sous colchicine : il s’agissait d’une amylose secondaire à une tuberculose pulmonaire et à une spondylarthrite ankylosante, traitée par colchicine à la fin du traitement antituberculeux [8]. Une évolution favorable d’amylose AA secondaire à une tuberculose latente est rapportée sous anti-TNF alpha, après traitement antituberculeux [9]. Un traitement immunosuppresseur est non indiqué dans le cadre d’une tuberculose mais ces évolutions favorables sont intéressantes sur le plan conceptuel. L’évolution de l’amylose dans notre cas est particulièrement longue. L’amylose étant secondaire à une inflammation chronique, le caractère multi-résistant dans la maladie pourrait être responsable d’un état inflammatoire plus prolongé et donc d’une évolution plus lente de l’amylose. Bien que la multi-résistance puisse être évoquée devant la provenance géographique du patient et la notion de traitement antérieur, l’apport des techniques récentes de biologie moléculaire est essentiel. L’antibiogramme géno-

Pour citer cet article : Baux E, et al. Amylose AA secondaire à une tuberculose pulmonaire multi-résistante : implications thérapeutiques. Rev Pneumol Clin (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2015.01.001

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E. Baux et al.

typique, résultant de la recherche spécifique par PCR de mutations sur les gènes associées à la résistance permet d’affiner rapidement la nature du traitement probabiliste, en attendant la confirmation par l’antibiogramme phénotypique définitif disponible plusieurs semaines plus tard. Dans l’attente de ce dernier, le traitement repose sur une hexa- voire une septathérapie avant de désescalader ensuite à une quadri- ou pentathérapie, puisque les mutations de résistance ne sont pas toutes connues et donc pas toutes recherchées par PCR. Si des mutations de résistance sont retrouvées, la souche est résistante mais l’inverse n’est pas vrai. Ainsi, la PCR ne détectait pas de résistance à l’éthambutol qui a été mise en évidence sur l’antibiogramme phénotypique. Cette technique réduit le risque d’échec thérapeutique et d’émergence de nouvelles résistances. L’utilisation probabiliste d’éthambutol, d’aminosides, de fluoroquinolones, d’acide para-aminosalicylique, d’éthionamide et de linézolide a permis d’avoir quatre molécules actives sur les six utilisées. La tuberculose a donc été traitée rapidement avec une poly-antibiothérapie efficace. Le caractère MDR de la tuberculose induit la notion de traitement plus complexe, avec notamment l’utilisation prolongée d’amikacine et le risque de complications rénales dans un contexte de néphropathie amyloïde. Au début de cette prise en charge, la créatininémie était de 51 ␮mol/L et de 60 ␮mol/L après 6 mois de traitement. Les effets secondaires ont été acceptables, grâce à une surveillance des taux résiduels d’amikacine et adaptations aux dosages.

Conclusion Nous décrivons pour la première fois, à notre connaissance, un cas de tuberculose MDR associé à une amylose, d’évolution favorable grâce à l’instauration rapide d’un traitement probabiliste large. Les nouvelles techniques de détection de résistance par PCR et les nouvelles molécules antituberculeuses sont des avancées prometteuses. Leur utilisation doit être raisonnée, afin de limiter la diffusion inquiétante des souches de tuberculose multi-résistantes.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] World Health Organization. Global tuberculosis control: WHO report 2011; 2011, http://www.who.int/tb/publications/ global report/2011/en/ [Consulté le 3 août 2014]. [2] Organisation mondiale de la santé. Principes directeurs à l’intention des programmes antituberculeux pour la prise en charge des tuberculoses pharmacorésistantes. Mise à jour d’urgence pour 2008; 2008, http://whqlibdoc.who.int/ publications/2009/9789242547580 fre.pdf [Consulté le 3 août 2014]. [3] Yoshizumi M, Li TG. Incidence of amyloidosis in tuberculosis: a comparative study before and after chemotherapy. Am Rev Respir Dis 1962;85:432—4. [4] Ben Abdelghani K, Barbouch S, Ounissi M, Ounissi M, Mahfoudhi M, Ben Moussa F, et al. Etiologic profile of amyloidosis of the elderly in Tunisia. Tunis Med 2012;90:13—8. [5] Caminero JA. Treatment of multidrug-resistant tuberculosis: evidence and controversies. Int J Tuberc Lung Dis 2006;10:829—37. [6] Nik-Akhtar B, Khorsandi H, Nejatbaksh A. Incidence of renal amyloidosis in pulmonary tuberculosis. J Trop Med Hyg 1977;80:147—8. [7] Malhotra P, Agarwal R, Awasthi A, Jindal SK, Srinivasan R. How long does it take for tuberculosis to cause secondary amyloidosis? Eur J Intern Med 2005;16:437—9. [8] Paydas S, Paydas S, Balal M. The permanent improvement of proteinuria and renal failure with colchicine and enalapril in a leukemic patient with renal amyloidosis secondary to ankylosing spondylitis: a review of the literature. Am J Ther 2013;20:344—6. [9] Magro-Checa C, Navas-Parejo Casado A, Borrego-García E, RayaÁlvarez E, Rosales-Alexander JL, Salvatierra J, et al. Successful use of tocilizumab in a patient with nephrotic syndrome due to a rapidly progressing AA-amyloidosis secondary to latent tuberculosis. Amyloid 2011;18:235—9.

Pour citer cet article : Baux E, et al. Amylose AA secondaire à une tuberculose pulmonaire multi-résistante : implications thérapeutiques. Rev Pneumol Clin (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2015.01.001