Apnée du sommeil et paralysie cérébrale à l’âge adulte. À propos de trois observations

Apnée du sommeil et paralysie cérébrale à l’âge adulte. À propos de trois observations

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Motricité cérébrale 32 (2011) 131–134 www.em-consulte.com Troubles respiratoires Apnée du sommeil et ...

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Motricité cérébrale 32 (2011) 131–134 www.em-consulte.com

Troubles respiratoires

Apnée du sommeil et paralysie cérébrale à l’âge adulte. À propos de trois observations Sleep apnea in adults cerebral palsy. About three cases P. Gallien *, B. Nicolas, A. Duruflé, A. Colin, S. Achille, F. Dauvergne Pôle MPR Saint-Hélier et réseau Breizh Pc, 54, rue Saint-Hélier, 35043 Rennes cedex, France Disponible sur Internet le 8 novembre 2011

Résumé Les troubles respiratoires sont fréquents dans la paralysie cérébrale avec une atteinte restrictive et obstructive. Le syndrome d’apnée du sommeil est bien connu chez l’enfant mais peu décrit chez l’adulte. Les signes cliniques classiques sont le ronflement nocturne, les pauses respiratoires, la nycturie, une fatigue importante, une somnolence, des céphalées matinales, des troubles de concentration, une tendance dépressive. La surcharge pondérale est un facteur de risque majeur. Par ailleurs, la prévalence augmente avec l’âge. Nous rapportons trois observations de patient présentant un syndrome d’apnée du sommeil. À partir de ces trois observations nous reverrons la particularité de ce problème chez l’adulte atteint de paralysie cérébrale. Le diagnostic peut être rendu difficile par les troubles liés à l’atteinte neurologique. Les conséquences sur le handicap ainsi que son impact sur la morbidité cardiovasculaire justifient d’être attentif au diagnostic et de ne pas hésiter à réaliser un enregistrement polygraphique nocturne. # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Respiratory disorders are frequent in cerebral palsy with restrictive and also obstructive disorders. Obstructive sleep apnea has been described in childhood but there are few data about this problem in adults. Usually clinical symptoms are snoring, apneas, nycturia, sleepiness, awakenings, headache, cognitive disorders, and depressive syndrome. Obesity is a strong risk factor. Moreover, prevalence increases with age in adults. We report three cases of adults with cerebral palsy suffering from obstructive sleep apnea. Particularities of this syndrome are discussed in cerebral palsy. Diagnosis may be difficult because of the existing impairment, which can mask specific clinical signs. According to the risk of impairment worsening and of cardiovascular disease, obstructive sleep apnea must be evoked in case of any doubt. Individuals who are suspected of having obstructive sleep apnea should undergo polysomnography to confirm the presence and severity of sleep disordered breathing. # 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Paralysie cérébrale ; Apnée du sommeil ; Adulte Keywords: Cerebral palsy; Obstructive sleep apnea; Adults

Les troubles respiratoires sont fréquents dans la paralysie cérébrale avec une atteinte restrictive liée pour * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Gallien).

partie à la spasticité, aux troubles moteurs et aux troubles de la statique rachidienne, ainsi qu’une atteinte obstructive en rapport avec l’encombrement, l’atteinte musculaire glottique. . . Le syndrome d’apnée du sommeil est la conséquence d’une atteinte respiratoire

0245-5919/$ – see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.motcer.2011.10.003

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obstructive mécanique provoquant une hypoventilation responsable d’une hypoxémie et d’une hypercapnie transitoire. Outre la perturbation du sommeil cette hypoventilation est responsable d’une augmentation des risques d’atteinte cardiovasculaire : hypertension artérielle, cardiopathie, accident vasculaire cérébral. . . [1] Les complications cardiovasculaires sont avec les problèmes pulmonaires les principales causes de mortalité chez adulte atteint de paralysie cérébrale dont l’espérance de vie est significativement réduite [2–4]. La mise en place de mesure de prévention est de ce fait primordiale. Le dépistage des apnées du sommeil fait partie de ces mesures. Cela implique une bonne connaissance des signes cliniques évocateurs. Si la prévalence est assez bien connue chez l’enfant atteint de paralysie cérébrale, peu de données existent pour l’adulte PC [5–7]. Il nous a paru intéressant à partir de trois observations de faire le point sur cette problématique. 1. Observation no 1 M.G. né le 30/06/1973 présente un tableau de paralysie cérébrale : de type tétraparétique spastique prédominant à droite, compliqué de crises d’épilepsies traitées par Gardenal1. Il consulte une première fois en 2005 pour un problème de spasticité douloureuse avec des douleurs au niveau des différentes articulations et du rachis cervical. Le score de la GMF est à 4, avec un poids de 66 kg pour une taille de 1,73 m. Outre le Gardenal1 son traitement comporte du Tranxene1, du DiffuK1, et du Srilane1. La mise en place d’attelles, avec une kinésithérapie adaptée et l’introduction de Rivotril1 le soir à faible dose et de paracétamol, amène une nette amélioration. En mars 2008, il se plaint de céphalée importante, avec une nouvelle aggravation de la spasticité. Un essai d’introduction de Laroxyl1 a entraîné une dysurie et un syndrome sec et a finalement été arrêté. En juillet 2008 la douleur reste importante, du Déroxat1 a été introduit mais est mal supporté, avec persistance de céphalée et une notion de glaucome, en cours d’exploration qui pourrait expliquer les céphalées. Une prise de poids de 5 kg est également notée. À la reprise de l’interrogatoire, sa mère rapporte la notion de ronflement la nuit, amenant à la demande d’un enregistrement nocturne qui va conclure à un syndrome d’apnée du sommeil avec proposition de la mise en place d’une assistance ventilatoire nocturne, avec une disparition des céphalées, une diminution significative de la spasticité. Sur le plan cognitif son entourage le

trouve beaucoup plus vif. À deux ans le bénéfice est maintenu. 2. Observation no 2 M.B. né le 15/01/1956 présente une paralysie cérébrale spastique avec hémiplégie droite, compliquée d’une myélocervicarthrose avec hernie discale opéré en 2000 responsable d’une perte de la marche. En 2007, il consulte pour une aggravation fonctionnelle avec des douleurs diffuses de rythme mécanique, le périmètre de marche est d’une dizaine de mètres avec des chutes fréquentes. La GMF est à 3. Une prise de poids importante a été observée : 103 kg pour une taille de 1,72 m avec un index de masse corporelle à 34. Suite à un séjour de rééducation un bénéfice important est obtenu avec une augmentation du périmètre de marche, une amélioration de l’équilibre, une diminution des douleurs, une disparition des chutes, le périmètre de marche est passé à 30 m. L’évolution est donc favorable avec néanmoins une tendance à s’endormir dans la journée, même lors des activités. À l’interrogatoire la notion de ronflement nocturne amène à la proposition d’un bilan pneumologique avec polygraphie nocturne, mettant en évidence un syndrome d’apnée du sommeil très sévère, avec indication à la mise en route d’une correction par pression positive continue, bien tolérée. L’amélioration est significative avec une meilleure vigilance, et un patient beaucoup plus présent dans ses activités. 3. Observation no 3 M.M. né le 1/12/1956 présente une diplégie spastique. Ses antécédents sont marqués par un syndrome anxio-dépressif sévère, une hypertension artérielle, des infections urinaires à répétition dans un contexte de vessie neurologique. En 2009 il consulte pour des douleurs rachidiennes avec aggravation de la spasticité, il ne marche plus, se sent très fatigué, avec une prise de poids importante : 91 kg pour une taille de 1,73 m avec un index de masse corporelle de 30,41, le tout dans un contexte dépressif sévère. La GMF est à 4. Des pauses respiratoires sont constatées avec endormissement dans la journée amenant au diagnostic d’apnée du sommeil avec appareillage nocturne. L’évolution est marquée par une amélioration de la vigilance, du sommeil mais il reste spastique, douloureux. Une pompe à baclofène est discutée et implantée avec un bénéfice complet sur la douleur et la spasticité.

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4. Discussion Plusieurs études épidémiologiques permettent d’avoir une idée de la prévalence du syndrome d’apnée du sommeil dans la population générale adulte avec des variations néanmoins, liées à la méthodologie notamment au seuil retenu pour le diagnostic lors de l’enregistrement nocturne [1,8]. La prévalence est de 3 à 7 % pour la population masculine et de 2 à 5 % pour la population féminine [8,9]. Les signes cliniques classiques sont le ronflement nocturne, les pauses respiratoires, la nycturie, une fatigue importante, une somnolence, des céphalées matinales, des troubles de concentration, une tendance dépressive. . . Le diagnostic est confirmé par un enregistrement polygraphique nocturne [1,8,9]. La littérature dans la paralysie cérébrale reste très limitée chez l’adulte [10], alors que les troubles respiratoires durant le sommeil sont bien connus, de même que leur impact sur la qualité de vie, chez l’enfant [2–4]. Différentes hypothèses peuvent expliquer cet état de fait. La première est certainement une espérance de vie beaucoup plus faible de cette population que dans la population générale, avec une surmortalité dans les tranches d’âges 30–60 ans [2–4], or l’incidence des apnées du sommeil augmente fortement avec l’âge, notamment après 65 ans [1,8,11]. La deuxième est que le diagnostic n’est peut être pas toujours évoqué : il peut être difficile d’extraire les symptômes spécifiques du tableau clinique global, avec comme on a pu le voir dans nos observations, des tableaux parfois très atypiques. Les signes d’appel habituel : ronflement nocturne, pauses respiratoires, nycturie, une fatigue importante, une somnolence, des céphalées matinales, des troubles de la concentration, une tendance dépressive, sont souvent difficiles à interpréter dans le contexte de la paralysie cérébrale. Si ronflement nocturne et pauses respiratoires restent assez spécifiques, les autres signes sont en fait très souvent présents en tant que conséquence du handicap. Il faudra donc être attentif à toutes modifications observées sur le plan cognitif et comportemental bien sûr, mais également sur le plan général : douleur, spasticité, hypertension artérielle. . . Nos observations soulignent l’importance de la surcharge pondérale en tant que facteur de risque avec un retentissement direct sur le diamètre des voies aériennes [1,8,12]. Une prise importante de poids doit amener à être plus attentif encore à cette hypothèse diagnostic. Dans la population générale, 60 % des sujets présentant un syndrome d’apnée du sommeil

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ont une surcharge pondérale. Le risque augmente avec l’augmentation de l’index de masse corporelle. Ainsi à partir des données de la cohorte de Wisconsin il a été observé qu’une augmentation de l’IMC de 10 % multiplie le risque par un facteur de 6 [8,13]. À côté des problèmes de dénutrition bien connus dans la paralysie cérébrale, il faut donc également veiller au risque de surcharge pondérale. Cela souligne encore une fois l’importance du suivi nutritionnel et de la mise en place d’une politique de prévention. La surveillance régulière du poids est un élément essentiel de ce suivi parfois plus pertinent que le suivi de l’index de masse corporelle dont l’obtention peut parfois être délicat dans cette population. Le syndrome d’apnée du sommeil est responsable d’une surmortalité sur le plan cardiovasculaire bien documentée dans la littérature avec notamment un impact important sur l’hypertension artérielle, mais également au niveau coronarien [1,8]. Les principales causes de mortalité sont d’origine pulmonaire et cardiovasculaire dans la paralysie cérébrale, la maîtrise des facteurs de risques est donc essentielle. Le diagnostic d’apnée du sommeil doit donc être évoqué et exploré de façon systématique à la moindre suspicion clinique, d’autant qu’un traitement spécifique pourra être proposé, pouvant transformer la vie de la personne handicapée. Sur le plan thérapeutique la prise en charge passe le plus souvent par la mise en place d’une ventilation nocturne non invasive qui est généralement bien acceptée après une petite période d’acclimatation. Il sera certainement important de développer des programmes d’éducation thérapeutiques pour les patients et leurs proches pour permettre un dépistage plus précoce et ainsi améliorer la prévention des pathologies cardiovasculaires. Ces programmes devront aborder l’aspect nutritionnel ainsi que les signes évocateurs de syndrome d’apnée du sommeil devant amener à consulter.

5. Conclusion Le syndrome d’apnée du sommeil est peu décrit chez l’adulte paralysé cérébral et certainement sous évalué. La recherche de signes cliniques évocateurs doit être systématique avec au moindre doute la réalisation d’un enregistrement nocturne. La mise en place d’un traitement adapté permet d’obtenir un bénéfice rapide et joue un rôle dans la prévention de la morbidité cardiovasculaire.

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Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Kapur VK. Obstructive sleep apnea: diagnosis, epidemiology, and economics. Respir Care 2010;55(9):1155–64. [2] Hemming K, Hutton JL, Pharoah PO. Long-term survival for a cohort of adults with cerebral palsy. Dev Med Child Neurol 2006;48(2):90–5. [3] Hutton JL, Pharoah PO. Life expectancy in severe cerebral palsy. Arch Dis Child 2006;91(3):254–8. [4] Strauss D, Shavelle R, Reynolds R, Rosenbloom L, Day S. Survival in cerebral palsy in the last 20 years: signs of improvement? Dev Med Child Neurol 2007;49(2):86–92. [5] Hsiao KH, Nixon GM. The effect of treatment of obstructive sleep apnea on quality of life in children with cerebral palsy. Res Dev Disabil 2008;29(2):133–40. [6] Kotagal S, Gibbons VP, Stith JA. Sleep abnormalities in patients with severe cerebral palsy. Dev Med Child Neurol 1994;36(4): 304–11.

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