Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 134 (2017) 11–17
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Article original
Apport diagnostique et pronostique de l’électromyographie dans les immobilités laryngées unilatérales de l’adulte夽 A. Focquet a , Y. Péréon b , S. Ségura a , C. Ferron a , O. Malard a , F. Espitalier a,∗ a b
Service d’ORL et chirurgie cervicofaciale, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France Service d’explorations fonctionnelles neurologiques, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France
i n f o
a r t i c l e
Mots clés : Électromyographie laryngée Paralysie laryngée Ankylose crico-aryténoïdienne Potentiels de réinnervation
r é s u m é Buts. – Étudier l’apport diagnostique et pronostique de l’électromyographie laryngée (EMGL) face à un trouble de mobilité laryngée unilatérale chez l’adulte. Patients et méthodes. – Étude rétrospective de 2007 à 2015 incluant les patients présentant une immobilité laryngée unilatérale et ayant eu une EMGL. Les tracés de type neurogène, normal ou myogène étaient confrontés au contexte clinique. Le potentiel de récupération d’une paralysie unilatérale, évalué par la présence de potentiels de réinnervation sur le tracé de l’EMGL, a été comparé à l’évolution de la mobilité laryngée en laryngoscopie. Résultats. – Soixante-trois patients (âge moyen de 59 ans) ont été inclus, mais 2 ont été exclus. Le délai moyen entre l’apparition de l’immobilité et la réalisation de l’EMGL était de 7 mois. Sur un total de 61 patients, 85 % présentaient un tracé neurogène en faveur d’une atteinte nerveuse, 13 % un tracé normal en faveur d’une ankylose crico-aryténoïdienne et un avait une activité de type myogène. Les tracés neurogènes étaient le plus souvent secondaires à une intervention chirurgicale cervicale. Trois quarts des patients présentant des potentiels de réinnervation ont récupéré une mobilité laryngée. La valeur prédictive positive de l’EMGL était de 69,2 %. Trente-huit patients ont été réévalués à distance. Conclusion. – L’EMGL s’avère être un outil performant pour préciser l’origine d’une immobilité laryngée unilatérale chez l’adulte. Elle a aussi un rôle pronostique dans les paralysies laryngées, l’absence de potentiels de réinnervation pouvant faire proposer précocement une médialisation laryngée si nécessaire. ´ ´ es. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv
1. Introduction L’immobilité laryngée peut être due à une atteinte neurogène, mécanique ou neuromusculaire [1]. Actuellement, l’évaluation visuelle de la dynamique laryngée ne suffit pas à établir le diagnostic étiologique d’une immobilité unilatérale du larynx car elle est source d’erreur dans près de 30 % des cas [2]. Les seules données de la laryngoscopie indirecte ne permettent pas de bien différencier une atteinte neurogène d’une ankylose crico-aryténoïdienne ou d’une atteinte neuromusculaire.
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2016.09.006. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : fl
[email protected], fl
[email protected] (F. Espitalier). http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2016.07.002 ´ ´ 1879-7261/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv es.
Pour faire la distinction entre ces différentes atteintes, l’électromyographie laryngée (EMGL) a été introduite par Weddel et al. en 1944. Elle a ensuite été améliorée dans les années 1950 par Faaborg-Andersen et Buchthal, mais a surtout été développée dans les années 1980 à 1990 comme outil diagnostique [3]. Le rôle pronostique de l’EMGL dans les paralysies laryngées a été établi dans différentes études [4–8]. L’EMGL présente donc un triple intérêt, à la fois diagnostique mais aussi pronostique dans les paralysies laryngées, et est indispensable pour le traitement des dysphonies spasmodiques par injection de toxine botulique [9]. Les modalités de réalisation de cet examen sont relativement simples et les effets secondaires rares [10]. Cependant, la présence nécessaire d’un otorhino-laryngologiste (ORL) et d’un neurophysiologiste pour réaliser l’examen et interpréter les résultats fait qu’il est encore peu utilisé en pratique courante [11]. L’objectif principal de cette étude était d’évaluer le rôle diagnostique de l’EMGL pour différencier une atteinte neurogène d’une ankylose crico-aryténoïdienne ou d’une atteinte neuromusculaire face à une immobilité laryngée unilatérale chez l’adulte. L’objectif
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Fig. 1. Tracé normal en phonation.
secondaire a été d’évaluer son apport pronostique dans les paralysies laryngées. 2. Patients et méthodes Le cas de 63 patients adultes ayant eu une EMGL entre janvier 2007 et janvier 2015 dans le cadre d’une immobilité laryngée unilatérale a été étudié de fac¸on rétrospective. L’EMGL était réalisée en consultation avec la collaboration d’un neurophysiologiste. L’ORL plac¸ait l’électrode aiguille au sein du muscle thyro-aryténoïdien tandis que le neurophysiologiste interprétait l’EMGL. Le nerf testé lors de l’EMGL était le nerf laryngé inférieur, par enregistrement du muscle thyro-aryténoïdien. Le matériel utilisé comprenait une aiguille concentrique de 50 mm × 0,45 mm avec un appareil d’électromyographie de type Natus Keypoint (Dantec Keypoint Focus, Natus Medical Corporate, Pleasanton, États-Unis). Tous les patients avaient bénéficié préalablement d’un examen clinique par laryngoscopie indirecte en raison d’une dysphonie. Le contexte étiologique dans lequel avait été demandé l’examen a été noté. Les symptômes présents (dysphonie, dyspnée par fuite, fausses routes), un éventuel déficit neurologique ajouté, et les données fibroscopiques du larynx (côté de l’immobilité, position de la corde vocale, présence d’une atrophie) ont été répertoriés. Les données de l’EMGL ont été recueillies en fonction de l’allure du tracé qui était de type neurogène, myogène ou normal. L’enregistrement était effectué au repos puis en phonation. Lorsque le tracé était normal, le diagnostic d’ankylose crico-aryténoïdienne était posé [12], alors qu’un tracé d’allure neurogène, orientait vers
une lésion nerveuse [13]. Une EMGL normale était définie comme électriquement silencieuse au repos. Le tracé en phonation était de type interférentiel avec un recrutement spatial et temporel riche (Fig. 1). Une EMGL d’allure neurogène était caractérisée en phonation par un appauvrissement du tracé (Fig. 2) pouvant s’associer ou non à des fibrillations de repos. Une EMGL de type myogène pouvait être mise en évidence lorsque l’on retrouvait sur le tracé un recrutement anormalement riche. Le diagnostic était alors confirmé par d’autres explorations. Les caractéristiques du tracé permettaient d’isoler des critères pronostiques dans les atteintes neurogènes. Les tracés considérés de bon pronostic de récupération étaient caractérisés par l’absence de potentiel de fibrillation au repos et par la présence de potentiels de réinnervation (Fig. 3), définis par des potentiels d’unités motrices amples et/ou polyphasiques avec recrutement riche ou intermédiaire. Les tracés considérés de mauvais pronostic étaient caractérisés par l’absence de potentiels de réinnervation avec présence d’une activité de repos de type fibrillation et/ou un recrutement pauvre ou absent [4,8]. Les données cliniques en laryngoscopie indirecte lors du suivi ont permis de classer les patients en fonction de la présence ou de l’absence de récupération. La présence ou non de potentiels de réinnervation lors de l’EMGL initiale a ensuite été comparée à la récupération clinique, dans le but de montrer si la présence de potentiels réinnervation permettait de prédire une remobilisation de la corde vocale. La sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive positive (VPP) et la valeur prédictive négative (VPN) de l’EMGL ont été calculées. La VPP correspondait à la prédiction de l’absence de remobilisation de la corde vocale paralysée alors que la VPN
Fig. 2. Tracé neurogène en phonation avec signes de dénervation chronique et tracé pauvre.
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Fig. 3. Tracé neurogène avec potentiels de réinnervation (unités naissantes).
correspondait à la prédiction de remobilisation de la corde vocale paralysée. Ces désignations de VPP et VPN correspondaient aux standards utilisés dans les publications internationales [6].
3. Résultats 3.1. Population, méthodologie Soixante-trois patients âgés de 18 à 87 ans (âge moyen de 59,1 ans) ont été inclus, comprenant 32 hommes (50,8 %) pour 31 femmes (49,2 %). Tous les patients consultaient pour une dysphonie, 18 se plaignaient de fausses routes et 11 d’une dyspnée laryngée à l’effort, par fuite, non présentes avant l’apparition de la dysphonie. L’examen en fibroscopie indirecte montrait le plus souvent une atteinte de la corde vocale gauche, en position paramédiane. Une atrophie cordale, caractérisée par un aspect concave de la corde vocale, était notée chez 9 patients (Tableau 1). Le délai moyen entre la survenue de la dysphonie par immobilité laryngée et la réalisation de l’EMGL était de 7 mois (interquartile range de 4 à 11 mois). Les modalités d’examen ont été considérées comme mauvaises chez 6 patients (9,5 %), en raison essentiellement de la survenue d’un spasme laryngé chez 4 patients imposant à chaque fois l’arrêt de l’examen. Lorsque le spasme intervenait lors du test de la corde vocale controlatérale ou à la fin de l’enregistrement, l’examen était considéré comme interprétable. Les autres causes de mauvaise qualité d’examen étaient une obésité chez un patient en raison de difficulté pour palper les reliefs laryngés, et une déglutition intempestive chez un autre patient. Au total, 2 des 63 patients ont été exclus de l’analyse car leurs tracés n’ont pu être interprétés. L’EMGL a donc permis de donner une réponse chez 97 % des patients.
Tableau 1 Données de l’examen clinique lors de la première consultation. Examen clinique Symptômes Dysphonie Présente Absente Total Fausses routes Présentes Absentes Total NR Dyspnée par fuite Effort Repos Absente Total NR Déficit neurologique Présent Absent Total NR Fibroscopie laryngée Côté de l’atteinte Droit Gauche Total Position cordale Latérale Paramédiane Total NR Atrophie cordale Présente Absente Total NR
n
%
65 0 65
100 0
18 44 62 3
29 70,9
11 0 51 62 3
17,7 0 82,2
10 52 62 3
15,4 80
24 41 65
36,9 63,1
3 38 41 24
7,3 92,7
9 26 35 30
25,7 74,3
(4,6)
(4,6)
(4,6)
(36,9)
(46,1)
3.2. Tracés EMGL
NR : non renseigné.
Les résultats de l’EMGL montraient un tracé de type neurogène pour 52 patients (85,3 %), un tracé normal pour 8 patients (13,1 %) et un seul tracé de type myogène (1,6 %). Les étiologies en rapport avec l’immobilité laryngée étaient variées (Tableau 2). Parmi les tracés d’atteintes neurogènes, la majorité (51,9 %) était d’origine chirurgicale, dominée par la chirurgie cervicale (32,7 %) dont la chirurgie thyroïdienne (19,2 %), et par la chirurgie cardiothoracique (11,5 %). Les étiologies non chirurgicales étaient dominées par les formes idiopathiques (26,9 %). Les traumatismes cervicaux externes et les compressions locales (goitre thyroïdien, anévrisme de l’aorte, tamponnade) représentaient respectivement 3,9 % et 5,8 % des patients avec un tracé neurogène. L’association d’un traumatisme externe et d’une
chirurgie cervicale était retrouvée chez 3 patients (5,8 %) présentant un tracé neurogène. Parmi les 8 patients avec tracés normaux, 6 avaient eu une chirurgie cardiaque (3 cas), thyroïdienne (1 cas), laryngée (cordectomie, 1 cas) ou cervicale associée à un traumatisme externe (1 cas). Un patient avait eu une intubation prolongée et un autre un traumatisme externe. Un seul patient présentait une EMGL de type myogène qui orientait, en fait, vers une atteinte de la jonction neuromusculaire. Celui-ci présentait une dysphonie fluctuante sans autre atteinte musculaire. Un test aux anticholinestérasiques positif a permis de faire le diagnostic de myasthénie.
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Tableau 2 Tracé neurogène ou normal en fonction du contexte clinique. Étiologies
Non chirurgicales Intubation prolongée Idiopathique Compression locale Traumatisme externe Autrea Chirurgicales Chirurgie cervicale Chirurgie thyroïdienne Chirurgie du nerf vague Chirurgie du rachis Chirurgie carotidienne Chirurgie fistule œsotrachéale Section muscle cricopharyngien Cordectomie Chirurgie cardiothoracique Chirurgie cardiaque Chirurgie thoracique Neurochirurgie Chirurgie autreb Association traumatisme externe ± chirurgie cervicale Traumatisme externe + chirurgie cervicale autre Traumatisme externe + chirurgie rachidienne Total a b
Total
EMGL neurogène
EMGL normale
% EMGL neurogène
% EMGL normale
n
n (%)
n (%)
(n = 52)
(n = 8)
24 1 14 3 3 3 32 19 11 3 1 1 1 1 1 9 6 3 2 2 4 2 2 60
22 (91,7) 0 (0) 14 (100) 3 (100) 2 (66,7) 3 (100) 27 (84,4) 17 (89,5) 10 (90,9) 3 (100) 1 (100) 1 (100) 1 (100) 1 (100) 0 (0) 6 (66,7) 3 (50) 3 (100) 2 (100) 2 (100) 3 (75) 1 (50) 2 (100) 52
2 (8,3) 1 (100) 0 (0) 0 (0) 1 (33,3) 0 (0) 5 (15,6) 2 (10,5) 1 (9,1) 0 (0) 0 (0) 0 (0) 0 (0) 0 (0) 1 (100) 3 (33,3) 3 (50) 0 (0) 0 (0) 0 (0) 1 (25) 1 (50) 0 (0) 8
42,3 0 26,9 5,8 3,9 5,8 51,9 32,7 19,2 5,8 1,9 1,9 1,9 1,9 0 11,5 5,8 5,8 3,8 3,8 5,8 1,9 3,9 100
25 12,5 0 0 12,5 0 62,5 25 12,5 0 0 0 0 0 12,5 37,5 37,5 0 0 0 12,5 12,5 0 100
Syndrome de Parsonage-Turner, amylose, sarcoïdose. Cystoprostatectomie, amputation d’orteil.
3.3. Suivi Sur les 61 patients ayant eu une EMGL, 23 n’ont pas été revus dans le centre pratiquant l’EMGL. Neuf patients ont réalisé une seconde EMGL avec délai moyen entre les deux de 5 mois. L’âge moyen de ces patients était 53 ans avec 8 hommes pour une femme. Le délai moyen entre la première EMGL et le début du trouble de mobilité laryngée était de 4 mois. Quatre patients présentaient des potentiels de réinnervation à la première EMGL et 7 à la deuxième. On notait une amélioration chez 7 patients (77,8 %). Sept patients avaient eu une chirurgie (rachidienne cervicale dans 2 cas, cardiaque dans 2 cas, thyroïdienne dans 2 cas et thoracique dans un cas) alors que les deux autres paralysies étaient idiopathiques. Parmi les 38 patients ayant bénéficié par la suite d’un suivi clinique régulier comprenant une laryngoscopie indirecte, 33 présentaient un tracé neurogène et 5 un tracé normal (Fig. 4). Parmi ces patients au tracé normal (n = 5), 2 ont récupéré en moins de 6,5 mois en moyenne, et 3 n’ont pas récupéré après 14,5 mois en moyenne. Parmi les tracés neurogènes (n = 33), 19 patients (57,6 %) ont récupéré sur une durée moyenne de suivi de 9 mois. Quatorze patients (42,4 %) n’ont pas récupéré sur une durée moyenne de suivi de 29,5 mois. Quinze patients avec des potentiels de réinnervation ont présenté une récupération, et 9 patients sans potentiel de réinnervation n’ont effectivement pas récupéré (Tableau 3). Concernant l’apport pronostique de l’EMGL, la sensibilité et la spécificité étaient respectivement de 64,3 % et 78,9 %. La VPP était de 69,2 % et la VPN de 75 %. L’odds ratio (OR) calculé (OR = 6,75, IC à 95 % = [1,4 ; 31,9], p = 0,016) montrait que les patients avaient 7 fois plus de chance de récupérer lorsque des potentiels de réinnervation étaient présents. 4. Discussion Les immobilités laryngées ont plusieurs origines possibles. Elles peuvent être en rapport avec une atteinte du nerf vague ou du nerf laryngé inférieur, une atteinte mécanique de l’articulation crico-aryténoïdienne, ou une plus rare atteinte de la jonction neuromusculaire. L’EMGL permet d’apporter des arguments en
faveur de ces différents mécanismes d’atteinte, orientant le bilan lorsque la cause n’est pas connue et pouvant améliorer la prise en charge thérapeutique. De plus, dans le cas des paralysies laryngées, l’EMGL peut préciser les possibilités de récupération de la paralysie, élément utile pour proposer un traitement adapté précocement. L’étude de Blitzer et al. [14] publiée en 2009 s’attachait à évaluer l’intérêt de l’EMGL en pratique clinique et recommandait son utilisation dans différentes situations que sont les injections de toxine botulique, le diagnostic de troubles de mobilité laryngée, la prédiction d’une récupération de mobilité cordale après une lésion du nerf laryngé, le diagnostic des maladies neuromusculaires du larynx et enfin, l’identification des troubles du mouvement laryngé. L’intérêt étiologique de l’EMGL reste toutefois limité pour Koufman et al. [13] qui ne retenaient cette indication dans le but de différencier une atteinte mécanique d’une paralysie laryngée que chez 12 % des patients (49/415) ayant eu une EMGL. La principale limite de l’EMGL est de s’assurer de l’insertion adéquate de l’aiguille au sein du muscle thyro-aryténoïdien. La collaboration entre l’ORL et le neurophysiologiste est alors indispensable, ainsi que pour l’interprétation des résultats. L’étude présentée ici s’est tout d’abord attachée à étudier l’intérêt de l’EMGL pour le diagnostic étiologique des immobilités unilatérales du larynx. Le nerf laryngé inférieur a été testé par enregistrement du muscle thyro-aryténoïdien, muscle le plus accessible à un examen en consultation, rapide et fiable. Le nerf laryngé supérieur n’a pas été testé par enregistrement du muscle cricothyroïdien, qui peut être également touché jusque dans 40 % des atteintes neuropathiques [15]. L’enregistrement du muscle cricothyroïdien associé au thyro-aryténoïdien oriente, en cas de double atteinte, vers une lésion du nerf vague [14]. En pratique courante, il est peu réalisé car son enregistrement n’apporte qu’un diagnostic topographique le plus souvent déjà orienté par le contexte clinique. La grande majorité des troubles de mobilité unilatérale du larynx chez l’adulte était en rapport avec une atteinte nerveuse (85,3 % contre 13,1 % d’origine mécanique), comme cela est aussi rapporté dans la littérature [1,16]. Les étiologies neurogènes étaient variées mais dominées par les paralysies d’origine idiopathique (27 %) et post-chirurgicales (52 %), notamment la chirurgie
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Fig. 4. Diagramme de suivi.
thyroïdienne comme dans les précédentes études [7,17,18]. Ces chiffres se rapprochent de ceux de l’étude de Laccourreye et al. [19], avec cependant un taux de causes médicales moins important, dans la mesure où les étiologies cancéreuses n’ont pas bénéficié dans notre étude d’une EMGL. Les immobilités laryngées en lien avec une origine mécanique dans notre étude étaient le plus souvent dues à une intubation prolongée ou à un traumatisme cervical externe. L’EMGL a permis, dans la majorité des cas, de confirmer le diagnostic lorsque le contexte clinique était évident, en distinguant une atteinte nerveuse (nerf laryngé inférieur) d’une ankylose cricoaryténoïdienne. Il n’y avait donc pas de contradiction entre le diagnostic suspecté et le résultat de l’EMGL. L’étude de YsunzaRivera et al. montrait d’ailleurs une sensibilité de 92 % et une spécificité de 100 % en comparant l’EMGL à la vidéostroboscopie, qui était considérée comme l’examen de référence [20]. Toutefois, une contradiction entre l’examen vidéostroboscopique et l’EMGL peut être observée dans près d’un tiers des cas pour Sataloff et al. à partir d’une cohorte de 689 patients [2]. Dans cette même étude, les auteurs se sont intéressés à savoir lequel des deux examens était le
plus fiable et pouvait être considéré comme examen de référence pour le diagnostic étiologique des troubles de mobilité du larynx. Ils ont alors considéré, soit l’EMGL soit la vidéostroboscopie comme examen de référence en comparant leurs sensibilités et spécificités respectives. Ils concluaient à l’absence de supériorité d’un examen par rapport à l’autre, l’EMGL et la vidéostroboscopie étant deux examens complémentaires dont les interprétations ne doivent pas être réalisées de manière indépendante. La confrontation des deux examens apparaît donc nécessaire dans les cas les plus difficiles. Dans notre étude, il n’a pas été possible de calculer de sensibilité ni de spécificité pour l’apport diagnostique de l’EMGL entre une atteinte neurogène et une atteinte mécanique, du fait de l’absence de comparaison à un examen stroboscopique systématique. Lorsque le contexte était en faveur d’une atteinte mécanique, comme après une intubation prolongée, l’EMGL permettait de confirmer le diagnostic sur un tracé normal. Tout l’intérêt étiologique de l’EMGL dans notre étude résidait dans sa capacité à distinguer une atteinte neurogène d’une atteinte mécanique lorsque le contexte ne permettait pas d’orienter
Tableau 3 Récupération en fonction des potentiels de réinnervation. Présence de potentiels de réinnervation (Test négatif)
Récupération Pas de récupération Total
a
Absence de potentiel de réinnervation (Test positif)
n
%
n
%
15 (VN) 5 (FN) 20
75 25 100
4 (FP) 9 (VP) 13
30,8 69,2 100
VN : vrai négatifs ; VP : vrai positifs ; FN : faux négatifs ; FP : faux positifs a En fonction du total de potentiel de réinnervation. b En fonction du total d’absence de potentiel de réinnervation.
Total
b
19 14 33
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A. Focquet et al. / Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 134 (2017) 11–17
vers l’une ou l’autre atteinte. En chirurgie cardiaque, le risque d’immobilité laryngée par atteinte du nerf laryngé inférieur gauche ou par atteinte mécanique post-intubation prolongée existe. En cas de tracé neurogène, l’EMGL ne peut éliminer une ankylose crico-aryténoïdienne surajoutée, bien que l’association des deux atteintes soit peu fréquente. Dans ce cas il faut répéter l’EMGL quelques mois plus tard. En cas de signes de réinnervation à l’EMGL et en l’absence de récupération clinique, une ankylose surajoutée, voire post-paralytique, peut être suspectée [21]. Dans les cas de la chirurgie cervicale, l’intubation étant de courte durée, et en l’absence de traumatisme d’intubation et de symptômes en rapport, le risque d’une atteinte neurogène est au premier plan, notamment après chirurgie thyroïdienne. Dans cette série, un seul patient présentait une ankylose crico-aryténoïdienne après chirurgie thyroïdienne mais qui faisait probablement suite à une paralysie récurrentielle. L’EMGL dans ce cas précis montrait des critères de dénervation mais avec un recrutement riche qui n’expliquait pas l’immobilité laryngée. En l’absence de contexte clinique évident (postopératoire ou post-intubation prolongée), l’EMGL a permis de suspecter certains diagnostics rares tels qu’une myasthénie et un syndrome de Parsonage-Turner, conduisant à une prise en charge spécifique. Le deuxième objectif de cette étude était d’évaluer l’apport pronostique de l’EMGL pour la récupération de la mobilité laryngée en cas d’atteinte neurogène afin d’orienter la prise en charge thérapeutique précoce. Les caractéristiques de l’EMGL, comme l’activité spontanée de repos, le recrutement en phonation et les caractéristiques morphologiques des potentiels d’unité motrice ont été utilisés par plusieurs auteurs afin d’établir un pronostic des lésions nerveuses dans les paralysies laryngées unilatérales, permettant le calcul de différentes sensibilités et spécificités [4–8]. L’EMGL permet, en effet, de graduer la sévérité de la lésion nerveuse et ainsi d’évaluer une plus ou moins bonne récupération. La méta-analyse de Rickert et al. [6] classait les atteintes nerveuses en sévérité de bas grade et haut grade. Dans notre étude, les critères pronostiques utilisés étaient définis par les potentiels de réinnervation. L’absence de potentiel de réinnervation correspondait à des lésions nerveuses sévères à fort risque de non-récupération de la mobilité laryngée. Lorsqu’ils étaient présents, on s’orientait vers une lésion nerveuse plus modérée pouvant laisser espérer une récupération de mobilité. L’EMGL dans cette indication était réalisée dans la majorité des cas après une chirurgie avec risque de lésion du nerf laryngé inférieur ou du nerf vague. Les VPP et VPN ainsi que les sensibilités et spécificités de l’EMGL observées dans les différentes publications sont variables ; l’absence de standardisation de l’évaluation de la récupération de mobilité laryngée, le choix des critères électromyographiques de prédiction de la récupération, le délai entre le début des symptômes et la réalisation de l’EMG, et le délai entre le début des symptômes et le contrôle fibroscopique de la mobilité en sont les causes. Wang et al. ont montré qu’un délai minimum de 2 mois était nécessaire entre le début des symptômes et la réalisation de l’EMGL pour améliorer la VPP et la spécificité de l’examen [4,5]. Dans notre étude, le délai moyen était de 7 mois, ce qui est une valeur très élevée par rapport à la littérature [6]. Un délai de 2 à 4 mois aurait été préférable afin de permettre une prise en charge plus précoce en cas d’absence de potentiels de réinnervation. Un délai d’un an a déjà été proposé de manière empirique pour évaluer la capacité de récupération [22], bien que ce délai semble long chez un patient handicapé par la paralysie. Le délai pour réaliser la seconde EMGL n’est pas codifié dans la littérature mais apparaît à adapter au contexte de l’immobilité laryngée et aux symptômes. La VPP calculée dans notre étude (69,2 %) est proche de celles retrouvées dans la littérature (de 71,4 % [23] à 100 % [24]). La VPN (75 %) était incluse dans la fourchette des valeurs observées dans la littérature (de 12,8 % [7] à 100 % [23]). Le calcul des VPP et VPN
dans la méta-analyse de Rickert et al. montrait des valeurs respectives de 90,9 % et 55,6 % pour un total de 503 patients inclus dans 10 études [6]. L’EMGL semble donc être un bon indicateur d’absence de récupération alors qu’il est un indicateur de récupération moins performant. Dans notre étude, l’écart observé entre les VPP et VPN était plus faible que celui observé dans la méta-analyse de Rickert et al. [6]. L’intérêt de l’EMGL à prédire efficacement une non-récupération est de permettre une médialisation laryngée précoce afin d’améliorer rapidement le patient. Un meilleur gain phonatoire serait alors obtenu, notamment pour les patients chez qui une récupération de la paralysie n’est pas espérée [25]. Différents aspects de notre étude en limitent les conclusions. Son caractère rétrospectif, dans un contexte de suivi non codifié, a limité l’évaluation à long terme des patients. L’examen clinique en laryngoscopie indirecte était réalisé par différents ORL sans critère précis pour définir la mobilité laryngée et la récupération sur des délais différents. Enfin, il n’existe pas de standardisation dans l’interprétation de l’EMGL, celle-ci se faisant selon l’expérience de l’équipe, ce qui peut induire des différences de performance en fonction des centres [4]. C’est un examen qui est opérateurdépendant tant dans la réalisation que dans l’interprétation et sa performance en dépend. 5. Conclusion L’EMGL est un outil diagnostique intéressant pour différencier une ankylose crico-aryténoïdienne d’une atteinte neurogène dans les immobilités laryngées unilatérales de l’adulte où le contexte clinique oriente insuffisamment. Dans le cas où le contexte permettrait d’évoquer une possible atteinte mixte, comme dans les suites immédiates d’une chirurgie cardiaque, l’EMGL ne peut écarter une ankylose surajoutée si le tracé est neurogène mais peut confirmer une ankylose isolée en cas de tracé normal. L’EMGL a également une valeur pronostique en cas de paralysie laryngée car elle est prédictive d’une non-récupération clinique. Dans ces cas, une médialisation laryngée précoce permettrait d’obtenir de meilleurs résultats phonatoires. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Xu W, Han D, Hou L, et al. Value of laryngeal electromyography in diagnosis of vocal fold immobility. Ann Otol Rhinol Laryngol 2007;116:576–81. [2] Sataloff RT, Praneetvatakul P, Heuer RJ, et al. Laryngeal electromyography: clinical application. J Voice 2010;24:228–34. [3] Faaborg-Andersen K, Buchthal F. Action potentials from internal laryngeal muscles during phonation. Nature 1956;177:340–1. [4] Wang CC, Chang MH, Wang CP, et al. Prognostic indicators of unilateral vocal fold paralysis. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 2008;134:380–8. [5] Wang CC, Chang MH, De Virgilio A, et al. Laryngeal electromyography and prognosis of unilateral vocal fold paralysis – a long-term prospective study. Laryngoscope 2015;125:898–903. [6] Rickert SM, Childs LF, Carey BT, et al. Laryngeal electromyography for prognosis of vocal fold palsy: a meta-analysis. Laryngoscope 2012;122:158–61. [7] Sittel C, Stennert E, Thumfart WF, et al. Prognostic value of laryngeal electromyography in vocal fold paralysis. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 2001;127:155–60. [8] Munin MC, Rosen CA, Zullo T. Utility of laryngeal electromyography in predicting recovery after vocal fold paralysis. Arch Phys Med Rehabil 2003;84:1150–3. [9] Blitzer A. Spasmodic dysphonia and botulinum toxin: experience from the largest treatment series. Eur J Neurol 2010;17:28–30. [10] Klap P, Perrin A, Cohen M, et al. How to do a laryngeal electromyography procedure? Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 2007;124:90–4. [11] Heman-Ackah YD, Barr A. The value of laryngeal electromyography in the evaluation of laryngeal motion abnormalities. J Voice 2006;20:452–60. [12] Rontal E, Rontal M, Silverman B, et al. The clinical differentiation between vocal cord paralysis and vocal cord fixation using electromyography. Laryngoscope 1993;103:133–7.
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