Approche clinique des enfants souffre-douleur

Approche clinique des enfants souffre-douleur

Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 559–564 Communication Approche clinique des enfants souffre-douleur Children as spare goats: a clinical app...

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Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 559–564

Communication

Approche clinique des enfants souffre-douleur Children as spare goats: a clinical approach M.P. Bouvard Université Victor-Segalen, Bordeaux-2, hôpital Charles-Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux cedex, France Disponible sur internet le 07 août 2004

Résumé La situation de souffre-douleur n'est pas exceptionnelle chez l'enfant. Elle a été jusqu'à présent peu étudiée dans la littérature. Un des problèmes est de pouvoir en donner une définition opérante. Il s'agit de comportements d'hostilité, dirigés spécifiquement sur un enfant, répétitifs et entraînant des conséquences observables physiques et traumatiques. La distinction avec les sévices physiques est souvent difficile et se limite parfois à l'intensité des comportements. La 10e révision de la Classification Internationale des Maladies inclut un axe spécifiquement destiné aux situations psychosociales anormales associées en psychiatrie de l'enfant. Dans ce cadre, elle distingue trois situations différentes de souffre-douleur en fonction du milieu où ces comportements sont prédominants (famille, école, pairs), et propose pour chacune d'elles des critères descriptifs. Nous avons dans ce travail recherché les liens entre ces situations et l'existence de troubles psychiatriques, en utilisant les catégories de souffre-douleur proposées par la CIM-10 et les catégories diagnostiques du DSM-III-R. Quatre-vingt-trois dossiers ont été analysés. Les résultats suggèrent que les trois groupes peuvent être différenciés avec une fréquence importante des troubles externalisés dans le groupe des souffre-douleur en milieu familial, des troubles anxieux dans le groupe des souffre-douleur des enseignants, et des troubles tels que les tics ou l'énurésie dans le groupe des souffre-douleur des pairs. Il existe une relative spécificité de chacun des sous-groupes, avec moins d'un quart des enfants appartenant à deux situations. Ce travail préliminaire témoigne de l'existence de ces situations, même s'il ne permet pas d'établir des liens clairs avec les troubles mentaux. Du fait des risques qui en découlent en termes de conséquences directes (coups, blessures, dégradation de matériel) ou indirectes (exclusion, marginalisation, voire déscolarisation), leur étude est importante. © 2004 Publié par Elsevier SAS. Abstract Scapegoating is an unrare situation in children. Nevertheless, few studies has focused on this topic. One of the main problem is to give a valid and reliable definition. Scapegoating can defined by a hostile and repetitive behavior, specifically directed against the child, with physical or psychological repercussions. Differentiating scapegoating from physical abuse may be difficult. Intensity of the behavior is for many authors the main factors of this differenciation. International Classification of Disease – tenth revision (ICD-10) includes an axis devoted to rate specifical abnormal psychosocial situations for children mental disorders. In this axis, three different scapegoating situations are proposed, considering the environment where scapegoating is predominant (home, school, peers). For each situation, precise descriptive criteria are given. In our study, we have focused to potential links between scapegoating and psychiatric disorders in children. 83 children have been included in this work. Our results suggest that the three groups can be separate, regarding frequency of externalizing disorders in the first group (scapegoating with the family), anxious disorders in the second group (scapegoating with teacher) and of others disorders such as ticdisorder or enuresis in the third group. Moreover, most of the children is included specifically in only one of the thre group.

Adresse e-mail : [email protected] © 2004 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.amp.2004.06.003

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These preliminary data may help to objectivate such situation, but do not allow to interpretate the type of links between scapegoating and psychiatric disorders in children. Nevertheless, because of complications of scapegoating (such as injury, social withdrawal, school refusal…), further studies are necessary in this topic. © 2004 Publié par Elsevier SAS. Mots clés : Enfant souffre-douleur ; Psychiatrie de l'enfant Keywords: Children psychiatry; Sparegoating

La situation de souffre-douleur est connue chez l’enfant. Pourtant ce phénomène a été relativement peu étudié dans la littérature. En clinique, le praticien est confronté à un enfant en difficultés relationnelles, souvent en danger de façon répétitive. Les conséquences négatives pour l’enfant sont multiples, tant dans le domaine physique avec le risque de blessures que dans les domaines psychologique, relationnel et scolaire. Ce type de phénomène peut amener à la prise de mesures de protection de l’enfant par rapport au milieu dans lequel il est souffre-douleur. Cette situation correspond à des mécanismes complexes où interagissent phénomènes environnementaux, familiaux, psychologiques et comportementaux. Une des difficultés majeures posées est d’en donner une définition valide et opérante. Différents paramètres interviennent : z il s’agit d’une situation relationnelle qui n’est pas exclusivement en rapport avec un comportement ou une conduite particulière de l’enfant, ni liée à un processus consciemment établi ; z elle aboutit à des persécutions dirigées spécifiquement sur l’enfant par des individus de son entourage. z les actes sont répétitifs et ne se limitent pas à une relation particulière. Souvent, ils apparaissent dans un milieu de vie privilégié de l’enfant tel le domicile familial ou l’école ; z il existe des conséquences observables, soit en termes physiques (vêtements déchirés, dégradation de matériel de l’enfant, traces de coups…) ou en termes psychologiques (plaintes de l’enfant, souffrance, évitement des situations de confrontation…) La distinction entre situation de souffre-douleur et les sévices à enfants, physiques ou psychologiques, peut être difficile. Les sévices sont caractérisés essentiellement par l’importance et la gravité de l’atteinte de l’enfant, mais la seule considération des conséquences physiques est insuffisante à décrire la position de souffre-douleur de l’enfant. Pour certains auteurs, néanmoins, la principale distinction serait essentiellement liée à la gravité de l’acte. La frontière en terme d’intensité peut être définie par le fait que les actes commis à l’égard de l’enfant justifient de façon non équivoque le retrait de la garde aux parents par la justice.

1. Situations de souffre-douleur et classifications des troubles mentaux Une des approches possibles de tels phénomènes est donnée par les travaux récents sur les relations entre troubles psychiatriques et stress psychosociaux des classifications internationales. L’intégration d’un axe particulier pour la cotation des situations psychosociales anormales est le fait des classifications récentes (DSM-III-R, 1987 ; classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, 1990 ; CIM-10, 1992). Rutter et al. (1975) ont pour la première fois travaillé sur le projet d’un axe particulier destiné à coter les situations psychosociales anormales associées aux troubles psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent, en proposant un axe constitué de 18 catégories. La 10e révision de la Classification Internationale des Maladies (CIM-10) a complété ce travail par des études de validation et a intégré un tel axe (axe V de la CIM-10). Cet axe comprend 40 catégories, pour lesquelles une définition précise, assortie de directives et d’exemples, est donnée. En ce qui concerne les situations de souffre-douleur, trois situations différentes sont distinguées : 1.1 Enfant souffre-douleur dans le milieu familial Cette situation fait référence à des sentiments négatifs marqués et persistants de l’un ou des deux parents, dirigés spécifiquement sur l’enfant. Ils se manifestent par une tendance à attribuer systématiquement des caractéristiques négatives à l’enfant, à le dénigrer, à le blâmer automatiquement quand des difficultés surviennent, à lui chercher querelle quand l’adulte se sent irritable, à traiter l’enfant de façon injuste par rapport aux autres membres de la famille (en lui attribuant par exemple des charges de travail excessives), à appliquer des mesures punitives telles qu’enfermement dans un placard ou une cave. À l’extrême, le comportement parental aboutit à des sévices psychologiques ou physiques. 1.2 Enfant souffre-douleur des enseignants Cette catégorie correspond à des sentiments négatifs persistants et spécifiquement dirigés contre l’enfant de la part

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d’un enseignant ou d’un surveillant. Ils se manifestent par une tendance excessive à le punir et à le blâmer quand il est en difficultés scolaires, à le dénigrer face aux autres enfants, à le harceler spécifiquement ou à le traiter de façon injuste par rapport aux autres enfants en l’excluant des activités positives ou en manquant d’attention face à ses besoins. 1.3 Enfant souffre-douleur de ses pairs

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Le Tableau 1 représente les caractéristiques d’âge et de sexe de notre population. Tableau 1 Caractéristiques d’âge, de sexe de famille et de scolarité de la population S.D. parents

S.D. enseignants

N

N

N

22

12

49

Filles

11

6

14

Garçons

11

6

35

10

8,6

10,8

3-16

4-20

4-13

Nombre

S.D. pairs

Sex-ratio

Cette catégorie est caractérisée par un échange actif et négatif entre l’enfant et un ou plusieurs de ses pairs. Dans ce cadre, l’enfant est systématiquement tourmenté, menacé ou brutalisé de façon répétée, contraint à prendre part à des activités contre son gré, objet d’extorsions, d’un rejet actif par les autres ou soumis à des expériences humiliantes. De telles propositions permettent d’envisager des études à partir de catégories définies et d’aborder la position d’enfant souffre-douleur avec méthodologie. Le but de ce travail était la recherche et l’analyse de liens possibles entre ces situations et l’existence d’un trouble psychiatrique chez l’enfant. 2. Étude des enfants souffre-douleur en population clinique dans un service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent Nous avons sélectionné, au sein de la population d’enfants et d’adolescents évalués et hospitalisés dans le service de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent de l’hôpital R. Debré, les dossiers qui avaient les critères sus-définis d’enfant souffre-douleur. 2.1 Méthodologie Chaque enfant ou adolescent hospitalisé ou évalué sur une durée supérieure ou égale à 8 heures est systématiquement coté sur les différents axes du DSM-III-R (1987) : axe I des troubles mentaux ; axe II : troubles du développement et de la personnalité ; axe III : troubles somatiques ; axe IV : stress psychosociaux ; axe V : adaptation fonctionnelle. Nous avons réalisé une traduction et une adaptation de l’axe V des situations psychosociales anormales associées chez l’enfant et l’adolescent (M.P. Bouvard, M. Dugas, M.C. Saiag) [3]. Cet axe est systématiquement utilisé, en complément de la cotation du DSMIII-R. Enfin, un fichage interne au service permet de recueillir les informations ne figurant pas dans les cotations précédentes. Nous avons distingué les sous-groupes en fonction du milieu où l’enfant était souffre-douleur (S.D.) (famille [S.D. parents], école [S.D. enseignants], pairs [S.D. pairs]). Les différences entre les groupes ont été testées avec le test du CHI 2 (modifié par la correction de Yates lors de petits effectifs).

Âge (ans) Moyen Extrêmes Situation familiale des parents mariés

12

6

27

dissociés

10

6

22

normale

10

7

29

redoublement

10

S

20

avancée

2

0

1

Scolarité

Le groupe des souffre-douleur des pairs est le plus représenté. Pour aucun des groupes, il n’existe de différences significatives sur la représentation des sexes. Les trois groupes sont comparables également en ce qui concerne la situation familiale des parents. Le taux de dissociation (divorce, séparation) (54,4 % pour les S.D. parents, 50 % pour les S.D. enseignants, 55,1 % pour les S.D. pairs) ne se distingue pas de ce qui est observé en milieu de psychiatrie de l’enfant. De même, aucune différence n’a été retrouvée pour le déroulement de la scolarité entre les trois groupes. 2.2.2 Troubles psychiatriques Les troubles psychiatriques cotés sur l’axe I sont présentés dans le Tableau 2. Tableau 2 Principaux troubles psychiatriques (axe I du DSM-III-R)

Troubles du comportement

S.D. parents

S.D. enseignants

N

N

(%)

N

(%)

4

(33,3)

22

(44,8)

16

(%) (72,7)

a,b

S.D. pairs

Hyperactivité

6

(27,3)

3

(25)

10

(20,4)

Tr. oppositionnel

5

(22,7)

1

(8,3)

8

(16,3)

4

(8,1)

(50)

12

(24,5) (24,5)

Tr. des conduites

5

(22,7)

0

4

(18,2) a

6

Troubles dépressifs

7

(31,8)

3

(25)

12

Tics

0

2

(16,6)

2

(4)

Énurésie, encoprésie

0

1

(8,3)

il

(22,4)

2.2 Résultats

Absence diagnostic sur l’axe I

4

1

(8,3)

8

(16,3)

2.2.1 Population Au total, 83 dossiers ont été analysés.

a

: comparaison S.D. parents / S.D. enseignants, p < 0,05

b

: comparaison S.D. parents / S.D. pairs, p < 0,05

Troubles anxieux

(18,2)

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La relative faiblesse des effectifs, notamment dans le groupe S.D. enseignants, doit rendre prudent dans l’interprétation de pourcentages. Le test du CHI 2 n’a été appliqué que pour les groupes dont les effectifs n’étaient pas nuls. Il n’existe pas de différence significative sur l’existence ou non d’un trouble psychiatrique quel qu’il soit sur l’axe I. entre les trois groupes, même si une tendance apparaît, avec un pourcentage plus faible d’enfants sans troubles psychiatriques dans le groupe S.D. enseignants. Dans le groupe S.D. parents, les troubles les plus représentés sont les troubles du comportement externalisés, et particulièrement les troubles des conduites, de façon statistiquement significative par rapport aux deux autres groupes. Dans le groupe S.D. enseignants, les troubles anxieux apparaissent les plus fréquents, différant significativement du groupe S.D. parents, alors que les troubles du comportement sont moins marqués. Il faut également relever l’existence de tics moteurs chroniques ou de syndrome de Gilles de la burette dans ce groupe. Dans le groupe S.D. pairs, les troubles sont répartis de façon plus homogène, en remarquant, néanmoins, la fréquence par rapport aux autres groupes de troubles tels que l’énurésie et l’encoprésie. Enfin, dans les trois groupes, les troubles dépressifs sont surreprésentés par rapport au recrutement habituel du service. 2.2.3 Troubles du développement Les troubles de l’axe II sont présentés dans le tableau 3. Tableau 3 Principaux troubles du développement et de la personnalité (axe II du DSM-III-R) S.D. parents

S.D. enseignants

S.D. pairs

N

(%)

N

(%)

N

(%)

Retard mental

2

(9)

4

(16,6)

4

(8,1)

Tr. autistiques

1

(4,5)

1

(8,3)

2

(4)

Tr. du langage oral

5

(22,7)

2

(16,6)

8

(16,3)

Tr. du langage écrit

16

(72,7)

6

(50)

31

(63,7)

Il n’existe aucune différence significative entre les trois groupes. Il faut relever que les troubles des apprentissages au sens large n’apparaissent pas plus fréquents dans le groupe S.D. enseignants. La représentation importante des troubles du langage écrit est liée à l’importance du recrutement de ce type de troubles dans notre service. 2.2.4 Relations situations de souffre-douleur - sévices Dans un deuxième temps, nous avons étudié les relations qui pouvaient exister entre les différentes situations de souffre-douleur entre elles (Tableau 4) et entre les situations de souffre-douleur et les sévices (Tableau 5). L’association entre ces différentes situations est relativement faible, puisque moins d’un quart des dossiers au maximum ont été classés dans deux situations de souffre-douleur différentes.

Tableau 4 Association des différentes situations de souffre-douleur entre elles S.D. associée S.D. index

S.D. parents N

(%)

S.D. parents

S.D. enseignants

S.D. pairs

N

(%)

N

(%)

3

(13,6)

5

(22,7)

3

(16,7)

S.D. enseignants

3

(16,7)

-

S.D. pairs

5

(10,2)

3

(6,1)

Tableau 5 Relations entre situations de souffre-douleur, sévices et abus sexuels (axe V de la CIM-10) S.D. parents

S.D. enseignants

N

(%)

N

Sévices physiques

5

(22,7)

Abus sexuel familial Abus sexuel extra-familial

(%)

S.D. pairs N

(%)

0

4

(8,1)

0

0

1

(2)

0

1

1

(2)

(8,3)

Les sévices physiques sont plus fréquemment retrouvés dans le groupe S.D. parents. Presque un quart des enfants souffre-douleur en milieu familial subissent des actes d’une intensité telle que le diagnostic de sévices peut être posé. Pour les abus sexuels, la faiblesse des effectifs de notre échantillon ne permet pas d’analyser précisément les données. 3. Discussion Ce travail est, à notre connaissance, un des premiers à étudier les situations de souffre-douleur de l’enfant avec des instruments standardisés. La CIM-10 propose pour la première fois des directives diagnostiques, permettant de coter la catégorie dans de bonnes conditions de fiabilité. Le choix des définitions proposées reste sans doute l’objet de travaux et de discussions complémentaires. Tous les auteurs s’accordent pour reconnaître l’existence de telles situations. Une des questions posées est le rapport entre situation de souffre-douleur et sévices. Deux attitudes peuvent être différenciées : l’une qui assimile situation de souffredouleur aux sévices et notamment aux sévices psychologiques, ne les différenciant que sur une dimension d’intensité des actes commis à l’égard de l’enfant ; l’autre qui distingue les deux, tant dans leurs conséquences que dans leurs aspects psychologiques. Notre travail a recherché les relations possibles entre les différentes situations de souffre-douleur décrites dans la CIM-10 et l’existence d’un trouble psychiatrique ou du développement, tels qu’ils sont cotés par le DSM-III-R, chez l’enfant ou l’adolescent [1-3]. Le groupe des enfants souffre-douleur en milieu familial est caractérisé sur le plan clinique par la fréquence des troubles du comportement perturbateurs tels que l’hyperactivité, le trouble oppositionnel et, surtout, les troubles des conduites. Les troubles dépressifs y sont présents dans un tiers des cas, tandis que les troubles anxieux sont le moins représentés. La

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coexistence avec les sévices physiques n’est pas rare (environ un cas sur quatre dans notre population). Le groupe des enfants souffre-douleur en milieu scolaire est caractérisé par un âge moyen sensiblement, mais non significativement, plus jeune. Les troubles anxieux (anxiété de séparation, hyperanxiété, trouble obsessionnel-compulsif) sont largement dominants sur les troubles du comportement. C’est le groupe le moins représenté de notre population. Le dernier groupe, souffre-douleur des pairs, est le plus fréquent. Il s’agit pour l’essentiel de garçons. Sur le plan psychiatrique, les troubles retrouvés sont plus hétérogènes, en relevant la fréquence particulière de certains troubles tels que les tics ou l’énurésie qui sont fréquemment l’objet de moqueries. La réaction de ces enfants est souvent l’isolement, bien que certains recherchent volontiers la compagnie d’enfants meneurs, parfois agressifs, et s’exposent aux risques de racket ou d’agression physique. Il existe une fréquence importante des troubles psychiatriques dans notre population qui doit être rapportée au fait que cette étude, préliminaire encore par la faiblesse des échantillons, a été menée en population clinique. La fréquence de telles situations est inconnue en population générale, mais probablement sous-estimée, du fait de la dissimulation et de la culpabilité qu’elles engendrent. Ces données permettent d’éclairer certains aspects de ce phénomène. Ainsi, ces différentes situations ne sont pas strictement superposables, même si certains enfants se retrouvent dans deux situations. En outre, la position de souffre-douleur n’est pas l’apanage des troubles comportementaux externalisés, mais peut être associée à des troubles anxieux, notamment dans le milieu scolaire. Trois types de mécanismes peuvent être évoqués : d’une part, un phénomène de rejet en rapport avec l’agressivité ou l’aspect perturbateur de l’enfant comme ce qui est rencontré au cours des troubles des conduites ou du trouble oppositionnel, essentiellement en milieu familial, d’autre part, une hostilité liée à un niveau important de dépendance ou un besoin constant de réassurance fréquent lors des troubles anxieux, surtout en milieu scolaire, enfin une mise à l’écart en rapport avec des situations qui marginalise l’enfant de son groupe de pairs comme les tics ou l’énurésie. Les relations entre situation de souffre-douleur et un trouble mental particulier ne sont pas, pour autant, univoques. Si certaines pathologies peuvent induire des manifestations répétitives d’hostilité, comme les troubles des conduites ou de moquerie et de rejet comme les tics ou l’énurésie, d’autres comme les manifestations dépressives peuvent être considérées comme des conséquences du rejet induit par la situation. Ainsi, la fréquence des manifestations dépressives intenses retrouvée dans notre population doit être soulignée. Quel que soit le cadre, ces situations aboutissent à l’isolement de l’enfant, parfois à l’exclusion de son cadre de vie ou de scolarité habituel et l’exposent à des conséquences qui peuvent être graves sur le plan somatique. Celles-ci peuvent être directement induites par l’hostilité des autres

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(agression), ou provoquées par les tentatives d’échappement (fugues…). On ne peut conclure que la situation de souffre-douleur est directement liée à la pathologie de l’enfant. Il s’agit d’un phénomène complexe où interagissent le fonctionnement de l’enfant, celui de son environnement et des conditions particulières de tolérance ou d’intolérance à l’égard de l’enfant. D’autres approches partant de considérations familiales, sociales et psychodynamiques doivent venir compléter cet éclairage. Il reste que la situation de souffre-douleur témoigne d’une souffrance, et expose l’enfant à des mesures d’exclusion qui n’ont souvent comme effet que d’entraîner la répétition du processus, en l’absence d’une reconnaissance claire de ce phénomène. La mise en évidence d’un trouble psychiatrique associé est importante afin de pouvoir le cas échéant mettre en place des mesures thérapeutiques adaptées. Références [1]

[2] [3]

American Psychiatric Association Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders revised, Third Edition Revised, Washington DC, 1987, Trad. fr. Paris, Masson 1989. Rutter M., Shaffer D., Sherperd M. : Multiaxial classification of child psychiatric disorders. Geneva, World Health Organization, 1975 Multiaxial classification of child psychiatric disorders. Associated abnormal psychosocial situations. World Health Organization. Department of Mental Health. Geneva 1988 (trad. fr. : M. Bouvard, M. Dugas, M.C. Saiag, non publiée).

Discussion Pr Laxenaire – Je voudrais évoquer un très bel opéra qui illustre parfaitement le problème du harcèlement des enfants, il s’agit de Peter Grimes de Benjamin Britten. Dans cet opéra, un marin brutal et marginal utilise de jeunes garçons issus d’orphelinats pour l’aider dans son travail. Il les rudoie, les maltraite et trois meurent mystérieusement après des pêches en mer. Le contexte psychosocial est celui d’enfants sans défense et sans protection (les orphelinats anglais du XIXe siècle étaient de véritables enfers). L’opéra pose ainsi le problème des véritables relations entre Grimes et ses apprentis : homosexualité, pédophilie ? Aucune réponse claire n’est donnée, mais on peut tout soupçonner, compte tenu de ce qu’on sait de la vie du compositeur qui ne faisait pas mystère de son homosexualité. Pr Moron – Certaines formes, au moins, d’enfant de remplacement ne comportent-elles pas un réel harcèlement pour l’enfant qui sent bien que sa mère ne peut oublier son prédécesseur, ne cessant de le lui prouver par son comportement, ses attitudes, voire ses propos envers lui ? Ce fut assurément le cas de Vincent Van Gogh, né un an jour pour jour après la naissance de son frère Vincent Wilhem, d’où l’appellation « syndrome de Van Gogh » caractérisant ce statut familial. Vincent, « le vainqueur » en latin (auquel on avait donné le prénom de son auguste grand-père et de son riche oncle) était ainsi vaincu par la mort. Van Gogh, pendant toute son enfance de « substitut », verra, à côté de l’église où son père était prédicateur,

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son nom inscrit sur une pierre tombale avec une date pareille à celle de sa naissance (seule changeait l’année). Par ailleurs, quand on connaît l’attachement profond du peintre pour son frère cadet (leur sépulture sera d’ailleurs jumelée au cimetière d’Auvers-sur-Oise), il n’est pas douteux que le fait de devenir parrain d’un nouveau Vincent, fils de Théo, n’ait douloureusement accru la difficulté identitaire du peintre, à la base même, à mon sens, de son suicide. Dr Biéder – Le thème de l’enfant souffre-douleur a donné beaucoup de matière à la littérature (Poil de Carotte, BrasseBouillon…). Dans mon expérience, j’ai constaté à plusieurs reprises que l’enfant harcelé (généralement par la mère) était un « bâtard » au sens précis du terme, c’est-à-dire né d’une liaison adultérine d’une femme mariée, et je pense que dans une situation

de harcèlement il faut penser à cette possibilité qui aurait une influence sur la démarche thérapeutique. Je voudrais demander à M. Veyrat si le film dans lequel Timsitt s’impose avec acharnement au thérapeute entre dans la catégorie qu’il a étudiée. Je pense que le harceleur évite de tuer, parce qu’il ne peut pas se priver de sa victime. C’est une des différences entre le psychopathe qui peut frapper et tuer et le sujet état limite qui a toujours besoin de sa victime à sa disposition. On a rapporté que lors de la réunion de Wansee, un fonctionnaire civil s’était opposé à l’extermination prônée par Heydrich en lui racontant l’histoire suivante : un homme hait son père et adore sa mère ; sa mère meurt, il reste imperturbable, apparemment sans affect ; son père meurt ; il s’effondre en larmes, parce que dès lors il ne peut plus le haïr.