Arthropathie tabétique : « une maladie oubliée »

Arthropathie tabétique : « une maladie oubliée »

Articles scientifiques Mémoire original Ann Dermatol Venereol 2004;131:787-9 Arthropathie tabétique : « une maladie oubliée » K. ZOUHAIR, N. AKHDARI...

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Articles scientifiques Mémoire original

Ann Dermatol Venereol 2004;131:787-9

Arthropathie tabétique : « une maladie oubliée » K. ZOUHAIR, N. AKHDARI, T. EL OUAZZANI, S. LAZRAK, H. LAKHDAR

Résumé

Summary

Introduction. La rareté actuelle des manifestations de la syphilis tend à faire oublier et méconnaître certains aspects autrefois banals de l’affection. Nous rapportons 4 cas d’arthropathie tabétique colligés au service de Dermatologie du CHU Ibn Rochd de Casablanca.

Introduction. With the current sparcity of syphilitic manifestations, the once obvious aspects of the affection have been forgotten or are little known. We report 4 cases of tabetic arthropathy admitted to the Dermatology Department Ibn Rochd University Hospital of Casablanca.

Observations. L’âge moyen des malades était de 50 ans, tous de sexe masculin. Le diagnostic d’arthropathie tabétique était posé sur les critères cliniques, radiologiques et biologiques. Le contraste était frappant entre l’importance des déformations articulaires et l’indolence. L’aspect radiologique associait des lésions destructrices et constructrices. La sérologie syphilitique était positive dans le liquide articulaire, le sang et/ou le liquide céphalorachidien. Le traitement était essentiellement médical.

Observations. The mean age of the patients was 50 years, all were males. The diagnosis was based on clinical, radiological, and biological criteria. There was a large contrast between the extent of the articular malformation and the indolence. The radiological aspect associated destructive and constructive lesions. The syphilis serology was positive in the articular liquid, the blood and/or the cerebro-spinal fluid. Treatment was essentially medical.

Discussion. L’arthropathie tabétique, affection exceptionnelle, est une des complications du tabès. Sa prévention repose sur le traitement de la syphilis à un stade précoce avant la survenue des formes articulaires et neurologiques, dont la prise en charge est difficile.

Discussion. Tabetic arthropathy, an exceptional affection, is one of the complications of the tabes dorsalis. Its prevention relies on the treatment of the syphilis at an early stage, before the onset of the articular and neurologic forms, the management of which remains very difficult.

Tabetic arthropathy: “a forgotten disease”. K. ZOUHAIR, N. AKHDARI, T. EL OUAZZANI, S. LAZRAK, H. LAKHDAR Ann Dermatol Venereol 2004;131:787-9 The full text of this article is available in English, free of charge, on the Web on: www.e2med.com/ad

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a rareté actuelle des manifestations ostéoarticulaires de la syphilis tend à faire oublier et méconnaître certains aspects autrefois banals de l’affection [1]. L’arthropathie tabétique, affection neurogène destructrice, est due à une perte de l’innervation douloureuse et proprioceptive. Elle est devenue exceptionnelle grâce au traitement précoce de la syphilis par la pénicilline. Le but de ce travail était de souligner les difficultés diagnostiques et thérapeutiques de l’arthropathie tabétique, à partir de 4 cas observés dans le service de Dermatologie du centre hospitalier Ibn Rochd de Casablanca.

Malades et méthode Une étude rétrospective a été menée dans le service de Dermatologie du centre hospitalier Ibn Rochd de Casablanca sur Service de Dermatologie, CH Ibn Rochd, Casablanca, Maroc. Tirés à part : K. ZOUHAIR, Résidence El Kheir, 20, rue Socrate, Appt 9, 3e étage, ESG, Maârif extension, Casablanca, Maroc.

les dossiers de malades examinés entre janvier 1983 et décembre 2002. L’analyse des dossiers s’est faite selon une fiche préétablie comportant les données cliniques, radiologiques, biologiques, thérapeutiques et évolutives. Le diagnostic d’arthropathie tabétique a été retenu devant le contraste entre les déformations articulaires et l’indolence, l’association de lésions de destruction et de construction ostéoarticulaires sur les radiographies et la positivité des réactions syphilitiques dans le liquide articulaire, le sang et/ou le liquide céphalorachidien. Durant cette période, sur 181 cas de neurosyphilis colligés, 23 malades avaient un tabès dont 4 cas une arthropathie tabétique [2, 3].

Observations L’âge moyen des malades était de 50 ans, avec des extrêmes de 41 et 60 ans, tous de sexe masculin. Un antécédent de chancre génital était noté dans 2 cas. Aucun malade n’était diabétique. Un trouble du comportement évoluant depuis 20 ans, traité par neuroleptique était rapporté dans 1 cas. Le 787

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Fig. 2. Aspect totalement détruit et disloqué du genou droit, contrastant avec l’indolence et l’augmentation du coin supéro-interne du plateau tibial droit.

Fig. 1. Déformation indolore du genou droit.

délai moyen d’évolution de la maladie était de 6 ans. Des douleurs fulgurantes en éclair des membres inférieurs précédaient la symptomatologie dans tous les cas. L’examen clinique trouvait des déformations articulaires très importantes, indolores associées à un mal perforant plantaire dans 1 cas (fig. 1). Tous les malades avaient une atteinte des genoux, associée à une atteinte des chevilles dans 1 cas (fig. 2). L’examen neurologique montrait une abolition des réflexes ostéotendineux dans les quatre observations. Un signe d’Argyll-Robertson était présent dans 2 cas. Une ataxie avec un signe de Romberg positif était notée dans 1 cas, et d’appréciation difficile dans un autre. Des troubles de la sensibilité superficielle à type d’hypoesthésie étaient observés dans 1 cas, et une anesthésie dans un autre cas, intéressant essentiellement les sensibilités tactiles et douloureuses. Des troubles de la sensibilité profonde étaient observés dans les 4 cas, touchant la sensibilité vibratoire et à la pression dans 3 cas, et la sensibilité myo-arthrokinétique dans 1 cas. Il n’y avait pas d’atteinte des nerfs crâniens. L’hypotonie musculaire était mise en évidence dans 2 cas. Aucun cas de troubles sphinctériens, ni d’impuissance n’était rapporté. Les examens radiologiques montraient une destruction articulaire, avec des images de reconstruction et de remaniements arthrosiques dans les quatre observations, associés à une luxation articulaire dans 2 cas. Les examens sérologiques de la syphilis étaient positifs dans le liquide articulaire et le sang dans tous les cas, et dans le liquide céphalorachidien dans 2 cas. Tous les malades ont été traités par la pénicilline G (20 millions par jour pendant 20 jours). Le nombre de cures variait entre 2 et 4. Une arthrodèse a été indiquée dans tous les cas, mais n’a été réalisée que dans 1 cas, faute de moyens dans les autres cas. Compte tenu de l’importance des destructions ar788

ticulaires, il n’y avait pas d’indication d’arthroplastie prothétique. L’évolution à long terme n’a pu être appréciée que chez un seul malade, avec une amélioration clinique, une stabilisation des lésions radiologiques et une diminution des taux de la sérologie syphilitique. Les autres malades ont été perdus de vue.

Discussion L’arthropathie tabétique est présente dans 10 p. 100 des cas de tabès. Elle est une des manifestations de la neurosyphilis. Elle est secondaire à une perte de l’innervation sensitive douloureuse et proprioceptive qui entraîne des destructions articulaires importantes [4]. Cette affection grave est devenue exceptionnelle grâce à un traitement précoce par la pénicilline [1]. Dès 1868, Charcot, dans sa prescription princeps des arthropathies tabétiques, notait des atteintes rachidiennes, mais les considérait comme des fractures. Leur nature tabétique a été reconnue à partir de 1884 (par Kroenig) et bien précisée par les études anatomiques d’Abadie (1900). Les publications ultérieures sont résumées dans l’étude générale de Roger, Poursines et Recordier (1933) qui recensent une centaine de cas. L’année suivante, Alajouanine et Thurel précisent les aspects radiologiques. Les publications récentes mettent l’accent sur les complications neurologiques [5]. L’arthropathie tabétique survient à un stade avancé de la maladie syphilitique [2]. L’âge moyen des malades est de 60 ans [1], 50 ans dans notre courte série. La prédominance masculine est notée dans la littérature [1], les 4 cas colligés

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L’anesthésie supprime toute protection de l’articulation qui est soumise alors à de multiples traumatismes. L’arthropathie tabétique serait alors une arthrose post-traumatique.

Le traitement médical repose sur la pénicilline G (2030 millions d’unités par jour pendant 3 semaines), le nombre de cures est variable : 2 à 4 cures, ceci a été le cas dans notre série. La pénicilline est en général peu ou pas efficace, car le tabès est une lésion cicatricielle. Elle est surtout donnée pour éviter d’autres lésions de syphilis tardive. En cas d’allergie à la pénicilline, on peut faire appel aux cyclines (principalement la doxycycline) [4]. Le traitement orthopédique est décevant. L’arthrodèse est indiquée quand l’articulation est déformée et instable, alors que l’indication de l’arthroplastie prothétique est limitée par l’importance des destructions, l’état local et par le risque de descellement [4, 8, 9]. L’indication de l’arthrodèse a été posée chez tous les malades, mais n’a été faite que dans un cas faute de moyens chez les autres.

UNE THÉORIE TROPHIQUE

Références

dans notre étude étaient de sexe masculin. Toutes les articulations peuvent être touchées avec une prédominance nette pour le membre inférieur (genou, pied) et le rachis dorsolombaire [4, 5, 6]. Tous nos malades avaient une atteinte des genoux associée à une atteinte des chevilles dans 1 cas. Deux théories sont évoquées pour expliquer le siège et la genèse des arthropathies tabétiques [4]. UNE THÉORIE MÉCANIQUE

Elle soutient que les altérations nerveuses médullaires perturbent la trophicité ostéoarticulaire par un mécanisme vasculosympathique, expliquant les fractures spontanées. Cliniquement, le contraste est frappant entre l’importance des déformations articulaires et l’indolence [7, 8]. La fractureluxation spontanée des articulations peut inaugurer l’atteinte cordonale postérieure [8] : c’était le cas dans 2 de nos observations. L’aspect radiologique est caractéristique associant des lésions destructrices et constructrices qui définissent les formes atrophiques et hypertrophiques [4]. Il y a peu de diagnostics différentiels, la seule pathologie qui peut poser un problème diagnostique est le diabète, absent dans les 4 observations, responsable d’exceptionnelles arthropathies nerveuses [6]. Cependant la mise en évidence d’une sérologie syphilitique positive dans le liquide articulaire, le sang et/ou le LCR est indispensable pour retenir le diagnostic [3]. C’était le cas dans les 4 observations. Par ailleurs, dans un cas où il existait des troubles psychiques, l’association à une paralysie générale a été évoquée réalisant la classique association tabès-paralysie générale.

1. Grauer JL, Drevet JG, Zagala A, Phelip X. Manifestations ostéo-articulaires de la syphilis. A propos de 2 cas. Rhumatol 1985;10:321-6. 2. Skali DH, Akhdari N, Jarmouni RI, Lakhdar H. Neurosyphilis (164 cas). 57th Annual Meeting AAD, 1999. 3. Jarmouni R, Mouatamid O, El Khalidi AF, Afailal A, Habibeddine S, Nejjam F, Lakhdar H. La neurosyphilis. A propos de 53 cas. Rev Eur Dermatol MST 1990;2:577-81. 4. El Fatimi A, Mkinsi O, Etaouil N, Ben Yahya E, Janani S, Bennis R. Les arthropathies tabétiques du genou : 44 observations. Rhumatol 1997;49: 22-6. 5. Kuntz JL, Geitner S, Vautravers P, Asch L. Arthropathie tabétique du rachis. J Med Strasbourg 1977;8:753-8. 6. Brochot P, Leone J, Eschard JP, Rousseaux P, Seignon B, Etienne JC, Gougeon J. Canal lombaire étroit par arthropathie tabétique : 2 observations. Rhumatol 1988;40:157-60. 7. El Kabli H, Bettal S, Mabchour J, Benamour S. Arthropathies syphilitiques : 9 cas. Rev Maroc Rhumatol 1998;10:11. 8. Rodat O, Santarailles J, Lemouroux P. Quel est votre diagnostic ? Concours Med 1979;101:3852-4. 9. Baldini N, Sudanese A, Toni A. Total prosthetic replacement in tabetic arthropathy of the hip joint. Ital J Orthop Trauma 1985;11:193-7.

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