J Radiol 2005;86:1043-5 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2005
fait clinique
radiopédiatrie
Aspect inhabituel d’un lipoblastome axillaire chez un nourrisson A Adnani, M Chellaoui, L Chat et R Dafiri
Abstract
Résumé
Unusual appearance of axillary lipoblastoma of infancy J Radiol 2005;86:1043-5
Le lipoblastome est une tumeur bénigne, rare, touchant souvent l’enfant de moins de 3 ans, se localisant surtout aux extrémités des membres. Les moyens d’imagerie notamment la TDM et l’IRM affirment le caractère graisseux et établissent un bilan précis des rapports de la tumeur avec les organes de voisinages. L’histologie confirme le diagnostic en mettant en évidence une prolifération lipoblastique. L’exérèse chirurgicale complète est le seul traitement permettant d’éviter une récidive locale. Les auteurs rapportent un aspect particulier d’un lipoblastome des parties molles axillaire révélé dès la naissance, exploré par échographie et tomodensitométrie, comportant en plus de la composante graisseuse des formations kystiques en forte proportion, et qui a récidivé 9 mois après exérèse.
Lipoblastoma is an uncommon benign soft tissue tumor of infancy and early childhood with a predilection for the extremities. CT and MRI can confirm the presence of fat components in the tumor. In addition, MRI better shows the anatomical extent. By showing lipoblastoma proliferation, histology confirms the diagnosis. Gross total excision is the treatment of choice. The authors report a case of unusual lipoblastoma of the axillary region, composed of fatty components with multiple cystic areas presenting at birth, with recurrence 9 months after excision. Key words: Infant. Lipolastoma. Magnetic resonance (MR). Computed tomography (CT).
e lipoblastome est une tumeur bénigne rare des tissus mous de l’enfant (1, 2), résultant de la prolifération d’adipocytes immatures (adipoblastes). Il survient fréquemment pendant les 23 premières années de la vie. L’imagerie joue un rôle important par la mise en évidence de la composante graisseuse de la masse. Nous rapportons le cas d’un nourrisson qui a présenté un aspect particulier de lipoblastome présent dès la naissance et récidivant après exérèse chirurgicale.
L
Observation Un nourrisson de 2 mois, de sexe féminin, présente depuis la naissance une masse axillaire gauche augmentant progressivement de volume. Cette masse est mobile par rapport aux plans profonds, sans inflammation de la peau en regard ni adénopathie satellite. La radiographie thoracique (fig. 1) objective une masse des parties molles axillaires gauches longeant la paroi thoracique latérale du même côté, marquant une empreinte sur les côtes adjacentes mais sans lyse osseuse ni extension endothoracique. L’échogra-
Service de Radiologie, Hôpital d’Enfant- Maternité, Rabat, Maroc. Correspondance : Ali Adnani, Rue Moha Ouhamou Ziani, Rés. Hanane, appt. 3 Kbibat, Rabat-Maroc. E-mail :
[email protected]
Mots-clés : Nourrisson. Lipoblastome. Tumeur.
phie (fig. 2) montre un processus lésionnel à double composante avec une partie tissulaire échogène, et une partie kystique cloisonnée contenant des septas réguliers et épais. Le Doppler couleur met en évidence l’existence d’un flux au niveau des cloisons. La TDM (fig. 3) confirme le caractère hétérogène de la masse, avec un contenu kystique et graisseux. L’injection de produit de contraste révèle un rehaussement uniquement septal. L’intervention met en évidence une masse pesant 1 100 g qui a été réséquée dans sa quasi- totalité. L’examen histologique de la pièce montre la présence de territoires lobulés faite de lipoblastes pourvues de noyaux ne montrant pas d’atypies cytonucléaires, séparés par des septa fibreux bien vascularisés, associés à des zones kystiques en faveur de lipoblastome. Neuf mois plus tard l’enfant est réhospitalisé pour récidive locale. L’échographie réalisée montre une masse très échogène homogène sans lésion kystique. Une exérèse complète est pratiquée et l’étude anatomo-pathologique confirme la récidive de lipoblastome.
Discussion Les lipoblastomes sont l’apanage du jeune enfant. Quatre vingt huit pour cent sont découverts avant l’âge de 3 ans (3, 4). Certains apparaissent dès la naissance, c’est le cas de notre observation. La prédominan-
ce masculine est nette (2/3 des cas) (5). Cette lésion correspond à la forme immature du lipome d’où sa dénomination « lipome infantile ». Le terme de lipoblastome est introduit par Jaffe en 1926. Chung et Enzingar (6) identifient en 1973 deux formes : le lipoblastome, tumeur lobulée encapsulée correspondant à la forme circonscrite de la tumeur, et la lipoblastomatose, masse plus profonde, non encapsulée et plus infiltrante à l’égard des structures de voisinage correspondant à la forme diffuse. Cette dernière est moins fréquente que le lipoblastome. Cliniquement, la tumeur se présente comme une masse indolore qui prédomine aux membres dans 70 % des cas (7). D’autres localisations peuvent s’observer : les parties molles du thorax, comme notre cas, le rétropéritoine, la région cervicale et exceptionnellement le péritoine. L’apport de l’imagerie est capital dans l’approche diagnostique de ces tumeurs. La radiographie standard, de nos jours presque abandonnée, révèle une masse opaque parfois d’allure graisseuse sans calcification (8). L’échographie montre soit une masse hyperéchogène homogène multinodulaire, soit une masse hétérogène contenant des plages hyperéchogènes dues au tissu adipeux, et d’autres faiblement échogènes au niveau des tissus myxoïdes. Elle est parcourue par des septas. Parfois la tumeur renferme des petites zones hypoéchogènes ou
1044
Fig. 1 :
Fig. 1:
Aspect inhabituel d’un lipoblastome axillaire chez un nourrisson
Radiographie thoracique. Masse des parties molles axillaires gauches sans calcification et sans lyse osseuse.
A Adnani et al.
Fig. 3 :
Tomodensitométrie thoracique en coupe axiale sans injection de contraste. Masse de densité graisseuse hétérogène avec une partie kystique assez importante.
Fig. 3:
CT scan without contrast material injection. Heterogeneous fat-density mass with contained multiple cystic areas.
Chest radiograph. Soft tissue projected over the left axilla without calcification or bone involvement.
Fig. 2 :
Échographie. Lésion à double composante : tissulaire et kystique.
Fig. 2:
Ultrasonography. Heterogeneous mass: hyperechoic and cystic areas.
kystiques. Le Doppler couleur objective une hypervascularisation uniquement septale (8). Dans notre cas, contrairement à ce qui est décrit dans la littérature, la composante kystique est présente en forte proportion conférant ainsi à cette lésion un aspect particulier avec un double contingent : échogène et kystique, l’étude Doppler n’a pas enregistré de flux sanguin au sein de ces kystes. Un tel aspect doit faire évoquer l’éventualité d’un lymphangiome kystique. La TDM confirme la densité graisseuse de la lésion et visualise les petits kystes et les petites zones de nécrose qui sont rarement rencontrées (8). L’injection intraveineuse de produit de contraste entraîne un rehaussement limité aux septas sans rehaussement en masse de la tumeur, à la différence des hémangiomes immatures du nourrisson (9).
L’IRM, par son caractère non invasif et non irradiant, est souvent préféré à la tomodensitométrie. Il permet en plus une meilleure caractérisation tissulaire et architecturale de la lésion et une analyse précise de ces rapports dans les trois plans de l’espace. le lipoblastome présente un aspect bien limité avec un hypersignal T1, signal intermédiaire ou hypersignal T2 et une annulation de signal sur les séquences de suppression de graisse (10). L’IRM permettrait également de prédire le contenu cellulaire d’une lésion graisseuse : les lipoblastes présentent un hypersignal moins franc que les adipocytes (10). Histologiquement, le lipoblastome contient des lobules de tissu adipeux immature, séparés par des septas de tissu fibreux contenant des capillaires plexiformes (7, 8). L’étude cytogénétique constitue un complément d’information à l’analyse morphologique particulièrement utile pour le diagnostic de lipoblastome (7). Elle objective souvent des remaniements caryotypiques portant sur le chromosome 8 (cassure au niveau du bras long). Le diagnostic différentiel se pose avec : – le liposarcome myxoide, encore plus rare que le lipoblastome. Il est caractérisé sur le plan histologique par la présence de mitoses anormales (2, 5) ; – le lipome qui n’existe théoriquement pas chez l’enfant ; – l’hibernome, tumeur bénigne touchant surtout l’adulte jeune, se caractérisant par la présence de cellules graisseuses matures de couleur marron, uniformes à petit cytoplasme (11).
Le traitement du lipoblastome consiste en une résection chirurgicale locale. Certains auteurs ont rapporté des cas de résolution spontanée de la tumeur justifiant ainsi une attitude conservatrice parfois préférable à une chirurgie mutilante. Le pronostic est généralement bon notamment pour le lipoblastome. Les métastases ne sont pas décrites. Cependant les récidives sont bien connues. L’évolution naturelle de ces tumeurs semble être une maturation tumorale et la transformation du lipoblastome en lipome (12).
Conclusion Le lipoblastome est une tumeur bénigne, quasi exclusivement décrite chez l’enfant, siégeant fréquemment aux extrémités. Il représente la forme immature du lipome. Ce cas rapporté présente un aspect particulier à l’imagerie, marqué par l’importance de la composante kystique et posant le problème de diagnostic différentiel avec d’autres tumeurs en particulier le lymphangiome kystique.
Références 1.
2.
3.
Cheryl M, Coffin MD, Louis P, Dehner MD. Soft tissue tumors in first year of life. Pediatr Pathol 1990;10:509-26. Crosier F, Jouve JL, Zattara-Cannoni H et al. Lipoblastome de la fesse. J Radiol 2002;83:983-5. Miller GG, Yanchar NL, Magee JF, Blair GK. Lipoblastoma and liposarcoma J Radiol 2005;86
A Adnani et al.
4.
5.
6.
in children: an analysis of 9 cases and review of the literature. Can J Surg 1998; 41:455-8. Miller GG, Yanchar NL, Magee JF, Blair GK. Tumor karyotype diferentiates lipoblastoma from liposarcoma. J pediatr Surg 1997;32:1771-2. Chung EB, Enzinger FM. Benign lipoblastomatosis: An analysis of 35 cases. Cancer 1973;32:611-4. Harrer J, Hammon G, Wagner T, Bolkenius M. Lipoblastoma and lipoblastomatosis: A report of two cases and review of
J Radiol 2005;86
Aspect inhabituel d’un lipoblastome axillaire chez un nourrisson
7.
8.
9.
the literature. Eur J Pediatr Surg 2001;11: 342-9. François A, Bodenant C, Rives N et al. Lipoblastome mésentérique avec remaniement du chromosome 8. Ann Pathol 1997;17:406-11. Leblan I, Galloy MA, Hoeffel JC et al. Les masses thoraciques à composante graisseuse chez L’enfant. Ann Pédiatr, 1996;43:85-98. Lambot K, Loughe-Sorgho LC, Gorincour G et coll. Sémiologie IRM et échodoppler des hémangiomes immatures du
1045
nourrisson : à propos de 12 cas. J Radiol 2005;86:151-157. 10. Reiseter T, Nordshus T, Borthne A, Roald B, Naess P, Schistad O. Lipoblastoma: MRI appearances of a rare paediatric Soft tissue tumour. Pediatr Radiol 1999;29:542-5. 11. Furlong MA, Fanburg-smith JC, Miettinen M. The morphologic spectrum of hibernoma: a clinicopathologic study of 170 cases. Am J Surg Pathol 2001;25:809-14. 12. Van Meurs DP. The transformation of an embryonic lipoma to a common lipoma. Br J Surg 1947;34:282-4.