J Fr. Ophtalmol., 2008; 31, e18
CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE
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Bas débit cérébral révélé par une ischémie oculaire J. Hanhart (1), P. Koskas (2), M. Obadia (3), Y. Le Mer (1), J.-A. Sahel (1), M. Paques (1) (1) Service d’Ophtalmologie, Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild, Paris. (2) Service d’imagerie, Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild, Paris. (3) Département de neurologie, Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild, Paris. Correspondance : M. Paques, Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild, 25, rue Manin, 75019 Paris. E-mail :
[email protected] Reçu le 10 janvier 2008. Accepté le 30 juin 2008. Brain hypoperfusion revealed by an ocular ischemic syndrome J. Hanhart, P. Koskas, M. Obadia, Y. Le Mer, J.-A. Sahel, M. Paques J. Fr. Ophtalmol., 2008: 31, e18 We report the case of a 59-year-old female presenting an ocular ischemic syndrome caused by occlusion of the internal carotid artery. MRI showed multiple previous episodes of stroke. Therapy consisted in stopping the antihypertensive medication in order to stabilize the residual cerebral perfusion pressure and initiating statin and antiaggregant therapy.
Key-words: Carotid occlusive disease, color Doppler imaging, ocular ischemic syndrome, rubeosis iridis. Bas débit cérébral révélé par une ischémie oculaire Nous rapportons le cas d’une femme, âgée de 59 ans, ayant présenté un syndrome d’ischémie oculaire révélant une occlusion de la carotide interne. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale a mis en évidence des séquelles d’accidents vasculaires multiples passés inaperçus. La prise en charge thérapeutique a consisté en l’arrêt du traitement hypotenseur artériel, dans le but de stabiliser la pression de perfusion cérébrale et oculaire, ainsi qu’en un traitement par statine et antiagrégant plaquettaire.
Mots-clés : Occlusion carotidienne, écho-Doppler couleur, syndrome d’ischémie oculaire, rubéose irienne.
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INTRODUCTION Nous présentons le cas d’une femme, âgée de 59 ans, ayant présenté une baisse d’acuité visuelle douloureuse unilatérale due à un syndrome d’ischémie oculaire. La particularité de ce cas tient à la discrétion des altérations funduscopiques malgré la sévérité de l’ischémie attestée par la rubéose irienne et les séquelles d’infarctus cérébral.
OBSERVATION
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En avril 2006, une femme, âgée de 59 ans, se présenta aux urgences ophtalmologiques en raison d’un flou visuel de l’œil gauche fluctuant depuis environ un mois ainsi que de douleurs intermittentes périoculaires depuis cinq jours, exacerbées par les mouvements oculaires. Une baisse d’acuité brutale était survenue trois jours avant la consultation. Ses antécédents ophtalmologiques se limitaient à une phacoémulsification de l’œil gauche 6 mois auparavant avec une bonne récupération visuelle. Sur le plan général, la patiente présentait un lourd passé tabagique (plus de 80 paquets-années) et était traitée pour hypertension artérielle. À droite, l’acuité visuelle corrigée était de 10/10e Parinaud 2, le tonus oculaire de 15 mmHg ; l’examen du segment antérieur du fond d’œil était normal. À gauche, l’acuité visuelle corrigée était de 4/10e Parinaud 5 lent. L’examen clinique révéla une anisocorie (la pupille gauche étant plus dilatée que la droite), sans phénomène de Marcus Gunn. Les vaisseaux conjonctivaux et épiscléraux étaient congestifs avec un cercle périkératique. Une rubéose irienne était présente, sans néovaisseaux dans l’angle irido-cornéen. L’examen du fond d’œil révéla une dilatation généralisée du réseau capillaire, une dilatation des veines, un rétrécissement discret du calibre artériel (fig. 1). Réalisé ultérieurement, l’examen neurologique était normal. L’OCT montrait un épaississement discret de la macula de l’œil gauche. L’angiographie à la fluorescéine ne fut pas été réalisée en raison du risque d’hypotension artérielle et par conséquent de chute de la pression de perfusion cérébrale consécutive à l’injection de fluorescéine [1]. L’examen écho-Doppler des vaisseaux orbitaires mit en évidence une dilatation de l’artère ophtalmique gauche, celle-ci ayant un flux inversé et des vélocités très élevées (vitesse systolique maximale 90 cm/s, vitesse diastolique maximale 47 cm/s). La vélocité du flux de l’artère centrale de la rétine apparaissait plus basse à gauche qu’à droite. L’écho-Doppler des vaisseaux du cou et l’angio-scanner des troncs supra-aortiques révélèrent une occlusion athéromateuse de l’artère carotide interne gauche et une sténose de la carotide interne droite chiffrée à 40 %, selon les critères NASCET [2]. L’écho-Doppler transcrânien montra des flux de qualité
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médiocre au niveau sylvien gauche en périphérie. L’échographie cardiaque transthoracique et le HolterECG étaient normaux. La patiente fut hospitalisée en unité neurovasculaire. L’IRM cérébrale sur les séquences pondérées en FLAIR révéla un hypersignal au niveau prérolandique gauche ainsi qu’un hypersignal controlatéral du noyau lenticulaire droit, signant des accidents ischémiques cérébraux sylviens silencieux (fig. 2). Les séquences en temps de vol de l’angio-IRM intracrânienne montrèrent une baisse de flux de l’axe carotido-sylvien gauche et l’absence de mise en jeu des artères communicantes (fig. 3). La patiente fut traitée par aspirine et atorvastatine. Le traitement hypotenseur fut interrompu dans le but de stabiliser la pression de perfusion cérébrale et oculaire. Une photocoagulation panrétinienne fut entreprise en raison de la rubéose irienne. Quatre mois plus tard, la pression intraoculaire gauche était de 20 mmHg, et l’acuité visuelle, réduite à « compte les doigts ».
DISCUSSION Les présentations habituelles du syndrome d’ischémie oculaire sont d’une part une baisse d’acuité visuelle brutale, progressive ou transitoire, et d’autre part une douleur. Parmi les causes possibles de cette douleur, on compte le glaucome néovasculaire. Pour expliquer la douleur dans un cas comme le nôtre, en l’absence d’hypertonie oculaire, on peut invoquer l’ischémie du corps ciliaire de même que l’ischémie des muscles oculomoteurs. Chez 20 % des patients, la découverte est fortuite [3, 4]. La rubéose irienne est décelée chez environ 90 % des patients au moment du diagnostic [3]. Qu’elle soit combinée ou non à une dilatation des vaisseaux épiscléraux, ou à des signes d’uvéite retrouvés chez 20 % des patients [3, 5], cette rubéose doit alerter l’ophtalmologiste et motiver la recherche d’une ischémie oculaire, aux côtés de l’occlusion de la veine centrale de la rétine, de la rétinopathie diabétique, du glaucome, de l’uvéite, du décollement de rétine, du traumatisme et des pathologies tumorales [6]. Le cas présenté ici se singularise par la discrétion des signes rétiniens, en particulier l’absence d’hémorragies. La baisse d’acuité visuelle et l’épaississement maculaire peuvent être liés soit à une rupture de la barrière hématorétinienne, soit à une ischémie maculaire chronique. La baisse de la pression de perfusion du corps ciliaire, qui dans certains cas peut aller jusqu’à la rétinopathie hypotensive (dite « hypotonie douloureuse »), explique sans doute l’absence d’hypertonie majeure chez cette patiente [3]. La mise en évidence de l’occlusion carotidienne constitue le critère diagnostique essentiel. Pour qu’un syndrome d’ischémie oculaire se présente, on admet que la sténose carotidienne doit dépasser 90 % [7]. Les vélocités élevées mesurées dans l’artère ophtalmique tradui-
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Figure 1 : Montage à partir de photographies du fond d’œil (gauche) : noter l’absence d’hémorragies rétiniennes, malgré la dilatation capillaire généralisée en temporo-maculaire, bien visualisée sur l’agrandissement. Figure 2 : IRM cérébrale (séquence FLAIR) : l’hypersignal au niveau du sillon pré-moteur gauche (flèche) correspond à une séquelle d’accident ischémique cérébral dans le territoire carotidien gauche. Figure 3 : Angio-IRM intracrânienne, séquence en temps de vol (sans injection) : aspect grêle de l’axe carotido-sylvien gauche (petites flèches), en l’absence de communicantes antérieure (tête de flèche) et postérieures.
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sent l’importance du rôle joué par l’artère ophtalmique gauche dans la reprise en charge du réseau carotidien.
CONCLUSION Le syndrome d’ischémie oculaire peut avoir de lourdes conséquences en termes de perte visuelle et de douleurs chroniques. De plus, le risque d’accident vasculaire cérébral est important en cas d’occlusion ou de sténose carotidienne serrée symptomatique (26 % à 2 ans en cas de sténose > 85 % selon l’étude NASCET) [2]. L’exemple de cette patiente vient rappeler que toute rubéose découle d’une ischémie rétinienne. Lorsque le fond d’œil ne présente pas d’anomalies majeures, il faut suspecter le syndrome d’ischémie oculaire chronique tant qu’un écho-Doppler carotidien n’a pas éliminé une sténose carotidienne.
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