Bases neurologiques de l’affect douloureux

Bases neurologiques de l’affect douloureux

© MASSON Rev Neurol (Paris) 2006 ; 162 : 3, 395-399 Mise au point Bases neurologiques de l’affect douloureux 395 Formation Post-Universitaire N. ...

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Rev Neurol (Paris) 2006 ; 162 : 3, 395-399

Mise au point Bases neurologiques de l’affect douloureux

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Formation Post-Universitaire

N. Danziger Adresse : Fédération de Neurophysiologie Clinique et Consultation de la Douleur, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris. Tirés à part : N. DANZIGER, Fédération de Neurophysiologie Clinique et Consultation de la Douleur, Groupe Hospitalier PitiéSalpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13.

RÉSUMÉ L’expérience de la douleur corporelle comprend à la fois l’expérience d’une sensation et l’éprouvé d’une émotion. Deux situations cliniques caractérisées par une altération sélective de la composante émotionnelle de la douleur secondaire à une lésion cérébrale s’avèrent particulièrement précieuses pour la compréhension des mécanismes qui sous-tendent l’intégration affective de l’expérience douloureuse : l’asymbolie à la douleur et le tableau neurologique provoqué par la réalisation d’une lobotomie préfrontale. Dans l’asymbolie à la douleur, l’altération de la dimension émotionnelle de l’expérience douloureuse s’accompagne d’une perte du sens de la menace et du danger tandis que la lobotomie préfrontale réduit de façon spectaculaire l’impact affectif des douleurs chroniques les plus intolérables tout en engendrant paradoxalement une exacerbation des réponses émotionnelles lors de stimulations nociceptives aiguës. Ces observations permettent de mieux comprendre les bases cérébrales de l’affect douloureux, en distinguant d’un côté les réactions affectives immédiates et de l’autre la dimension de souffrance liée à la signification de l’expérience douloureuse. Parallèlement, les données récentes de l’imagerie fonctionnelle ont permis de préciser les bases cérébrales de l’affect douloureux et de mieux définir d’un point de vue neurophysiologique les liens qui unissent douleur corporelle et souffrance psychique.

Mots-clés : Douleur • Dimension émotionnelle de la douleur • Indifférence à la douleur • Asymbolie à la douleur

SUMMARY Neurological basis of the emotional dimension of pain. N. Danziger, Rev Neurol (Paris) 2006; 162: 3, 395-399 Feeling pain is in the same time a sensory and an affective experience. Pain asymbolia and prefrontal lobotomy, two distinct neurological pictures, help to better understand the cerebral basis of the emotional dimension of pain. In pain asymbolia, the selective alteration of the affective dimension of pain is associated with a loss of the sense of threat and danger. Following prefrontal lobotomy, the emotional impact of chronic pain is dramatically reduced, while affective responses to acute pain are paradoxically increased. Such clinical observations allow to make a clear distinction between immediate pain unpleasantness on the one hand, and secondary pain affect, linked to the significance of the pain experience in terms of the self and of the future, on the other hand. Moreover, recent functional neuroimaging data allow to better define the neural substrates of the affective dimension of pain and to highlight the shared neuro-anatomical networks between physical and psychic suffering.

Keywords: Pain • Affective dimension of pain • Indifference to pain • Pain asymbolia

L’expérience de la douleur corporelle comprend à la fois l’expérience d’une sensation et l’éprouvé d’une émotion. La dimension sensori-discriminative de la douleur concerne l’intensité, le siège et la nature du stimulus nociceptif tandis que sa dimension émotionnelle traduit presque toujours le caractère fondamentalement aversif de l’expérience douloureuse. L’étude

des corrélats neurophysiologiques de la dimension émotionnelle de la douleur bute sur la difficulté qu’il y a à dissocier expérimentalement la composante émotionnelle des autres composantes, sensorielle, attentionnelle et de contrôle moteur, constitutives de l’expérience douloureuse. Dès lors, les situations cliniques caractérisées par une indifférence à la douleur, dans lesquelles

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la composante émotionnelle de la douleur se trouve être sélectivement altérée par une lésion cérébrale, sont particulièrement précieuses pour la compréhension des mécanismes qui sous-tendent l’intégration affective de l’expérience douloureuse. Dans le champ de la neurologie, deux tableaux d’indifférence acquise à la douleur ont été précisément décrits : l’asymbolie à la

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douleur, d’une part, et le tableau provoqué par la réalisation d’une lobotomie préfrontale, d’autre part 1.

Asymbolie à la douleur L’asymbolie à la douleur, décrite pour la première fois par Schilder et Stengel en 1927, et rapportée chez quelques dizaines de patients depuis, se caractérise par une absence totale ou une diminution radicale des réactions motrices et affectives lors des stimulations nociceptives, quel qu’en soit le siège, cependant que les capacités de discrimination de ces stimuli et les réponses végétatives qui leur sont associées demeurent intactes : le patient ne réagit plus aux stimulations nociceptives intenses, superficielles ou profondes ; il est certes capable de porter toute son attention vers leur source, mais son comportement et son rapport verbal témoignent du fait que ces stimulations, normalement franchement douloureuses, ont perdu pour lui leur caractère désagréable (Schilder et Stengel, 1932). Cette altération majeure de la dimension émotionnelle de l’expérience douloureuse s’accompagne d’une absence de réaction à la menace (gestuelle, verbale), confirmant le fait que dans ce contexte la douleur ne joue plus son rôle d’indice d’une atteinte de l’intégrité corporelle : le patient n’a aucune réaction d’évitement lorsque l’examinateur fait mine de frapper sa main avec un marteau ou de piquer son œil avec une aiguille. Il s’offre même volontiers aux stimulations nociceptives, et la perspective ou l’application de ces stimulations le fait même parfois rire ou sourire. L’étude des corrélations anatomo-cliniques de l’asymbolie à la douleur ne repose que sur quelques observations neuropathologiques et neuroradiologiques. Celles-ci suggèrent que la lésion unilatérale (droite ou gauche) de l’opercule pariétal et/ou de 1

Nous n’aborderons pas ici la question de l’indifférence congénitale à la douleur. Dans la littérature neurologique, ce terme est presque toujours inapproprié puisque, à de rares exceptions près, les cas décrits correspondent en fait à une insensibilité congénitale à la douleur liée à une neuropathie héréditaire sensitive et végétative (HSAN : Hereditary Sensory and Autonomic Neuropathy).

la région postérieure de l’insula, incluant l’aire somesthésique secondaire (SII), constitue la condition nécessaire à l’apparition d’une asymbolie à la douleur (Berthier et al., 1988 ; Masson et al., 1991). Dans tous les cas, cependant, la lésion s’étendait au-delà de la région pariétale inférieure vers le gyrus supramarginal, le lobe frontal et/ou le lobe temporal. Geschwind fut le premier à postuler que l’asymbolie à la douleur pouvait représenter un cas particulier de disconnexion sensori-limbique (Geschwind, 1965). Cette hypothèse, renforcée par les observations neuroanatomiques ultérieures, repose sur la mise en évidence chez le primate de connexions étroites entre les régions pariétale inférieure/insulaire postérieure et certaines structures limbiques (amygdale) et paralimbiques (cortex insulaire antérieur et cingulaire antérieur) (Mesulam et Mufson., 1985). L’étude des propriétés des neurones nociceptifs de l’opercule pariétal chez le singe éveillé est venue enrichir ce modèle explicatif en montrant que le codage de l’information douloureuse à ce niveau est intégré au contexte visuel, certains neurones de cette région étant susceptibles de répondre soit à des stimulations nociceptives appliquées ipsi ou controlatéralement, soit à des stimuli visuels menaçants (Robinson et Burton, 1980). On comprend dès lors que l’interruption des connexions entre l’insula postérieure et les régions limbiques et paralimbiques puisse conduire à la perte du sentiment de menace et d’intrusion liés à une stimulation douloureuse et donc à la disparition des réactions d’évitement et des affects qui lui sont normalement associés. Cette disconnexion entre des régions cérébrales qui continuent d’intégrer le caractère menaçant du stimulus douloureux, mais qui ne peuvent plus activer leurs cibles de projection limbiques et paralimbiques, pourrait rendre compte du rire observé chez les patients asymboliques à la douleur lorsqu’on les soumet à une stimulation douloureuse : l’activation des structures pariétales inférieures, déclenchée à la vue du stimulus menaçant, sans activation concomittante de l’insula antérieure et du cortex cingulaire antérieur « déconnectés » pourrait en effet reproduire le mécanisme de « fausse alarme » qui conduit au rire lors de la chatouille, dans un contexte où le stimulus menaçant s’avère être en

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fait inoffensif (Ramachandran, 1998). Le tableau clinique de l’asymbolie à la douleur ne se limite donc pas à un défaut d’intégration des stimuli nociceptifs, il inclut une véritable perte du sens de la menace et du danger. De fait, dans leur description du premier cas d’asymbolie à la douleur, Schilder et Stengel (1932) mentionnaient que leur patient se montrait également insensible à des stimulations sensorielles intenses telles que des sons très forts ou des flashs lumineux. Au vu des travaux récents montrant le rôle du cortex insulaire postérieur dans l’élaboration d’une cartographie corticale des messages intéroceptifs à valeur homéostasique (Craig, 2002), on peut également postuler que l’altération des affects et des réactions de ces patients vis-à-vis de stimulations de nature aversive devrait s’étendre aux autres domaines de l’intéroception tels que le confort thermique, la faim, ou la soif. Cette hypothèse n’a, à notre connaissance, jamais été testée cliniquement.

Modifications de l’expérience douloureuse après lobotomie préfrontale Initiée dans les années 1940 comme traitement symptomatique de psychoses sévères, la lobotomie préfrontale (unilatérale ou bilatérale) a ensuite été pratiquée dans le but de soulager des patients atteints de douleurs chroniques intolérables résistant à toutes les tentatives thérapeutiques (Freeman et Watts, 1948). Chez ces patients douloureux chroniques, la lobotomie préfrontale avait le plus souvent un effet spectaculaire : après l’intervention, les patients rapportaient que la douleur n’avait pas disparu et que son intensité était même restée inchangée, mais cette douleur ne les dérangeait plus autant, voire plus du tout. Cependant, à la différence des patients atteints d’asymbolie à la douleur, les patients lobotomisés continuaient de présenter des réponses émotionnelles et des réactions d’évitement lors de stimulations nociceptives aiguës. Curieusement, ces manifestations semblaient même amplifiées puisque l’ablation des agrafes au niveau de la cicatrice ou une simple prise de sang pouvaient déclencher des réactions intenses

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STIMULUS NOCICEPTIF

Éveil RÉPONSES VÉGÉTATIVES (formation réticulée, hypothalamus, amygdale)

SENSATION DOULOUREUSE (SI, SII, insula)

asymbolie à la douleur

PRÉPARATION MOTRICE (aire motrice supplémentaire)

PERCEPTION DE L'INTRUSION ET DE LA MENACE (insula, opercule pariétal)

AFFECT IMMÉDIAT (cortex cingulaire antérieur)

modulation

lobotomie préfrontale AFFECT DE SECOND ORDRE = accès à la signification psychique de la douleur corporelle (cortex préfrontal) Fig. 1 : Vue d’ensemble des mécanismes d’intégration de la dimension émotionnelle de la douleur (adapté à partir de Price, 2000).

après l’intervention (Freeman et Watts, 1948). Cette impression clinique a été confirmée par l’étude comparative du seuil des réponses émotionnelles et des réactions d’évitement avant et après lobotomie : en effet, le seuil d’apparition d’une mimique de douleur et le seuil de retrait lors d’une stimulation nociceptive aiguë (chaud douloureux appliqué au niveau du front) étaient nettement réduits après lobotomie, cette exacerbation des réponses motrices allant de pair avec un vécu affectif pénible dominé par la peur de la blessure (Chapman et al., 1948). Ces résultats apparemment paradoxaux s’expliquent dès lors que l’on différencie l’impact émotionnel d’une douleur aiguë de la souffrance psychique liée à la douleur chronique. Dans le premier cas, on a affaire à un affect immédiat lié à un stimulus aversif. D’un autre côté, la souffrance liée à la douleur chronique est indissociable de la signification de l’expérience douloureuse comme signe d’une lésion corporelle, susceptible d’interférer à long terme avec la vie du sujet (« secondary pain affect », Price, 2000). Les observations faites chez les patients lobotomisés

montrent bien le rôle essentiel du lobe frontal dans la construction psychique d’une telle signification, qui implique l’accès à une représentation de soi dans une perspective temporelle englobant à la fois le présent et l’avenir. De plus, le fait que les manifestations émotionnelles associées à un stimulus nociceptif aigu se trouvent exacerbées après l’interruption chirurgicale des voies d’association frontales suggère que le cortex préfrontal exerce physiologiquement une fonction de contrôle modulant le déclenchement de l’affect immédiat lié à la douleur aiguë.

Corrélats neurophysiologiques de l’affect douloureux L’intégration de ces données cliniques avec les données récentes de l’imagerie cérébrale fonctionnelle permet désormais d’avoir une vue d’ensemble sur les substrats cérébraux impliqués dans les différentes composantes émotionnelles de la douleur corporelle (Fig. 1). Divers para-

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digmes ont été utilisés pour étudier en imagerie fonctionnelle l’impact émotionnel de la douleur aiguë indépendamment de l’intensité de la douleur perçue. Rainville et al. (1997) ont utilisé un cadre expérimental dans lequel une suggestion hypnotique visait soit à diminuer, soit à augmenter l’intensité de l’affect désagréable lié à une stimulation brûlante appliquée sur la main, sans pour autant modifier la perception de l’intensité douloureuse de cette stimulation. Les résultats de cette étude en PET-scan ont montré que l’activation de la partie moyenne du cortex cingulaire antérieur était corrélée à l’intensité de l’affect désagréable causé par la stimulation. En revanche, chez les mêmes sujets aucune corrélation n’était observée entre l’intensité de l’affect désagréable et le degré d’activation de l’aire somesthésique primaire. En utilisant une stimulation douloureuse de plus en plus désagréable à mesure quelle était répétée sans que la perception de son intensité s’en trouve pour autant modifiée, Tölle et al. (1999) ont eux aussi mis en évidence une corrélation entre l’activation du cortex cingulaire

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antérieur (cette fois au niveau de sa partie dorsale) et l’intensité de l’affect douloureux. Dans une étude comparant en IRMf l’activation induite par des stimulations chaudes non douloureuses selon qu’elles étaient délivrées dans un contexte « rassurant » (aucune stimulation douloureuse) ou « menaçant » (50 p. 100 de stimulations douloureuses), Sawamoto et al. (2000) ont montré que l’affect pénible lié à l’anticipation de la douleur était associé à une activation du cortex cingulaire antérieur, de l’opercule pariétal et de l’insula postérieure. Un tel résultat rend bien compte de la disparition du sens de la menace et du danger observée en cas de lésion incluant l’opercule pariétal et/ou l’insula postérieure et corrobore l’hypothèse selon laquelle l’asymbolie à la douleur résulterait d’une disconnexion sensori-limbique. De fait, le rôle de l’insula postérieure dans le codage de l’affect douloureux a été souligné tout récemment par une autre étude en PETscan (Schreckenberger et al., 2005). La stimulation nociceptive, de type tonique (perfusion sous-cutanée ou intramusculaire d’une solution acide) était réglée de telle sorte que l’intensité de perception douloureuse soit toujours la même, tandis que l’intensité de l’affect variait d’un sujet à l’autre. Dans cette étude, il existait une bonne corrélation entre l’intensité de l’affect associé à la douleur musculaire ou cutanée et le degré d’activation des régions insulaires postérieures ipsi et controlatérales. En revanche, l’activation cingulaire antérieure ne semblait pas corrélée à l’affect douloureux. Cette différence notable par rapport aux autres études expérimentales pourrait signifier que le cortex cingulaire antérieur ne coderait l’affect douloureux que dans le contexte d’une douleur aiguë de type phasique, associée à une activation rapide du système nerveux autonome. Quoi qu’il en soit, l’ensemble de ces résultats souligne bien l’existence d’un réseau cérébral sous-tendant la dimension émotionnelle de la douleur, centré au niveau cortical sur les régions pariétale inférieure, insulaire, et cingulaire antérieure. D’autres travaux suggèrent que ce réseau n’est pas spécifique de l’affect lié à la douleur corporelle. En effet, les régions postérieure et moyenne du cortex cingulaire antérieure peuvent également être activées lors de stimulations désagréables non douloureuses telles que la vue d’un animal effrayant,

une musique dissonante ou des mots ayant une valence émotionnelle négative (Peyron, 2000). Enfin, des expériences récentes ont montré que le réseau cortical impliqué dans la dimension affective de l’expérience douloureuse pouvait également être en partie activé à la vue ou même à la pensée d’une douleur exprimée ou ressentie par autrui (Singer et al., 2004 ; Osaka et al., 2004 ; Jackson et al., 2005 ; Botvinick et al., 2005). Ces structures cérébrales pourraient donc participer de façon déterminante à la construction du sentiment d’empathie visà-vis de la douleur d’autrui.

Douleur corporelle et souffrance psychique : un substrat anatomo-fonctionnel commun L’expérience clinique courante montre qu’il existe un lien étroit entre souffrance psychique et douleur corporelle : il est fréquent, en effet, qu’une douleur corporelle se majore, re-surgisse, ou apparaisse pour la première fois lors d’une situation psychologiquement difficile, par exemple à la suite d’un deuil (Danziger et Willer, 2005). Sur le plan neurophysiologique, de nombreuses données suggèrent l’existence d’un substrat anatomique et fonctionnel en partie commun entre la dimension émotionnelle de la douleur physique et le sentiment de souffrance associé à la séparation. Il est frappant de constater en effet que certaines des régions du cerveau qui, chez les mammifères, sous-tendent le comportement de détresse liée à la séparation — telles que le cortex cingulaire antérieur, le noyau dorso-médian du thalamus et la substance grise péri-aqueducale (Hermann et Panksepp, 1981 ; Panksepp, 2003) — font également partie du système nociceptif médian, qui participe à l’élaboration de l’affect désagréable associé à la douleur corporelle (Peyron et al., 2000 ; Craig, 2003). Le fait qu’une faible dose de morphine réduise nettement les vocalisations des nouveaux-nés séparés de leur mère suggère en outre que la détresse de séparation et la douleur corporelle dépendent de mécanismes neurochimiques en partie similaires (Panksepp, 2003). Récemment, Eisenberger et al. (2003) ont montré que l’intensité de la « détresse sociale » de

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sujets sains participant à un jeu dont ils étaient progressivement exclus était étroitement corrélée au degré d’activation de la région dorsale du cortex cingulaire antérieur, dont on a vu plus haut qu’elle était impliquée dans le codage de l’affect douloureux (Tölle et al., 1999). L’ensemble de ces résultats a conduit à une hypothèse stimulante selon laquelle le système d’attachement social des mammifères aurait pu, au cours de l’évolution, se greffer sur le réseau neuronal de la douleur physique, favorisant ainsi la survie de l’espèce (Panksepp, 1998). Enfin, il est intéressant de noter que le lien étroit qui existe entre la douleur physique et la souffrance psychique liée à la perte et à la séparation, aussi bien d’un point de vue neurophysiologique que d’un point de vue clinique, corrobore un postulat fondamental de l’approche psychodynamique de la douleur, selon lequel « l’intense investissement de l’objet perdu dont on éprouve l’absence […] crée les mêmes conditions économiques que l’investissement en douleur de l’endroit du corps blessé » (Freud, 1926). Références BERTHIER M, STARKSTEIN S, LEIGUARDA R. (1988). Asymbolia for pain: a sensory-limbic disconnection syndrome. Ann Neurol, 24: 41-49. BOTVINICK M, JHA AP, BYLSMA LM, FABIAN SA, SOLOMON PE, PRKACHIN KM. (2005). Viewing facial expressions of pain engages cortical areas involved in the direct experience of pain. Neuroimage, 25: 312-319. CHAPMAN WP, ROSE AS, SOLOMON HC. (1948). Measurements of heat stimulus producing motor withdrawal reaction in patients following frontal lobotomy. Res Publ An Nerv and Ment Dis, 27: 754-778. CRAIG AD. (2002). How do you feel? Interoception: the sense of the physiological condition of the body. Nat Rev Neurosci, 3: 655-666. CRAIG AD. (2003). Pain mechanisms: labeled lines versus convergence in central processing. Annu Rev Neurosci, 26: 1-30. DANZIGER N, WILLER JC. (2005). Tension-type headache as the unique pain experience of a patient with congenital insensitivity to pain. Pain, 117: 478-483. EISENBERGER NI, LIEBERMAN MD, WILLIAMS KD. (2003). Does rejection hurt? An FMRI study of social exclusion. Science, 302: 290-292. FREEMAN W, WATTS JW. (1948). Pain mechanisms and the frontal lobes: a study of pre-

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