Biologie des stades juveniles de téleostéens mugilidae Mugil auratus Risso 1810, Mugil capito Cuvier 1829 et Mugil saliens Risso 1810

Biologie des stades juveniles de téleostéens mugilidae Mugil auratus Risso 1810, Mugil capito Cuvier 1829 et Mugil saliens Risso 1810

Aquaculture, 2 (1973) 251 251-266 0 Elsevier Scientific Publishing Company, Amsterdam - Printed in The Netherlands BIOLOGIE DES STADES JUVENILES ...

1004KB Sizes 6 Downloads 69 Views

Aquaculture,

2 (1973)

251

251-266

0 Elsevier Scientific Publishing Company, Amsterdam - Printed in The Netherlands

BIOLOGIE DES STADES JUVENILES DE TI%LEOSTkENS MUGILIDAE Mugil aurutus RISSO 1810, Mugil capito CUVIER 1829 ET Mugil saliens RISSO 1810 I. RgGIME ALIMENTAIRE JOCELYNE ALBERTINE-BERHAUT Station marine d’Ewdoume,

Rue Batterie des Lions, 13007

- Marseille (France)

(Requ le 27 mars, 1973)

Observations were made on 1093 fishes, measuring 1.5 to 65 mm standard length (S.L.), collected in the Gulf of Marseilles from April 197 1 to May 1972. The field methods and the analysis of stomach contents are described. Then the stomach contents are analyzed qualitatively by listing the prey (classified as preferential, secondary or accidental, and quantitatively: the frequency index, the repletion index and the vacuity coefficient being studied with seasonal, specific and size variations. The food supply in natural conditions mainly consists for the three species of benthic crustaceans. The “fry” (15 to 50 mm S.L.) are carnivorous microphages with crustaceans as principal food, whereas the “fingerlings” (5 1 to 65 mm S.L.) are herbivorous microphages with diatoms and other micro-algae as food. The diet of young Mugilidae changes when the diatoms become the primary source of food. So we have observed a distinct diet change when the three species of mullets reach about 50 mm length. Some additional data on the feeding frequency and the seasonal diet variations are given and discussed.

Les observations sur le regime alimentaire des trois espbces de Mugilidae: portent sur un total de 1093 individus de 15 a 65 mm de longueur standard (L.S.), recoltes dans le Golfe de Marseille, d’avril 197 1 a mai 1972. Les methodes de p&he et d’analyse des contenus stomacaux sont tout d’abord d&rites. Le materiel alimentaire a CtC analyd, d’une part, qualitativement, en dressant la liste des proies (preferentielles, secondaires et accidentelles), et d’autre part,

Mugil auratus, Mugil capito et Mugil diem,

252

quantitativement, en etablissant les indices de frequence et de repletion, en relation avec les saisons, les especes et la taille des individus. Chez les trois especes, le “fry” (L.S. entre 15 et 50 mm) a un regime microphage carnivore, constitue principalement par des crustaces, tandis que les “fingerlings” (L.S. de 5 1 i 65 mm) sont des microphages herbivores, leur nourriture etant essentiellement composee d’algues pluricellulaires et de diatom&es benthiques. 11a done ete observe un changement net de regime, dCs que les poissons atteignent environ 50 mm de L.S. Des observations complementaires sur la frequence des repas et les fluctuations saisonnieres sont rapportees et discutees.

INTRODUCTION

I1 existe de nombreux travaux sur les habitudes alimentaires des muges: Suyerhiro (1942), Pillay (1953), Thomson (1954 et 1966), Luther (1962), Ezzat (1965), Odum (1968 et 1970); mais jusqu’a present, peu d’auteurs a notre connaissance, except& Egusa (1950) et Suzuki (1965), se sont int&es&s au regime alimentaire des stades post-larvaires et juveniles. Au tours des recherches preliminaires, effectuees en vue de l’alimentation artificielle de Mugil auratus et de Mugil capito (Vallet et al. 1969), nous avons observe des differences importantes dans la composition des contenus stomacaux des stades juv6niles. Le present travail, a CtC entrepris dans le but de mieux connaitre l’ethologie alimentaire des jeunes individus de Mugil auratus, Mugil capito et Mugil saliens, le long du littoral Marseillais. 1. MATERIEL

ET METHODES

L’Ctude Porte sur un total de 1093 poissons, appartenant a 3 especes de la famille des Mugilidae: Mugil auratus Risso 18 10, Mugil capito Cuvier et Valenciennes 1829 et Mugil saliens Risso 18 10. Le materiel ichtyiologique recueilli, peut Ctre ci posteriori divise en 2 groupes: d’une part, 858 individus de .15 a 50 mm de L.S. composant le “fry” et d’autre part, 235 autres mesurant de 5 1 1 65 mm et appeles “fingerlings”. Les recoltes ont &C effectuees dans le Golfe de Marseille, d’avril 1971 a mai 1972. L’aire de prospection est plus precidment la Plage de la Pointe-Rouge, dont les caracteristiques physico-chimiques, biocoenotiques et granulometriques ont CtC respectivement definies par Devkze (1959), Picard (1965) et Masse. (1971). Des comparaisons ont kte faites avec des peches provenant de la lagune du Brusc (Petit-Gaou), dont l’etude physico-chimique des sediments a et6 Ctablie par Matheron (1962).

253 (I 1 MBthodes de p&he et conservation du materiel r&ok6

Les pkhes ont et& effectuees, en moyenne une fois par mois, entre 9 h et 16 h, au moyen d’une petite senne en voile de nylon (maille = 250 p) pour la recolte du “fry” et d’un filet de jet (Cpervier), pour celle des “fingerlings”. Aussitot apres la p&he, les poissons sont places dans des poches en mat&e plastique et dans de la glace pilee, afin d’une part, d’empecher la regurgitation de leur contenu stomacal et d’autre part, de stopper les processus enzymatiques de la digestion qui pourraient modifier l’etat des contenus stomacaux. Au laboratoire, les poissons sont congeles et conserves, a la temperature constante de -30 “C. (2) IVlBthodesd’ktude des contenus stomacaux

Le poids frais (P a 1 mg p&s) et la longueur standard (de la pointe du museau a la base de la nageoire caudale; L.S. a 1 mm pres) sont releves tout d’abord pour chaque Poisson. Les especes sont difficilement reconnaissables pour des L.S. inferieures a 50 mm; on les determine done, aprits ouverture de la cavite peritoneale, a l’aide des coeca pyloriques (Perlmutter et al., 1957). Le tube digestif est prClev6 par une section au niveau de l’oesophage et une autre en avant de l’anus. Le bol alimentaire est, soit fixC dans du form01 a 1O%, neutrali& au borate de soude, soit pesC (a 0,l mg pres). La determination des divers elements faunistiques et floristiques est faite au niveau de l’espbce, du genre, de la famille ou du groupe, selon leur Ctat. Seules les proies les plus communes ont &C comptees. Les comptages des cellules de diatomees ont Cte effectues sur une partie aliquote, dans une cuve de 2 cm3, au microscope inverse a plancton (Plante-Cuny, 1969). (3) Expression des rkltats Le choix d’une methode d’etude des contenus stomacaux depend de la nature meme du materiel alimentaire. De ce fait, la methode dite ‘numbrique, pond&ale et dimensionnelle’ (Hureau, 1970) n’a pu etre appliquee ici en raison de la petitesse des proies. La presente etude comporte une analyse qualitative des contenus stomacaux, permettant de dresser la liste des diverses categories de proies, et une analyse quantitative, corn plementaire de la precedente, souligriant l’importance relative des proies et donnant un apercu de la quantite de nourriture ingeree. Le coefficient et les indices employ& dans ce texte peuvent etre definis de la facon suivante:

254 - Le coefficient de vacuiti v est le rapport, exprime en pourcentage entre le nombre d’estomacs vides NV et le nombre d’estomacs examines NE. NV v == x 100 On calcule ainsi le coefficient espece.

de vacuite annuel et saisonnier

pour chaque

- L’indice de ripl&tion Ir est le quotient, exprime en pourcentage, contenus stomacal p en mg, par le noids du Poisson P en mg. lr =$

du

X 100

- L ‘indice de frtquence dont l’estomac contient examines NE.

f est le rapport une

espece-proie

entre le nombre de poissons n et le nombre d’estomacs

fs-

NE

Cet indice f donne un bon apercu des preferences alimentaires des poissons, mais il presente l’inconvenient, de ne pas evaluer l’importance numerique ou ponderale des proies, les unes par rapport aux autres. On distinguera trois categories de proies: - accidentelles: f< 0,lO - secondaires: 0,lO < f < 0,50 - preferentielles: f > 0,50

II. RESULTATS (1) Coefficient

de vacuitb

Sur les 1093 estomacs analyses, 285 Ctaient vides, ce qui donne un coefficient de vacuite annuel v = 26,07%. Chez le jeune Trachums trachurus (Carangidae) qui peut Ctre compare aux jeunes muges, puisqu’il se nom-r-it essentiellement de copepodes (Sorbe, 1972), le coefficient de vacuite est Cgal a 26,lO %. Ce coefficient subit des variations sensibles au tours des saisons, comme le montre la Fig. 1. Les valeurs prises par ce coefficient, faibles en CtC (8,33%) et en automne (15,37%), 6levCes en hiver (44,16%) et au printemps (30,77%), indiquent que les jeunes muges se nourrissent activement au tours de la periode estivo-automnale et plus rarement au tours de la periode hiverno-printaniere. Le minimum annuel

255 V

I

Coafflcientde

vacultl

%

50 40

,/‘-*

,:

0.

I

I

I

1

)

Automrr

EU

FThlt-

1072

1071

-

Fig. 1. Variations du coefficient de vacuitk au tours des saisons hydrologiques.

laisse supposer que les stades juveniles s’alimentent normalement, au moment du developpement estival intense de la plupart des especesproies, en particulier de celles des copepodes et de certaines diatomees. Ce meme type de fluctuations saisonnieres a et6 signale en Grande-Bretagne, par Hickling (1970), chez les especes suivantes: Mugil aura&s, M. cephalus, M. capito et M. chelo.

TABLEAU 1 Resultats relatifs i l’dtat de remplissage des estomacs de chacune des trois especes Espkces Mugil capito Mugil auratus Mugil saliens 3 espbces Groupes

I

II

I

II

I

II

I

II

NE

318

58

341

104

193

13

858

235

376 NP

228

451 42

259

270 NV

V en %

90

266 18

147

337 16

88

1093 54

634

201 26

46

174 808

19

224

61

106

114

65

285

28,19

25,28

2444

26,07

Groupe I = ‘fry’ Groupe II = ‘fingerlings’ NE = nombre d’estomacs examines NP = nombre d’estomacs pleins NV = nombre d’estomacs vides V = coefficient de vacuitd

256

11 semblerait, que les variations saisonnieres du coefficient de vacuite, observees au tours de I’annee 197 1 soient cycliques, car les valeurs, relevees au tours des mois d’avril et mai des deux annees successives, sont cornparables. v = 43,25 % 197 1 : avril v = 3 1,87 % : mai v = 47,62 % 1972 : avril v = 38,03 % : mai Le coefficient de vacuite annuel varie quelque peu selon les especes (Tableau 1: 28,19% pour Mugil auratus, 25,28% pour M. capito et 24,44 % pour M. saliens); ces faibles differences sont peut-etre dues au fait que ces trois especes, se succedant dans le temps, ne profitent pas toutes integralement de l’abondante nourriture estivale. Le coefficient de vacuite varie avec la taille des poissons (v= 32,77 % chez le “fry” et lo,20 YO chez les “fingerlings”), ce qui a CtC signale chez les jeunes Trachurus trachurus (Sorbe, 1972).

(2) lndice de rhplktion L’Ctude de cet indice Porte sur un lot de 100 poissons, provenant d’une meme p&he effectuee a la Pointe-Rouge en mai 1972, et appartenant aux trois espbces. L’indice de repletion, indiquant la quantite de nourriture consommee, diminue avec I’age; il passe de 2,32 % chez le “fry” a 1,22 % chez les “fingerlings’. Cela indique une alimentation trbs active chez les stades post-larvaires, deja signalhe par Yasuda (1960) chez les jeunes poissons planctonophages: Cololabis saira, Ditrema temmincki et Scomber japonicus. Les valeurs de l’indice de repletion Ir correspondant aux trois espbces: 1,94% pour Mugil saliens, I ,74 % pour Mugil capito et 1,59 % pour Mugil auratus, ne sont pas significatives, ces observations n’ayant CtC faites que sur un seul prelevement. 11 serait interessant d’etudier d’une part, les variations du coefficient de vacuite et de I’indice de repletion au tours de l’annee, de la journee et meme de la nuit, dans le milieu naturel, et d’autre part, de determiner en laboratoire, la duree du transit a travers le tube digestif. (3) Analyse des contenus stomacaux Le bol alimentaire se compose d’une tres grande variCt6 de proies (Tableau 2), pour la plupart non dig&es en raison de leur stockage dans la partie cardiaque de l’estomac. Sur les 1093 estomacs examines, 49,2 1 % contenaient des elements faunistiques, 38,8 1 % des elements floristiques et 12,46 % les deux sortes d’elements a la fois. Les indices de frequence f de ces trois groupes, respectivement Cgaux a 0,60, 0,29 et 0,15, indiquent une nette preference

257 TABLEAU 2 Lnte des &nents, d‘origine animale ou v&talc. j&niles de Mugilidae

Elknrnts

rencontrks danc les contenus stomacaux des stadw

faunistiqucs

Crurtac6s Copkpodes planctoniques

Paracolanus Acartio

porvus

clausi

C entropoga

Planctoniques

\

IaNeS

Cypris

r

Harpacticoides

rypicus

et Nap/ii

Harpacticus

obscures

Horpacticus

flexus

Tisbe holothuriae Heterolaophonte

uncinata

Dactylopodb

Harpacticoides

tisboides

Amonordia

phylloplrs

Amphiascoides

wbdebilis

Diosaccidae Laophontopsis Esola

Benthiques

lamellifera

sp

Paralaophonte

congenero

Ectinosomo

normani

Maera grossimana

Amphipodes

Micropmtopus

moculatus

Jassa ocia

Tana’idacds Hydroides

Polychites

elegons

N6matodes Lanes de P&ypcdes Dip&es nkmatocires Hym6noptkes formicidae, proctotrypidae et fulgoridae Larve apode de ColLoptbe

Insectes

El&mutts tloristiques Fragilariaceae: Fragikiu. Licmophora

et Grammatophora,

(G, marina

et gibber&)

Achnanthaceae:

Achnanthes

wcconeis

Nawulaceae:

Diatom&es tienthiques

Naviculo

Diploneis, G,vrosigma,

PlWOSigttlCr Tropidoneis

etCaloneis

Cymbellaceae Nitzchiaceae: Nitzrhia

i Algues pluricelhdaires ~.

Bangiaks U10thricales Cladophoraks

et Bocillaria

-

Enteromorpha Cladophora

et

2.58 de la part des juveniles de muges, pour une alimentation

d’origine animale.

(a) Elements faunistiques. Les crustaces benthiques sont des proies preferentielles pour le “fry” (frequence f de 0,7 1) et sont essentiellement represent&s par les copepodes harpacticoi’des. Ces derniers representent plus de 85 70 des crustaces denombres, les deux especes principales etant Tisbe holothuriae et Harpacticus obscurus, respectivement 72,SO et 22,79 % des Harpacticoi’des; viennent ensuite, Harparcticus flexus, Heterolaophonte uncinata, Dactylopodia tisboides, Amonardia phyllopus, Amphiascoides subdebilis, Diosaccidae gen., Laophontopsis lamellifera, Esola sp., Paralaophonte congenera var. mediterranea Lang et Ectinosoma normani.

Le nombre de copepodes contenus dans les estomacs est tres Clev6:on en a par exemple dCnombr6 724, dans un seul estomac de Mugil auratus de 35 mm de L.S. La preponderance des copepodes harpacticoIdes, dans les contenus stomacaux de Mugil cephalus, a et6 observee par Jacot (1920) et Suzuki (1965), le nombre d’especes Ctant cependant moindre que chez les trois especes etudiees. Les autres crustaces benthiques sont des proies secondaires pour le “fry”; parmi ceux-ci, les amphipodes tiennent la seconde place (Maera grossimana, Jassa ocia et Microprotopus maculatus), suivis des Isopodes et Tanaidaces. Les crustaces microplanctoniques ingeres sont, soit des stades copepodites (Paracalanus parvus, Acartia clausi et Centropages typicus), TABLEAU 3 Variations de la frequence fdes elements faunistiques et floristiques chez chacune des especes de muges, en relation avec la taille (I = ‘fry’, II = ‘fingerlings’) ___I_ Elements faunistiques Frequence f et floristiques

Copdpodes harpacticofdes Autres Crustaces Polychetes Nematodes Pelecypodes Insectes Algues fdamenteuses Diatom&es Vase ou sable

Mugd auratus

Mugil capito

Mugil saliens

I

II

I

II

I

I

064 0,26 0,09 0,05 0,05 0,03 0,lO 0,19 084

0,12 0,13 0,09 0,lO 0,06 0,06 0,12 0,67 0,67

0,68 0,14 0,03 0,07 0,05 0,05 0,06 0,15 0,07

0,14 0,03 0,02 0,08 0,03 0,03 0,14 0,70 0,69

0,62 0,so 0,04 0,07 0,12 0,12 0,07 0,lO 0,14

0,13 0,38 0,02 0,04 0,04 0,04 0,20 050 0,74

Fig. 2. Variations espkces.

de la frkquence

des proies,

chez le “fry”

et les “fingerlings”

de chacune

des trois

soit des stades larvaires de crustaces (larves cypris, nauplius, etc. .). Les autres proies secondaires sont representees par des nematodes (jusqu’a 20 individus dans un estomac de Mugil cupito de 39 mm de L.S.). Les proies accidentelles sont principalement des polychetes (Serpulidae) et des Pelecypodes (stades post-larvaires), ingeres en grandes quantites a certaines periodes de l’annee. Les foraminiferes (Elphidium crispurn, Quinqueloculina, Elphidium sp., Cibides lobatulus, Discorbis sp.) semblent devoir faire partie du sediment. Pour completer ce materiel alimentaire d’origine animale, il faut signaler la presence, a certaines saisons, d’un assez grand nombre d’insectes (Hymenopteres Formicidae et Fulgoridae, Dipteres Culicidae, larves de Coleopteres). On constate a l’examen du Tableau 3 et de la Figure.2, que les trois especes de muges presentent des differences sensibles en ce qui concerne la frequence et l’importance de certaines proies d’origine animale. En effet, alors que la frequence des copepodes harpacticoi’des, ingeres par les trois especes, prend des valeurs voisines (respectivement f = 0,64, 0,68 et 0,62 pour Mugil auratus, M. capito et M. saliens), celle des autres crustaces varie du simple au double, d’une espece a l’autre (0,14 chez M. cupito, 0,26 chez M. aurutus et 0,50 chez M. saliens). Des observations faites en aquarium, sur Mugil cephalus et Mugil capita, ont montre que ces especes presentent des differences, en ce qui concerne le choix de leur proies,

260 surtout lorsque ces dernieres sont abondantes et diversifiees (Yashouv et al., 1967). 11 est interessant de noter que les insectes, proies accidentelles chez Mugil auratus et M. capita, sont par contre des proies secondaires chez Mugil saliens. En plus de ces variations specifiques, il existe des variations saisonnieres importantes, concernant la presence, le nombre et l’abondance des diverses especes-proies, dues a I’environnement. Ainsi, les copepodes harpacticoldes ont Cte trouves en abondance au printemps, principalement en avril 197 1, associes a des copepodes planctoniques (Centropages typicus et Paracalanus parvus). Les amphipodes Cjusqu’h 30 Jassa ocia, par estomac de Mugil auratus de 40 mm de L.S.) ont CtC abondants en mai 197 1, toujours chez le “fry”, associes a quelques Acartia clausi, absorb& par hasard au tours de la filtration effect&e au niveau des branchies. Les larves de PClCcypodes ont ete principalement denombrees en mai 197 1 (60 larves par estomac de Mugil capito de 29 mm de LX). Les insectes, tomb& accidentellement dans l’eau, ont CtC surtout trouves dans les contenus stomacaux en octobre 197 1 (jusqu’a 10 Homopteres fulgoridae chez Mugil saliens, 41 mm de L.S.); ces insectes sont tres abondants en automne dans les jardins de la region. En conclusion, les don&es relatives aux proies d’origine animale rev4 lent d’une part, que les trois especes accordent une place preponderante, dans leur alimentation, aux crustaces benthiques et que d’autre part,’ l’espece Mugil saliens est la plus attiree par ce genre de proies. fb) Elbmen ts floristiques. 11s sont represent&s par les algues pluricellullaires et par les diatomees. La frequence des premieres est de l’ordre de 0,12 a 0,20 chez les “fingerlings”, pour lesquels elles sont des proies secondaires, alors qu’elles ne sont qu’accidentelles chez le “fry” (f= 0,06 a 0,lO). En ce qui concerne la frequence de ces algues pluricellullaires, on doit Cmettre quelques reserves sur les valeurs calculees dans cette etude, la TABLEAU 4 Fkquence des proies d’origine animale par rapport i celles d’origine vig&le, ‘fingerlings’ et pour l’ensemble des trois espbces de muges Proies

Crusta&

microbenthiques

Diatomkes + algues

FrPquence

f

I

II

L.S. de 15 li 65 mm

0,71

0,32

0,60

0,18

0,70

0,29

chez le ‘fry’ et les

261 presence de certaines de ces algues ayant pu passer inapercue, car elks sont la plupart du temps sous forme de debris. Une nouvelle etude, sur la presence de ces algues et le choix des muges, sera faite ulterieurement avec la collaboration d’un specialiste. Du point de vue qualitatif, on a note la presence de Bangiales, de plusieurs especes d’ulothricales, avec en particulier le genre Enteromorpha, de plusieurs Cladophorales, avec en particulier le genre Cladophoru. 11 est interessant de souligner l’absence de Rhodophydes superieures, pourtant presentes dans le biotope. Les trois especes de muges contiennent toutes en abondance des diatom&es, Mugil saliens en renfermant en moyenne moins que les autres. La frequence des diatom&es est beaucoup plus eievee chez les “fingerlings” cf =0,70) que chez le “fry” cf =0,18), pour l’ensemble des trois especes (Tableau 4, et Fig. 2). 11 est a noter, que les frustules de diatomees, trouves dans les estomacs, sont presque toujours encore pourvus d’un contenu cellulaire. Les diatomees ingerees sont toutes benthiques, a l’exception de Nitzchia closterium consider&e ger-kralement comme une espece du plancton neritique. En realite, cette espece mobile est souvent trouvee dans les feutrages epiphytiques et avec des Cyanophycees sur les rochers. De nombreux auteurs, et en particulier Ghazzawi (1933) et Odum (1968 et 1970) ont signale la presence de diatomees benthiques, dans les estomacs des individus sexuellement mirrs de Mugil cephalus ou Mugil capita. Les diatomees benthiques trouvees dans les contenus stomacaux presentent des pourcentages variables avec les milieux et les saisons: - formes fixees, soit sur des debris mineraux ou vegetaux, - formes en tubes ou en plaques de mucilages (frustules reunis en frondes), - formes libres sur le fond et mobiles. Les cinq familles de diatom&es denombrees appartiennent toutes au groupe des Pennees. - Les Naviculaceae (40 % en moyenne) representees surtout par des especes libres et mobiles sur le sediment (Diploneis et Nuviculu, avec l’espece Navicula digitoradiata tres abondante, Gyrosigma, Pleurosigma, Tropiaoneis et Caloneis). - Les Nitzchiaceae (23%), libres, mobiles (Nitzchia, Bacilluriu), ou en tubes muqueux (Nitzchia lanceoluta, par example). - Les Achnanthaceae (13%), fix&es par la face portant un raphe (Cocconeis) ou par un pedoncule gelatineux que l’on retrouve tres souvent a l’interieur des estomacs (Achnanthes, surtout A. brevipes). - Les Fragilariaceae ( 12%), formes fixees (Frugilaria, Gramma tophoru avec G. marina et G. gibberula, et surtout Licmophora). - Les Qmbellaceae (7%), fix&es ou mobiles (Amphora hyalina par exemple).

262 TABLEAU 5 Prkence et fluctuations saisonnikes des diatom&es benthiques i la Pointe-Rouge et au Brusc

Brusc

Pointe-Rouge

Diatom&es

Automne 197 1

Printemps 1972

Printemps 1972

Families

Genres

Fragilariaceae

Licmophora Gramatophora Fragilaria

Achnanthaceae

Achnanthes Cocconeis

+

Naviculaceae

Navicula Pleurosigma Tropidoneis L epidop tera Diploneis

t _

Amphora Amphiprora

t -

5%

+

10,3%

-

6%

Nitzschia

t

30,5%

+

27%

+

12%

Cymbellaceae

Nitzschiaceae Diverses et incertaines

_

-

23%

1

1.5%

t _

t t 40%

+

10,7%

t

_

69.4%

+

t

0,6%

_ +

8%

4.5%

Enfin, 5% en moyenne des contenus stomacaux Ctaient constitues de formes diverses indeterminees. Les variations saisonnieres, des diatomees observkes dans les estomacs, sont resumees dans le Tableau 5 qui permet d’effectuer des comparaisons entre la Pointe-Rouge et le Brusc. A l’automne 197 1, A la Pointe-Rouge, les contenus stomacaux sont tres riches en forme epiphytiques et en formes libres (Achnanthaceae, Nkzchiaceae et Naviculaceae, par ordre croissant d’importance). L’espece Mugil saliens contient en moyenne moins de diatomees que Mugil capito (de l’ordre de 35000 cellules par estomac par exemple contre 200000). Au Brusc, les formes Bpiphytiques sont moins bien representees, mais Mugil saliens contient toujours moins de diatomees que les autres especes (de l’ordre de 12000 contre 122000). Au printemps 1972, a la Pointe-Rouge, les estomacs sont plus riches en nombre d’especes (voir Tableau 5) et en nombre d’individus de Nitzschiaceae (avec surtout Nitzchia lanceolata). Le pourcentage de formes epiphytiques est beaucoup plus important que dans les echantillons de l’automne, le genre licmophora passe de 0,5% A 35% alors que par contre le genre Nivicula est

263 beaucoup moins bien reprCsentC. Mugil capito conrient en moyenne 240000 cellules, dominCes par le genre Licmophoru, alors que Mugil s&ens n’en renferme que 53000. Au Brusc, SI la meme pkriode, on rencontre t&s peu d’kpiphytes (seulement de 0 g 17% de Zicmophora et d’Achnanthes), mais une abondance de Naviculaceae (70%), avec principalement dans le genre Navicula, l’espke Nuvicula digitoradiata et trois espkces du genre Diploneis, espirces libres sur la vase; done, curieusement au Brusc, malgrC la proximitk de l’herbier de CymodocCes, il y a plus d’espbces libres qu’a la Pointe-Rouge. Les dimensions des frustules sont de l’ordre de quelques microns pour des Nuvicula, mais peuvent atteindre une centaine de microns et plus, pour des Gq’rosigma et des Pleurosigma. En g&&al, il y a ici trks peu d’espitces supkieures h 100 microns, les plus courantes ktant comprises entre 15 et 70 microns. Mugil capito semble prkfkrer les Navicula de tailles trks petites (i‘o B 20 microns) comme Hiatt (1947) le note chez Mugil cephalus. 1% ces rksultats assez dktaillks, concernant les diatomkes contenues dans les estomacs de juvkniles de muges, il ressort que ces derniers ingkrent les proies les plus communes de l’aire oti ils se trouvent; ceci a d’ailleurs dkji ktk signal6 par Thomson (1954) au sujet des individus sexuellement mtirs de Mugil cephalus. Des Ctudes prkises, des peuplements en place, pourraient le confimler. Cc) Partie mirkrale et de’tritus. En accord avec les observations d’ Odum (1968), faites sur Mugil cephalus, les particules retrouvkes dans les estomats sont plus fines que celles du skdiment en place; i la Pointe-Rouge par exemple, la taille moyenne des grains de sable est de 10 g 125 microns, alors que les diatomttes n’ont que de quelques microns ti 80 microns, en moyenne. Au Brusc, les contenus stomacaux sont difficiles ti examiner, car ils sont opacifies par la fraction fine du skdiment, trks importante j cet endroit. On note i cette station, la prksence d’un grand nombre de grains de pollen de conif&es (80 microns de diamktre). Les estomacs analysks renferment une grande quantite de mat&e organique en dkomposition ainsi que des dkbris, vkgktaux ou inorganiques. Ces d6tritus sont trks riches en micro-kcosystkmes (Wood, 1953) form& de bactkries et de protozoaires, qui peuvent ktre sources de proteines pour les muges.

CONCLUSIONS Cette Ctude qualitative et quantitative des contenus stomacaux de jeunes muges, de 15 h 65 mm de L.S., a permis de mettre en 6vidence le rale fondamental des crusta& benthiques, dans leur alimentation

264 naturelle. 11 existe cependant, des differences importantes en ce qui concerne le mode d’alimentation du “fry” ou des “fingerlings”. Les premiers sont des microphages carnivores, leur principal apport alimentaire etant constitue par des crustaces benthiques cf= 0.7 1) parmi ceux-ci, les copepodes harpacticoides en representent la plus grande partie (85%) viennent ensuite les nematodes, les polychetes, les larves de pelecypodes et les . . . insectes. Les seconds, sont des microphages herbivores, leur nourriture Ctant essentiellement composee d’algues et de diatomees cf= 0,70); ces dernibres appartenant toutes au groupe des Pen&es, avec une majorite de Naviculaceae (40%) et de Nitzchiaceae (23%). 11 se produit done un changement de regime alimentaire, lorsque les diatomees deviennent la source primaire de nutrition, ce qui correspond a un “telescoping” de la chaine alimentaire (Odum, 1970). Ce changement de regime, intervient des les premiers mois de la‘vie des muges, comme chez le Boops boops (Vu-TanTu2, 1964). Cette etude a rCvClC des variations saisonnieres, en ce qui concerne la quantite de nourriture ingeree; a un coefficient de vacuite minimal (8,33%) correspond une alimentation estivale intense et a un coefficient maximal (44,16%) se rapporte une phase de sous-alimentation hivernale. Ces variations saisonnieres sont certainement likes a la temperature et a la quantite de nourriture disponible, I’action de ces deux facteurs restant h etudier.’ 11 existe des differences entre le “fry” et les “fingerling”, l’indice de repletion Ctant respectivement de 2,32 et 1,22%. Du point de vue de la repetition des repas, les t&s jeunes individus semblent s’alimenter plus frequemment que les stades plus avands, ce qu’il serait interessant de verifier. L’examen comparitif des contenus stomacaux des trois especes a, par ailleurs, fourni des informations sur leur Cthologie alimentaire et particulierement sur la frequence et I’importance de certaines proies, soit d’origine animale, soit d’origine vegetale, suivant les especes. Ainsi, les crustaces benthiques, autres que les copepodes harpacticoides, sont jusqu’a 2 et 3 fois plus frequents chez Mugil auratus et chez Mugil capito que chez Mugil saliens. Les insectes, proies “accidentelles” pour Mugil auratus et Mugil capita, sont des proies “secondaires” pour Mugil saliens. Dans un prochain travail, les modifications de l’ethologie alimentaire des jeunes muges, en rapport avec la croissance, seront observees, et les classes de taille correspondant au changement de regime seront determinCes avec precision.

265 REMERCIEMENTS Je tiens a exprimer ma profonde reconnaissance a Messieurs A. Aboussouan, C. Leray, P. Luquet et J. Picard pour les critiques et les suggestions qu’ils m’ont faites au tours de cette etude. Je remercie vivement Madame M.R. Plante pour sa collaboration amitale, en ce qui concerne la determination, le comptage et l’etude des fluctuations saisonnieres, des diatomees benthiques. Je remercie egalement, les specialistes qui ont aimablement determine certains groupes systematiques: Bigot (insectes); P. Bodin (copepodes harpacticoi’des); D. De Gaillande (crustaces benthiques) et E. Zibrowius (polychetes). BIBLIOGRAPHIE Deveze,

L. (1959)

Cycle biologique

des eaux et ecologic

des populations

planctoniques.

Rec. Trau.

Sta. Mar. Endoume, 25 (15) l-22. Egusa, S. (1950) Some Notes on the Feeding Habits of the Young Mugil cephalus Linnd. Bull. Jap. Sot. Sci. Fish., 15(11) 715-720. Ezzat, A. (1965) Contribution i l’etude de la biologie de quelques Mugilidae de la region de 1’Etang de Berre et de Port-de-Bout. These d’Etat, Universitd d’Aix-Marseille. Ghazzawi, F.M. (1933) The pharynx and intestinal tract of the Egyptian mullet Mugil cephalus and Mugil capita. Part 1. On the food of mullet from Egyptian waters. Notes Mem. Fish. Res. Direct. 5, 1-18. Hiatt, R.W. (1947) Food chains and the food cycle in Hawaiian fish ponds. Part 1. The food and feeding habits of mullet (Mugil cephalus), milkfish (Chanos chanos) and the ten-pounder (Elops machnata). Rex Paper, 2, 250-261. Hickling, C.F. (1970) A contribution to the natural history of the English grey Mullets (Pisces, Mugilidae). J. Mar. Biol. Ass. U.K., 50, 609-633. Hureau, J.C. (1970) Biologie comparee de quelques poissons antarctiques (Nototheniidae). Bull. Inst. Oceanogr. Monaco, 68 (1393) 244 pp. Jacot, A.P. (1920) Age, growth and scale characters of mullets, Mugil cephalus and Mugil curema. TransAmer. Microsc. Sot., 39 (3) 199-229. Luther, G. (1962) The food habits of Liza macrolepis and Mugil cephalus. Indian J. Fish, 9/Z, 604-626. Masse, H. (1971) Etude quantitative de la macrofaune des peuplements des sables fins infralittoraux. II La baie du Prado (Golfe de Marseille) Tethys, 3(l) 113-158. Matheron, R. (1962) Contribution i l’etude physico-chimique des sediments de la region du Brusc (Var). Rec. Trav. St. Mar. Endoume, 27 (42) 3-57. Odum, W.E. (1968) The ecological significance of fine particle selection by the striped mullet Mugilcephalus. LimnoL Oceanogr., 13(l) 92-98. Odum, W.E. (1970) Utilization of the direct grazing and plant detritus food chains by the striped mullet Mugil cephalus, in J.H. Steele, (Ed.) Marine Food Chains. Edinburgh. Perlmutter, A. L. Bograd and J. Pruginin (1957) Use of the estuarine and sea fish of the family of Mugilidae (Grey mullets) for pond culture in Israel. Proc. Techn. Papers. Gen. Fish. Count. Medit. No 4, 289-302. Picard, J. (1965) Recherches qualitatives sur les biocoenoses marines des substrats meubles dragables de la region marseillaise. Rec. Trav. St. Mar. Endoume, 52 (36) 244 pp. Pillay, T.V.R. (1953) On the food and feeding adaptations of the Grey mullet Mugil tade Forsk. Sci. and Cult., 16(6) 261-262.

266 Plante-Cuny, M.R. (1969) Recherches SUI la distribution qualitative et quantitative des diatomees benthiques de certains fonds meubles du Golfe de Marseille. Rec. Trav. St. Mar. Endoume., 61 (45),87-197.

Sorbe, J.C. (1972) Ecologic et kthologie alimentaire de I’ichtyofaune chalutable du plateau continental Sud - Gascogne. ThPse de 3&ne cycle. Universite d’Aix-Marseille. Suzuki, K. (1965) Biology of striped mullet, Mugil cephalus Linne. I Food contents of youngs. Report Fat. Fish. Univ. Mie, 5(2) 295-305.

Suyehiro, Y. (1942) A study on the digestive system and feeding habits of fish. Jap.J.Zool., 10(l) l-103. Thomson, J.M. (1954) The organs of feeding and food of some Australian mullet. Amt. J. Mar. Freshw. Rex, 5. 469-485.

Thomson, J.M. (1966) The grey mullets. Oceanog. Mar. Biol. Ann. Rev., 4, 301-335. Vallet, F., J. Berhaut, C. Leray, P. Bonnet and P. Pit (1969) Preliminary experiments on the artificial feeding of Mugilidae. Helgoliinder Wiss. Meeresunters. 20, 610-619. Vu-Tan-Tud (1964) Evolution de la denture et du regime alimentaire de Boops boops (L.) au cours de la croissance. Vie et milieu, No. 17, 505-515. Wood, E.J.F. (1953) Heterotrophic bacteria in marine environments of Eastern Australia.Aust. J. Mar. Freshw. Res., 4, 160-200.

Yashouv, A. and A. Ben-Shachar. (1967) Breeding and growth of Mugilidae. II. Feeding experiments under laboratory conditions with Mugil cephalus L. and Mugil capito C. Bamidgeh, 19 (2/3) 50-66.

Yasuda, F. (1960) The types of food habits of fishes assured by stomach contents examination. Bull. Jap. Sot. Sci. Fish., 26(7) 653-662.