Cancers de la langue

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EMC-Oto-rhino-laryngologie 1 (2004) 35–55 www.elsevier.com/locate/emcorl Cancers de la langue J.-M. Prades (Professeur à la faculté) a,*, T. Schmitt...

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EMC-Oto-rhino-laryngologie 1 (2004) 35–55

www.elsevier.com/locate/emcorl

Cancers de la langue J.-M. Prades (Professeur à la faculté) a,*, T. Schmitt (Professeur à la faculté) b, A. Timoshenko (Praticien attaché des Hôpitaux) c a

Faculté de médecine J. Lisfranc, service ORL, Centre hospitalier universitaire Bellevue, 15, boulevard Pasteur, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France b Faculté de médecine J. Lisfranc, service radiothérapie, Centre hospitalier universitaire Bellevue, 15, boulevard Pasteur, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France c Service ORL, Centre hospitalier universitaire Bellevue, 15, boulevard Pasteur, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France

MOTS CLÉS Cancer de la langue ; Chirurgie de la langue ; Radiothérapie ; Curiethérapie ; Chimiothérapie

Résumé Les carcinomes épidermoïdes de la langue sont parmi les tumeurs les plus fréquentes des voies aérodigestives supérieures. Le traitement des formes débutantes T1, T2 repose sur la résection chirurgicale, associée à un curage celluloganglionnaire sélectif pour les patients N0, tout particulièrement si la tumeur est ulcéro-infiltrante. Radiothérapie et curiethérapie obtiennent habituellement un excellent contrôle locorégional pour le traitement des lésions exophytiques. En dépit des progrès chirurgicaux et de la radiothérapie, le traitement est souvent un échec pour de nombreux patients à risque (tumeurs T3-T4, extension métastatique ganglionnaire cervicale avec effraction capsulaire...) et une survie à 5 ans n’est obtenue que pour 30 à 50 % d’entre eux. Dans l’avenir, des études cliniques randomisées sont nécessaires, notamment pour les stratégies de préservation d’organe et la qualité de vie post-thérapeutique. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Tongue cancer; Surgery; Radiation; Brachytherapy; Chemotherapy

Abstract Squamous cell carcinoma of the tongue is one of the most common tumors of the upper aerodigestive tract. The treatment of early stages (T1, T2) is surgical resection with selective neck dissection for TN0 patients, especially with ulcerated tumors. Radiotherapy and interstitial brachytherapy obtain good loco-regional control for exophytic tumors. Despite improvements in surgical and radiation therapy techniques, treatment is still unsuccessful in many high-risk patients (T3, T4, extra capsular spread of nodal metastases...) and the 5-year survival rate for these patients is remaining at 30-50 %. Further studies using randomized clinical trials are needed. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Anatomie clinique de la langue Définition La langue est un organe musculomuqueux qui occupe la plus grande partie de la cavité orale. Elle * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-M. Prades). © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/S1762-5688(03)00005-8

est implantée sur un squelette ostéofibreux et soutenue par une sangle musculaire, le plancher oral. Par ses nombreux muscles, elle possède une grande mobilité, participant à la mastication, la déglutition, la succion, l’articulation des sons. Sa muqueuse est le siège d’organes sensoriels à l’origine de la perception gustative et d’un réflexe sécrétoire salivaire des glandes annexées à la cavité orale15.

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Configuration extérieure La langue comprend deux parties : la langue mobile orale, et la base de la langue, oropharyngée. La base ou racine de la langue, fixe, correspond au tiers postérieur de l’organe, siège de nombreux follicules lymphoïdes constituant la tonsille linguale. Elle est orientée presque verticalement, ce qui rend son exploration visuelle difficile et sa palpation primordiale. Elle appartient à l’oropharynx antérieur et ses lésions, notamment cancéreuses, envahissent rapidement les autres éléments du carrefour aérodigestif. Le corps de la langue, mobile, représente les deux tiers antérieurs et se termine par la pointe linguale. Ces deux parties sont séparées par le V lingual ouvert en avant, marquées par le sillon terminal en arrière, les papilles gustatives caliciformes ou circumvallées en avant. L’apex du V lingual répond au foramen caecum, vestige du canal thyréoglosse, à l’origine de kyste ou fistule. Cette dualité linguale est expliquée par l’embryologie : l’éminence hypobranchiale ou « copula » est à l’origine de la base de la langue, le tuberculum impar et les renflements linguaux latéraux sont à l’origine de la langue mobile, primitivement sur le plancher de l’intestin pharyngien (embryon de 4 mm à la 5e semaine). La langue présente ainsi une face dorsale avec les papilles gustatives basilinguales en arrière du V lingual pour la perception amère, les papilles gustatives médianes en avant du V pour la perception sucrée. Le frein de la langue est situé à la face ventrale ou inférieure avec les caroncules sublinguales de part et d’autre où s’abouchent les orifices des glandes submandibulaire et sublinguale. Le bord latéral porte les papilles gustatives foliées analysant la perception salée. La pointe de la langue est la zone de réunion des bords latéraux, des faces dorsale et ventrale.

J.-M. Prades et al. intriqués les uns aux autres, difficiles à différencier. En effet, les fibres musculaires se croisent perpendiculairement dans les trois plans de l’espace. Ces muscles laissent sur la ligne médiane une zone clivable, l’espace centrolingual, expliquant la possibilité d’abcès lingual. La portion basilinguale, en grande partie formée par l’origine des muscles hyoglosse et génioglosse, peut être considérée comme le segment d’insertion : insertion sur les apophyses géni (épines mentonnières) en avant, insertion sur le corps et les grandes cornes de l’os hyoïde en arrière. Parmi les moyens de fixité de la langue, il faut citer également les muscles palatoglosses (piliers antérieurs du voile du palais), la partie glossopharyngienne du muscle constricteur supérieur du pharynx, et la muqueuse buccale ellemême, en continuité avec la muqueuse pharyngienne.

Muqueuse linguale Elle est formée d’un épithélium pavimenteux, stratifié, non kératinisé et d’un chorion dense. La muqueuse est épaisse et adhérente aux muscles sousjacents à la face dorsale. Elle est plus mince et non adhérente au niveau de la base, très clivable et transparente à la face inférieure, expliquant la formation des œdèmes de la base de la langue et du plancher. La muqueuse linguale forme quatre types de papilles : papilles filiformes, courtes soies kératinisées autour d’un axe conjonctif, papilles fongiformes, globuleuses disséminées parmi les papilles filiformes et présentant des bourgeons gustatifs, les papilles caliciformes entourées d’un sillon ou vallum et d’un bourrelet. Les glandes séreuses de Von Ebner s’ouvrent dans le fond du vallum, favorisant la dissolution des substances gustatives. Enfin, les papilles foliées sont inconstantes et constituent des crêtes muqueuses parallèles.

Squelette ostéofibreux de la langue

Vascularisation artérielle

Il est formé de l’os hyoïde, impair, médian à hauteur de la 4e vertèbre cervicale, de la membrane hyoglosse verticale, haute de 1 cm et du septum lingual. Celui-ci réalise une lame fibreuse falciforme et verticale tendue de la membrane hyoglosse en bas jusqu’à la pointe de la langue en haut. Le septum lingual n’est qu’une barrière relative vis-à-vis d’une progression carcinomateuse.

Très développée, elle est sous la dépendance de l’artère linguale principalement, plus accessoirement de l’artère palatine ascendante et de l’artère pharyngienne ascendante. Dans 78 % des cas, l’artère linguale est une collatérale de l’artère carotide externe située au-dessus de l’origine de l’artère thyroïdienne supérieure, au-dessous de celle de l’artère faciale. Artères linguales et faciales peuvent naître par un tronc commun dans 20 % des cas. Dans 2 % des cas, l’artère linguale naît d’un tronc commun avec l’artère thyroïdienne supérieure. C’est une artère sinueuse à la face latérale de la langue en dedans du muscle hyoglosse, et adaptée aux mouvements linguaux. Elle se termine

Muscles de la langue Dix-sept muscles constituent la langue : huit pairs et symétriques, un seul impair, le muscle longitudinal supérieur. Tous ces muscles sont fortement

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37 du sillon amygdaloglosse sont anastomosées entre elles mais aussi avec les veines laryngées, les veines de la tonsille palatine, les veines pharyngées, les plexus ptérygoïdiens. La réalisation d’un lambeau lingual de reconstruction doit préserver non seulement un pédicule artériel mais aussi un drainage veineux efficace.

Vji

IIa XII

Ib

III

Drainage lymphatique Ia

AL 1

2

IV Figure 1 Drainage lymphatique de la langue. 1. Triangle de Béclard : os hyoïde, muscle digastrique, muscle hyoglosse ; 2. triangle de Pirogoff : tendon du muscle digastrique, nerf hypoglosse (XII), muscle mylohyoïdien ; AL : artère linguale ; VJI : veine jugulaire interne.

au bord antérieur du muscle hyoglosse par l’artère profonde de la langue ou ranine et l’artère sublinguale. Les deux artères linguales proprement dites ne sont pas anastomosées sur la ligne médiale, contrairement aux artères ranines sur la ligne médiane. Il existe deux triangles classiques de ligature de l’artère linguale, utiles lors de la chirurgie des tumeurs : le triangle de Béclard entre la grande corne de l’os hyoïde, le ventre postérieur du muscle digastrique et le bord postérieur du muscle hyoglosse, mais aussi le triangle de Pirogoff, plus en avant, entre le tendon intermédiaire du muscle digastrique, le bord postérieur du muscle mylohyoïdien et le nerf hypoglosse (Fig. 1).

Vascularisation veineuse La langue est drainée par deux réseaux veineux superficiels et profonds, mais la seule veine profonde est celle qui accompagne l’artère linguale. Cinq courants veineux différents peuvent être décrits, par ordre d’importance décroissante, basée sur le diamètre des veines et leur territoire : les veines satellites du nerf hypoglosse (en général deux veines), la veine valléculaire épiglottique, la veine satellite du nerf lingual, la veine du sillon amygdaloglosse, enfin la veine satellite de l’artère linguale. De nombreuses valvules sont présentes sur l’ensemble de ces veines. Ces courants veineux se drainent en règle dans un tronc commun, le tronc veineux linguofacial de Farabeuf, qui rejoint la veine jugulaire interne. Les veines satellites du nerf hypoglosse sont largement anastomosées avec la veine jugulaire antérieure, la veine submandibulaire, la veine faciale ; la veine satellite du nerf lingual communique avec les veines submandibulaires et faciales ; les veines valléculaires et les veines

Les lymphatiques de la pointe de la langue se drainent vers les nœuds lymphatiques submentaux et submandibulaires bilatéraux ; ceux du corps de la langue vers les nœuds submandibulaires ; les lymphatiques de la base de la langue se drainent vers les nœuds lymphatiques submandibulaires et jugulocarotidiens. Les zones médiolinguales ont un drainage bilatéral (Fig. 1).

Innervation L’innervation motrice est assurée par le nerf hypoglosse (XII), à l’exception du muscle styloglosse et du muscle palatoglosse, innervés par le nerf facial (VII) et le nerf glossopharyngien (IX). L’innervation sensitive des deux tiers antérieurs de la langue dépend du nerf lingual (V3). Le nerf glossopharyngien (IX) assure l’innervation de la base de la langue, et le nerf vague (X) celle du repli glossoépiglottique. La stimulation par contact déclenche un réflexe de contraction de l’ensemble de la musculature linguale (XII), des muscles masticateurs (branche motrice du V) et du pharynx (IX, X), provoquant une déglutition. L’innervation sensorielle gustative des deux tiers antérieurs de la langue est sous la dépendance du nerf gustatif supérieur, dont les fibres empruntent le nerf lingual, la corde du tympan, le nerf facial et rejoignent le ganglion géniculé et le nerf intermédiaire de Wrisberg (VIIbis), connecté au noyau gustatif supérieur du plancher du 4e ventricule. La gustation basilinguale dépend du nerf gustatif inférieur, dont les fibres empruntent le nerf glossopharyngien connecté au noyau gustatif inférieur. La morbidité associée à une exérèse de la totalité de la base de la langue a conduit à des tentatives de réinnervation de la langue résiduelle, par transfert du nerf hypoglosse moteur, proximal, sur le nerf lingual sensitif, distal. Les exérèses basilinguales doivent, si possible, préserver le pédicule neuroartériel hypoglossolingual situé à 1 cm au-dessus du plan de l’os hyoïde et à 2 cm de la face médiale de la mandibule à hauteur du trigone rétromolaire15.

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Données épidémiologiques et carcinogenèse Par leur fréquence, les carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou sont au sixième rang des cancers des populations occidentales. En France en 1995, chez l’homme, les carcinomes de la cavité buccale et de la langue se plaçaient aux quatrième et cinquième places des cancers des voies aérodigestives supérieures, après les carcinomes du larynx, de l’hypopharynx et de l’oropharynx59. Les carcinomes épidermoïdes représentent plus de 90 % des cancers de la langue, touchant dans les deux tiers des cas la langue mobile et dans un tiers des cas la base de la langue. L’incidence annuelle en France est estimée à 1 800 nouveaux cas masculins et 200 féminins, avec un âge moyen de 55 ans pour les hommes, 60 ans pour les femmes. Les carcinomes de la langue mobile représentent 30 % des carcinomes de la cavité buccale, et ceux de la base de la langue 20 % des carcinomes de l’oropharynx. Les deux facteurs favorisants les mieux connus sont le tabac et l’alcool, agissant en synergie, à l’origine d’une augmentation du risque sur un mode multiplicatif. Cette augmentation du risque relatif chez l’homme consommant plus de 30 cigarettes par jour et plus de 2 l de vin peut atteindre 100 et plus6. À noter qu’en 2001, la consommation totale de tabac en France a été de 92,65 milliers de tonnes contre 103,8 en 1991, à l’origine de 60 000 décès dans l’année. La tranche d’âge des 19-25 ans arrive en tête avec 40,4 % de fumeurs réguliers, devant les 15-19 ans avec 33,2 % et les 26-75 ans avec 27,7 %. Ainsi, plus de 70 % des fumeurs réguliers en France ont moins de 25 ans ! Alors que l’incidence des carcinomes de la tête et du cou paraît stable, plusieurs études épidémiologiques récentes soulignent l’augmentation de mortalité par cancer de la langue, notamment chez les sujets jeunes : aux États-Unis, entre 1960 et 1985, les hommes de 30 à 39 ans du Connecticut ont présenté quatre fois plus de cancer de la cavité orale que pendant la période équivalente précédente12. Au Texas, le pourcentage de patients jeunes atteints d’un cancer de la totalité de la langue est passé de 4 % en 1971 à 18 % en 199365. À partir de la banque de données du National Cancer Institute Surveillance aux États-Unis, les cancers de la langue des adultes des deux sexes de moins de 40 ans ont augmenté de 60 % entre les périodes 1973-1984 et 1985-199788, alors que les méthodes diagnostiques n’ont pas radicalement changé et que la consommation de tabac et d’alcool tend à diminuer depuis le milieu des années 1960 parmi les jeunes américains. En Europe, les certificats de

J.-M. Prades et al. décès d’hommes de moins de 44 ans enregistrés de 1955 à 1989 montrent une incidence multipliée par deux des cancers de la cavité buccale, surtout en Autriche, Allemagne, Hongrie, Pologne et Bulgarie24. En France, durant la période 1993-1997, les chiffres d’incidence des carcinomes de la cavité buccale et du pharynx, sont situés entre 30 et 50 pour 100 000 chez l’homme, et apparaissent comme les taux mondiaux les plus élevés59. Ainsi, cette population jeune paraît soumise à l’émergence d’autres agents carcinogènes que l’association traditionnelle tabac-alcool pourtant toujours présente : • en dehors de contextes culturels particuliers en Inde ou en Amérique Latine, l’utilisation plus fréquente depuis les 30 dernières années dans les pays occidentaux de tabac à priser ou à chiquer, paraît être à l’origine de cancers de la cavité buccale et de leucoplasie précancéreuse de contact28 ; • la consommation de marijuana peut aussi être en cause : plus de 30 % des citoyens américains de plus de 12 ans ont utilisé au moins une fois cette drogue. L’effet carcinogène de la marijuana a été montré par plusieurs études cliniques et expérimentales22. La relation dosedépendante entre la consommation de marijuana et le risque de cancer de la tête et du cou a été soulignée104 ; • l’infection par le virus de la papillomatose humaine (human papilloma virus : HPV) est également suspectée. Le risque de carcinome épidermoïde de la tête et du cou chez les sujets séropositifs pour HPV16 après ajustement des taux de nicotonine est multiplié par deux63. La présence d’HPV dans les tissus néoplasiques de la cavité orale varie de 14 % à 91 %60. Étudiés par polymerase chain reaction (PCR), 50 % des carcinomes oropharyngés et 14 % des carcinomes de la langue contiennent de l’acide désoxyribonucléique (ADN) de HPV1663. L’expression d’HPV dans un carcinome buccal est cinq fois plus élevée que dans la muqueuse orale saine de voisinage4,60. Deux sous-types d’HPV, 16 et 18, semblent carcinogènes, et associés à une mutation de p5393. Néanmoins, une méta-analyse récente ne trouve pas de différence pronostique entre les sujets de moins de 40 ans porteurs d’un carcinome de langue et une population plus âgée : 53 % de survie sans maladie à 3 ans contre 55 %77.

Biologie tumorale et carcinogenèse Il est habituellement admis qu’une tumeur maligne survient à partir d’altérations génétiques cumulées

Cancers de la langue (inactivations de gènes suppresseurs de tumeur, activation de proto-oncogènes, ...)102. Le gène p53 est un gène suppresseur de tumeur. Il est impliqué dans plusieurs voies de régulation cellulaire : contrôle du cycle de la cellule, réparation de l’ADN, apoptose. Le gène p53 est situé sur le chromosome 17p, et code une protéine instable de 53 kDa à faible concentration dans les cellules normales. Cette protéine interviendrait dans la phase d’arrêt cellulaire G1 quand l’ADN est endommagé par un carcinogène39. La mutation du gène p53 est à l’origine d’une accumulation d’une protéine p53 anormale et stable. Elle est alors détectée dans plus de 50 % des carcinomes épidermoïdes de la cavité buccale69. Epidermal growth factor (EGF), par la voie de la tyrosine kinase, peut intervenir sur la division cellulaire, la migration, l’adhésion, la différenciation et l’apoptose. Une surexpression du récepteur à EGF paraît corrélée à la sévérité de la dysplasie dans les lésions précancéreuses29. Certaines modifications génétiques sont précocement observées dans les états précancéreux de la cavité buccale : 30 % des lésions hyperplasiques présentent des pertes chromosomiques en 9p21 et 3p14. Celles-ci apparaissent plus fréquentes chez les patients développant une cancérisation. Ces pertes chromosomiques précoces peuvent précéder les mutations p5350. Les nouvelles stratégies thérapeutiques « géniques » en cours de développement sont nombreuses : elles impliquent notamment EGF et le gène p5378,102.

Données cliniques Sémiologie clinique Les symptômes de début d’un cancer de la langue peuvent être insignifiants, alors que la région en cause est parfois parfaitement accessible, notamment la langue mobile. Aussi, le délai de diagnostic est en moyenne de 5 mois, expliquant que la moitié des malades présentent une tumeur déjà évoluée. Simple gêne ou douleur lancinante, paresthésie ou otalgie unilatérale, les fonctions linguales peuvent être perturbées dans les processus de mastication, déglutition ou élocution. L’ingestion de boissons alcoolisées, d’épices, déclenche la douleur. Une lésion préexistante (leucoplasie, érythroplasie) peut devenir douloureuse et/ou hémorragique. Enfin, une adénopathie dure, douloureuse, peut révéler la tumeur linguale. Elle siège en règle dans la région sous-mandibulaire ou sous-digastrique. L’examen clinique endobuccal avec deux abaisse-langue voit la lésion. Celle-ci est palpée

39 doucement avec l’index protégé. L’étude de l’ensemble du carrefour aérodigestif sous contrôle de la lumière froide est impérative (nasofibroscopie), de même la recherche systématique d’adénopathies cervicales satellites, bilatérales. Lors d’une atteinte de la langue mobile, une lésion ulcérovégétante est notée plus souvent qu’une forme exophytique ou ulcérée pure. La tumeur siège sur le bord de la langue, plus ou moins étendue sur la face dorsale ou ventrale. Elle peut être dorsale ou ventrale stricte, plus ou moins antérieure dans la cavité buccale, et l’exposition par les deux abaisse-langues est utile. Les bords ou le fond de l’ulcération sont durs à la palpation, traduisant l’infiltration. Ce geste déclenche la douleur, parfois un petit saignement, mais permet l’appréciation de la ligne médiane et du plancher buccal. Le carcinome de la zone de « jonction linguale » correspond à une forme développée autour de la base d’implantation linguale du pilier antérieur de la loge amygdalienne. L’extension d’une telle lésion se fait vers la langue mobile, la base de la langue, le pilier, le sillon amygdaloglosse. Cette atteinte particulière est à considérer comme une forme oropharyngée latérale. En cas d’atteinte de la base de la langue, les formes ulcérovégétantes ou ulcéro-infiltrantes sont également les plus fréquentes. Elles peuvent s’étendre en arrière vers la vallécule et l’épiglotte, latéralement vers le sillon amygdaloglosse et l’amygdale palatine, en avant dans la zone de jonction linguale et la langue mobile. Médialement, la totalité de la base de la langue sous-muqueuse peut être envahie. La palpation de l’ensemble de la base de la langue apprécie l’infiltration profonde et le franchissement de la ligne médiane. Des adénopathies cervicales sont notées dans près de 75 % des cas, volontiers bilatérales, traduisant la grande lymphophilie des tumeurs linguales. Lors d’une tumeur de la langue mobile, 30 à 70 % des adénopathies non palpées cliniquement (N0) sont en fait métastatiques (N+)8,46. La palpation cervicale reste la méthode la plus courante pour la classification carcinologique du cou (N). Elle n’a aucune valeur pour la détection de microadénopathies métastatiques que l’imagerie n’identifie pas de façon certaine non plus97. À ce stade, le diagnostic différentiel doit être succinct : • l’ulcération traumatique d’origine dentaire ou prothétique n’est pas indurée et disparaît dès que la cause est corrigée ; • la tuberculose ou la syphilis linguale sont rares. Elles nécessitent une confirmation anatomopathologique et bactériologique formelle ;

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J.-M. Prades et al. • les tumeurs bénignes sont également possibles, à type de papillome, fibrome, neurinome, myoblastome granuleux d’Abrikossof ; • l’inflammation d’une papille linguale latérale est également possible.

Bilan d’extension Le bilan d’extension locorégionale et à distance permet une classification clinique TNM de la lésion tumorale, corollaire d’une indication thérapeutique et d’un pronostic. L’endoscopie, l’imagerie, un bilan général préthérapeutique appréciant la comorbidité en représentent la base 78. Étude endoscopique La muqueuse des voies aérodigestives supérieures, de la trachée et des bronches, de l’œsophage doit être considérée comme un « champ de cancérisation » potentiel, soumis aux mêmes agents carcinogènes traditionnels que sont le tabac et l’alcool30,44. La panendoscopie sous anesthésie générale explore, dans le même temps opératoire, ces différents territoires. Elle affirme l’unicité tumorale, l’importance des lésions précancéreuses ; elle permet les prélèvements histopathologiques, et la mise en état dentaire après avis spécialisé. Une seconde localisation tumorale simultanée (ou synchrone) est découverte chez 9 % des patients porteurs d’un carcinome des voies aérodigestives supérieures : dans 3 % des cas, elle est bronchopulmonaire, dans 2 % œsophagienne, dans 4 % sur le carrefour aérodigestif. Dans 60 %, la panendoscopie seule est à l’origine du diagnostic44. La détection de lésions précancéreuses ou cancéreuses de la cavité buccale peut utiliser une coloration in vivo de solution aqueuse à 1 % de bleu de toluidine, guidant biopsies ou frottis cytologiques. Méthode simple et peu coûteuse, l’application de bleu de toluidine est à l’origine de fauxnégatifs fréquents : 42 % vis-à-vis des carcinomes in situ, 58 % vis-à-vis des dysplasies52. Un carcinome buccal est objectivé par l’histopathologie dans un tiers des lésions colorées par le bleu de toluidine, mais 76 % de ces lésions colorées présentent une anomalie clonale de perte d’hétérozygotie30. Imagerie L’évaluation locorégionale par imagerie d’une tumeur des voies aérodigestives supérieures, notamment de la cavité orale, fait essentiellement appel à la tomodensitométrie (TDM), à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), à l’échographie, plus récemment à la tomographie par émission de positons (TEP). Ces techniques permettent l’étude de l’anatomie normale, de l’infiltration tumorale mais aussi des adénopathies cervicales48,94,97.

Imagerie de la tumeur L’IRM peut être proposée en première intention devant un carcinome lingual, surtout si une extension au plancher buccal ou vers la ligne médiane est suspectée par la palpation. Les séquences pondérées en T1 et T2 avec gadolinium permettent une bonne analyse de la topographie tumorale. Elles donnent des arguments pour la distinction entre évolution tumorale et fibrose post-radique : une image hypodense en T2 est en faveur d’une fibrose, une image hyperdense en T2 et après gadolinium est en faveur d’une tumeur résiduelle postradique61. Les séquences pondérées en T1 sans gadolinium étudient l’extension osseuse médullaire, qui apparaît hypodense au sein de l’hyperdensité de la graisse médullaire94. L’IRM en revanche n’est pas contributive lorsque la lésion est superficielle et/ou serpigineuse16. La TDM est plutôt réalisée si une extension osseuse, notamment corticale, est suspectée face une volumineuse tumeur. Si le patient est âgé ou en mauvais état général, ne pouvant supporter la longueur de l’examen IRM, la TDM est alors préférentiellement proposée48. Enfin, devant une tumeur avancée, atteignant la langue et le plancher buccal, IRM et TDM offrent une complémentarité d’information, importante également pour la recherche d’une récidive tumorale94. Les images TDM peuvent être améliorées de façon simple grâce à une distension de la cavité buccale, par de l’air ou de l’eau, évitant ainsi la superposition des structures anatomiques21. La TEP est une technique scintigraphique capable de produire des images quantitatives métaboliques, locales et du corps entier. Le 18F-fluorodéoxyglucose analyse l’augmentation de la glycolyse au sein d’une lésion néoplasique, quelle que soit son histologie23. Les foyers inflammatoires représentent la limite essentielle de la technique. Actuellement, l’application la plus importante est la recherche d’une maladie résiduelle ou d’une récidive : un délai de 4 mois après la fin de la radiothérapie est conseillé pour minimiser l’inflammation post-radique. La radionécrose est aussi à l’origine de faux positifs23. L’étude de la réponse à la chimiothérapie est intéressante, mais se heurte aux mêmes limites de seuil de détectabilité que les techniques radiologiques conventionnelles23,72. L’échographie est un examen simple et rapide. Elle donne des informations sur la présence, la taille, les rapports avec la ligne médiane et le plancher de la bouche d’une tumeur linguale. Elle semble néanmoins peu contributive pour l’analyse des relations tumeur-mandibule16. L’échographie préopératoire peut mesurer précisément (< 1 mm) la profondeur d’infiltration tumorale : celle-ci ap-

Cancers de la langue Tableau 1

Classification TNM34 (UICC, 1997).

Tumeur

Adénopathie

Métastases

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Tx : la tumeur primitive n’est pas évaluable T0 : pas de tumeur primitive décelable Tis : carcinome in situ T1 : tumeur ≤ 2 cm dans sa plus grande dimension T2 : tumeur comprise en 2 et 4 cm T3 : tumeur > 4 cm dans sa plus grande dimension T4 : tumeur avec extension aux structures adjacentes (os, peau, muscle...) Nx : adénopathies (ADP) régionales non évaluables N0 : pas d’ADP régionale métastatique N1 : ADP métastatique unique, unilatérale ≤ 3 cm N2a : ADP métastatique unique, unilatérale entre 3 et 6 cm N2b : ADP métastatiques multiples, homolatérales ≤ 6 cm N2c : ADP métastatiques multiples, contro- ou bilatérales ≤ 6 cm N3 : ADP métastatique > 6 cm dans sa plus grande dimension M0/M1 absence ou présence de métastases à distance

paraît comme un facteur pronostique vis-à-vis de l’extension ganglionnaire cervicale, et pourrait intervenir dans l’indication d’un curage ganglionnaire de principe70. L’échographie endobuccale peropératoire peut guider l’exérèse chirurgicale d’une tumeur infiltrative de la langue32. Imagerie des adénopathies L’imagerie donne des arguments de taille, de forme, de topographie et d’irrégularité de prise de contraste des adénopathies métastatiques, mais apprécie avec de grandes difficultés les microadénopathies métastatiques infracentimétriques : de 20 à 25 % de ces adénopathies ne sont pas détectées quelle que soit la méthode d’imagerie97,100. L’atteinte ganglionnaire métastatique peut être objectivée par TEP, mais les micrométastases chez les patients N0 dépendent pour leur détection de la résolution scintigraphique (4 à 5 mm). La technique du ganglion sentinelle avec curage sélectif apparaît plus performante dans ces cas96. Une comparaison prospective entre TDM, IRM, TEP et échographie pour l’exploration des aires ganglionnaires cervicales de patients opérés d’un carcinome de la cavité buccale montre la plus forte sensibilité pour l’échographie, et la meilleure spécificité pour la TEP : la TEP a une sensibilité de 70 %, une spécificité de 82 % et une pertinence de 75 % ; l’échographie respectivement de 84 %, 68 % et 76 % ; la TDM 66 %, 74 %, 70 % ; l’IRM 64 %, 69 %, et 66 %. TDM et IRM n’offrent pas de différence significative97. Le système de classification d’un carcinome, notamment lingual, a trois buts essentiels : établir un pronostic, aider la décision thérapeutique, évaluer l’efficacité du traitement. Les taux de survie des patients classés dans les quatre stades de la classification traditionnelle TNM peuvent considérablement varier, surtout en raison de l’imprécision anatomique de l’extension tumorale (Tableau 1).

D’autre part, le système TNM ne tient pas compte du contexte clinique : la sévérité de la symptomatologie tumorale et la comorbidité du patient devraient être pris en compte, car un impact significatif sur la survie a été noté. La survie à 5 ans d’un cancer de la cavité buccale suivant la classification TNM est de 64,6 % (stade I), 67,5 % (stade II), 28,9 % (stade III) et 13,1 % (stade IV). Si les patients sont classés suivant un système d’analyse composite de gravité clinique incluant la comorbidité, la survie à 5 ans des mêmes patients est de 74,0 % (stade 1), 47,1 % (stade 2), 28,6 % (stade 3) et de 8,4 % (stade 4)33,79,80.

Données anatomopathologiques Elles appartiennent au bilan d’extension, en particulier à l’endoscopie, mais aussi représentent des informations postopératoires primordiales, guidant la thérapeutique complémentaire.

Lésions précancéreuses Les lésions précancéreuses sont définies comme des altérations tissulaires au sein desquelles un cancer apparaît plus souvent que dans le tissu homologue. Au niveau de la langue, deux lésions sont en cause : leucoplasie et érythroplasie14,78. Leucoplasies Les leucoplasies, plaques blanchâtres plus ou moins bien limitées, sont les plus fréquentes, localisées dans la cavité buccale, surtout sur la joue (37 %) et la langue (23 %). L’histopathologie distingue les kératoses simples, bénignes, des kératoses dysplasiques à potentiel malin. Parmi ces dernières, les dysplasies « modérées » se caractérisent par une hyperacanthose et une augmentation des mitoses

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basales et suprabasales. Les dysplasies « sévères » sont proches du carcinome intraépithélial, avec une forte hyperacanthose des crêtes épithéliales, une perte de polarité des cellules et de leur cohésion, enfin surtout la présence de cellules anormales et de nombreuses mitoses jusqu’à la superficie de l’épithélium. Dysplasies et carcinomes peuvent survenir sur des lichens atrophiques et érosifs, mais aussi sur des candidoses chroniques où l’inflammation muqueuse est intense. Ces lésions linguales à haut risque de cancérisation ont des incidences différentes : 40 % de leucoplasies, 35 % de lichens, 25 % de candidoses chroniques. L’association de dysplasie et de cancer apparaît plus forte dans le lichen (23 %) que dans les candidoses chroniques (16,6 %) et les leucoplasies proprement dites (15 %)14. Érythroplasie L’érythroplasie est une zone rouge, déprimée, érosive ou ulcérée sur le plancher buccal, la gencive, plus rarement la langue. L’érythroplasie est beaucoup moins fréquente que la leucoplasie. Elle se caractérise par une atrophie de l’épithélium et une expansion du chorion hypervasculaire jusqu’à la surface, avec des cellules dysplasiques et volumineuses (maladie de Bowen). Dysplasie et cancérisation dépassent alors 90 % des cas. En fait, si la filiation dysplasie-carcinome intraépithélial est admise, la concomitance cancer-lésion précancéreuse est diversement appréciée, variant de 5 à 20 % des patients14,78.

Lésions cancéreuses Si les tumeurs bénignes linguales sont le plus souvent conjonctives, les tumeurs malignes sont en règle d’origine épithéliale. Carcinomes épidermoïdes Les carcinomes épidermoïdes représentent plus de 90 % des tumeurs malignes de la langue, avec une Tableau 2 Niveau Ia Ib IIa IIb III IVa, IVb Va, Vb

VI

nette prédominance masculine, surtout entre 60 et 70 ans. Le bord de la langue mobile est le plus souvent atteint, plus rarement la face inférieure ou la face dorsale (3 à 5 %), plus exceptionnellement la pointe de la langue. Les formes multicentriques représentent 3 % des cas14. Macroscopiquement, les lésions ulcéro-infiltrantes ou ulcérovégétantes sont les plus communes, avec une ulcération plus ou moins large, à bords surélevés et indurés. Il s’agit parfois d’une érythroplasie à contours irréguliers, ou d’une leucoplasie fissurée et indurée. Les formes végétantes, plus rares, sont faites de verrucosités grisâtres, de formations polypoïdes rougeâtres, surtout observées sur la face dorsale. Microscopiquement, une tumeur « micro-invasive » n’infiltre que les couches les plus superficielles du chorion. Le carcinome « invasif » pénètre largement le chorion et les faisceaux musculaires. Il peut être différencié et constitué de lobules à centres kératosiques (22 % des cas), indifférencié ou anaplasique sans aucune kératine mais avec des cellules arrondies dépourvues de cohésion (23 % des cas), de différenciation intermédiaire associant lobules acanthosiques et plages cellulaires peu différenciées (55 % des cas). Le carcinome verruqueux est une forme rare, très différencié, à extension souvent serpigineuse, en règle peu lymphophile. Il peut être confondu avec un papillome. De même, le carcinome à cellules fusiformes ou pseudosarcomateux est une forme très peu différenciée pouvant en imposer pour un véritable sarcome14. Les métastases ganglionnaires cervicales (N+) sont présentes chez 65 à 70 % des patients décédés d’un carcinome lingual. Elles sont classées suivant des groupes et sous-groupes de niveaux I à VI (Tableau 2) (Fig. 2). Une atteinte bilatérale n’est pas rare (Tableaux 3, 4). Chez les patients considérés cliniquement indemnes de métastases ganglionnaires cervicales (N0), 34 % présentent une ou plusieurs adénopathies envahies (N+) dont 13 % avec

Groupes et sous-groupes des adénopathies (ADP) cervicales de niveaux I à VI82,83. Foyers ganglionnaires cervicaux ADP sous-mentales ADP submandibulaires ADP jugulaires supérieures, en avant du nerf accessoire (XI) ADP jugulaires supérieures, en arrière du nerf accessoire (XI) ADP jugulaires moyennes au-dessus du muscle omohyoïdien (MOM) ADP jugulaires inférieures infra omohyoïdiennes en avant (IVa) et en arrière (IVb) du chef claviculaire du muscle sterno-cléido-mastoïdien ADP du triangle post, supérieures (au-dessus du ventre inférieur du MOM) suivant le nerf accessoire (XI) jusqu’à sa pénétration trapézienne (Va). ADP du triangle post, inférieures, en dessous du ventre inférieur du MOM, accompagnant l’artère cervicale transverse (groupe supraclaviculaire) (Vb) ADP du compartiment central : paratrachéale, périthyroïdienne, prélaryngée...

Cancers de la langue

43 présence d’adénopathie métastatique à distance dans 35 % des cas et de métastases par voie hématogène chez 58 % des sujets14,98. Les cancers associés lors de la nécropsie sont présents chez 15 % des sujets contre 7 % chez ceux de même catégorie d’âge. Ils atteignent les voies aérodigestives supérieures, les bronches, le foie, le tube digestif14.

IIb IIa

Ib Ia

III Va Vb IVb IVa

Figure 2 Sous-groupes des niveaux ganglionnaires de I à V82,83.

Tableau 3 Fréquences des adénopathies cervicales métastatiques dans les carcinomes de la langue mobile 65. Groupes glanglionnaires I II III IV V supraclaviculaire

Homolatéral (%) 37 85 15 4 1 0

Controlatéral (%) 6 9 4 1 0 0

Tableau 4 Fréquences des adénopathies cervicales métastatiques dans les carcinomes de la base de la langue65. Groupes glanglionnaires I II III IV V supraclaviculaire

Homolatéral (%) 8 88 40 9 12 4

Controlatéral (%) 1 31 7 3 2 1

plus de trois adénopathies atteintes et/ou une rupture capsulaire (R+). Chez les patients présentant cliniquement une adénopathie suspecte, l’atteinte histologique est objectivée dans 70 % des cas64,92,100. Les métastases viscérales touchent préférentiellement le poumon (39 %), le foie, le squelette mais aussi de nombreuses autres localisations (rein, surrénales, peau...). L’analyse nécropsique de patients porteurs d’un carcinome lingual montre la

Adénocarcinomes Les adénocarcinomes sont surtout représentés par les carcinomes adénoïdes kystiques ou cylindromes et les tumeurs mucoépidermoïdes. Ces deux types de tumeurs ont un pronostic péjoratif assez voisin. Autres tumeurs Les autres tumeurs sont toutes beaucoup plus rares : sarcome fibroblastique à cellules fusiformes, rhabdomyosarcome, schwannome malin, angiosarcome de Kaposi, mélanome malin, lymphome malin non hodgkinien, métastases linguales d’un carcinome bronchique, utérin, mammaire ou digestif.

Méthodes de traitement Chirurgie L’objectif d’une chirurgie curatrice est l’exérèse tumorale avec une marge de sécurité suffisante, ce qui peut être difficile en raison de l’infiltration linguale. Le contrôle celluloganglionnaire cervical est également primordial. Le status ganglionnaire est l’un des facteurs pronostiques les plus importants91,92. Voie d’abord La voie d’abord tient compte des impératifs d’exérèse carcinologique de la tumeur, des adénopathies cervicales, de la stratégie de reconstruction. La voie endobuccale peut être simple ou élargie selon diverses commissurotomies labiojugales, d’indications rares. Les voies externes sont nombreuses : voie de Latischevsky et Freund, voie de SebileauCarrega, associée à une section labiale inférieure contournant la houppe mentonnière, voie bimastoïdienne, voie de Mac Fee, ... L’habitude et l’expérience de chaque opérateur interviennent dans ce choix, mais les incisions avec trifurcation sont à éviter67,82,83. Tumeur primitive de la langue mobile Une tumeur primitive de la langue mobile peut être opérée par glossectomie partielle, emportant le quart de l’hémilangue mobile, ou par hémiglossectomie sectionnant la langue mobile sur la ligne

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médiane jusqu’au V lingual. Les tumeurs plus volumineuses nécessitent une hémi-pelvi-glossectomie sacrifiant une hémilangue mobile et une partie du plancher buccal34. Une glossectomie totale de la langue mobile appelée aussi glossectomie transversale antérieure s’étend jusqu’à l’os hyoïde en profondeur, mais préserve la base de la langue67. Ces deux derniers gestes d’exérèse peuvent comprendre une interruption osseuse mandibulaire, imposant alors une reconstruction complexe. Tumeur primitive de la base de la langue Une tumeur primitive de la base de la langue peut être traitée par buccopharyngectomie transmandibulaire conservatrice ou non vis-à-vis du ramus mandibulaire, ou par buccopharyngectomie inframandibulaire, équivalent du pull-through de la cavité orale. Ces interventions permettent l’exérèse d’une partie ou de la totalité de la base de la langue27. Une basiglossectomie subtotale peut être associée à une pharyngolaryngectomie si la tumeur envahit l’hypopharynx. Pour une tumeur médiane, une subglosso-laryngectomie emporte une partie de la base de la langue et l’étage supraglottique. Plus l’exérèse chirurgicale est mutilante pour la base de la langue, plus la reprise de la déglutition est compromise, quel que que soit le mode de reconstruction. Une laryngectomie totale ou une gastrostomie définitive peuvent en résulter26,43. Atteintes ganglionnaires Vis-à-vis des aires ganglionnaires cervicales, l’étude des atteintes ganglionnaires métastatiques (Fig. 3, 4) souligne la fréquence de l’envahissement homolatéral des groupes I et II pour les tumeurs de la langue mobile et des groupes II et III pour celles de la base de la langue64,91. L’extension controlatérale n’est pas exceptionnelle, de même que les « sauts » de relais ganglionnaires anatomiques (skip metastases). Le curage ganglionnaire cervical uniou bilatéral peut être de différents types82,83 : • le curage ganglionnaire cervical radical (radical neck dissection) inclut les groupes ganglionnaires ipsilatéraux de I à V, le nerf accessoire, la veine jugulaire interne, le muscle sternocléido-mastoïdien et s’adresse aux métastases ganglionnaires extensives ; • le curage ganglionnaire cervical fonctionnel (modified radical neck dissection) inclut les groupes ganglionnaires ipsilatéraux de I à V, mais épargne le nerf accessoire et/ou la veine jugulaire interne et/ou le muscle sternocléido-mastoïdien. Il est réalisé pour des métastases ganglionnaires probables ou macroscopiquement évidentes qui n’infiltrent pas ces structures non lymphatiques ;

Figure 3 Langue mobile : indications thérapeutiques T1T2 N0 et T1T2 N1-N3 (A) et T3T4 N0 et T3T4 N1-N3 (B). CH : chirurgie ; RT : radiothérapie externe ; CT : chimiothérapie ; Ci :curiethérapie ; CR : curage radical (CR), radical modifié (CRM), sélectif (CS), bilatéral (×2).

• le curage ganglionnaire sélectif (selective neck dissection) inclut un ou plusieurs groupes ganglionnaires à haut risque d’atteinte métastatique précoce. Sa conception repose sur la localisation de la tumeur primitive et le drainage lymphatique anatomique préférentiel. Il peut être supraomohyoïdien (niveaux I à III), postérolatéral (niveaux II à V), et/ou central (niveau VI) ; • le curage ganglionnaire cervical peut être étendu (extended neck dissection) à une structure lymphatique, vasculaire, nerveuse ou musculaire qui n’est pas habituellement intéressée par un curage cervical : une adénopathie rétropharyngienne, le nerf hypoglosse, une artère carotide83. Méthodes de reconstruction Les méthodes de reconstruction de la langue doivent restaurer idéalement volume, forme, sensibilité et mobilité linguale. La motricité de la langue mobile est essentielle pour la mastication, l’articulation, l’hygiène orale et la phase orale de la déglutition. Volume, forme et mobilité de la base de la langue sont également primordiaux pour la phase pharyngée de la déglutition prévenant les fausses routes.

Cancers de la langue

45 queuse, lambeau de muscle droit de l’abdomen plutôt réservé aux glossectomies subtotales, lambeau de tenseur de fascia lata caractérisé par sa souplesse13. La préservation de la base de la langue, et la réalisation d’une hyomandibulopexie permettent d’obtenir des suites fonctionnelles acceptables67. Après glossectomie totale Sans sacrifice de la mandibule, les lambeaux musculocutanés libres de muscle grand droit de l’abdomen ou de muscle grand dorsal peuvent être proposés. Lorsqu’une mandibulectomie interruptrice est effectuée notamment au niveau de l’arc antérieur mandibulaire, un lambeau libre composite ostéocutané de crête iliaque peut être réalisé. Les prothèses mandibulaires sont habituellement peu satisfaisantes dans ces cas67.

Chirurgie laser

Figure 4 Base de la langue : indications thérapeutiques pour les tumeurs classées T1T2 N0 et T1T2 N1-N3 (A) et T3T4 N0 et T3T4 N1-N3 (B). CH : chirurgie ; RT : radiothérapie externe ; CT : chimiothérapie ; Ci :curiethérapie ; CR : curage radical (CR), radical modifié (CRM), sélectif (CS), bilatéral (×2).

Après l’exérèse d’un quart de la langue mobile Il n’est pas le plus souvent nécessaire d’utiliser un lambeau à distance. Plusieurs méthodes peuvent être employées : fermeture primaire, absence de suture et épithélialisation par cicatrisation de seconde intention, greffe de peau épaisse ou confection d’un lambeau muqueux local. Les petits defects de la base de la langue peuvent bénéficier d’une suture primaire ou de la translation postérieure de la langue mobile. Lorsque ces lambeaux locaux conduisent à une distorsion importante de la langue mobile, un apport tissulaire devient nécessaire, soit par lambeau libre notamment antébrachial, soit par lambeau pédiculé comme le lambeau de muscle grand pectoral ou de muscle grand dorsal, souvent volumineux. Le lambeau de peaucier du cou est plus fin et malléable. Ces lambeaux, une fois cicatrisés, tolèrent parfaitement une irradiation postopératoire78. Après hémiglossectomie La mobilité linguale peut être préservée en utilisant un lambeau antébrachial bilobé, séparant reconstruction du plancher et de la langue : la finesse de ce lambeau facilite la mobilisation linguale résiduelle78. D’autres lambeaux libres ont été décrits pour la reconstruction linguale : lambeau de jéjunum à l’origine d’une certaine hypersécrétion mu-

Le laser CO2 peut être proposé pour le traitement des leucoplasies précancéreuses de la cavité buccale : douleurs intenses, cicatrisation lente, parfois récidive sont observées99. Son emploi a été décrit en complément d’un geste chirurgical d’exérèse de première intention sur les berges de résection tumorale10.

Cryothérapie Elle utilise de très basses températures pour la destruction in situ des cellules tumorales. Son développement a été initialement limité par le manque de fiabilité du contrôle de la congélation et les risques de lésion des organes de voisinage. Une congélation rapide par de l’azote liquide sous pression, suivie d’un réchauffement lent est la méthodologie la plus létale pour les cellules tumorales. Malgré des résultats intéressants pour les carcinomes T1-T2 de la langue, en association avec un curage ganglionnaire cervical, son application linguale reste peu développée, en raison de l’importance de la réaction inflammatoire locale à l’origine de complication respiratoire45.

Photothérapie dynamique Elle a pour but la destruction du tissu tumoral en deux étapes : une molécule photosensibilisante (photofrein) est injectée par voie sanguine et se concentre dans les cellules malignes ; un rayonnement électromagnétique laser, de longueur d’onde 630 nm, provoque une cytotoxicité sélective. Celle-ci est liée à la production de radicaux libres et d’oxygène singulet. Le traitement laser a donc

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Elle est envisagée à titre exclusif, ou en association. Il faut distinguer la radiothérapie externe et la curiethérapie. Dans tous les cas, le retentissement de la radiothérapie sur les glandes salivaires demande une mise en état dentaire préalable, une protection par gouttières plombées des dents et de la mandibule pendant l’irradiation, et une prophylaxie fluorée ultérieure, réduisant les risques d’ostéoradionécrose76.

vre une dose de l’ordre de 45 à 50 Gy. Une curiethérapie « de barrage », faite pour réduire le risque de récidive du lit d’exérèse tumorale, peut lui être préférée, délivrant une dose équivalente, focalisée, en un seul temps, avec mise en place des vecteurs au cours de l’intervention chirurgicale. La radiothérapie peropératoire (RTPO) est une méthode permettant l’irradiation focalisée, au cours d’un geste chirurgical, du lit lésionnel tumoral profond, à fort potentiel de récidive. La RTPO, notamment appliquée au carcinome oropharyngé localement avancé et infiltrant la base de la langue, délivre facilement une dose unique de 20 Gy dans un volume-cible précis épargnant les tissus sains de voisinage. Une radiothérapie postopératoire lui est associée si la tumeur est traitée en première intention89.

Radiothérapie externe La radiothérapie externe utilise les rayonnements de haute énergie, issus des accélérateurs linéaires. Les rayonnements les plus utilisés sont des photons X de 4 à 6 mV, et des rayonnements d’électrons, d’énergie variable. Elle traite localement la tumeur et/ou les territoires ganglionnaires de drainage. Elle a pour but l’irradiation d’un volume cible tumoral macroscopique, palpé ou repéré par l’imagerie ou GTV (gross tumor volume), ainsi que les prolongements visibles ou invisibles microscopiques définissant une zone de sécurité ou CTV (clinical tumor volume) ; la conjonction des deux volumes précédents et les paramètres physiques des faisceaux d’irradiation définissent un volume traité irradié homogène ou PTV (planning treatment volume)11. La dose pour une tumeur primitive et/ou une adénopathie en place est de 70 à 75 Gy en étalement classique (quatre à cinq séances et 9 à 10 Gy par semaine). L’évolution technologique actuelle des appareils de traitement et de la dosimétrie s’oriente vers la radiothérapie de conformation tridimensionnelle et la modulation d’intensité des faisceaux de rayonnements. La radiothérapie peut être employée seule ou potentialisée par la chimiothérapie5. Elle peut également intervenir en association avec la curiethérapie ou une intervention chirurgicale. L’irradiation postopératoire des aires ganglionnaires histologiquement envahies (N+) délivre une dose de 50 Gy (45 à 55 Gy) en étalement classique, avec un surdosage de 10 à 15 Gy en cas de rupture capsulaire (R+). Au-delà de 45 Gy, le volume irradié, qui porte sur l’ensemble des aires ganglionnaires cervicales, est réduit en arrière pour protéger la moelle. Des caches plombés protègent les zones qui ne doivent pas être irradiées, comme les arcades dentaires ou le larynx. L’irradiation postopératoire de la loge d’exérèse tumorale déli-

Curiethérapie La curiethérapie utilise les rayonnements gamma de sources radioactives, placées à l’intérieur du tissu lésionnel ou sur les berges de l’exérèse tumorale. L’iridium 192 est le radioélément de choix, avec une énergie des photons de 380 keV et une demi-vie de 74 jours. Il se présente sous la forme d’un fil de 0,3 à 0,5 mm de diamètre, souple et résistant, très maniable, sécable en cas de besoin suivant la dimension voulue. La valeur énergétique faible de l’iridium 192, et surtout les techniques de préparation non radioactives, garantissent une radioprotection efficace. La curiethérapie permet de délivrer une dose élevée dans un petit volume bien délimité, de façon continue en quelques jours. La préparation non radioactive consiste à utiliser des vecteurs inertes, sous la forme de tubes plastiques ou de gouttières vectrices directement implantés dans le volume tumoral. Une dose est ainsi définie dans un volume-cible comprenant le volume tumoral et une marge de sécurité. Pour les tumeurs de la langue mobile, les meilleurs résultats sont obtenus lorsque la surface traitée est supérieure de 20 % à la surface tumorale76. La technique des tubes plastiques38,56,75 est surtout utilisée pour les tumeurs postérieures de la portion mobile et celles de la base de la langue. La technique des gouttières vectrices51, prévoit un espacement prédéterminé des lignes radio-actives pour l’implantation. La décroissance rapide de la dose au-delà du volume traité respecte au mieux les tissus sains autour de ce volume. C’est une fois vérifiées la bonne géométrie du montage par l’imagerie et une dosimétrie cohérente par calcul de doses informatisé20, que les vecteurs sont chargés avec le matériel radioactif, en gardant intacte la géométrie initiale choisie. Le système dosimétrique de Paris définit les caractéristiques du montage des implants, le nombre de

un effet photochimique et non thermique. Cette thérapeutique encore peu développée pourrait éviter un traitement chirurgical pour des tumeurs linguales de petites tailles. La photosensibilisation est l’effet secondaire le plus habituel36.

Radiothérapie

Cancers de la langue lignes, leur longueur et leur espacement selon une disposition corrélée au volume-cible. Il prévoit techniquement un bon parallélisme des lignes radioactives, leur équidistance, leur même activité linéique. Toujours dans ce système, la dose est prescrite sur l’isodose 85 % de la dose de base. La dose totale est de l’ordre de 60 à 70 Gy. Le débit de dose est un facteur d’échec s’il est trop faible, et un facteur de nécrose s’il est trop fort. Un débit de dose de 0,3 à 0,6 Gy/h est recommandé55,56. La nécrose est la complication majeure de la curiethérapie, et ne doit pas être confondue avec une récidive tumorale. Les probabilités de nécrose varient de 5 à 44 % suivant la dose totale et le débit de dose. Cette probabilité de nécrose dépend surtout du débit de dose, mais aussi du volume et du siège tumoral (nécrose plus fréquente pour les tumeurs du plancher buccal). La probabilité de contrôle local est significativement liée à la dose totale, au débit de dose et au diamètre tumoral56. La curiethérapie peut être employée seule ou en association avec une radiothérapie externe et/ou après une intervention chirurgicale autorisant une irradiation focalisée, respectant les tissus sains (curiethérapie “dite” de barrage).

Chimiothérapie La chimiothérapie utilisée seule a un rôle limité dans le traitement de première intention des carcinomes de la langue, en dehors des carcinomes avancés. La meilleure association est la combinaison 5-fluoro-uracile (5FU) et cisplatine. Le taux de régression tumorale (≥ 50 %) est plus élevé en chimiothérapie néoadjuvante qu’en chimiothérapie pour récidive. Aucune amélioration sur la survie n’a pu être démontrée78. Dans le cadre d’un traitement palliatif, il est recommandé de tester l’efficacité d’une à deux polychimiothérapies. Les associations de chimioradiothérapie concomitante font actuellement l’objet de nombreux travaux58,84. Chimiothérapie et radiothérapie partagent la même cible principale qu’est l’ADN cellulaire : la chimiothérapie permet de réduire la masse tumorale, améliorant son oxygénation et donc sa radiosensibilité ; la chimiothérapie peut modifier et synchroniser la prolifération cellulaire dans une phase plus radiosensible du cycle comme la phase G2-M. Les drogues les plus utilisées sont les sels de platine, le 5FU, l’étoposide, la mitomycine C, les taxanes5. L’interaction réciproque recherchée de deux agents antitumoraux correspond à un effet supra-additif, c’est-à-dire supérieur à la somme des effets des deux modalités appliquées isolément. Cet effet est au moins démontré in vitro pour certaines drogues comme les sels de platine87. La

47 chimiothérapie intra-artérielle (CIA) délivre in situ une dose supérieure à tout mode d’administration systémique. Le cathétérisme se fait par voie fémorale (technique de Seldinger) ou par voie locale carotidienne externe. Les carcinomes de la cavité buccale sont des indications préférentielles, car leur vascularisation est entièrement sous la dépendance des collatérales de l’artère carotide externe. Connue depuis 20 ans, la CIA reste une technique difficile, réservée à des équipes entraînées. Les résultats les plus prometteurs ont été notés soit par CIA d’induction soit par CIA associée à une radiothérapie concomitante81,84.

Indications thérapeutiques et résultats carcinologiques Plusieurs études récentes montrent de façon significative l’amélioration du contrôle tumoral locorégional par une association thérapeutique, plutôt que par une méthode isolée : chirurgie et radiothérapie externe ou curiethérapie, chimioradiothérapie concomitante plus récemment9,27,47,68.

Carcinome de la langue mobile Indications À côté de la classification TNM, des facteurs de sévérité sémiologique et de la comorbidité, l’appréciation du caractère infiltratif de la tumeur est importante pour l’indication thérapeutique70,95. Tumeurs classées T1 T2 N0 Une lésion ulcéro-infiltrante est plutôt traitée chirurgicalement avec un curage sélectif cervical des niveaux I, II et III1. Il est homolatéral pour les tumeurs des deux tiers postérieurs de la langue, bilatéral pour celles du tiers antérieur et/ou franchissant la ligne médiane49. En effet, le curage triangulaire supraomohyoïdien peut mettre en évidence des métastases ganglionnaires occultes ou des microadénopathies métastatiques dans 30 à 70 % des cas8. Douze pour cent de ces adénopathies métastatiques sont en rupture capsulaire46. Une radiothérapie complémentaire peut être proposée sur la zone d’exérèse tumorale, si les recoupes chirurgicales sont pathologiques, par « curiethérapie de barrage » ou radiothérapie externe. Les aires ganglionnaires cervicales sont irradiées si les adénopathies sont envahies (N+). Une lésion bien limitée et/ou exophytique est plutôt traitée par curiethérapie avec un curage sélectif cervical des niveaux I, II et III homolatéral, au cours de la mise en place des tubes-guides ou 6 semaines après la

48 curiethérapie49,71. Une radiothérapie externe complémentaire est proposée sur les aires ganglionnaires si les adénopathies sont envahies (N+) (Fig. 3). Tumeurs classées T1 T2 N1-N3 Le traitement est plus volontiers chirurgical, vis-àvis de la tumeur et des aires ganglionnaires dans le même temps opératoire. La radiothérapie complémentaire délivre un surdosage en cas de rupture capsulaire (R+) des adénopathies ou de recoupes chirurgicales pathologiques. Une curiethérapie sur la tumeur primitive est proposée si la lésion est bien limitée et/ou exophytique. Un curage ganglionnaire cervical peut être pratiqué au cours de la mise en place des tubes guides (Fig. 3). Tumeurs classées T3 T4 N0 ou N1-N3 Si la lésion est ulcéro-infiltrante et opérable, une hémiglossectomie, une hémi-pelvi-glossectomie ou même une glossectomie totale transversale antérieure conservant la base de la langue peuvent être réalisées26,34. Un curage ganglionnaire cervical bilatéral est effectué dans le même temps en raison de la fréquence du franchissement de la ligne médiane et de l’extension ganglionnaire bilatérale (Fig. 3). La radiothérapie complémentaire s’adresse à la zone d’exérèse tumorale par « curiethérapie de barrage » ou radiothérapie externe postopératoire. Les aires ganglionnaires cervicales sont irradiées si les adénopathies sont métastatiques (N+). Si la lésion T3 est limitée et/ou exophytique, une curiethérapie tumorale peut être associée à un curage ganglionnaire cervical bilatéral au cours de la mise en place des tubes-guides. La radiothérapie externe s’adresse secondairement aux aires ganglionnaires cervicales envahies (N+). Si le malade est inopérable pour des raisons générales ou locales, une chimioradiothérapie concomitante ou une radiothérapie externe seule est indiquée. Résultats thérapeutiques Chirurgie La chirurgie tumorale et ganglionnaire exclusive de première intention a été une option thérapeutique retenue par certains pour le traitement des carcinomes de la langue mobile34 : une récidive locale a été observée chez 15 % des patients avec une résection tumorale « limite », c’est-à-dire inférieure à 1 cm, et 9 % chez ceux avec une résection suffisante, c’est-à-dire supérieure ou égale à 1 cm. Le taux d’échec locorégional a été de 27 %. La survie spécifique à 5 ans a été de 85 %34. Chez les patients opérés d’une tumeur T1-T2 N0 de la langue mobile, la récidive régionale varie de 24 % à 47 % si aucun geste ganglionnaire n’est

J.-M. Prades et al. effectué, contre 4 % à 9 % si un curage homolatéral sélectif intéressant les niveaux I, II et III est réalisé8,19,98. Ce curage de principe améliore la survie spécifique à 5 ans de 86 % versus 55 % 98. Les métastases ganglionnaires de niveau IV chez les patients porteurs d’un carcinome T1-T3 N0 de la langue mobile ne dépassent pas 4 %41. Radiothérapie Dans une série de tumeurs T1 T2 traitées par curiethérapie exclusive53,54, le contrôle local à 5 ans a été de 87 %. La survie spécifique à 5 ans a été de 90 % pour les T1 et de 71 % pour les T2 (≤ 3 cm). Dans une autre série de tumeurs T275, la curiethérapie exclusive a permis un contrôle local de 89,8 % et une survie spécifique à 5 ans de 62,2 %. Le volume tumoral et l’aspect macroscopique (tumeur infiltrante versus exophytique) sont des facteurs pronostiques classiques pour les indications et résultats de la curiethérapie. À la dose optimale de 65 à 70 Gy, le contrôle local est meilleur pour des tumeurs exophytiques. Une dose totale optimale et un débit de dose de 0,3 à 0,6 Gy/h donnent un bon contrôle local pour un minimum de risque de nécrose secondaire2,55,74. Dans ces conditions, la curiethérapie des tumeurs T1 T2 permet d’obtenir respectivement un contrôle local dans 86 % et 80 % des cas54,71. Il a longtemps été préconisé pour les tumeurs T2 une association radiothérapie externe et curiethérapie. Du fait d’une insuffisance des doses de la curiethérapie (30 Gy ou moins), les taux de récidive locale ont été supérieurs à 50 %49. Pour des tumeurs T2 N0, ont été comparés un traitement par curiethérapie exclusive (70 Gy) et une association de radiothérapie externe (45 Gy) plus curiethérapie75. Le taux de contrôle local à 5 ans a été de 89,8 % dans le groupe traité par curiethérapie seule, contre 50,6 % dans le groupe traité par l’association (p = 0,00002). Le taux de survie spécifique à 5 ans a été respectivement de 62,2 % et de 34,7 %. Ces résultats ont été confirmés dans une étude plus récente : le taux de contrôle local à 5 ans a été de 65 %, supérieur pour la curiethérapie exclusive (82 %) par rapport à la radio-curiethérapie (50 %, p < 0,001)71. Association chirurgie-radiothérapie La survie à 5 ans pour les tumeurs T2 a été de 61 % après chirurgie, complétée de radiothérapie en cas d’atteinte ganglionnaire histologique ou de recoupes « limites », avec 24 % d’échecs locorégionaux ; la survie a été de 53 % après curiethérapie, complétée 6 semaines après par un curage ganglionnaire de principe avec 27 % d’échecs locorégionaux. Ces deux modalités ne montrent pas de différence si-

Cancers de la langue gnificative, dans la mesure où les patients bénéficiant de curiethérapie ont été classés N0 ou N149. Vis-à-vis de tumeurs avancées de la langue mobile T3 T4 plus ou moins étendues au plancher buccal, les associations exérèse tumorale et ganglionnaire suivie de radiothérapie complémentaire permettent d’obtenir une survie spécifique à 5 ans de 44 %90. L’amputation de la totalité de la langue mobile est possible en première intention ou en rattrapage, préservant la base de la langue et le larynx26,67. Les taux de survie globale à 3 et 5 ans sont respectivement de 38 % et 22 %. Globalement, quelles que soient les associations thérapeutiques curatives de première intention pour les carcinomes de la langue mobile, la survie spécifique à 5 ans est de 57 %, avec un décès en rapport avec la tumeur dans 43 % des cas. Les métastases à distance apparaissent pour 10 % des patients, et 21 % ont un deuxième carcinome des voies aérodigestives supérieures ou des bronches90.

Carcinome de la base de la langue Indications Plusieurs facteurs locorégionaux sont à prendre en compte également pour l’indication thérapeutique : le stade TNM, le caractère infiltrant ou non de la tumeur, le déficit fonctionnel potentiel d’une exérèse chirurgicale de la base de la langue101. Radiothérapie et curiethérapie s’adressent préférentiellement à des tumeurs limitées de la base de la langue classées T1 T2. Pour les lésions plus importantes, l’association radiochirurgicale reste l’indication préférentielle. Actuellement, les stratégies de radio-chimiothérapie concomitante sont en cours d’évaluation. Tumeurs classées T1 T2 N0 Si la lésion est ulcéro-infiltrante, une buccopharyngectomie transmandibulaire ou inframandibulaire peut être proposée, en association avec un curage sélectif homolatéral des niveaux I à V. Des microadénopathies métastatiques sont retrouvées chez 61 % des patients classés N027. Une radiothérapie complémentaire peut être délivrée sur la zone d’exérèse tumorale par « curiethérapie de barrage » ou radiothérapie externe postopératoire. Les aires ganglionnaires cervicales sont irradiées en cas d’atteinte métastatique (N+). Pour une lésion bien limitée et/ou exophytique, une association de radiothérapie externe et curiethérapie sur la tumeur peut être réalisée, avec un curage sélectif homolatéral au cours de la mise en place des tubesguides40,85. Les contre-indications carcinologiques d’une curiethérapie basilinguale sont représentées par une extension tumorale en dessous de l’os

49 hyoïde, à l’espace pré-épiglottique, au sillon amygdaloglosse, à la mandibule ou à la paroi postérieure du pharynx31 (Fig. 4). Tumeurs T1 T2 N1-N3 L’attitude est la même que précédemment vis-à-vis de la tumeur. Un curage radical modifié ou radical est pratiqué, avec une radiothérapie complémentaire en cas d’atteinte métastatique (N+). Le curage est bilatéral si l’adénopathie est controlatérale (palpable ou décelée par l’imagerie) ou si la tumeur infiltre la ligne médiane27,43. Ainsi, un curage controlatéral est effectué pour 41 % des patients. Une atteinte ganglionnaire métastatique (N+) est présente dans 84 % des adénopathies homolatérales, 47 % des adénopathies controlatérales27. Tumeurs T3 T4 N0 ou N1-N3 Si la lésion est ulcéro-infiltrante et opérable, une buccopharyngectomie transmandibulaire est associée à un curage sélectif de niveaux I à V, radical modifié ou radical. Le curage est bilatéral si les critères précédents sont retrouvés27,43. Une radiothérapie complémentaire peut être délivrée sur la zone d’exérèse tumorale par « curiethérapie de barrage », radiothérapie peropératoire et/ou radiothérapie externe postopératoire. Les aires ganglionnaires cervicales sont irradiées en cas d’atteinte métastatique (N+). Pour une tumeur non opérable, une association de radiothérapie et curiethérapie est possible, ou une radiochimiothérapie concomitante (Fig. 4). Résultats thérapeutiques Tumeurs classées T1 T2 Pour le traitement de 136 tumeurs dont 55 T1-T2 et 81 N0-N1, une étude rétrospective35 a comparé trois modalités thérapeutiques : une irradiation externe seule avec une dose médiane de 71 Gy, une irradiation externe avec curiethérapie délivrant respectivement 50 Gy et 30 Gy, et une exérèse chirurgicale suivie d’une irradiation externe délivrant 55 Gy. Le taux de contrôle local à 5 ans a été de 19 % pour le premier groupe, de 39 % pour le second et de 32 % pour l’association radiochirurgicale. La survie spécifique à 3 ans a été respectivement de 33 %, 66 % et 72 %. Le traitement de 41 patients porteurs de tumeurs classées T1 T2 a privilégié l’association radiothérapie externe et implantation d’iridium 192 pour les patients N0. Le contrôle local pour les lésions T1 a été de 85 %, et de 71 % pour les T2. Le meilleur contrôle local a été observé pour des doses délivrées supérieures ou égales à 75 Gy. La survie sans récidive à 5 ans a été de 50 %17.

50 Housset et al. (1987) ont rapporté également leur expérience du traitement de 110 tumeurs de la base de la langue classées T1 T2, soit par chirurgie suivie d’irradiation, soit par irradiation externe suivie de curiethérapie, soit par irradiation externe exclusive38. L’échec local a été observé deux fois plus souvent chez les patients traités par irradiation externe exclusive par rapport aux deux autres méthodes. Ce résultat explique que la survie à 5 ans est de 50 % pour les méthodes de traitement associatives par rapport à 30,5 % pour l’irradiation externe seule. L’association curiethérapie-radiothérapie externe pour des tumeurs T1 T2 basilinguales, bien limitées et/ou exophytiques avec curage celluloganglionnaire lors de la mise en place des cathéters de curiethérapie, donne des taux de survie globale à 3 et 5 ans respectivement de 57 % et 38 %85. Le contrôle local peut être performant : seulement sept récidives locales sur 68 patients majoritairement T1 T2 traités par Harrison en 199831. Les tumeurs T1 T2 traitées soit par chirurgie, soit par radiothérapie ont un taux global de contrôle local à 5 ans respectivement de 83 et 89 %101. Tumeurs classées T3 T4 Pour les tumeurs basilinguales de stade avancé, le traitement par irradiation exclusive avec chirurgie de rattrapage en cas d’échec, a montré des résultats très médiocres7,57,58. Les décès sont liés à l’échec local (58 %), les maladies intercurrentes (15 %), les métastases (10 %) ou un deuxième cancer (8 %). La survie et le contrôle tumoral locorégional dépendent de trois facteurs prédictifs en analyse multivariée : avant tout, la régression tumorale en fin d’irradiation (p = 0,0001), dans une moindre mesure, l’âge et le stade de la tumeur. Les tumeurs T3-T4 basilinguales bénéficient d’un taux de contrôle local de 79 % si une association chirurgie et radiothérapie postopératoire est effectuée, contre 55 % avec la radiothérapie seule101. L’association chirurgie et radiothérapie externe complémentaire autorise une survie globale et spécifique à 5 ans respectivement de 49 % et 56 %. La survie spécifique à 5 ans est de 58 % pour les tumeurs T3 et seulement 30 % pour les tumeurs T4. Les associations thérapeutiques offrent en règle un meilleur contrôle locorégional que les modalités thérapeutiques isolées : l’association chirurgie et radiothérapie permet un contrôle locorégional dans 76 à 92 % des cas, par rapport à une radiothérapie autorisant un contrôle locorégional pour 47 à 55 % des patients27,47. Le traitement chirurgical de première intention sur le site tumoral basilingual impose une résection mandibulaire dans 14 % des cas et une laryngecto-

J.-M. Prades et al. mie totale dans 20 % des cas43. Bien que l’exposition chirurgicale soit jugée correcte, les marges de résection sont pathologiques dans 25 % des cas43. Aussi, la radiothérapie intraopératoire (20 Gy) sur le lit d’exérèse basilinguale, comme la curiethérapie de barrage, permet un complément de dose élevée dans un volume-cible précis et à haut risque de récidive. La tolérance est excellente89. Vis-à-vis des tumeurs basilinguales très évoluées, une glossectomie totale associée à une laryngectomie totale a été proposée, avec une irradiation externe complémentaire. Les taux de survie globale à 3 et 5 ans obtenus sont respectivement de 51 et 41 %86.

Résultats des thérapeutiques palliatives et/ou de la chimiothérapie La place de la chimiothérapie en association avec la radiothérapie a été largement étudiée au cours de ces 20 dernières années. L’association 5FUcisplatine est apparue comme la combinaison la plus efficace en termes de régression tumorale, mais son utilisation comme chimiothérapie néoadjuvante n’a pas montré d’amélioration sur la survie : la comparaison radiothérapie conventionnelle et la même irradiation précédée d’une chimiothérapie ne démontre aucune différence ni sur la survie ni sur le contrôle locorégional de la tumeur linguale7,78. Actuellement, les méta-analyses montrent que l’association de radio-chimiothérapie concomitante5 apparaît comme l’approche la plus prometteuse : le travail randomisé de Calais (1999) a comparé chez les patients porteurs d’une tumeur oropharyngée évoluée de stades III et IV, une radiothérapie conventionnelle (70 Gy en 35 fractions) et la même irradiation associée de façon concomitante à une chimiothérapie de 5FU cisplatine (trois cycles de 4 jours) : la survie globale et la survie spécifique à 3 ans ont été respectivement pour le traitement concomitant versus la radiothérapie isolée de 51 % contre 31 % et 42 % contre 20 %9. Des résultats de CIA d’induction ont été rapportés par l’essai de l’Organisation européenne de recherche sur le traitement des cancers (EORTC)81 ayant inclus 222 patients, et comparant chirurgie d’emblée versus chirurgie précédée de CIA (vincristine-bléomycine) : aucune différence de survie n’a été retenue pour les carcinomes de l’oropharynx, en revanche pour les carcinomes de la cavité buccale, la survie globale médiane a été de 7 ans pour le bras expérimental de CIA versus 3 ans. Les résultats préliminaires de la CIA-radiothérapie concomitante avec du cisplatine à forte dose pour des carcinomes évolués font état de 77 % de contrôle local à 3 ans, au prix d’une toxicité locale importante84.

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Résultats des traitements de rattrapage Les récidives locorégionales des patients traités pour un carcinome de la cavité buccale surviennent précocement : 95 % apparaissent les deux premières années, dont 85 % la première année. Après l’échec d’une radiothérapie première (55 % des patients traités par radiothérapie externe seule, 30 % par curiethérapie, 15 % par une association radiothérapie externe-curiethérapie), 47 patients porteurs d’une tumeur de la langue mobile récidivée ont bénéficié d’une chirurgie de rattrapage, avec nécessité d’une reconstruction par un lambeau myocutané de grand pectoral dans un cas sur deux : 17 % des opérés ont présenté une complication postopératoire, 62 % une poursuite évolutive locorégionale. Cinquante-trois pour cent des décès sont directement en rapport avec le carcinome lingual. La survie spécifique à 5 ans a été de 43 %103. Lors d’une récidive locale, ou d’un deuxième cancer de la base de la langue, à traiter en zone irradiée, chez des sujets non opérables, une irradiation de rattrapage a été proposée avec curiethérapie par implantation d’iridium 192 en deux temps, permettant un contrôle local de 37,5 % pour un taux de nécrose ne dépassant pas 16 %37. Après glossectomie totale, préservant la base de la langue, la survie à 3 ans des patients opérés en première intention est significativement meilleure, avec 49 % contre 30 % pour les patients opérés après échec de l’irradiation67.

Facteurs pronostiques La classification TNM associée aux facteurs de comorbidité permet d’établir un pronostic clinique au moment du diagnostic80 (Tableaux 5, 6).

Tableau 6 Classification clinique TNM des carcinomes de la langue mobile et survie 63 (pronostic). Paramètres T1, T2 versus T3, T4 N>0 Métastases à distance (M) (p significatif < 0,05)

Valeur p 0,09479 0,0035 0,00001

2 ans est de 84 % si la tumeur basilinguale est exophytique, contre 58 % si elle est ulcéroinfiltrante (p = 0,04)10. Les facteurs de risque tumoraux proprement dits associent le caractère infiltratif de la tumeur, l’invasion histologique diffuse et les marges de résection en dessous de 5 mm42,95. La présence d’une limite de résection pathologique, ou proche de l’infiltration carcinomateuse, est corrélée à une augmentation de la récidive locale (p < 0,003), même si la survie globale est identique. En revanche, une infiltration carcinomateuse réduit significativement la survie (p < 0,01)95. Pour les tumeurs de la base de la langue irradiées, l’analyse multivariée démontre plusieurs facteurs de mauvais pronostic vis-à-vis du contrôle locorégional et de la survie : une régression tumorale incomplète à la fin de l’irradiation (p < 0,0001), un âge inférieur à 45 ans (p < 0,01), le stade tumoral T (p < 0,03), la présence d’un carcinome peu différencié ou indifférencié (p < 0,045)7. Sur le plan épidémiologique, l’âge, la taille tumorale et l’envahissement ganglionnaire métastatique sont associés à un mauvais pronostic18. Néanmoins, l’âge seul ne doit pas constituer un facteur décisionnel thérapeutique pour les patients porteurs d’un carcinome des voies aérodigestives supérieures3.

Adénopathies Tumeur L’aspect macroscopique tumoral apparaît comme un élément important : le contrôle locorégional à Tableau 5 Symptomatologie clinique des carcinomes de la langue mobile et répercussions sur la survie 63 (pronostic). Symptômes Dysphagie Odynophagie Tuméfaction cervicale Trismus Perte de poids Maladie périodontale Otalgie (p significatif < 0,05)

Valeur p 0,00060 0,00072 0,00232 0,01021 0,04649 0,58220 0,24238

Le status ganglionnaire cervical est l’un des facteurs pronostiques les plus importants au moment du diagnostic. La forte incidence des métastases ganglionnaires occultes est à souligner : chez les patients sans adénopathie cervicale palpable suspecte (N0), 17 % classés T1 développent une métastase ganglionnaire (N+), 45 % classés T2 et 86 % classés T3-T4. Il est donc licite d’effectuer un curage ganglionnaire cervical de principe chez les patients N062. L’extension ganglionnaire avec rupture capsulaire (N+ R+) est le facteur prédictif le plus significatif vis-à-vis d’une récidive régionale et/ou de métastases à distance. La survie spécifique et la survie globale est de 65 % et 50 % pour les patients N+ R-, versus 48 % et 30 % pour les patients N+ R+. De ce fait, une optimisation thérapeutique

52 pourrait être proposée chez les patients à haut risque, comme une radio-chimiothérapie concomitante postopératoire66.

Traitement Le risque de récidive locale chez les patients opérés après l’échec d’une irradiation est significativement plus important que chez les patients opérés en première intention : 35,5 % contre 7,4 % (p = 0,024) pour les tumeurs T3 et T4 de la langue mobile67.

J.-M. Prades et al. T3-T4 plus ou moins étendues au plancher antérieur et bénéficiant d’une reconstruction par lambeaux, 75 % des patients ont une voix socialement utilisable et une alimentation satisfaisante, surtout si le traitement est effectué en première intention 67. La glossectomie totale associée ou non à une laryngectomie totale et une radiothérapie postopératoire demeure une option carcinologiquement valable, mais permet également une certaine « qualité de vie » sociale et familiale chez des patients motivés et entourés86.

Conclusion Résultats fonctionnels et qualité de vie Le résultat fonctionnel idéal post-thérapeutique est l’obtention d’une déglutition et d’une élocution normales. En fait, de nombreux patients traités présentent des troubles de l’une ou de l’autre fonction : un tiers des malades rapportent, lors d’un autoquestionnaire, des difficultés d’élocution, et presque un sur deux des difficultés de déglutition, quel que soit le traitement78. La résection du quart de la langue mobile est à l’origine de trouble de l’élocution mais gêne peu la déglutition. La reconstruction par lambeaux de faible épaisseur pour les tumeurs T1-T2 permet de conserver une meilleure mobilité linguale qu’une simple fermeture. Une propulsion basilinguale déficiente, conséquence d’une résection chirurgicale extensive de la base de la langue, est à l’origine de fausses routes graves. Néanmoins, chez les patients opérés en première intention d’une résection partielle de la base de la langue, 73 % ont un régime alimentaire normal, 81 % une élocution compréhensible et 80 % peuvent manger en public25. Les analyses rétrospectives de patients traités par radiothérapie externe, curiethérapie basilinguale et curage ganglionnaire cervical auraient des résultats fonctionnels plus favorables que les patients opérés. Ces résultats ne sont pas confirmés dans un travail comparatif de patients opérés et non opérés d’un carcinome de la base de la langue : aucune différence statistique n’est observée tant sur le plan fonctionnel que vis-à-vis de la qualité de vie, à classification TNM équivalente, en raison de l’importance de la fibrose et de la xérostomie après radiothérapie73. Des analyses prospectives sont nécessaires pour juger des différences de résultats fonctionnels entre les traitements d’association radio-chirurgical et les stratégies de préservation d’organe27. Après amputation totale de la langue mobile préservant la base de la langue pour des tumeurs

L’épidémiologie ne montre pas de diminution véritable des cancers de la langue en Europe. Les campagnes de prévention contre les risques alcoolotabagiques doivent donc rester actives. Les indications thérapeutiques reflètent de multiples tendances : si les tumeurs de petites tailles peuvent être traitées de façon équivalente par la radiothérapie ou la chirurgie, le traitement des lésions plus volumineuses fait appel le plus souvent à une association radio-chirurgicale. La place de la chimiothérapie reste à évaluer. Dans tous les cas, la présence d’adénopathies cervicales métastatiques est un facteur primordial de mauvais pronostic.

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