Toxicologie Analytique & Clinique (2015) 27, 45—47
Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com
LETTRE À LA RÉDACTION Cannabinoïdes de synthèse et Internet : un jeu de souris !
Plusieurs partenaires institutionnels européens sont associés à ce projet.
Synthetic cannabis on the web: A mouse game!
Note d’information SINTES du 31 juillet 2014 en ligne sur le site de l’OFDT [2]
Mots clés : Spice ; Cannabis synthétique ; Cannabinoïdes de synthèse ; Internet ; Web ; Trip-report ; E-commerce Keywords: Spices; Synthetic cannabis; Internet; Web; Trip-report; E-commerce Se procurer des cannabinoïdes de synthèse (CS) ou cannabis synthétique ou spices sur Internet est un vrai jeu de souris. Cela concerne les CS mais aussi l’ensemble des nouvelles substances psychoactives (NPS) et la plupart des principes actifs commercialisés par l’industrie pharmaceutique. Cela était déjà relativement facile il y a 15 ans mais est encore plus vrai en 2014 avec la banalisation du commerce en ligne. Le web est aujourd’hui, et en particulier pour les CS, une source d’information sur les molécules (formules brutes et développées, effets attendus), permet le partage d’expérience grâce aux forums d’usagers et aux trip-reports et représente la quasi-totalité de l’espace de vente. Internet : source d’information Entre 2002 et 2011 en Europe, la part des 15—24 ans, déclarant avoir recours à Internet comme source d’information sur les produits psychoactifs, est passée de 30 à 64 % [1].
Les CS sont les NPS les plus souvent identifiées dans les saisies 2013 et 2014 (Fig. 1). Les sites de partages d’expérience Le relatif anonymat que procure Internet a permis l’émergence de nouvelles communautés et de forums d’usagers qui « brisent le silence ». Les principaux sites francophones (Psychonaut, Lucid State, Psychoactif. . .) [3—5] ou anglophones (bluelight, Erowid, Lycaeum) [6—8] proposent des monographies sur différents CS, la classification chimique, les formules et même des rapports d’analyse. Ces mêmes sites relatent aussi des témoignages directs d’usagers à travers les trip-reports qui sont des comptes rendus minutés et détaillés après la prise d’une ou plusieurs substances psychoactives (effets, dosages, mode de consommation, effets secondaires. . .) ou encore à travers des forums de questions/réponses souvent entre usagers et futurs expérimentateurs. Les observatoires suivent de très près ces sites web qui demeurent une source d’information importante pour réduire les risques et détecter l’émergence d’un nouveau NPS.
Les observatoires
Internet : espace de vente
¸ais des drogues et des toxicoL’OFDT (Observatoire franc manies) ou l’OEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies) précisent qu’Internet est un espace d’observation à part entière et ont défini des cibles et créé des dispositifs spécifiques comme SINTES (Système national d’identification des toxiques et substances) et les projets TREND (tendances récentes et nouvelles drogues) et I-TREND (Internet tools for research in Europe on new drug). Le projet I-TREND est une prise en compte de la dimension internationale des nouvelles drogues de synthèse sous la forme d’une étude de 2 ans (avril 2013/mars 2015) qui suit les tendances récentes liées à l’usage et à l’offre dans le but de fournir une documentation sur la composition, les usages et les risques des produits disponibles sur Internet.
Le marché est stimulé par l’offre. Ainsi entre 2008 et 2012, une nouvelle NPS était identifiée par mois en France, et 1 à 2 NPS étaient identifiées par semaine en Europe. Le CS peut s’acheter aujourd’hui sur Internet à un prix de 8 à 20 D le gramme [1] avec un prix dégressif selon la quantité. Un sachet de 3 grammes permettrait la réalisation d’environ 8 joints. Le marché de ces produits est très ouvert, puisque très souvent, des suppléments diététiques, des compléments alimentaires ou des médicaments sont vendus sur les mêmes sites. Il faut noter une très forte croissance du nombre de sites car 170 boutiques en ligne étaient identifiées en Europe en 2010 et 693 en 2012 dont plus de 30 en langue
http://dx.doi.org/10.1016/j.toxac.2014.09.057 2352-0078/© 2014 Société Franc ¸aise de Toxicologie Analytique. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Figure 1.
Lettre à la rédaction
Note d’information SINTES du 31 juillet 2014 concernant les saisies en France de NPS.
franc ¸aise. Les administrateurs de ces sites sont majoritairement anglophones (Angleterre, États-Unis) alors que les serveurs informatiques sont hébergés dans les pays d’Asie où la législation est plutôt favorable. Dans tous les cas, la localisation du site est différente du pays d’expédition du produit. Le flux numérique est donc impossible à remonter de même que la trac ¸abilité de la substance achetée. La production s’effectue en Chine, parfois en Inde, où la législation est quasi inexistante et des quantités très importantes de produits (plusieurs dizaines ou centaines de kg) pénètrent en Europe via les pays qui n’ont pas de statut juridique pour la substance. Le site vendeur s’appuie sur le vide juridique dans le pays destinataire pour justifier du caractère légal en se basant sur l’adage que tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Le mélange et le conditionnement des matières premières (par exemple le mélange au substrat végétal et la mise en sachet pour les CS) sont réalisés en Europe et envoyés le plus souvent à l’internaute par voie postale sous forme de petit colis anonymes. Diversité des espaces de ventes Il existe une diversité notable des espaces de vente [1]. Le marché destiné aux « clients avertis », les lecteurs de PIHKAL et des expérimentations de A. Shulgin et D. Nichols est le plus ancien et repose sur des sites lisibles et sobres cités précédemment. On trouve aussi sur ces sites les forums et les trip-reports. Les CS sont en vente avec leurs noms chimiques et il y a peu de reconditionnement. Le marché commercial est destiné aux plus jeunes et comprend des sites très nombreux, souvent colorés, avec des graphismes agressifs et des messages publicitaires incitant à l’achat (Fig. 2). On y trouve des CS « prêt à l’emploi », avec une même appellation commerciale pour un seul CS, pas toujours le même et parfois plusieurs en mélange. Parmi les très nombreux CS en vente sur ces sites de type herbe de cannabis à fumer, on retrouve les noms de Spice gold, Spice silver, Spice diamond, K2, Aroma, Mr Smiley, Zohai, Eclipse, Black, MamaRed, Xdawn, Blaze, Dream, Encens, Sence, Chill X, Chill out, Algerian blend Smoke, Yucatan fire, ou des résines (Bang solid ou Afghan Incense) pour répondre aux habitudes des consommateurs qui réalisent leurs joints. On peut également acheter sur ces sites
web des e-liquides pour cigarettes électroniques comme le Buddha Blue. Le marketing est très important et ainsi, l’appellation AKB-48, du nom d’un groupe musical féminin japonais (les « spice girls japonaises »), désigne aussi un CS populaire identifié pour la première fois au Japon : APINACA (Nadamantyl-1-pentyl-1H-indazole-3-carboxamide). L’achat est particulièrement facile utilisant tous les outils du e-commerce y compris le paiement sécurisé. Le marché immense du « deep web » comprend des sites non référencés par les moteurs de recherche. Il fait aujourd’hui le lit de la cybercriminalité. L’accès aux pages web est limité en raison de protocoles HTTP (HyperText Transfer Protocol) différents et ne se fait que par échange d’URL (Uniform Resource Locator) entre les utilisateurs. L’adresse IP (Internet Protocol) masquée de l’internaute garantit son anonymat. L’achat sur ces sites utilise souvent une monnaie virtuelle : le « bitcoin ». Les sites en ligne de petites annonces pour particulier disposent parfois de bannières publicitaires pour des NPS dont les CS. Ces publicités renvoient vers des sites spécialisés ou vers des adresses postales en Asie ou en Afrique. Il faut également citer la diffusion massive de messages SPAM (courrier électronique publicitaire non sollicité) comme vecteur important de publicité pour les NPS. Les nombreux réseaux sociaux comme FacebookTM , MySpaceTM , TwitterTM , InstagramTM , LinkedInTM , BluppsTM , WeebluzzTM , PheedTM , etc. permettent d’approcher un public très jeune et potentiellement consommateur de CS et sont également utilisés comme support publicitaire et d’information. En conclusion, l’outil Internet fournit aujourd’hui des informations indispensables sur les NPS, dont les CS, à travers les forums et sites d’usagers que les sites institutionnels (OFDT, OEDT) reconnaissent d’ailleurs comme « espaces d’observation à part entière » pour suivre l’émergence des produits, voire la survenue d’effets indésirables. La sécurisation du e-commerce et des transactions font d’Internet leur principal espace de vente, dont la publicité se fait aujourd’hui à l’aide de bannières publicitaires qui apparaissent inopinément sur la page visitée par l’internaute, par des messages SPAM ou encore par les réseaux sociaux.
Lettre à la rédaction
Figure 2.
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Espace de vente typique de cannabinoïdes de synthèse.
Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Pages consultées sur le site : http://www.ofdt.fr/ofdtdev/ live/publi/tend/tend84.html le 15 septembre 2014. [2] Pages consultées sur le site : http://www.ofdt.fr/BDD/ sintes/ir 140831 nps.pdf le 15 septembre 2014. [3] Pages consultées sur le site : http://www.psychonaut.com/ le 15 septembre 2014. [4] Pages consultées sur le site : http://www.lucid-state.org/ le 15 septembre 2014.
[5] Pages consultées sur le site : https://www.psychoactif.org/ forum/index.php le 15 septembre 2014. [6] Pages consultées sur le site : http://www.bluelight.org/ le 15 septembre 2014. [7] Pages consultées sur le site : https://www.erowid.org/le 15 septembre 2014. [8] Pages consultées sur le site : http://www.lycaeum.org/le 15 septembre 2014.
Véronique Dumestre Toulet Laboratoire TOXGEN, 11, rue du Commandant-Cousteau, 33100 Bordeaux, France Adresse e-mail :
[email protected] Disponible sur Internet le 25 octobre 2014