C a s cliniqueau laboratoire Pneumopathieau retourde Guyane Jean-Hugues
P a t t e a, T h i e r r y D e b o r d b, M i c h e l A r b o r i o a,.
1. Observation clinique Monsieur G.G., 51 ans, originaire de France metropolitaine, est hospitalise pour une fi~vre avec symptomatologie respiratoire (toux, expectorations, douleurs basi-thoraciques bilatetales) et alteration importante de l'etat general. II a effectue plusieurs sejours Outre-Mer; le dernier en Guyane pendant deux ans. La symptomatologie est apparue il y a six mois, immediatement apr&s son retour de Guyane, et s'est progressivement aggrav~e. A l'admission dans le service, il est amaigri (-12 kg en 6 mois), le teint cireux, febrile & 39°C. L'examen clinique met en evidence une hepato-splenomegalie moderee et une polyad&nopathie superficielle. L'auscultation pleuro-pulmonaire est normale. Les examens biologiques montrent : - un syndrome inflammatoire majeur (VS & 110 mm & la premiere heure, fibrinogene ~ 4,2 g/l et hypergammaglobulin& mie polyclonale), - une pancytopenie, GR : 2,8.1012/I, Hb : 8,2 g/dl, GB : 1,3.109/I et plaquettes : 37.109/I. une cholestase anicterique (phosphatases alcalines = 150 Ui/l, gamma GT & 76 Ui/l) sans cytolyse, - une elevation des enzymes pancreatiques (lipase = 430 Ui/l, amylase = 85 Ui/l). La serologie pour le VIH1 est positive, confirmee par western-blot, ainsi que l'antigenemie P25. Le statut immunitaire est en faveur d'un deficit profond avec 19 lymphocytes C D 4 / m m 3. La radiographie thoracique de face met en evidence un syndrome interstitiel bilateral diffus & type d'opacites reticulomicronodulaires (figure 1); il n'est pas observe d'opacites systematisees, ni d'images cavitaires, ni de calcifications pulmonaires ou hilaires associees. La gazometrie arterielle objective une hypoxemie moder&e avec PaO2 & 73 mmHg. Les hemocultures standards et fongiques sont negatives. De meme, on constate la negativite des serologies de l'histoplasmose et de la coccidioidomycose, l'absence d'antigenemie cryptococcique et de viremie-virurie du CMV. La serologie anti-toxoplasmique reste inchangee (IgG +, absence d'IgM). Devant ce tableau de pneumopathie interstitielle febrile avec atteinte de l'etat general, hepato-splenomegalie et polyadenopathie, survenant chez un patient VIH + de retour de Guyane, -
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Figure 1 Radiographie thoracique de face : syndrome interstitiel bilateral diffus.
sont r~alisees une ponction biopsie h@atique et une fibroscopie bronchique avec lavage bronchiolo-alveolaire (LBA). La biopsie hepatique met en evidence une hepatite granulomateuse avec presence de tres rares levures de petite faille (5 lJm). L'identification precise de l'espece ne peut pas &tre obtenue, compte tenu de l'absence de culture mycologique, et necessite le recours au LBA. Le LBA permet de recueillir un liquide dont une partie est ensemencee sur les milieux habituels de bacteriologie, sur Loewenstein-Jensen & la recherche de mycobacteries et sur milieux de mycologie. L'autre partie est destinee & la preparation de frottis pour etude cytologique. Les deux premieres lames obtenues sont colorees l'une par methode rapide (Diff Quick) et l'autre par le May-Grunwald-Giemsa (MGG); les autres etant reservees & des colorations speciales ou & l'etude en immunofluorescence directe en presence d'anticorps monoclonaux.
a Laboratoire d'anatomie pathologique H6pital d'Instruction des Arm&es du Val-de-Gr&ce 74, bd de Port-Royal 75230 Paris cedex 05 b Service des maladies infectieuses et tropicales H6pital d'Instruction des Armees Begin 69, av. de Paris 94160 Saint Mand& * Correspondance. article re~u le 9 d~cernbre 1 9 9 7 , accept~ le 2 3 f~vrier 1 9 9 8 .
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Figure 2 LBA levures intra-macrophagiques (MGC - G x 630).
Figure 4 LBA : culture sur Sabouraud - actidione - chloramph6nicol.
Figure 3 LBA : levures color6es en noir (Gomori Grocott - G x 630).
Figure 5 Culture du LBA : myc61ium 6vocateur de H. capsulatum examen & l'6tat frais (G x 1000).
Le liquide est clair, riche de 140 000 616ments nuc166s par ml. La formule montre 9 1 % de macrophages alv6olaires et 9 % de lymphocytes. La coloration de Ziehl est n6gative de m6me que la recherche de Pneumocystis carinii. L'examen cytologique du LBA r6v~le, au MGG, la pr6sence de petites levures intra-macrophagiques de 1 a 3 lJm de diam6tre, arrondies ou ovalaires, bourgeonnantes et entour6es d'un halo clair (figure 2). Leurs membranes sont pourpres au PAS et noires au Gomori-Grocott (figure 3). La culture du LBA sur milieu de Sabouraud additionn6 d'actidione et de chloramph6nicol ~ 25 ° en tubes bouch6s au coton met en 6vidence au 136 jour la pr6sence de colonies blanch&tres et duveteuses (figure 4). L'envers de la culture est marron sombre. Au microscope & l'6tat frais, on observe un myc61ium filamenteux r6gulier, cloisonn6 et ramifi6; des macrospores 6chinuc166es et verruqueuses et des microconidies lisses ou rugueuses 6tant attach6es aux filaments par l'interm6diaire d'un st6rigmate (figure 5). Cet aspect est caract6ristique d'Histoplasma capsulatum.
l'infection par le VIH et constitue un crit~re de d6finition du sida dans les formes extra-pulmonaires et diss6min6es (CDC, 1993). Les cas observ6s en France sont import6s des d6partements et territoires d'Outre-Mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane et Nouvelle-Cal6donie) ainsi que des r6gions end6miques am6ricaines, d'Afrique du Sud, de l'Ouest et de l'Est et rarement d'Asie du Sud-Est, Vietnam et d'Australie [10]. La porte d'entr6e est pulmonaire, par inhalation de spores saprophytiques pr6sentes sur le sol, dans les arbres ,, creux ,~ en Guyane, dans les poussi~res de maison (caves, greniers) ou provenant de guano de chauve-souris infect6es. Elle est suivie d'une diss6mination du champignon sous sa {orme parasitaire de petites levures dans le cytoplasme des macrophages. Cliniquement, elle se pr6sente sous trois principales formes : - primo-infection pulmonaire, - forme secondaire diss6min6e, forme tertiaire ou pulmonaire chronique, r6sultant soit du prolongement d'une histoplasmose primaire, soit d'une r6infection [1, 4]. -
I! s'agit done d'une histoplasmose diss6min6e subaigu/~ & Histoplasma capsulatum chez un patient VIH + le faisant classer au stade sida (stade C selon la classification du CDC d'Atlanta (1993)).
2. Discussion L'histoplasmose & H. capsulatum est une mycose end6mique dans plusieurs pays. Son incidence augmente au cours de
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Au cours du sida, l'histoplasmose rev6t presque toujours une forme diss6min6e avec atteinte pluri-visc6rale. Elle est due soit une r6activation endog~ne par multiplication de levures latentes, soit & une infection exog~ne. Les fairs les plus constants sont sa survenue & un stade avanc6 (CD4 < 2 0 0 / m m 3) et la pr6sence d'une fi~vre persistante [6, 7, 8]. L'int6r~t de notre observation r6side darts la rapidit6 du diagnostic par le LBA ayant permis la mise en oeuvre d'une th6rapeutique appropri6e. Effectivement, le plus souvent, chez un VIH +, le diagnostic de l'histoplasmose est difficile, n6cessitant le recours & des pr61~vements dans des sites extra-pulmoRevue frangaise des laboratoires, d6cembre 1998, N ° 308
naires. La s6rologie de l'histoplasmose, toujours n6gative dans un tel contexte, est peu contributive. Le LBA repr6sente souvent la clef du diagnostic Iorsque les signes pulmonaires sont au premier plan d'un tableau infectieux complexe. Sa rentabilit6 dans le diagnostic des infections opportunistes est confirm6e dans une 6tude oO le rendement global est de 60 % [2]. Les auteurs soulignent l'association fr6quente de Pneumocystis carinii avec un autre microorganisme pathog~ne darts plus de 20 % des cas (ce dernier point n'ayant pas 6t6 observ6 dans le LBA de notre patient) et, malgr6 l'introduction d'une prophylaxie de la pneumocystose et de la th6rapeutique anti-r6trovirale, l'absence de baisse du rendement global diagnostique du LBA. Le diagnostic diff6rentiel doit se poser, avant l'obtention des r6sultats de la culture, devant la d6couverte de petites levures l'examen cytologique du LBA. Leurs aspects morphologiques et tinctoriaux permettent d'61iminer d'embl6e certaines infections opportunistes fr6quemment observ6es chez l'immunod6prim6 telles qu'une pneumocystose, une mycobact6riose atypique, une toxoplasmose, une leishmaniose diss6min6e et une nocardiose [3, 5]. En revanche, devront ~tre syst6matiquement 6voqu6es au laboratoire certaines mycoses syst6miques & Iocalisation pulmonaire telles que : - une cryptococcose o0 la pneumopathie peut ~tre r6v61atrice. L'antig~ne cryptococcique s6rique est souvent positif et les levures de C. neoformans pr6sentent une capsule colorable par le bleu alcian ; une coccidioidomycose & Coccidioides irnmitis oO les primo-infections diss6min6es avec manifestations pulmonaires pr6dominantes peuvent s'observer dans ce contexte VIH. La notion de s6jour en zone end6mique (exclusivement am6ricaine) et la taille des levures inf6rieures & 6 l~m permettent le diagnostic ; -
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une sporotrichose & Sporotrichum schenkii, parfois primitivement pulmonaire avec 16sions m6tastatiques polyvisc6rales chez l'immunod6ficient, peut 6galement 6.tre discut6e sur des crit~res 6pid6miologique (absence en Guyane) et surtout morphologique (,, corps en cigare ~ de 5-6 IJ/2-3 lJ) ; - une p6nicilliose 8 Penicillium marneffei, responsable d'une pneumopathie f6brile avec polyad6nopathie. Elle ne s6vit qu'en Asie du Sud-Est. Insistons toutefois sur sa ressemblance morphologique avec H. capsulatum ayant d6j& conduit & des confusions diagnostiques dans les pays end6miques. Les caract6ristiques diff6rentielles essentielles sont l'absence de bourgeonnement, la variation de taille et la forme plus volontiers en saucisse des levures de P. rnarneffei [9]. En d6finitive, seule la culture sur milieu sp6cifique permet de porter avec certitude le diagnostic d'histoplasmose &H. capsulatum 61iminant de ce fair toute autre hypoth~se. -
3. Conclusion L'histoplasmose diss6min6e doit 6tre 6voqu6e chez tout patient infect6 par le VIH ayant s6journ6 en zone d'end6mie, particuli~rement en cas de lymphop6nie CD4 profonde. Le LBA repr6sente l'examen clef du diagnostic Iorsque les signes respiratoires sont au premier plan ; la recherche d'anticorps 6tant d6cevante chez le patient imrnunod6prim6. Cette observation souligne l'int6r6t d'une m6thodologie pr6cise au laboratoire afin que, & partir du LBA, la confrontation des donn6es cytopathologiques et de la culture permette l'identification de l'esp~ce en cause.
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