COMMUNICATIONS BRI VES
Cellulite faciale et thrombophl bite septique du sinus caverneux point de d6part dentaire J.M. GUI~RIN*, C. L A U R E N T * , P. M A N E T * , J . M . S E G R E S T A A *
Facial cellulitis and septic thrombophlebitis of the cavernous sinus of dental origin. Mots cl6s: thrombophl6bite du sinus caverneux, thrombo-
phl6bite septique, cellulite faciale, infection dentaire. Rev M d d interne, 1987 ; 8 : 416-418.
Les infections ~ point de d6part dentaire sont bien connues et sont responsables de complications iocor6gionales ou g6n6rales. La fr6quence de ces complications a diminu6 avec la progression de l'hygi~ne bucco-dentaire et avec les possibilit6s de l'antibioth6rapie adapt6e aux germes habituellement rencontr6s. Une diminution des d6fenses immunitaires peut expliquer l'infection que nous avons observ6e.
OBSERVATION
maxillaire, affirmait l'ethmoidite mais montrait aussi I'oed6me facial contenant en son sein des bulles gazeuses. I1 n'existait aucune image d'abc6dation intra-c6r6brale. Le bilan biologique d'entr6e confirmait le diab6te (glyc6mie/l 22 mmol/l) et r6v6lait une an6mie h 2260000 h6maties/mm 3, une thrombop6nie h 30000/mm 3 et une hyperleucocytose ~ 14300/mm 3 avec 96 p. 100 de cellules blastiques. Le my61ogramme confirmait le diagnostic de leuc6mie aigu6 granuleuse non my61oide. Les h6mocultures permettaient d'isoler un Escherichia Coli et un Proteus mirabilis. L'6volution fut fatale en 48 heures avec stabilisation des 16sions cutan6es et aggravation de l'6tat neurologique malgr6 l'antibioth6rapie associant c6falotine et gentamycine, adapt6e ~ la sensibilit6 des germes. L'autopsie montra une thrombophl6bite du sinus caverneux gauche, avec de nombreux amas de germes au niveau de la thrombose, du sinus caverneux et des veines faciales et un envahissement de tout le syst~me h6matopoi6tique par des cellules blastiques granuleuses.
Le 10 novembre 1985, le patient, homme de 65 ans, diab6tique non insulino-d6pendant, se plaignit de douleurs au niveau de la deuxi6me pr6molaire sup6rieure gauche. I1 existait un abc6s apical. Des soins tocaux furent pratiqu6s. Huit jours plus tard, devant un petit ~ed6me et une r6action f6brile, un traitement par trol6andomycine et acide niflumique fut institu6. Le 25 novembre, apparurent des troubles de la conscience, une rhinorrh6e purulente gauche et un oed6me de l'h6miface gauche. La temp6rature 6tait h 38°5. L'examen clinique retrouvait un ced~me facial phlegmoneux sans cr6pitation gazeuse englobant les paupi6res et une ophtalmopl6gie compl6te de l'ceii gauche. Le clich6 radiologique montrait une sinusite maxillaire gauche. L'examen tomodensitom6trique (fig. 1) confirmait la sinusite * Centre de rdanimation, Clinique thdrapeutique, hdpital Lariboisidre, Z rue Ambroise Pard 75010 Paris.
Tirds d part: J.M. Gu6rin, adresse t:i-dessus.
Fig. 1 Examen tomodensitom6trique : sinusite maxillaire, atteinte ethmoidale et cellulite faciale avec images gazeuses. Requ le 27-6-1986. Renvoi pour correction le 10-10-1986. Acceptation d6finitive le 13-11-1986.
Tome VIII Numdro 4
Cellulite faciale et thrombophldbite du sinus caverneux
DISCUSSION
Les thrombophl6bites septiques du sinus caverneux 6taient autrefofs consid6r6es comme une des complications fatales des infections faciales (1, 2, 3). I1 est classique de les o p p o s e r aux thrombophl6bites cruoriques. Avec les progr6s de l'hygi6ne, de la chirurgie faciale et de l'antibioth6rapie, elles sont devenues exceptionnelles. Ainsi Roux et Bernard (4) rapportent 22 cas de t h r o m b o s e des sinus veineux intracrfiniens et ne retrouvent qu'un cas de thrombose septique du sinus caverneux. Bousser et colt. (5) sur 38 cas de thrombose veineuse ne retrouvent aucun cas. Yarington (3) qui avait rapport6 878 cas dans la litt6rature m o n d i a l e en 1961, n'en retrouve que 28 nouveaux cas en 1977(6). Seule une publication r6cente (7) fait 6tat de 4 cas. Cette raret6 rend toute r e c o m m a n d a t i o n th6rapeutique difficile car elle ne peut se fonder que sur des faits anecdotiques (8). Le d6but de la thrombophl6bite, habituellement brutal, peut en fait varier de 1 ~ 27 jours (8), et se manifeste p a r des signes de thrombose veineuse. Tr~s r a p i d e m e n t le tableau se compl6te et associe trois 616ments. Les signes d'obstruction veineuse sont l'oed6me palp~bral avec cordons veineux palp6braux, la dilatation des '¢eines du front, le ch6mosis et l ' e x o p h t a l m i e axiale douloureuse. La compression nerveuse de la face externe du sinus caverneux donne au m a x i m u m une ophtalmopl6gie compl6te, ou une atteinte dissoci6e avec un ptosis, une paralysie dissoci6e des nerfs oculomoteurs, une mydriase fixe, une atteinte des branches du nerf trijumeau (essentiellement les branches ophtalmiques ou maxillaire sup+rieure) se traduisant par une anesth6sie ou plus souvent par des paresth6sies. I1 peut exister une anesth6sie corn6enne et rarement un trismus. L'acuit6 visuelle peut 6tre alt6r6e et aller jusqu'h la c6cit6 (9, 10). Le fond d'~eil r6v~le un ced~me papillaire avec dilatation veineuse ; parfois la papille est pale, faisant suspecter une atteinte art6rielle associ6e (9, 10). Troisi6me 61+ment, les signes g6n6raux infectieux sont souvent majeurs (8). L'6volution est caract6ristique avec apparition de signes controlat6raux (8): ce caract+re distingue de faqon formelle des thromboses septiques du sinus caverneux des cellulites r6tro-orbitaires qui demeurent strictement unilat6rales (9). Parall61ement h cette extension, il est frequent de noter des signes de localisation (8, 10), des signes m6nin~6s avec ~ la ponction lombaire un tableau de m6ningite puriforme aseptique (8) et des troubles de la conscience aboutissant au coma p r o f o n d ar6actif. L'61ectro-enc6phalogramme montre des signes de souffrance c6r6brale sans aucun signe de sp6cificit6. L'examen tomodensitom6trique objective l'exophtalmie et peut 6galement dans certains cas pr6ciser l'6tiologie de la thrombose septique du sinus caverneux. II a surtout le m6rite d'61iminer une autre 6tiologie (tumeur, abc6s). La nouvelle g+n6ration de scanner utilisant des coupes fines de 3 mm et r6alisant des coupes axiales et coronales avec opacification p o u r visualiser le sinus
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caverneux (7), serait p o u r certains le seul examen n6cessaire pour d o c u m e n t e r la thrombose. L'imagerie par r6sonance magn6tique nucl6aire (11) donne des images e x t r f m e m e n t fines du sinus caverneux et devrait aussi jrendre le diagnostic plus ais6. Les autres examens radiologiques ne doivent 6tre employ6s que dans des cas particuliers : l'art~riographie carotidienne peut m o n t r e r un r6tr6cissement de l'art6re carotide interne dans son segment intracaverneux (7) ; la ph6bographie orbitaire est refus6e p a r la p l u p a r t (8) dans les thromboses septiques, car c o m p o r t a n t des risques d'extension de la thrombose (10); enfin certains (9) ont propos6 la phl6bographie r6trograde par opacification des sinus p6treux. Le caract6re septique de la thrombose ne peut 6tre apport6 que de faqon indirecte. Les h6mocultures sont tr6s g6n6ralement positives, mais la n6gativit6 n'~carte pas le diagnostic (8). L'isolement de germes dans le liquide c6phalo-rachidien, bien que rare, permet d ' a f f i r m e r le diagnostic. La preuve d ' u n e infection focale cervico-faciale avec isolement d ' u n germe est un argument de tr~s forte pr6somption. Sch6matiquement, le sinus est un plexus veineux form6 par la r6union des veines ophtalmiques drainant la face (confluent ant6rieur), des plexus pt6rygoidiens drainant les sinus et l'espace bucco-pharyng6 (confluent inf6rieur) et des sinus p6treux drainant les mastoides (confluent post6rieur). La thrombophl6bite septique prend son origine dans un de ces affluents et peut r6pondre h des 6tiologies tr6s vari6es. Shaw en 1952 (2) retrouvait une origine faciale dans 62 p. 100 des cas, bucco-pharyng6e et sinusienne dans 23 p. 100 et mastoidienne dans 8 p. 100. Pour Clune en 1963 (12) les taux sont respectivement de 42 p. 100, 30 p. 100 et 13 p. 100 des cas. La n a t u r e des germes rencontr6s rend compte de l'origine. Ainsi le Staphylocoque est souvent retrouv6 et correspond ~ une invasion par voie ant6rieure : c'est la classique staphylococcie maligne de la face secondaire ~i un point de d6part cutan6 (furoncle de la face n6glig6) ; il a remplac6 dans ces infections faciales le Streptocoque souvent en cause autrefois (13). Dans les cas a point de d6part ORL, les germes sont b e a u c o u p plus vari6s et parfois multiples, traduisant l'6cologie bact6rienne que l'on retrouve dans les sinusites (maxillaires, sph6no'fdales), les ethmoidites ou les mastoidites avec une pr6dilection p o u r les bacilles G r a m n6gatif et les ana6robies (8, 10, 14, 15, !6). Quelques cas de mycose ont 6t6 rapport6s (8). Les thromboses septiques du sinus caverneux ~ point de d6part dentaire 6taient plus fr6quentes a u t r e f o i s : Childs et Courville (1) en 1942 en retrouvaient 74 cas publi6s. Ces auteurs s6parent les diff6rentes voies d'extension possibles: par I'interm6diaire d ' u n e cellulite faciale (voir ant6rieure ophtalmique) qu'ils retrouvent dans 9 cas et par voie pt6rygoidienne qu'ils retrouvent dans 32 cas. Ailleurs ta voie est mixte et non pr6cisable. Des cas plus r6cents ont 6t6 rapport6s (17, 18, 19, 20, 21). L'extension se fait par l'interm6diaire d ' u n e cellulite faciale ou p a r l'interm6diaire d ' u n e
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J.M. Gudrin et coll.
La Revue de M(decine interne Septembre-octobre 1987
sinusite purulente ou d ' u n abces p a r a p h a r y n gien (21). Dans les cas de thromboses septiques du sinus caverneux se d e v e l o p p a n t par vote anterieure (8), les germes actuellement retrouves sont essentiellement des ana6robies (18, 20, 21) associes des bacilles G r a m negatifs. Le diagnostic etait autrefois uniquement anat o m o - p a t h o l o g i q u e , t o u s l e s cas 6taient donc mortels. Parmi les cas publics actuellement, certains sont discutables, sans preuve directe de la thrombose sept i q u e : ils s ' a p p u i e n t sur les criteres cliniques resumes p a r M e h r o t a ( 1 7 ) et comportent une porte d'entree h l'infection, des signes de septicemie, une paresie des III, IV, VI et des signes d ' o b s t r u c t i o n veineuse retinienne ou au niveau des veines de drainage de l'orbite. II est certain que des infections severes telles q u ' u n e ethmo]'dite aigue, une cellulite retro-orbitaire ou une cellulite faciale peuvent donner le meme tableau et ont un meilleur pronostic que les thromboses septiques. C e p e n d a n t ces memes infections peuvent a b o u t i r b. une thrombose septique du sinus caverneux authentique. Le pronostic etait fatal avant I'ere des antibiotiques. En 1960, Yarington (3) notait une mortalit6 de 80 p. 100, et en 1977 (6) de 14 p. 100. En fait de nombreux cas sont encore mortels (13, 20, 21), mats le traitement precoce de ces infections a certainement 6t6 ~ l'origine de l ' a m e l i o r a t i o n du pronostic. II peut
exister des sequelles o p h t a l m o l o g i q u e s sous forme de cecit6 unilaterale (9) ou bilaterale (22), et parfois des sequelles neurologiques (7). I1 est rare de noter l'existence de tares favorisant l'extension infectieuse. Parfois sont notes un diabete(22), ou une h e m o p a t h i e maligne(16). Dans notre cas la coexistence d ' u n diabete et d ' u n e leucemie aigue avec une infection dentaire negligee explique la diffusion de l'infection. Le traitement repose classiquement sur l'antibiotherapie adaptee aux germes et ~ l'6radication des foyers initiaux. Etant d o n n e tes germes trouves, l'antibiotherapie doit viser le staphylocoque si le point de depart est cutan6 et les bacilles G r a m negatif et les Anaerobies en cas de point de d e p a r t dentaire ou ORL. L'utilisation des anticoagulants est tres controversee. Certains utilisent l ' h e p a r i n e ~ la phase aigue (6, 9, 12, 17, 18, 22) p o u r prevenir l'extension de la thrombose, d i m i n u e r la dissemination metastatique et aider la repermeation du thrombus. D'autres au contraire (7, 10, 14, 15, 19) ne les utilisent pas, jugeant qu'ils n'ont pas fait la preuve de leur utilite. La meme attitude existe vis ~ vis de la corticotherapie. Certains la preconisent (7, 9, 10, 12), d'autres non (14, 15, 19). Le traitement symptomatique le plus minutieux est obligatoire tel le traitement anticomitial, lo'rsqu'il existe des signes neurologiques avec possibilit6 de convulsion (7).
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