Chirurgie pulmonaire dans la tuberculose et les mycobactérioses atypiques

Chirurgie pulmonaire dans la tuberculose et les mycobactérioses atypiques

Revue de Pneumologie clinique (2012) 68, 77—83 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com MISE AU POINT Chirurgie pulmonaire dans la tuberculos...

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Revue de Pneumologie clinique (2012) 68, 77—83

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

MISE AU POINT

Chirurgie pulmonaire dans la tuberculose et les mycobactérioses atypiques Thoracic surgery in tuberculosis and non-tuberculous mycobacterial diseases P. Mordant a,b, A. Badia a,b, F. Le Pimpec-Barthes a,b, M. Riquet a,∗,b a

Service de chirurgie thoracique, hôpital européen Georges-Pompidou, Assistance publique—Hôpitaux de Paris, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France b Université Paris-5, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris, France Disponible sur Internet le 22 février 2012

MOTS CLÉS Tuberculose ; Mycobactéries atypiques ; Séquelles ; Aspergillome ; Chirurgie

KEYWORDS Tuberculosis; Non-tuberculosis mycobacteria; Sequels; Aspergilloma; Surgery



Résumé La chirurgie de la tuberculose et des mycobactéries atypiques est le plus souvent réalisée à titre diagnostique sur des adénopathies médiastinales ou des épanchements pleuraux. Cependant, il persiste des indications de résection parenchymateuse à visée thérapeutique, pour tuberculose multirésistante (TB-MR), en complément des traitements antibiotiques prolongés. De plus, les séquelles de tuberculose compliquées (poumon détruit, aspergillomes intracavitaire et hémoptysie en relation avec ses séquelles peuvent relever aussi de la chirurgie après préparation médicale soigneuse). Enfin la résection chirurgicale de lésions en rapport avec des infections à Mycobacterium avium et M. xenopii est associée avec un taux élevé de négativation des expectorations et une faible morbidité. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Tuberculosis and non-tuberculous mycobacteria are common indications of pleural and mediastinal surgery on a diagnostic intend. However, parenchymatous resection on a curative intend has been proven to benefit to patients with multiresistant tuberculosis in adjunction with prolonged antibiotic treatment. Furthermore, tuberculosis sequelae, i.e. destroyed lung, Aspergillus-infected cavitary tuberculosis, and related hemoptysis are eradicated by a surgical management after careful medical preparation. Finally, surgical resection of localized Mycobacterium avium and M. xenopii infections is associated with a high rate of sputum conversion and a low morbidity. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Riquet).

0761-8417/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pneumo.2012.01.003

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Introduction La chirurgie de la tuberculose est le point de départ historique de la chirurgie thoracique. Malgré un repli net des indications depuis l’apparition des antibiotiques, l’augmentation du nombre de patients immunodéprimés et l’émergence de mycobactéries multirésistantes (résistance au moins à l’isoniazide et la rifampicine) peuvent conduire à une prise en charge chirurgicale. La chirurgie de la tuberculose et des mycobactéries atypiques est le plus souvent réalisée à titre diagnostique sur des adénopathies médiastinales ou des épanchements pleuraux. Cependant, il persiste des indications de résection parenchymateuse à visée thérapeutique, pour tuberculose multirésistante (TB-MR), en cas de séquelles compliquées, ou en présence de mycobactéries atypiques.

Historique La tuberculose pulmonaire a été décrite pour la première fois par Laennec en 1819 [1]. Les premières tentatives de traitement de la tuberculose furent basées sur le drainage des cavités infectées, volontairement comme suggéré par Willis en 1864, ou accidentellement comme observé par Bligny en 1870 après la guérison d’un tuberculeux suite à une plaie thoracique par arme blanche. Malgré ces observations préliminaires, seule la cure de repos est proposée aux patients tuberculeux jusqu’en 1880, expliquant la création puis le développement des sanatoriums [2]. En 1882, Koch décrit l’agent pathogène de la tuberculose, tandis que Forlanini applique les observations préliminaires au concept de pneumothorax thérapeutique, ou collapsothérapie. Cette méthode efficace connaît néanmoins un taux d’échec de près de 30 % et des complications liées aux adhérences pleurales qui freinent sa diffusion. En 1910, Jacobaeus propose de réaliser les pneumothorax sous thoracoscopie pour sectionner et électrocoaguler ces adhérences, avec 60 % de succès [3]. La collapsothérapie par pneumothorax fut employée jusqu’en 1945, puis totalement abandonnée [2]. Les thoracoplasties comprennent toutes les techniques d’ablation des côtes visant à effondrer la paroi thoracique. Proposées dès la fin du xixe siècle, les thoracoplasties pouvaient chercher l’affaissement d’un empyème pleural (indication pleurale d’Estlander, 1879) ou l’atélectasie d’un lobe en traitement d’une caverne (indication pulmonaire de De Cerenville, 1885). Cependant, l’étendue de la thoracoplastie, l’instabilité de la paroi, et le risque hémorragique entachaient la technique d’une morbimortalité élevée. Il fallut attendre les améliorations apportées par la résection costale sous périostée, postérieure, et apicale, pour atteindre une morbimortalité raisonnable et une efficacité dans deux tiers des cas. Les indications de thoracoplasties ont beaucoup diminué avec l’avènement des antibiotique, mais ces techniques restent pratiquées dans certaines atteintes pleurales [2]. Le troisième traitement chirurgical proposé aux patients atteints de tuberculose fut la résection pulmonaire, pratiquée avec succès chez l’animal. La première tentative fut réalisée par Block en 1883 : opérateur très doué chez l’animal, il pratiqua la résection des deux apex pulmonaires

P. Mordant et al. chez son cousin qui en mourut ; aucune tuberculose ne fut retrouvée sur les pièces d’exérèse et pour sauver son honneur, Block se donna la mort [4]. La première résection apicale avec survie et guérison fut réalisée par Tuffier en 1891, ouvrant la voie à des expériences isolées, puis à une prise en charge standardisée avec ligature séparée des vaisseaux, fermeture soigneuse du moignon bronchique, et enfin utilisation de la pénicilline après 1929 [2]. Après 1945 et le développement des antituberculeux, la chirurgie de la tuberculose devint une chirurgie de résection. Entre 1950 et 1970, les indications de thoracoplastie diminuaient, quand les résections réglées devenaient plus fréquentes, avec des indications initialement larges : les patients étaient opérés en cas de persistance d’une caverne ou d’un nodule caséeux après traitement, d’extension sous traitement, de séquelle tuberculeuse, etc. [5]. Les indications sont progressivement devenues plus raisonnables, et la chirurgie de la tuberculose est de nos jours moins souvent une chirurgie d’exérèse parenchymateuse qu’une chirurgie diagnostique, pleurale et médiastinale surtout [4].

Aspect actuel de la tuberculose et des mycobactéries atypiques Les années 1980 ont été marquées par une recrudescence de la tuberculose, que les autorités publiques et sanitaires peinent à contrôler. Dans le monde, plus de deux milliards de personnes sont contaminées par le bacille de Koch (BK), dont 200 millions développeront la maladie au cours de leur existence. En 2009, on a compté 9,4 millions de nouveaux cas, entrainant 1,7 million de décès, dont 380 000 porteurs du VIH. Toujours au niveau mondial, après avoir atteint un pic à 142 cas / 100 000 habitants en 2004, le taux d’incidence a baissé pour atteindre 137 cas / 100 000 habitants en 2009. Cette diminution globale cache de fortes disparités. Ainsi, les taux d’incidences ont dépassé les seuils pandémiques dans 15 pays, dont 13 sont situés en Afrique. Dans le même temps, la TB-MR a touché 440 000 nouveaux cas et provoqué 150 000 décès. La TB-MR concerne 3,3 % des nouveaux cas de tuberculose dans le monde, et jusqu’à 28 % dans certaines républiques d’Europe de l’Est (Chiffres OMS). En France, le nombre de cas de tuberculose maladie déclarés était de 5276 cas en 2009, soit 8,2 cas / 100 000 habitants. L’incidence de la tuberculose a baissé régulièrement depuis 1972 et semble se stabiliser dans les années récentes. La proportion de cas de tuberculose déclarés avec une souche multirésistance MDR était de 1,7 % en 2008. La France est donc considérée comme un pays à faible incidence de tuberculose et à faible incidence de tuberculose mulitrésistante. Ce classement ne doit pas faire oublier les risques d’incidence élevée et de multirésistance spécifiques à certains groupes de population (défavorisés, migrants, vivants en collectivité, immunodéprimés) et dans certaines zones géographiques (Ile de France, Guyane) [6].

Chirurgie pulmonaire pour tuberculose Visée diagnostique La première cause de chirurgie pulmonaire pour tuberculose est une chirurgie à visée diagnostique devant une image

Chirurgie pulmonaire dans la tuberculose et les mycobactérioses atypiques parenchymateuse d’origine indéterminée. La multiplication actuelle des scanners thoraciques et leur validation en cours dans le dépistage du cancer bronchopulmonaire chez le sujet fumeur conduisent de plus en plus souvent à l’identification de nodules pulmonaires. Ainsi dans la récente publication du National Lung Screening Trial, trois scanners thoraciques réalisés à un an d’intervalle chez des sujets de 55 à 75 ans ayant un tabagisme supérieur à 30 paquets-années conduisent à l’identification d’une image suspecte dans 40 % des cas, dont seuls 2,4 % seront des cancers broncho pulmonaires, les autres étiologies comprenant les incidentalomes, tumeurs bénignes, infections à germe banal, et infections à mycobactéries [7]. De plus, la tomodensitométrie par émission de positrons (TEP) a un taux de faux positifs élevé pour le diagnostic de nodules pulmonaires malins dans les zones à incidence tuberculeuse élevée, la tuberculose étant responsable de plus de 50 % des faux positifs [8]. Les indications chirurgicales à visée diagnostique ont représenté jusqu’à 30 % de la chirurgie pour tuberculose. Il s’agit le plus souvent de lésions localisées évoquant un cancer bronchopulmonaire sans histologie préopératoire (Fig. 1), mais il peut également s’agir de lésions localisées d’une tuberculose prouvée bactériologiquement, dont la croissance lente fait redouter un cancer surinfecté [4]. Des cas plus atypiques d’atteinte tuberculeuse extensive mimant une atteinte pariétale ou cervicothoracique ont été rapportés [9]. Ces lésions peuvent actuellement bénéficier d’une ponction transthoracique guidée par scanner, qui affirme le diagnostic de tuberculose devant deux des trois aspects suivants : cellules épithélioïdes, cellules géantes multinuclées, nécrose caséeuse, même en l’absence de bacille acido-alcoolo résistant (BAAR) ou de Mycobacterium tuberculosis [10]. En cas de doute, une PCR spécifique peut être réalisée sur ces prélèvements [11]. Les progrès conjugués du scanner, de la TEP, des ponctions trans thoraciques, et de la bactériologie conduisent à une diminution des indications de chirurgie pulmonaire diagnostique dans la tuberculose, situé autour de 2 % des interventions de chirurgie thoracique dans une étude récente [12]. Le bilan préopératoire comprend l’imagerie thoracique, la TEP, une fibroscopie bronchique avec des prélèvements bactériologiques, et éventuellement une ponction sous scanner. La préparation préopératoire inclut un sevrage tabagique de plus de 15 jours. La résection diagnostique d’une lésion tuberculeuse est réalisée sous anesthésie générale, intubation orotrachéale sélective, et installation en décubitus latéral. La voie d’abord est de plus en plus souvent une vidéothoracoscopie, éventuellement convertie en thoracotomie en cas d’adhérences pleurales majeures. Des résections par chirurgie robot-assistée ont fait l’objet de cas cliniques isolés [13]. Les observations peropératoires ne retrouvent que rarement des adhérences pleurales dans ce contexte de lésion parenchymateuse isolée. Le geste réalisé est le plus souvent une résection atypique devant une lésion périphérique, plus rarement une lobectomie en cas de lésion centrale, apportant à la fois le diagnostic et une partie du traitement. Les suites postopératoires sont le plus souvent simples. Le patient doit ensuite bénéficier d’un traitement antituberculeux standard [4].

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Tuberculose multirésistante La TB-MR est définie comme résistante au moins à l’isoniazide et la rifampicine. La tuberculose ultrarésistante (TB-UR) est définie comme résistante à n’importe quelle fluoroquinolone, et à un des médicaments injectables de troisième ligne (capreomycine, kanamycine, amikacine). La TB-MR a commencé à devenir un problème thérapeutique dans les années 1970. La prise en charge incluait alors une hospitalisation longue, le recours à des antituberculeux injectables, mais sans traitement par quinolones et avec un recours anecdotique à la chirurgie. Sur 171 patients pris en charge entre 1973 et 1983 pour TB-MR dans un centre de référence américain, Goble et al. retrouvent un taux de mortalité spécifique de 22 % et un taux de guérison de 56 %, après une hospitalisation médiane de neuf mois [14]. Depuis, l’apparition des quinolones et le recours fréquent à la résection chirurgicale ont bouleversé le pronostic de ces patients. Sur 205 patients traités dans le même centre entre 1984 et 1998, le taux de mortalité spécifique est de 12 % et le taux de guérison de 75 %, après une hospitalisation médiane de trois mois. Réalisée chez 63 % des patients de la série, mais 83 % des patients pris en charge après 1995, la chirurgie était associée à une négativation microbiologique de fac ¸on significative et dans des proportions plus importantes que l’usage des fluoroquinolones [15]. Malgré des séries médicochirurgicales bien construites [14—16] et des séries chirurgicales nombreuses [12,17—21] montrant toutes l’efficacité de la prise en charge chirurgicale de la TB-MR, ces indications de résection demeurent confidentielles en France, sans que les résultats de cette attitude conservatrice ne soient publiés. Dans la littérature internationale, cette chirurgie est pourtant associée à un taux de guérison à long terme situé entre 90 et 98 %, au prix d’une mortalité opératoire située entre 0 et 3,3 % [12,17—21] (Tableau 1). Les indications de chirurgie pulmonaire thérapeutique dans la TB-MR sont donc situées autour de 2 % des interventions de chirurgie thoracique dans une étude japonaise récente [12], mais restent exceptionnelles dans les centres franc ¸ais. Le bilan préopératoire est réalisé dans un centre spécialisé dans la prise en charge de la TB-MR, et inclut des prélèvements bactériologiques répétés et une adaptation de l’antibiothérapie à la sensibilité des germes et aux effets secondaires observés. L’indication chirurgicale est posée en cas de lésions limitées à un poumon ou concentrées dans des zones anatomiques précises et résécables. La préparation préopératoire inclut alors un sevrage tabagique, un soutien nutritionnel, et la poursuite des traitements anti tuberculeux. La résection d’une lésion de TB-MR est réalisée sous anesthésie générale, intubation orotrachéale sélective et installation en décubitus latéral. La voie d’abord est classiquement une thoracotomie, mais certains ont recours de plus en plus souvent à une vidéothoracoscopie [22]. L’intervention débute par le prélèvement d’un lambeau musculaire qui viendra renforcer la suture bronchique. Les observations peropératoires retrouvent des adhérences pleurales pouvant réaliser une symphyse serrée et nécessiter une libération laborieuse et hémorragique. Le geste réalisé est le plus souvent une lobectomie (45 à 77 % des cas), parfois une pneumonectomie (20 à 54 % des cas). Les

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P. Mordant et al.

Tableau 1 Résumé des séries de résections chirurgicales dans le traitement de la TB-MR (incluant plus de 20 patients, depuis 2000). Auteur (référence)

n

Gestes

Morbidité significative (%)

Mortalité postopératoire (%)

Taux de guérison (%)

Pomerantz [17]

172

Pie 54 % Lobe 46 % Pie 36 % Lobe 56 % Autres 8 % Pie 20 % Lobe 77 % Autres 3 % Pie 53 % Lobe 45 % Autres 2 % Pie 44 % Lobe 56 % Pie 32 % Lobe 53 % Autres 15 %

12

3,3

98

23

0

90

14,3

2,9

92

5

2,5

94,5

25

0

91

11

<1

90

Shiraisi [18]

30

Takeda [12]

26

Kir [19]

79

Wang [20]

56

Kang [21]

72

Pie : pneumonectomie ; Lobe : lobectomie ; Autres : segmentectomie et résection atypique.

suites opératoires nécessitent une analgésie efficace, une kinésithérapie intensive, et la poursuite d’une antibiothérapie adaptée aux germes retrouvés sur la pièce opératoire. Une morbidité significative (saignement, fistule bronchique, empyème, cavité résiduelle) est retrouvée dans 5 à 25 % des cas, conduisant à une mortalité opératoire comprise entre 0 et 3,3 %. Une fois le cap de l’intervention franchi, le patient doit bénéficier d’un traitement anti tuberculeux prolongé pendant 18 à 24 mois [23].

Séquelles compliquées Les destructions parenchymateuses post-tuberculeuses prédominent au niveau des lobes inférieurs. Ces destructions peuvent se surinfecter, réalisant un tableau d’infections récidivantes puis de colonisation prolongée proche du tableau de dilatation des bronches. La prise en charge est donc identique : kinésithérapie respiratoire, soutien nutritionnel, antibiothérapie prolongée adaptée aux résultats de prélèvements bactériologiques répétés. Une prise en charge chirurgicale est proposée en cas de récidives trop fréquentes des pneumopathies, sans qu’aucun seuil n’ait été fixé formellement. Le bilan préopératoire comprend alors de nouveaux prélèvements bactériologiques afin de connaître la colonisation bronchique. La préparation préopératoire doit être rigoureuse chez ces patients fragiles, souvent dénutris, parfois colonisés à germes multirésistants. L’attitude chirurgicale est la même que pour l’exérèse parenchymateuse des TB-MR : thoracotomie car la thoracoscopie paraît difficile dans ses conditions chirurgicales laborieuses [22], préparation d’un lambeau musculaire, résection parenchymateuse anatomique, souvent extrapleurale à cause de la symphyse pleurale serrée, renfort de la suture bronchique par le lambeau musculaire. Les suites nécessitent là encore une analgésie efficace et une kinésithérapie respiratoire intensive. Aucun traitement

antibiotique postopératoire n’est nécessaire en l’absence de signes cliniques d’infection [4,24]. Dans une série récente incluant 172 patients opérés pour destruction parenchymateuse d’origine tuberculeuse, Bai et al. retrouvait la présence de BK dans près de 30 % des cas. La prise en charge a nécessité une pneumonectomie, voire une pleuropneumonectomie, dans plus de 80 % des cas. Malgré cela, le taux de mortalité postopératoire s’établissait à 3 %, le taux de complications à 19 %, et le taux de guérison à 92 % [25]. Si la proportion de pneumonectomie reflète clairement la gravité des patients pris en charge dans cette étude, les chiffres de morbi-mortalité favorables montrent que cette chirurgie difficile peut être proposée à des patients sélectionnés dans les centres spécialisés [4,24]. Les cavernes post-tuberculeuses prédominent au niveau des lobes supérieurs. Ces cavernes peuvent se surinfecter, le plus souvent à Aspergillus. Le tableau clinique comprend en général une altération de l’état général, un toux chronique, voire des hémoptysies répétées. L’image en grellot, mobile aux changements de positions, est classique mais ni spécifique, ni systématique. La caverne présente souvent un contact pleural, voire au maximum une fistulisation spontanée dans la plèvre sous forme d’hydropneumothorax. Les prélèvements fibroscopiques peuvent rester négatifs. La sérologie aspergillaire n’est pas toujours contributive. L’histoire naturelle de l’aspergillome sur séquelle tuberculeuse est dominée par le risque d’hémoptysie massive, conduisant au décès de 5 % des patients dans les trois ans suivant le diagnostic [26]. Il n’existe aucun facteur prédictif de la survenue d’une hémoptysie massive, ce qui constitue le meilleur argument pour une prise en charge chirurgicale de ses patients, d’autant que la chirurgie demeure le seul traitement curatif possible. La plupart des équipes préconisent un traitement antifongique pour encadrer le geste chirurgical, sans preuve scientifique formelle. Les suites postopératoires sont marquées par les problèmes de

Chirurgie pulmonaire dans la tuberculose et les mycobactérioses atypiques

Figure 1. Tuberculome : aspect scannographique d’un nodule pulmonaire aspécifique.

réexpansion pulmonaire et de cavité pleurale résiduelle, qui font courir le risque d’une aspergillisation pleurale secondaire (Fig. 2). D’après une série récente, la chirurgie de l’aspergillome évolue progressivement vers moins de tuberculoses sous-jacentes, moins d’aspergillomes complexes, moins de saignements ou de problèmes pleuraux postopératoires, et une mortalité nulle [27]. Cette prise en charge moderne aboutit à des taux de survie de 80 % à dix ans [28,29]. Enfin, destructions parenchymateuses surinfectées et cavernes tuberculeuses aspergillisée sont une source importante d’hémoptysie. Si elles sont fréquentes et banales au cours de la tuberculose, ces hémoptysies sont plus rares et plus inquiétantes dans le cadre de séquelles tuberculeuses. Cependant, selon certaines études, des hémoptysies entacheraient l’évolution de 25 % des cas de destruction parenchymateuse [25] à 66 % des cas d’aspergillome [28]. La prise en charge en urgence inclut la protection des voies aériennes, si besoin par une intubation orotrachéale, puis une fibroscopie afin de repérer l’origine du saignement et de pratiquer des manœuvres hémostatiques locales. En cas d’échec, l’artériographie bronchique avec embolisation sélective des branches concernées ne doit pas être retardée. Cette prise en charge a transformé le pronostic de ces patients, et la chirurgie d’urgence pour hémorragie cataclysmique est devenue exceptionnelle [4]. Malgré des controverses passées, il n’existe plus d’indication chirurgicale systématique en cas d’hémoptysie ayant nécessité une artério-embolisation si celle-ci a été efficace [30,31]. En revanche, il existe une indication chirurgicale programmée en cas d’hémoptysies modérées récidivantes ou d’hémoptysie importante initialement contrôlée par le traitement non chirurgical [4,24].

Chirurgie pulmonaire pour mycobactéries atypiques Généralités Les mycobactéries atypiques comprennent toutes les mycobactéries non tuberculeuses. Ces mycobactéries ont

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bénéficié de plusieurs appellations différentes en anglais, jusqu’au terme de mycobactéries environnementales (environmental mycobacterial — EM) actuellement utilisé par les anglo-saxons. Les mycobactéries atypiques infectent préférentiellement un parenchyme pulmonaire touché par une infection tuberculeuse, une dilatation des bronches, ou une pneumopathie radique. La présence d’une mucoviscidose, d’un déficit en alpha-1 antitrypsine, d’une dysfonction ciliaire, d’une BPCO, d’une fibrose, d’une polyarthrite, d’un reflux gastro-œsophagien, ou d’une immunosuppression sont également des facteurs de risque [32]. Les mycobactéries atypiques sont présentes dans l’environnement, et il n’existe pas de transmission interhumaine, expliquant l’absence de données épidémiologiques fiables. M. avium et M. intracellulare sont difficiles à distinguer en culture, et ont donc été regroupées sous le terme de M. Avium complex, ou MAC, qui prédomine en Amérique du Nord. M. Xenopii est plus fréquente en Europe. D’autres mycobactéries atypiques font l’objet de cas cliniques disparates, mais dont la fréquence semble augmenter : M. abscessus, M. chelonae, M. simaie, etc. [4,24]. Les mycobactéries atypiques provoquent des infections indolentes, qui peuvent être négligées ou traitées pendant des années avant d’éradiquer le germe, de nécessiter une résection chirurgicale, ou d’entraîner une altération de l’état général limitant la prise en charge aux soins palliatifs [24]. Une forme particulière a été décrite par Pomerantz et al. en 1996. Il s’agit d’une infection à MAC du lobe moyen et de la lingula qui provoque toux et dyspnée chronique chez des femmes de 50 à 70 ans souffrant de troubles squelettiques. Ce syndrome a été baptisé Lady Windermere en référence à un personnage d’une pièce d’Oscar Wilde [33].

Prise en charge Actuellement, le traitement des infections à mycobactéries atypiques est d’abord médical, même si cette poly antibiothérapie prolongée basée en partie sur les molécules antituberculeuses, entraîne beaucoup de résistances et effets secondaires pour une efficacité inconstante. Cette efficacité peu satisfaisante du traitement médical pose la question d’un traitement chirurgical complémentaire [24]. Une indication chirurgicale doit être discutée en cas d’infection polymicrobienne, de résistance à un traitement antibiotique bien conduit, d’effet secondaire rédhibitoire, et à la condition que l’infection se présente sous la forme d’une lésion nodulaire ou excavée [4]. La chirurgie est programmée après un bilan bactériologique complet et une préparation préopératoire sérieuse. La voie d’abord peut être une vidéothoracoscopie ou une thoracotomie. Le geste est une résection atypique en cas de lésion nodulaire périphérique, ou anatomique en cas de lésion excavée centrale. La couverture bronchique n’est nécessaire qu’en cas de résection anatomique. En postopératoire, les prélèvements bactériologiques doivent être répétés pendant de longs mois, car des positivité tardives sont toujours possibles [34,35]. Dans le cas de M. xenopii, la résection chirurgicale complète est associée à une négativité des prélèvements bactériologiques postopératoires dans 89 % des cas, au prix d’une morbidité estimée à 27 % et d’une mortalité nulle [34]. Dans le cadre de M. avium, la résection chirurgicale,

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P. Mordant et al.

Figure 2. Aspergillome sur caverne tuberculeuse : haut : radiographies thoraciques préopératoires ; milieu : scanner thoracique préopératoire et pièce de résection ; bas : radiographies thoraciques postopératoires avec un défaut de réhabitation apical entraînant une cavité résiduelle pleurale.

thoracoscopique dans 97 % des cas et bilatérale dans 28 % des cas, est associée à une négativité des prélèvements bactériologiques dans 84 % des cas, au prix d’une morbidité de 7 % et d’une mortalité nulle [35].

post-tuberculeuse, de caverne aspergillisée, ou de mycobactérie atypique. Ces indications doivent être connues des pneumologues et des chirurgiens thoraciques, afin de ne pas prolonger des traitements médicaux inefficaces et/ou toxiques chez des patients pouvant bénéficier d’une prise en charge chirurgicale.

Conclusion L’évolution de la chirurgie des mycobactéries a fait l’histoire de la chirurgie thoracique. Actuellement, les indications de résection parenchymateuse restent le seul moyen de guérir des patients atteints de TB-MR, de destruction pulmonaire

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Chirurgie pulmonaire dans la tuberculose et les mycobactérioses atypiques

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