Comprendre et prévenir l’arthrose cervicale précoce de l’adulte atteint de paralysie cérébrale et ses complications

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ScienceDirect Motricité cérébrale xxx (2015) xxx–xxx www.em-consulte.com

Prévention et traitement des troubles orthopédiques

Comprendre et prévenir l’arthrose cervicale précoce de l’adulte atteint de paralysie cérébrale et ses complications Neck pain and their complication in adults with cerebral palsy: Etiology and prevention P. Toullet Institut motricité cérébrale, 217, rue Saint-Charles, 75015 Paris, France

Résumé Les douleurs cervicales sont très fréquentes chez les sujets atteints de paralysie d’origine cérébrale adultes. Elles peuvent intervenir précocement. Le trouble cérébromoteur et la distribution des contractions pathologiques fréquentes qui en découlent concernant l’axe corporel et la ceinture scapulaire sont à l’origine de ces douleurs. Cependant il existe des causes iatrogènes liées bien souvent à des installations assises inadaptées et à des efforts fonctionnels trop importants. Nous devons intégrer dans notre pratique rééducative et réadaptative quotidienne auprès des enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale ou polyhandicapés, ces éléments de prévention à long terme. # 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.

Abstract Neck pain is very common in adults with cerebral palsy. They can occur early. The neurological disorder and the distribution of frequent pathological contractions that result involving the body axis and the pectoral girdle are the cause of such pain. However there are iatrogenic causes often related to inadequate seating facilities and excessive functional efforts. These long-term prevention elements must be part of our everyday rehabilitative and readaptive practice among children with cerebral palsy. # 2015 Published by Elsevier Masson SAS. Mots clés : Cervicalgie ; Douleur ; Prévention ; Paralysie cérébrale Keywords: Neck pain; Pain; Prevention; Cerebral palsy

1. Introduction

Adresse e-mail : [email protected].

La cervicalgie est une pathologie fréquente dans la population générale. Les cervicalgies plus ou moins polymorphes aiguës ou chroniques, avec ou sans irradiations dans le membre supérieur, avec ou sans

http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2015.10.001 0245-5919/# 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.

Pour citer cet article : P. Toullet, Comprendre et prévenir l’arthrose cervicale précoce de l’adulte atteint de paralysie cérébrale et ses complications, Motricité cérébrale (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2015.10.001

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syndrome médullaire associé, sont fréquentes : 70 à 80 % de la population adulte [1]. C’est une pathologie dégénérative liée au vieillissement qui apparaît généralement après 55 ans. Il est tout à fait intéressant de constater que cette pathologie est plus fréquente encore chez les sujets atteints de paralysie d’origine cérébrale et apparaît plus précocement, dès 45 ans [2]. Cette pathologie peut évoluer vers une névralgie cervicobrachiale. Elle correspond à une compression intra- ou extradurale en lien avec un conflit discoligamentaire ou bien une sténose osseuse. Une autre complication à cette cervicalgie commune est représentée par la myélopathie cervicarthrosique qui se caractérise par une atteinte médullaire à évolution lente et souvent insidieuse (Fig. 1) [2–4]. La mobilité importante de la colonne vertébrale cervicale haute implique la présence d’un système de contrôle précis des mouvements : ce contrôle est assuré par la disposition anatomique particulière du complexe musculaire remplissant la fonction de haubans dynamiques. Toute altération de ce système complexe, dysfonctionnement mécanique ou compression, provoque un phénomène douloureux. 2. Facteurs favorisants chez le sujet valide Plusieurs facteurs de la cervicalgie peuvent être avancés : mauvaises positions, traumatismes, pratiques sportives.

Fig. 1. Myélopathie cervicarthrosique. On note l’usure du disque intervertébral (flèche).

2.1. Mauvaises positions Les mauvaises positions prises dans les activités de la vie quotidienne ou professionnelles conduisent à la sur-utilisation du segment cervical lors d’activités répétitives. Les exemples sont nombreux, de la secrétaire travaillant exclusivement sur son clavier d’ordinateur au peintre en bâtiment (Fig. 2), en passant par le violoniste. Il est tout à fait remarquable de constater que la très grande majorité de ces exemples associe une utilisation des membres supérieurs en suspension. Cette association de la posture de tête inadaptée et des membres supérieurs en suspension est fréquemment retrouvée chez le sujet atteint de paralysie cérébrale. 2.2. Traumatismes Le traumatisme cervical en coup de fouet ou « coup du lapin », associant flexion du rachis cervical supérieur et extension du rachis cervical inférieur lors d’un choc postérieur (accident automobile), peut provoquer des lésions douloureuses en rapport avec la violence du choc [5]. 2.3. Pratique du sport Le sportif est également susceptible de développer des problèmes cervicaux. Certains sports provoquent

Fig. 2. Exemple caractéristique de mauvaise posture pouvant provoquer des cervicalgies : l’association de l’extension de tête et de l’élévation du membre supérieur provoque des contraintes majeures sur le segment cervical.

Pour citer cet article : P. Toullet, Comprendre et prévenir l’arthrose cervicale précoce de l’adulte atteint de paralysie cérébrale et ses complications, Motricité cérébrale (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2015.10.001

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plus de troubles que d’autres [6]. Le volley-ball et le handball sont deux sports associant extension de tête et suspension des membres supérieurs, où l’effort est effectué avec les mains au-dessus du niveau des épaules (Fig. 3). Le rugby, par les traumatismes cervicaux à répétition qu’il suscite, est particulièrement ciblé. 3. Arthrose cervicale chez le sujet atteint de paralysie cérébrale L’arthrose cervicale et ses complications chez le sujet atteint de paralysie cérébrale sont donc précoces et fréquentes. Les douleurs touchant l’axe corporel (rachis lombaire, dorsal, et cervical ainsi que la ceinture scapulaire) sont très fréquemment retrouvées chez l’adulte atteint de paralysie cérébrale (80 %). Pour certains, elle constitue la cause principale de leur handicap [7]. Elle touche tout particulièrement les personnes ayant des mouvements anormaux touchant le rachis cervical, à cause des contraintes mécaniques majeures engendrées par des mouvements répétés, en grande flexion extension, associés à des mouvements de torsion. Les études portant notamment sur la myélopathie cervicarthrosique chez le sujet atteint de paralysie cérébrale décrivent cette pathologie, tout particulièrement chez les sujets porteurs de mouvements anormaux ou dystoniques [2,3]. L’observation clinique montre que ces personnes souffrant de cervicalgie précoce (avant 45 ans) ont un point commun, une atteinte de l’axe corporel plus ou moins importante touchant particulièrement la ceinture scapulaire. La qualité du maintien de tête, ainsi que

Fig. 3. Exemple de posture chez les volleyeurs pouvant provoquer des cervicalgies : l’association de l’extension de tête et de l’élévation du membre supérieur provoque des contraintes majeures sur le segment cervical.

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celle du maintien postural des membres supérieurs s’en trouvent impactées. D’une certaine manière, nous retrouvons chez ces sujets un mécanisme pathogénique comparable à celui retrouvé chez la personne valide (Fig. 4). C’est évidemment la gravité de l’atteinte cérébromotrice qui explique la fréquence et la précocité de cette pathologie. 4. Situations iatrogènes À la lumière de ces études, il est peut-être judicieux de nous interroger sur les causes indirectes, iatrogènes qui contribuent à l’apparition de ces mécanismes. L’installation assise, quand elle est inadaptée aux troubles de la personne, encourage le développement de contraintes cervicales pathogènes. Un certain nombre de mouvements dits anormaux résulte en fait d’une insuffisance de prise en compte de la déficience du maintien de tête. Ces personnes sont souvent installées trop droite, les plaçant dans un effort antigravitaire insurmontable. On retrouve alors des chutes brutales de tête et/ou une posture de tête « en cervidé », projetée en

Fig. 4. Cervicalgie chez le sujet atteint de paralysie cérébrale : cocontractions au niveau des membres supérieurs, de la ceinture scapulaire et de la nuque conduisant à une posture en chandelier.

Pour citer cet article : P. Toullet, Comprendre et prévenir l’arthrose cervicale précoce de l’adulte atteint de paralysie cérébrale et ses complications, Motricité cérébrale (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2015.10.001

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avant résultant de l’utilisation de muscles superficiels (trapèzes) pour pallier l’insuffisance des muscles profonds dédiés au maintien de tête. Ces microtraumatismes répétés peuvent se rapprocher de la symptomatologie douloureuse décrite chez le sujet valide après un traumatisme automobile mineur (Fig. 5). Ces efforts inadaptés pour maintenir coûte que coûte un regard horizontal retentissent sur l’état de contraction de la ceinture scapulaire et la posture des membres supérieurs. Ces contractions pathologiques placent les membres supérieurs dans un état de suspension quasi permanent qui renforce en retour les contraintes sur le rachis cervical. Un grand nombre de ces personnes atteintes de paralysie cérébrale adopte de manière irrépressible et indépendamment de la pesanteur, cette distribution posturale « en chandelier ». Si l’élément visible demeure la position caractéristique des membres supérieurs, on ne doit pas négliger l’incidence sur l’ensemble de la ceinture scapulaire et la colonne cervicale. Ce sont donc des personnes potentiellement à risque. Des installations assises inadaptées renforcent cette fragilité initiale sans aucun doute (Fig. 6). Un autre sujet de réflexion mérite d’être abordé, lié au précédent : la recherche systématique de la performance fonctionnelle. De même que certains sports entraînent une sur-utilisation de la colonne cervicale sur une posture de membres supérieurs en

suspension (exemple du volley-ball), la recherche d’un contrôle de l’environnement par la tête ou le regard (désignation oculaire, licorne, commande occipitale) pour compenser une déficience majeure des membres supérieurs, objectif légitime qu’il ne s’agit pas de remettre en cause, peut, si l’on n’y prend pas garde, générer des conséquences mécaniques néfastes sur la colonne cervicale (Fig. 7). 5. Quelles réponses préventives dans la vie quotidienne ? Elles peuvent se résumer en trois points :  proposer une posture adaptée de la ceinture scapulaire et de la tête dans les installations et les appareillages ;  réduire les microtraumatismes dans la vie quotidienne ;  prévenir les situations de sur-stimulation de la zone cervicale 5.1. Proposer une posture adaptée de la ceinture scapulaire et de la tête dans les installations et les appareillages La réalisation d’un siège orthopédique nécessite de déterminer chez le sujet, une posture assise de détente (autant que possible). L’appareillage ne doit pas agir dans la contrainte mais maintenir une posture détendue.

Fig. 5. Cervicalgie chez le sujet atteint de paralysie cérébrale : chutes de tête répétées chez cet enfant installé dans un siège inadapté.

Pour citer cet article : P. Toullet, Comprendre et prévenir l’arthrose cervicale précoce de l’adulte atteint de paralysie cérébrale et ses complications, Motricité cérébrale (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2015.10.001

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du bassin et l’appui des pieds, en respectant les courbures physiologiques du rachis et en épousant la forme de la ceinture scapulaire tout particulièrement dans le plan horizontal. Il convient d’éviter le cale tête occipital qui encourage l’extension de la nuque et proposer plutôt un système de repose nuque sousoccipital. À ces conditions, nous diminuerons les contraintes délétères sur le rachis cervical (Fig. 8).

5.2. Réduction des microtraumatismes dans la vie quotidienne La notion de confort est essentielle ainsi que celle de sécurité. Confort et sécurité dans les mobilisations, dans les transferts, les porters et aussi tout particulièrement dans les transports. Beaucoup de ces sujets (enfants et adolescents notamment) passent un temps non négligeable dans les transports, subissant freinage et accélération de manière d’autant plus importante que le maintien de leur tête est défaillant ainsi que leur installation. Certains établissements adoptent chez les sujets vulnérables le port obligatoire d’une minerve. Le problème mérite d’être posé. Fig. 6. Cervicalgie chez le sujet atteint de paralysie cérébrale : le sujet lutte en permanence à cause d’une installation trop verticale. Le retentissement sur les membres supérieurs et la nuque sont visibles.

Notre vision doit être globale : la qualité du maintien de la tête ne dépend pas uniquement de la forme et la place du cale tête. Il s’agit d’évaluer les capacités d’adaptation du sujet face à la pesanteur, en sachant doser l’effort demandé. Le siège doit pouvoir maintenir à posture appropriée en soignant tout particulièrement la position

Fig. 7. Cervicalgie chez le sujet atteint de paralysie cérébrale : l’effort de désignation répété provoque une dégradation de la posture assise et une projection antérieure de la tête.

Fig. 8. Prévention de la cervicalgie chez le sujet atteint de paralysie cérébrale : l’installation assise correcte permet une détente du sujet (à comparer avec la Fig. 6).

Pour citer cet article : P. Toullet, Comprendre et prévenir l’arthrose cervicale précoce de l’adulte atteint de paralysie cérébrale et ses complications, Motricité cérébrale (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2015.10.001

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5.3. Prévention des situations de sur-stimulation de la zone cervicale Dans ces situations, il convient d’associer aux critères d’évaluation fonctionnelle des critères biomécaniques et de coût énergétique dans le but de prévenir de tels risques iatrogènes. Les répercussions sur les articulations des membres inférieurs d’une marche fortement dégradée sont connues. Elles sont bien moins repérées au niveau cervical. Et pourtant l’effort de soutien sur les cannes des membres supérieurs pour pallier celui des membres inférieurs diffuse fortement sur le rachis cervical. De même, il convient de s’interroger sur les conséquences à long terme de systèmes de commande occipitale de fauteuil roulant électrique. L’effort répété réalisé en extension de tête par les muscles superficiels pourrait avoir à terme une incidence sur l’intégrité du rachis cervical. 6. Conclusion La cause principale de handicap chez le sujet atteint de paralysie cérébrale adulte demeure la douleur, facteur de repli sur soi-même et d’exclusion sociale. Les douleurs rachidiennes apparaissent en premier lieu dans les enquêtes auprès des adultes atteints de paralysie cérébrale. Parmi celles-ci, la douleur rachidienne est très fréquente et peu dans certains cas évoluer vers des complications invalidantes. Nous pouvons diminuer la prévalence de cette pathologie en nous intéressant aux causes iatrogènes, notamment au niveau des installations

proposées. Cette réflexion sur les solutions de prévention doit être précoce, car ces cervicalgies se construisent à bas bruit dès l’enfance. Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Kouyoumdjian P, Dagneux L, Asencio G. Examen clinique du rachis cervical : conduite diagnostic et enquête étiologique. L’observatoire du mouvement lettre d’information 2011;42: 6–10, http://www.observatoire-du-mouvement.com/upload/ contenu/odm42-ncb-bd.pdf. [2] Duruflé A, Pétrilli S, Le Guiet JL, Brassier G, Nicolas B, Le Tallec H, et al. Cervical spondylotic myelopathy in athetoid cerebral palsy patients: about five cases. Joint Bone Spine 2005;72:270–4. [3] Guettard E, Ricard D, Roze E, Elbaz A, Anheim M, Thobois S, et al. Risk factors for spinal cord lesions in dystonic cerebral palsy and generalised dystonia. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2011;83(2)159–63. [4] Denaro V, Taglieri E, Meloni MC. La myélopathie cervicarthrosique. Maitrise Orthop 2004;135:1, http://www.maitriseorthopedique.com/articles/la-myelopathie-cervicarthrosique-456. [5] Revel M. Le coup du lapin. Rev Rhum 2004;71:659–64. [6] Mallek A, Yahia A, Mahersi S, Ghroubi S, Elleuch M. Cervicalgies du sportif et techniques myotensives. Reims: Sofmer; 2013[abstract P163, 28e congrès de médecine physique et de réadaptation]http:// www.atout-org.com/sofmer2013/abstract_display!fr!!!!fb12ac72f4f8-1030-b866-9251dd645b9d!38f7db62-0e34-1031-933cf3715a722c84. [7] Gallien P, Nicolas B, Dauvergne F, Pétrilli S, Duruflé A, Houedakor J, et al. Douleur chez l’adulte atteint de paralysie cérébrale. Mot Cereb 2009;30:103–6.

Pour citer cet article : P. Toullet, Comprendre et prévenir l’arthrose cervicale précoce de l’adulte atteint de paralysie cérébrale et ses complications, Motricité cérébrale (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2015.10.001