C. R. Acad. Sci. Paris, t. 330, Série I, p. 1069–1072, 2000 Équations aux dérivées partielles/Partial Differential Equations (Analyse numérique/Numerical Analysis)
Conditions « inf sup » dans les espaces de Banach non réflexifs Chérif AMROUCHE, Robert RATSIMAHALO Laboratoire de mathématiques appliquées, Université de Pau et des Pays de l’Adour, avenue de l’Université, 64000 Pau, France Courriel :
[email protected] (Reçu le 4 février 2000, accepté après révision le 27 avril 2000)
Résumé.
Le but de cette Note est de donner une extension, aux espaces de Banach non réflexifs, des conditions inf sup. Ces conditions sont essentielles, en particulier, pour la résolution de certains problèmes linéaires avec contraintes. On donne comme application la résolution du problème de Stokes, où la pression est cherchée dans l’espace de Hardy H1 (RN ), la vitesse étant cherchée dans l’espace de Banach correspondant. 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
Inf sup conditions in nonreflexive Banach spaces Abstract.
The purpose of this work is to present an extension of inf sup conditions to nonreflexive Banach spaces. These conditions are known to be important for solving some linear problems with constraints. A resolution of the Stokes problem is given, where the pressure belongs to the Hardy space H1 (RN ), the velocity belongs to the corresponding Banach space. 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
1. Introduction Soient X, Y , M , Z1 et Z2 des espaces de Banach munis de leur normes respectives k · kX , . . . , k · kZ2 . On désigne par X 0 le dual topologique de X (idem pour les autres espaces). On suppose que M = Z10 et M 0 = Z2 , de sorte que M est réflexif si, et seulement si, Z1 et Z2 le sont, auquel cas Z1 et Z2 peuvent être identifiés. On introduit maintenant des formes bilinéaires continues a, b1 , b2 respectivement sur Y × X, X × M et Y × M 0 . Le problème qui nous intéresse, et qu’on notera (Q), est le suivant : étant donné ` ∈ X 0 et χ ∈ M , trouver (u, λ) ∈ Y × M tel que : ∀ v ∈ X, a(u, v) + b1 (v, λ) = h`, viX 0 ×X ,
∀ µ ∈ M 0,
b2 (u, µ) = hµ, χiM 0 ×M .
Sous certaines hypothèses d’ellipticité de la forme a et de conditions inf-sup pour b1 et b2 , le problème (Q) est bien posé, dès lors qu’on cherche à le résoudre dans un cadre hilbertien ou bien si les espaces X, Y , M , Note présentée par Philippe G. C IARLET. S0764-4442(00)00308-6/FLA 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
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Z1 , Z2 sont des Banach réflexifs [7,4,8,9]. Dans le cas plus général que nous abordons ici, la question était ouverte. 2. Résolution du problème abstrait Soit A ∈ L(Y, X 0 ) défini pour (u, v) ∈ Y × X par hAu, viX 0 ×X = a(u, v). De même, on peut définir
f1 ∈ L(X, M 0 ) par : ∀ (v, χ) ∈ X × M , B f1 v, χ 0 = b1 (v, χ). pour b1 (et aussi b2 ) un opérateur B M ×M f Si M était réflexif, pour tout v ∈ X, il existerait un unique ve ∈ Z1 tel que B1 v = J ve, où J est l’injection f1 ∈ L(X, Z1 ), alors : canonique de Z1 dans Z 00 . De sorte que, si l’on pose B1 = J −1 B 1
∀ (v, χ) ∈ X × M,
hχ, B1 viZ10 ×Z1 = b1 (v, χ) = hB10 χ, viX 0 ×X ,
(1)
où B10 ∈ L(Z10 , X 0 ) est l’opérateur dual de B1 . Lorsque M n’est pas réflexif, il est généralement impossible de définir un opérateur B1 ∈ L(X, Z1 ) satisfaisant la relation (1). Cependant, si l’on suppose que : (H1 ) ∀ v ∈ X, λ 7−→ b1 (v, λ) est continue pour la topologie faible ∗ σ(Z10 , Z1 ), alors la propriété (1) a lieu, comme conséquence de la proposition III 13, dans [5], p. 41. De même, nous supposerons que : (H2 ) ∀ u ∈ Y, µ 7−→ b2 (u, µ) est continue pour la topologie faible ∗ σ(M 0 , M ), de sorte que l’on peut définir un opérateur B2 ∈ L(Y, M ) tel que : ∀ (u, µ) ∈ Y × M 0 ,
hµ, B2 uiM 0 ×M = b2 (u, µ) = hB20 µ, uiY 0 ×Y .
On observera que les propriétés (H1 ) et (H2 ) ont lieu dès que M est réflexif. Avec ces opérateurs, le problème (Q) est le suivant : étant donné ` ∈ X 0 et χ ∈ M , trouver (u, λ) ∈ Y × M tel que Au + B10 λ = ` dans X 0 et B2 u = χ dans M . Ainsi, le problème (Q) est bien posé si, et seulement si, l’application T de Y × M dans X 0 × M donnée par T (u, λ) = (Au + B10 λ, B2 u) est un isomorphisme. On définit maintenant les espaces V2 (χ) = {u ∈ Y ; B2 u = χ}, V2 = Ker B2 , V1 = Ker B1 . Au problème (Q) on associe le problème : (P) trouver u ∈ V2 (χ) tel que ∀ v ∈ V1 , a(u, v) = h`, viX 0 ×X . Notons que si (u, λ) ∈ Y × M est solution de (Q), alors u est solution de (P). Nous cherchons des conditions permettant d’assurer la réciproque. Tout d’abord, on peut facilement établir le résultat suivant, extension aux espaces de Banach non réflexifs du lemme 4.1, p. 58 et de la remarque 4.2, p. 61 dans [7,6]. Son usage s’avèrera crucial. L EMME 2.1. – On suppose que b1 vérifie (H1 ). Alors les propriétés suivantes sont équivalentes : b1 (v,χ) > β1 ; (i) ∃ β1 > 0 : inf χ∈Mr{0} supv∈Xr{0} kvk X kχkM 0 de M dans V1◦ et ∀ χ ∈ M , kB10 χkX 0 > β1 kχkM ; où (ii) l’opérateur B1 est un isomorphisme topologique V1◦ = g ∈ X 0 : hg, viX 0 ×X = 0, ∀ v ∈ V1 ; (iii) l’opérateur B1 est un isomorphisme topologique de X/V1 sur Z1 , et kB1 vkZ1 > β1 inf λ∈V1 kv + λkX pour tout v ∈ X. On notera qu’un résultat similaire est valable pour b2 . On introduit maintenant l’opérateur Π défini par : ∀ (f, v) ∈ X 0 × V1 , hΠf, viV10 ×V1 = hf, viX 0 ×X . On peut alors énoncer le résultat suivant, adaptation du théorème 4.1, p. 59 dans [7]. T HÉORÈME 2.2. – Sous les hypothèses (H1 ) et (H2 ), l’opérateur T est un isomorphisme de Y × M sur X 0 × M si, et seulement si : (i) Π ◦ A est un isomorphisme de V2 sur V10 ; (ii) les formes b1 et b2 satisfont la condition inf-sup du lemme 2.1 point (i). 3. Application au problème de Stokes On commence par introduire les espaces fonctionnels suivants. On Rdésigne par BMO(Rn ) l’espace des fonctions localement intégrables f telles que kf kBMO = supQ |Q|−1 Q |f (x) − fQ | dx < +∞, où le sup
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est pris sur tous les cubes Q de RN , et fQ = |Q|−1
R
f (x) dx la moyenne de f sur Q. On introduit et son dual H1 (RN ) = f ∈ L1 (RN ) : Rj f ∈ L1 (RN ), aussi l’espace VMO(R ) = PN j = 1, . . . , N qui est un Banach pour la norme kf kH1 (RN ) = kf kL1 (RN ) + j=1 kRj f kL1 (RN ) , où les x Rj désignent les transformées de Riesz Rj f = cN v.p. f ∗ |x|Nj+1 , j = 1, . . . , N . On rappelle que le dual de H1 (RN ) est précisément l’espace BMO(RN ). On s’intéresse ici à l’étude du problème de Stokes dans suivant. On choisit les espaces : M = le cadre N/(N −1) L (RN )N : ∇u ∈ (H1 )N ×N (RN ) H1 (RN ) ; Z1 = VMO(RN ) ; Z2 = BMO(RN ) ; Y = u ∈ muni de la norme kukY = kukLN/(N −1) + k∇ukH1 ; X = v ∈ Lp−2 (RN )N : ∇v ∈ (VMO)N ×N (RN ) muni de la norme kvkX = kvkLp−2 + k∇vkBMO , où p > N est fixé et où pour α ∈ R, v ∈ Lp−α (RN ) ⇔ R p 2 αp/2 dx < +∞. RN |v(x)| /(1 + |x| ) On notera que X et Y sont des Banach non réflexifs et que Z10 = M et Z2 = M 0 . Pour tout (`, χ) ∈ X 0 × M on cherche (u, λ) ∈ Y × M solution de h∇u, ∇viH1 ×VMO − hλ, div viH1 ×VMO = h`, viX 0 ×X ∀ v ∈ X, (R) ∀ µ ∈ M 0. hµ, div uiBMO×H1 = hµ, χiM 0 ×M N
Q
D(RN )k·kBMO
; b2 (u, µ) = hµ, div uiBMO×H1 . Posons a(u, v) = h∇u,∇viH1 ×VMO ; b1 (v, λ) = −hλ, div viH1 ×VMO Pour tout couple (u, v) ∈ Y × X, |a(u, v)| = h∇u, ∇viH1 ×VMO 6 k∇ukH1 k∇vkBMO 6 kukY kvkX . Ainsi, a est continue sur Y × X. De même, b1 et b2 sont continues sur X × M et Y × M 0 respectivement. D’autre part, pour chaque v ∈ X et chaque u ∈ Y , les formes λ 7→ b1 (v, λ) et µ 7→ b2 (u, µ) sont trivialement continues pour les topologies faibles ∗ σ(Z10 , Z1 ) et σ(M 0 , M ) respectivement. L EMME 3.1. – On a la caractérisation : f ∈ X 0 et hf , 1iX 0 ×X = 0 ⇔ ∃ F ∈ H1 (RN )N ×N : f = div F . Démonstration. – C’est une conséquence de l’estimation : ∃ C > 0 : ∀ f ∈ BMO(RN ), ∀ p > N , inf r∈R kf + rkLp−1 6 Ckf kBMO (voir [10] pour p = N + 1, et [1] pour p > N ), et de l’inégalité de Hardy : ∃ C > 0 : ∀ u ∈ Lp−2 RN tel que ∇u ∈ Lp−1 RN , inf ku + rkLp−2 6 Ck∇ukLp−1 . r∈R
Le lemme qui suit est une version du théorème de de Rham. L EMME 3.2. – Soit g ∈ X 0 tel que pour tout v ∈ V1 , hg, vi = 0. Alors, il existe un unique p ∈ H1 (RN ) tel que g = ∇p. Le lemme précédent montre en particulier que l’opérateur B10 = ∇ est un isomorphisme topologique de M sur V1◦ , de sorte que la condition inf-sup est donc satisfaite par b1 . L EMME 3.3. – L’opérateur B2 est un isomorphisme topologique de Y /V2 sur M (la condition inf-sup est satisfaite par b2 ). Démonstration. – Il est clair que B2 est linéaire continu injectif. La surjectivité de B2 découle de la résolution de l’équation ∆ψ = f dans RN pour f ∈ H1 (RN ), qui admet une solution ψ telle que v = ∇ψ ∈ LN/(N −1) et ∇v = D2 ψ ∈ H1 (RN ). 2 Il reste à montrer que Π ◦ A est un isomorphisme de V2 sur V10 . Il est cependant plus commode de résoudre le problème équivalent suivant. Pour f ∈ X 0 tel que hf , 1iX 0 ×X = 0, trouver (u, p) ∈ Y × M tel que : (S)
−∆u + ∇p = f
dans RN
et div u = 0 dans RN .
Grâce au lemme 3.1, si f ∈ X 0 il existe Fi ∈ H1 (RN )N tels que fi = div Fi , i = 1, . . . , N . Or, on sait (cf. [1]) qu’il existe des vecteurs ψ i tels que Fi = ∆ψ i avec D2 ψ i ∈ H1 (RN )N . Il vient alors que i ∂fi = div ∂F div Fi = ∆div ψ i . Mais, avec la convention de la sommation sur les indices répétés, on a ∂x ∂xi = i
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C. Amrouche, R. Ratsimahalo ψi ∆ ∂div ∂xi . On choisit p =
−∆ui = fi −
∂p ∂xi .
∂ ∂xi
div ψ i ; alors p ∈ H1 (RN ) d’après la relation précédente. On résout ensuite
Il suffit alors, pour tout i = 1, . . . , N , de prendre ui = I1 I1
∂(Fi )j ∂xj
− I1 I1
∂p ∂xi ,
où I1
∂ui est le potentiel de Riesz d’ordre 1 de sorte que ∂x = Rk Rj (Fi )j − Rk Ri p. Rappelons que pour tout k j = 1, . . . , N , les applications Rj sont continues de H1 (RN ) dans H1 (RN ). ∂ui ∈ H1 (RN ). Il reste à montrer qu’un tel u vérifie div u = 0. Or Il s’ensuit que pour i = 1, . . . , N , ∂x k 1 N ∆ div u = 0 et div u ∈ H (R ), donc div u = 0. Le problème de Stokes (S) est finalement résolu.
4. Condition inf-sup équivalente Dans certains cas, il faut prouver que l’opérateur B1 est un isomorphisme topologique de X sur Z1 . Il peut s’avérer que la vérification de la condition inf-sup sur b1 du lemme 2.1 soit délicate à réaliser, et b1 (v,χ) > β1 soit que en revanche, la condition inf-sup : ∃ β1 > 0 tel que inf v∈Xr{0} supχ∈Mr{0} kvk X kχkM plus facile à établir. Le résultat suivant, extension aux espaces de Banach non réflexifs de la propriété citée par exemple dans [3], pp. 692–693 pour les espaces hilbertiens, donne une formulation équivalente de la condition inf-sup du lemme 2.1. P ROPOSITION 4.1. – On suppose que b1 vérifie (H1 ). Alors les propriétés suivantes sont équivalentes : (i) l’opérateur B1 est un isomorphisme topologique de X sur Z1 et ∃ β1 > 0 : ∀ v ∈ X, kB1 vkZ1 > b1 (v,χ) 1 (v,χ) sup kvk > β1 et (b) ∀ χ ∈ M r {0}, sup bkvk > 0. β1 kvkX . (ii) (a) ∃ β1 > 0 : inf X kχkM X v∈Xr{0} χ∈Mr{0}
v∈Xr{0}
Démonstration. – La condition (ii) (a) se réécrit : ∀ v ∈ X, kB1 vkZ1 = sup b1 (v, χ) : kχkM = 1 > β1 kvkX . Cela signifie exactement que B1 est un isomorphisme topologique de X dans Im B1 et que Im B1 est fermé dans Z1 . La condition (ii) (b) signifie que Im B1 est dense dans Z1 . En effet, supposons (ii) (b) ; si Im B1 n’est pas dense dans Z1 , une extension du théorème de Hahn–Banach nous assure l’existence de χ ∈ M r {0} tel que pour tout u ∈ Im B1 on a hχ, uiZ10 ×Z1 = 0, ce qui contredit (ii) (b). Réciproquement, si Im B1 est dense dans Z1 , il n’existe pas de forme linéaire continue χ ∈ M r {0} telle que pour tout u ∈ Im B1 on ait hχ, uiZ10 ×Z1 = 0 ; la condition (ii) (b) est donc satisfaite. 2 Références bibliographiques [1] Amrouche C., Habilitation à diriger des recherches, Analyse mathématique de quelques e.d.p. et d’une classe d’opérateurs intégraux singuliers, Université Paris-VI, 1996. [2] Babuška I., The finite element method with Lagrangian multipliers, Numer. Math. 20 (1973) 179–192 (1973). [3] Babuška I., Osborn J., Eigenvalue problems, in: Handbook of Numerical Analysis, Ciarlet P.G., Lions J.-L. (Eds.), Finite Element Methods II, North-Holland, Amsterdam, 1991, pp. 642–787. [4] Bernardi C., Canuto C., Maday Y., Generalized inf-sup conditions for Chebyshev spectral approximation of the Stokes problem, SIAM J. Numer. Anal. 25 (6) (1988) 1237–1271. [5] Brézis H., Analyse fonctionnelle, théorie et applications, Coll. Mathématiques appliquées pour la Maîtrise sous la direction de P.G. Ciarlet et J.-L Lions, Masson, Paris, 1983. [6] Brezzi F., On the existence, uniqueness and approximation of saddle-point problems arising from Lagrange multipliers, RAIRO, Anal. Numer. R2 (1974) 129–151. [7] Girault V., Raviart P.-A., Finite Element Methods for Navier–Stokes Equations, Theory and Algorithms, S.C.M., Vol. 5, Springer-Verlag, Berlin–Heidelberg, 1986. [8] Nicolaides R.A., Existence, uniqueness and approximation for generalized saddle point problems, SIAM J. Numer. Anal. 19 (2) (1982) 349–357. [9] Sandri D., Sur l’approximation numérique des écoulements quasi newtoniens dont la viscosité suit la loi de puissance ou la loi de carreau, Modél. Math. Anal. Numér. 27 (1993) 131–155. [10] Stein E.M., Harmonic Analysis, Real-Variable Methods, Orthogonality and Oscillatory Integrals, Princeton University Press, Princeton, New Jersey, 1993.
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