J Gynecol Obstet Biol Reprod 2005 ; 34 (Hors série n° 1) : 3S246-3S248.
Question 5 Quelle est la prise en charge périnatale après exposition in utero au tabac ?
Conduite obstétricale périnatale en cas d’exposition maternelle anténatale au tabagisme G. Kayem*, G. Grangé** * Service de Gynécologie Obstétrique, Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil, Université Paris XII, 40, avenue de Verdun, 94000 Créteil. ** Service de Gynécologie Obstétrique, Maternité Port-Royal, Hôpital Cochin-Saint Vincent-dePaul, AP-HP, Université Paris V, 123, boulevard de Port-Royal, 75014 Paris. RÉSUMÉ Le testeur de CO utilisé de manière systématique en salle de travail peut être un élément de sensibilisation et de dépistage, prélude à une information non culpabilisante, poursuivie dans le post-partum de la patiente. Cette information doit valoriser en particulier l’absence d’exposition au tabac du nourrisson dans la phase post-natale et le bénéfice potentiel de l’arrêt pour les grossesses ultérieures. Aucune étude réalisée pendant le travail ne permet à l’heure actuelle de proposer des conduites pratiques en cas d’exposition anténatale au tabac. Des travaux prospectifs en salle de travail, conçus spécifiquement pour mesurer l’impact de l’intoxication tabagique sur le risque hypoxique fœtal ou les complications obstétricales, sont indispensables. Mots-clés : Tabac • Grossesse • Salle de travail. SUMMARY: Obstetrical perinatal care in case of maternal prenatal smoking. Measurement of CO during the intrapartum period is a good way to help patients become aware of the importance of smoking cessation. The objective information can be continued in the post partum period. The effect is beneficial for the neonate and helps women stop smoking during subsequent pregnancies. To date, no study has been conducted during the intrapartum period useful for adapting our clinical practice in patients who smoke during pregnancy. Prospective studies, specifically designed to measure the impact of smoking on maternal and fetal complications during labor are essential. Key words: Tobacco • Pregnancy • Intrapartum period.
Vingt-cinq pour cent des patientes enceintes fument au moins une cigarette par jour [1]. Il est maintenant admis qu’il existe une association pendant la grossesse avec les ruptures des membranes, la grande prématurité, le retard de croissance intra utérin (RCIU) et, probablement, l’hématome rétroplacentaire [2-4]. D’autre part l’exposition anténatale est associée à une augmentation significative des symptômes respiratoires et à une diminution durable de la fonction respiratoire chez l’enfant et à un risque de mort subite du nourrisson [5-8]. Il est possible également qu’elle soit associée à un moins bon développement psychomoteur ultérieur. Cependant, donner des recommandations spécifiques sur une conduite obstétricale chez des patientes exposées au tabac pendant la période périnatale est difficile puisqu’il n’existe actuellement pas de
données publiées. Il n’y a pas de travail qui permette de juger du bénéfice clinique de l’introduction de pratiques spécifiques en salle d’accouchement. D’autre part, l’étude de la toxicité du tabac et de son impact sur le déroulement du travail ou le risque de complications lié à celui-ci n’a pas fait l’objet d’études spécifiques prospectives tenant compte des biais potentiels liés au tabagisme. En effet, les patientes enceintes fumeuses sont plus jeunes, plus souvent primipares, non mariées, avec un niveau d’études et un niveau socioprofessionnel moins élevé, avec plus d’antécédents obstétricaux pathologiques et moins de visites prénatales pendant la grossesse [9]. Pourtant, il existe une place pour l’équipe médicale, pour tenter de diminuer les risques liés au tabac,
Tirés à part : G. Kayem, à l’adresse ci-dessus. E-mail :
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Question 5 • Conduite obstétricale périnatale en cas d’exposition maternelle anténatale au tabagisme
tant pendant le travail, que pour l’avenir de la patiente et de l’enfant. Deux lignes directrices semblent importantes : — Déterminer s’il existe un risque réel supplémentaire d’hypoxie fœtale pendant le travail qui puisse être compensé par des mesures spécifiques pendant le travail. — Élaborer des mesures pratiques qui peuvent être prises pour tenter de réduire l’impact ultérieur du tabagisme sur l’enfant, sa mère, sa famille et sur, éventuellement, d’autres grossesses. LE RISQUE D’HYPOXIE FŒTALE PENDANT LE TRAVAIL EN CAS D’EXPOSITION MATERNELLE AU TABAC
Il peut exister une hypoxie fœtale liée au tabac par 2 mécanismes. La nicotine a pour effet secondaire direct une libération de catécholamines, par la mère et peut-être aussi par le fœtus après le passage transplacentaire de la nicotine, responsables d’une vasoconstriction artérielle qui entraîne une diminution de la perfusion placentaire et fœtale. Le monoxyde de carbone (CO) a une affinité supérieure à l’oxygène pour l’hémoglobine fœtale. Sa fixation préférentielle par l’hémoglobine au détriment de l’oxygène entraîne une hypoxie relative des organes périphériques et secondairement une diminution de la pression partielle en oxygène. Cela est confirmé par l’observation qu’une concentration élevée en cotinine dans le sang fœtal est associée à une élévation du taux d’érythropoiétine (dont le principal stimulant est la baisse de la pression partielle en oxygène) [10] et par une augmentation de globules rouges nuclées (marqueur d’hypoxie chronique) [11]. Les conséquences de cette hypoxie fœtale ne sont que faiblement évaluées sur les complications obstétricales ou fœtales pendant le travail. Par ailleurs, la diminution du poids fœtal associé au tabagisme [12-14] rend possible une plus grande vulnérabilité du fœtus pendant le travail. Cependant, l’impact semble faible sur le taux de césariennes, le taux de liquide méconial ou le score d’APGAR [10, 15, 18]. Les études existantes sont soit des études sur registre reposant sur de grands effectifs avec tous les biais inhérents à ce type de travaux (la qualité du recueil des données pour ce paramètre est souvent contestable, les biais liés au contexte socio-économique et au mode de vie sont très difficiles à prendre en compte) soit de petites études pour lesquelles la puissance est très largement insuffisante étant donné
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la prévalence faible de l’hypoxie fœtale pendant le travail [10, 15, 18]. Sur la base de ces données, il n’y a pas de mesures pratiques spécifiques à adopter chez les patientes fumeuses en salle de travail. Cependant, il est certainement impératif d’entreprendre une vaste étude prospective mesurant de manière spécifique ces différents paramètres en les associant à la consommation tabagique admise par la patiente et à aux paramètres biologiques témoins de la consommation tabagique. Seul un travail de ce type conduit sur un effectif suffisant permettra de donner une indication du risque obstétrical et en particulier hypoxique du fœtus pendant le travail. C’est seulement ensuite que pourraient être discutés l’introduction de mesures thérapeutiques, telles que, par exemple, une hyperoxygénation maternelle pendant le travail chez les patientes fumeuses. QUEL DÉPISTAGE ET QUELS CONSEILS POUR LA FEMME ENCEINTE FUMEUSE EN SALLE DE TRAVAIL ?
Réduire les effets négatifs du tabac sur l’enfant et les grossesses ultérieures passe par une information et un encadrement des patientes fumeuses. Y’a t-il une place pour cela en salle de travail ? Information et encadrement vont de pair avec le dépistage. Celui-ci, mis en place, non seulement par l’anamnèse des patientes mais aussi par l’introduction du testeur de CO, permet de focaliser l’attention des patientes et du personnel soignant sur la notion d’intoxication tabagique. Il permet, soit de continuer le travail déjà entrepris pendant la grossesse, soit de dépister un tabagisme masqué ou non dépisté. Il comporte certaines limites inhérentes à la demi-vie du CO sérique. Celle ci dépend pour l’essentiel de l’intensité et de la durée de l’exposition mais ne semble pas dépasser les 1224 heures [19]. Néanmoins, il introduit des explications et des conseils en particulier pour la prise en charge post-natale. L’arrêt du tabagisme reste fondamental afin de ne pas rajouter à l’exposition anténatale une exposition postnatale chez l’enfant, mais aussi de son entourage. Ce discours dans le contexte de l’accouchement contient le prélude d’une information qui sera poursuivie dans la période du post partum et doit obéir à quelques règles simples pour ne pas froisser ou être culpabilisant pour la patiente : — en n’induisant pas de culpabilité vis-à-vis de l’absence d’arrêt pendant la grossesse ;
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— en valorisant l’intérêt de l’arrêt pour éviter l’exposition post-natale de l’enfant dont les effets délétères sont parfaitement documentés ; — en mentionnant les possibilités d’aides au sevrage que sont les substituts nicotiniques, la consultation de tabacologie et les groupes d’aides d’arrêt au tabac. Par ailleurs, mais cela semble évident, il est bien sur recommandé de ne pas fumer pendant le travail, et, si cela semble impossible, des substituts nicotiniques peuvent être utilisés. CONCLUSION
Aucune étude réalisée pendant le travail ne permet à l’heure actuelle de proposer des recommandations sur une base correctement documentée. Des travaux prospectifs en salle de travail, conçus spécifiquement pour mesurer l’impact de l’intoxication tabagique sur le risque hypoxique fœtal ou les complications obstétricales (hématome rétroplacentaire, risque hémorragique) sont indispensables. Le testeur de CO appliqué de manière systématique en salle de travail, peut être un élément de sensibilisation et de dépistage, prélude à une information non culpabilisante, poursuivie dans le post partum, de la patiente [20]. Cette information doit valoriser en particulier l’absence d’exposition au tabac dans la phase post natale du nourrisson et le bénéfice potentiel de l’arrêt pour les grossesses ultérieures [21]. RÉFÉRENCES 1. Blondel B, Norton J, Du Mazaubrun C, Breart G. Development of the main indicators of perinatal health in metropolitan France between 1995 and 1998. Results of the national perinatal survey. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2001; 30: 552-64. 2. Ananth Cv, Smulian Jc, Demissie K, Vintzileos Am, Knuppel Ra. Placental abruption among singleton and twin births in the United States: risk factor profiles. Am J Epidemiol 2001; 153: 771-8. 3. Andres Rl. The association of cigarette smoking with placenta previa and abruptio placentae. Semin Perinatol 1996; 20: 154-9. 4. Burguet A, Kaminski M, Abraham-Lerat L, et al. The complex relationship between smoking in pregnancy and very preterm delivery. Results of the Epipage study. Bjog 2004; 111: 258-65.
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