Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 313—314
ÉDITORIAL
Confusion Medication errors
Du Lamictal® à la place du Lamisil® ! La lecture de l’article de Le Loarer et al. [1] ne peut pas laisser indifférent. Les réactions peuvent aller de l’incrédulité « ce n’est pas possible, je ne peux pas croire à une telle histoire » à la compassion « quel manque de chance ! », de l’indignation « qui sont les dangereux incapables qui ont commis une telle erreur ? » à l’interrogation « comment une chose pareille a-t-elle pu arriver ? ». Quelle que soit notre réaction, ce genre d’histoire incite à remettre en question notre pratique quotidienne. Dans la littérature, l’erreur médicamenteuse liée à une similitude de nom commercial est essentiellement évoquée par des auteurs anglo-saxons ou du nord de l’Europe, culturellement très sensibilisés au risque d’erreur en général [2,3]. Les publications concernent des exemples d’erreur (dont quelques observations rapportées par des auteurs franc ¸ais [4,5]), des données épidémiologiques sur les erreurs de dispensation (estimation de 3,9 millions par an de dispensations erronées aux États-Unis ! [2]) et des propositions sur les mesures de prévention. Mais les données épidémiologiques concernant la iatrogénie directement liée à l’homonymie des médicaments manquent. En France, depuis une dizaine d’années, la iatrogénie médicamenteuse a fait l’objet de plusieurs études épidémiologiques, principalement centrées sur le milieu hospitalier. La part de iatrogénie médicamenteuse liée à l’erreur, reflétée par l’évitabilité, représente environ un tiers des effets indésirables médicamenteux. La notion d’effet indésirable évitable fait son chemin dans la communauté médicale franc ¸aise. L’erreur médicamenteuse s’invite régulièrement dans les sommaires des journaux médicaux franc ¸ais. La Revue Prescrire, pionnière en la matière, a publié en décembre 2005 un numéro spécial « Éviter l’évitable », entièrement consacré à ce sujet [6]. Les sources d’erreurs concernant le circuit du médicament sont innombrables, mais quelle est la part d’erreurs liée à une similitude de nom de médicament ? Tout médicament porte au moins deux noms : • la dénomination commune internationale (DCI), nom scientifique donné par l’OMS selon un code précis permettant de reconnaître les substances d’un même groupe pharmacologique et/ou chimique. La DCI est reconnaissable et prononc ¸able dans tous les pays du monde et évite autant que possible les confusions ; • le nom commercial, soumis à certaines règles inscrites dans le Code de la santé publique : « nom de fantaisie ou à dénomination commune ou scientifique assortie d’une marque ou du nom du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché. . . », « . . .le nom de fantaisie est choisi de fac ¸on à éviter toute confusion avec d’autres médicaments et ne pas induire en erreur sur la qualité ou les propriétés de la spécialité ».
0151-9638/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2008.12.017
314 Si la iatrogénie liée à cette confusion est probablement très rare, le risque de confusion entre deux spécialités existe bien, et chaque maillon intervenant dans le circuit du médicament est concerné : le fabricant qui choisit le nom commercial, les autorités responsables de l’enregistrement du médicament qui valide ce nom, le prescripteur qui rédige l’ordonnance, le pharmacien qui analyse l’ordonnance et délivre le médicament, le malade qui lit (parfois) la notice et prend le médicament. . . Toutes ces étapes constituent autant de verrous ou de filtres théoriquement efficaces pour éviter qu’une éventuelle erreur n’arrive jusqu’au malade, dernier maillon de la chaîne. Lorsque tous ces verrous sautent les uns après les autres, l’erreur arrive jusqu’au malade avec des conséquences plus ou moins graves, liées à l’absence de traitement efficace et à la toxicité du « mauvais » médicament. Ces accidents, même exceptionnels, même s’ils n’ont pas de conséquence grave pour le malade, sont inacceptables car ils constituent un « prototype » de rapport bénéfice/risque défavorable. En juin 2005, l’Afssaps créait le « guichet erreurs médicamenteuses » destiné à enregistrer des signalements d’erreurs ou de risques d’erreurs portant sur la dénomination du médicament, sa présentation (étiquetage, conditionnement) ou l’information qui lui est attachée. Le bilan au terme de 30 mois d’activité de ce guichet est publié sur le site Internet de l’Afssaps [7]. En trois ans (de 2005—2007), 634 signalements ont été enregistrés, plus de la moitié (352) correspondant à des erreurs avérées. Parmi celles-ci, 203 ont été à l’origine d’effets indésirables, graves dans plus de 80 % des cas. Les erreurs et risques d’erreurs liés à une similitude de nom représentaient 3,6 % des cas. Dans le bulletin des vigilances régulièrement publié sur le site de l’Afssaps [4], une rubrique « erreurs médicamenteuses » informe sur les événements signalés et les moyens de prévention. Des exemples de confusions entre médicaments alimentent périodiquement cette rubrique. Certaines confusions récurrentes sont particulièrement inquiétantes : délivrance de Méthotrexate® à la place du Météoxane® (pourtant prescrit lisiblement), de Préviscan® à la place du Préservision® . Une liste actualisée de ces confusions signalées est disponible dans le numéro 39 de janvier 2008. On y retrouve l’exemple de l’erreur entre Lamictal® et Lamisil® .
Éditorial Il est certain que les signalements enregistrés par l’Afssaps ne constituent qu’une petite partie émergée de l’iceberg. Mais cet « échantillon » est riche d’enseignements, et peut aider à la sensibilisation et à l’orientation des mesures de prévention. En matière de prévention, chaque intervenant dans le circuit du médicament peut contribuer à le sécuriser. Pour ne prendre que l’exemple du prescripteur, les ordonnances de plus en plus informatisées gagnent en lisibilité et l’utilisation systématique de la DCI réduirait encore le risque de confusion. S’il est illusoire (et inutile) d’être exhaustif, il est fondamental de signaler les erreurs ou les risques d’erreur qui ont, auraient pu ou pourraient avoir des conséquences graves1 . Cette démarche volontaire des professionnels de Santé sera toujours utile et nécessaire, car aucun logiciel de prescription ou de gestion du circuit du médicament, aussi performant soit-il, ne pourra éviter l’erreur humaine.
Références [1] Le Loarer F, Carré-Gislard D, Baricault S, Bravard P. Toxidermie sévère due à une erreur de délivrance médicamenteuse. Ann Dermatol Venereol 2009;136:364—5. [2] Lambert BL, Lin SJ, Tan H. Designing safe drug names. Drug Saf 2005;28:495—512. [3] Ashcroft DM, Quinlan P, Blenkinsopp A. Prospective study of the incidence, nature and causes of dispensing errors in community pharmacies. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2005;14:327—32. [4] Thouilly R, Le Jeunne C, Hugues FC. L’homonymie des médicaments : une cause d’erreur de prescription et de dispensation. Therapie 1996;51:565—7. [5] Chiche L, Thomas G, Canavese S, Branger S, Jean R, Durand JM. Severe hemorrhagic syndrome due to similarity of drug names. Eur J Intern Med 2008;19:135—6. [6] Eviter l’évitable. Tirer parti des erreurs pour mieux soigner. La Revue Prescrire 2005;Suppl 267. [7] www.afssaps.sante.fr
B. Lebrun-Vignes Centre régional de pharmacovigilance, service de pharmacologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47—83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France Adresse e-mail :
[email protected]. Disponible sur Internet le 4 f´ evrier 2009
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Pour signaler une erreur ou un risque d’erreur, contacter le centre de pharmacovigilance de votre région (coordonnées dans le dictionnaire Vidal, sur www.afssaps.sante.fr ou sur www.centrespharmacovigilance.net) ou la cellule « erreurs médicamenteuses » de l’Afssaps.