Tribune
Imagerie de la Femme 2005;15:197-8 © Masson, Paris, 2005
Tribune
Contre la cytoponction. Point de vue Marie-Françoise Pelte Département de Pathologie clinique, Hôpitaux Universitaires de Genève, rue Micheli-du-Crest 24, 1211 Genève 14, Suisse. Correspondance : M.-F. Pelte, à l’adresse ci-dessus. Email :
[email protected]
D
ans les pays industrialisés, le cancer du sein est la plus fréquente des néoplasies féminines et l’augmentation de son incidence depuis 20 ans génère des besoins croissants de diagnostic et de traitement. Parallèlement, et notamment sous l’impulsion des organismes d’accréditation, les exigences ont été renforcées pour le diagnostic préopératoire : les objectifs sont d’éviter surtraitement, retard, multiplication des examens, et d’améliorer la sécurité, la rapidité et les coûts. Ainsi, la pratique des cytoponctions mammaires a fortement diminué alors que celle des micro et macrobiopsies s’est accrue. Pourtant, l’examen cytologique par aspiration à l’aiguille fine est fiable, particulièrement lorsqu’il est associé aux examens clinique et radiologique (mammographie ou échographie) du « triplet diagnostique ». Sa sensibilité atteint 90 % et sa spécificité 95 %. Sa facilité et sa bonne tolérance sont appréciables dans des consultations de sénologie pluridisciplinaires. Mais la cytoponction ne renseigne ni sur l’invasion tumorale, ni sur les facteurs pronostiques et prédictifs nécessaires aux choix de traitements du cancer du sein.
La cytoponction est donc devenue un examen insuffisant pour préciser les éléments du diagnostic et du pronostic
Cytoponction et traitements conservateurs du cancer du sein La cytoponction est contre-indiquée en cas de microcalcifications et absence de tumeur palpable. Les microcalcifications constituent des marqueurs des carcinomes mammaires, notamment in situ, et leur valeur prédictive est indiquée dans la classification internationale BIRADS (Breast Imaging Reporting and Data System) mise au point en 1995 par l’American College of Radiology. On observe exceptionnellement des microcalcifications au microscope sur un matériel de cytoponction et celui-ci est inadéquat
pour la corrélation avec l’imagerie puisqu’il ne peut pas être radiographié. Comme il repose sur l’interprétation de modifications morphologiques, essentiellement nucléo-cytoplasmiques, dans des cellules séparées de l’architecture tissulaire, le diagnostic cytologique ne peut objectiver un franchissement de membrane basale, une infiltration locale ou une invasion vasculaire. Il ne peut donc pas préciser le caractère in situ (intraductal) ou invasif d’un carcinome canalaire. Même en cas de tumeur palpable, l’intérêt de la cytoponction est donc très limité, car des traitements conservateurs peuvent être proposés pour autant que soit évalué le caractère in situ ou invasif du carcinome. Par exemple, la biopsie-excision du ganglion « sentinelle » offre une bonne valeur prédictive du status ganglionnaire lymphatique axillaire. Mais, puisque 13 % des carcinomes in situ peuvent se présenter cliniquement comme invasifs, mieux vaut éviter, en l’absence d’invasion clairement objectivée, une biopsie-excision du ganglion « sentinelle » inutile bien que sa morbidité soit inférieure à celle d’un curage.
Cytoponction et pronostic Il est préférable de connaître le type histologique d’un carcinome mammaire avant l’excision chirurgicale, même s’il représente un facteur pronostique moins important que les dimensions macroscopiques de la tumeur (pT du stade pathologique), le status des métastases ganglionnaires (pN du stade pathologique) et celui des métastases viscérales (M du stade pathologique). Par exemple, la cytoponction manque le diagnostic de carcinome lobulaire invasif dans 60 % des cas. Moins fréquent que le carcinome canalaire invasif, ce type de cancer du sein apparaît cependant en augmentation dans plusieurs pays occidentaux. Habituellement constitué de cellules tumorales isolées et « en files indiennes » dans un stroma desmoplasique, il est souvent mal délimité et le chirurgien doit être averti du risque de marges chirurgicales insuffisantes. De même, la cytoponc-
197
198
Contre la cytoponction. Point de vue
tion ne peut identifier un carcinome micropapillaire invasif : le caractère particulièrement lymphophile de ce type de carcinome canalaire est à évaluer dans la décision d’une biopsie-excision du ganglion « sentinelle ». Quant au carcinome mucineux, réputé de bon pronostic, le diagnostic différentiel avec un mucocèle est difficile sur cytoponction. L’examen cytologique ne permet pas d’établir le grade de différenciation d’un carcinome invasif puisque celui de Scarff et Bloom modifié est basé, non seulement sur les anomalies nucléaires et nucléolaires des cellules tumorales, mais aussi sur le pourcentage de structures tubulaires et le compte de mitoses par 10 champs au fort grossissement. Or, la notion de haut grade est un des éléments d’orientation vers une chimiothérapie/hormonothérapie néo-adjuvante. En dehors des carcinomes mammaires primaires, dans le diagnostic des lymphomes, métastases et autres tumeurs du sein, sur un matériel de cytoponction, les colorations immunohistochimiques sont limitées par le nombre de cellules tumorales, et difficiles à interpréter puisqu’elles doivent souvent être effectuées après décoloration du Papanicolaou standard.
Cytoponction et facteurs prédictifs L’expression de récepteurs d’œstrogènes (et progestérone) par un carcinome mammaire est un facteur pronostique et prédictif de l’hormonothérapie. Il doit être connu avant l’excision chirurgicale, spécialement dans l’optique d’une hormonothérapie néoadjuvante. La mise en évidence des récepteurs hormonaux par immunohistochimie sur cytoponction est faisable, mais doit être prévue à l’avance en raison des difficultés techniques indiquées plus haut. Le risque de faux-négatif est d’autant plus grand que manque souvent le « contrôle interne positif » de cellules mammaires non tumorales exprimant des récepteurs. Pour des raisons comparables, la cytoponction permet plus difficilement d’évaluer le status HER-2 d’un carcinome invasif. Identifié dans les années 1980, l’oncogène
Her-2neu (c-erb-B2) code l’expression d’une protéine de la membranaire cellulaire, fonctionnant comme récepteur de facteurs de croissance et caractérisée par son équipement en tyrosine-kinase. À la recherche d’une surexpression de la protéine par immunohistochimie, on peut préférer celle d’une amplification du gène détectée par FISH (Fluorescent In Situ Hybridization). Non seulement l’une et l’autre sont hautement prédictives de la réponse au trastuzumab (Herceptin®), mais la réponse tumorale à d’autres chimiothérapies pourrait être aussi liée au status HER-2.
Elle apparaît dépassée par les exigences actuelles et futures de la prise en charge du cancer du sein
La cytoponction est donc devenue un examen insuffisant pour préciser les éléments du diagnostic et du pronostic actuellement nécessaires à la prise en charge pluridisciplinaire d’un cancer du sein. Pourtant, même s’ils sont utiles dans la discussion des options thérapeutiques, ces facteurs clinico-pathologiques apparaissent encore insuffisants pour prédire l’évolution clinique. C’est pourquoi de nouveaux biomarqueurs sont sans cesse recherchés. Or des analyses de profils d’expression génomique ont identifié des groupes de carcinomes mammaires présentant des différences de pronostic, de réponse au traitement ou de potentiel métastatique [1]. Certes, ces analyses moléculaires sur coupes cryopréservées sont aussi réalisables sur matériel cytologique frais. Mais celui-ci reste actuellement inadapté aux biothèques congelées puisqu’il ne permet pas de distinguer carcinomes mammaires invasifs et in situ. Même si la cytoponction s’est avérée un examen fiable d’orientation clinique, elle apparaît aujourd’hui dépassée par les exigences actuelles et futures de la prise en charge du cancer du sein.
Référence [1]
Case Record 24 – 2005. N Engl J Med 2005; 353: 617-22.