Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2012) 11, 59—64
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ÉDITORIAL
De la demande d’euthanasie aux soins palliatifs, à propos de situations singulières Mis en examen pour « empoisonnements sur quatre personnes particulièrement vulnérables », le docteur Nicolas Bonnemaison, urgentiste à l’unité d’hospitalisation de Courte Durée (UHCD), intégrée au service des urgences du centre hospitalier de la Côte-Basque de Bayonne a été soumis en août dernier à un contrôle judiciaire mais maintenu en liberté.
MOTS CLÉS Soins palliatifs ; Euthanasie ; Décision médicale
Devant les juges, il a tenu à souligner : « Je ne suis pas un militant de l’euthanasie ». Il a, par ailleurs, reconnu avoir « utilisé des médicaments, mais pas dans l’intention de donner la mort, pour abréger les souffrances des patients en fin de vie ». Il a enfin ajouté : « J’ai toujours été attaché à communiquer avec les familles. Pour moi, le patient était indissociable de ses proches », sans cependant clairement indiquer s’il avait rec ¸u des demandes expresses de ces derniers. Le président de la chambre a évoqué un réquisitoire supplétif en date du 5 septembre qui ferait état de trois cas d’euthanasie supplémentaires dont pourrait avoir à répondre l’urgentiste. Le médecin encourrait une peine allant d’un blâme à l’interdiction d’exercer. Dans cette affaire, il faudrait en savoir plus sur les personnes malades concernées, ce qu’elles vivaient, ce dont elles souffraient. Demandaient-elles que leurs souffrances et leur vie soient abrégées ? Quelles étaient les attentes ou demandes des proches ? Qu’est-ce qui a poussé notre confrère à réaliser ces injections mortelles ? Il convient d’être prudent, surtout devant une médiatisation de grande ampleur. Prudent sur les faits eux-mêmes puisqu’une enquête est en cours. Nous ne pouvons donner aucun avis juridique ou pénal. Il s’agit d’établir des faits, des circonstances. Le médecin concerné a toujours travaillé dans ce même hôpital. II est apprécié pour son travail, son sérieux, ses qualités humaines, et cela explique, voire justifie pour beaucoup l’émotion et le soutien qui lui sont manifestés. Il a de plus suivi une formation en soins palliatifs. Or il est accusé d’actes vraiment graves. Il a été entendu par la justice. Sa parole est capitale. À travers les réactions médiatiques à chaud, on observe combien de flous, de confusions existent malgré les communiqués de l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) et de la Société franc ¸aise d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). Cette méconnaissance est d’ailleurs confortée par des enquêtes d’opinion récentes. Réagissons à l’affaire en cours, puis rappelons les objectifs fondateurs des soins palliatifs (SP), et redéfinissons les contours du débat sur l’euthanasie.
En premier, la définition de l’euthanasie pose problème. En effet, le Code pénal franc ¸ais n’en contient pas. Il n’existe pas de définition communément admise. Cependant, les textes de loi des pays qui l’ont « légalisée » (Pays-Bas
1636-6522/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2011.12.006
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en 2001) ou « dépénalisée » (Belgique en 2002 et Luxembourg en 2009), comme les projets de loi déposés en France ces dernières années, proposent globalement la définition suivante : « acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci ». Les notions d’intentionnalité et de demande réitérée et consciente y sont bien stipulées. De plus, ces textes concernent des « situations médicales sans issue » et des souffrances « insupportables » aux yeux de la personne malade. Cet acte consiste en l’injection ou en l’absorption de substances rapidement et irréversiblement mortelles. Cette euthanasie est qualifiée d’« active ». Elle se différencie de l’euthanasie dite « passive », fort différente. Cette dernière est définie comme « les soins et traitements qui visent à soulager les souffrances, quitte à ce que leurs effets indésirables abrègent la vie », ou encore « la décision de suspendre ou de s’abstenir de thérapeutiques actives, de fac ¸on réfléchie, proportionnée et collégiale » ; ces attitudes thérapeutiques sont préconisées par la démarche palliative et stipulées par la loi sur les « Droits des patients et à la fin de vie », dite de Léonetti. Ces qualificatifs « active » ou « passive » induisent une confusion au sein de la population. Or les attitudes et comportements sont bien différents, tant l’intentionnalité et les moyens utilisés, que les conditions d’accompagnement. Mieux vaudrait séparer, d’un côté, l’acte d’euthanasie avec une définition unique de provocation de la mort (sans préciser « active »), de l’autre, un projet de SP et d’accompagnement. Il ne s’agit pas d’opposer stérilement, mais de clarifier à l’attention des citoyens. Du reste, les personnes et associations qui demandent la légalisation sont à la fois pour le développement des SP et contre l’acharnement thérapeutique. La problématique est complexe, et in fine, seuls trois pays et un État américain ont dépénalisé sous strictes conditions. . . Les situations de Bayonne concernent des personnes âgées en fin de vie. Le nombre de leurs passages dans les services d’urgence est en forte croissance. Leurs conditions de fin de vie posent un vrai problème de santé publique. Et le poids de ces situations incombe aux équipes de ces services, à Bayonne et ailleurs. Il est indispensable de s’adapter à ces situations parfois pénibles pour les malades et oppressantes pour l’entourage. Comment anticiper les urgences palliatives à domicile de ces personnes âgées en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ? Comment adapter, ajuster, proportionner les soins et l’accompagnement pour elles en situation d’urgence ? Et comment assurer un projet de SP personnalisé en aval du service des urgences ? Les situations cliniques qui ont conduit à une injection mortelle d’hypnotique puis de curare soulèvent une fois encore la question de la décision médicale, ici cruciale sous l’angle « vie-mort ». À la prise de décision du médecin en solitude, « en son âme et conscience », doit être substituée une prise
de décision collégiale, grâce à un véritable travail en équipe pluriprofessionnelle, particulièrement dans des cas extrêmes. Les textes officiels, à juste titre, nous y ont invités puis incités et plus récemment l’ont exigé, à travers la loi de la réforme du système de santé en mars 2002, la loi Léonetti en avril 2005, et le manuel d’accréditation de la Haute Autorité de santé publique (HAS) dans sa version applicable en 2011 ! Cette affaire ouvre de nouveau une fenêtre de tir médiatique. Certes, le débat sur la question de l’euthanasie est nécessaire, indispensable, et forcément médiatique, car les citoyens sont tous concernés par la souffrance et la fin de vie.
Mais remettons en question les modalités du débat médiatique, au risque de polémiquer. Ce n’est pas nouveau, il est biaisé, pipé. Ceux qui sont pour la légalisation de l’euthanasie réagissent très vite, de manière concertée, programmée. Ils se saisissent de l’affaire avec une militance orchestrée. Ils utilisent ces situations émouvantes. Nous pouvons tenter de comprendre cette militance, ne pas la rejeter d’emblée. Nous pouvons prendre acte de ces euthanasies médiatisées comme l’expression de crises sociétales, et la médiatisation comme un fait révélateur des aspirations évolutives de notre société (maîtrise, confort, beauté, longévité, qualité de vie. . .). Le débat sur la dépénalisation de l’euthanasie trouve un fort écho à nos angoisses de mort. De là à accomplir un acte d’euthanasie, il y aurait un grand pas de franchi. Trop souvent, le débat médiatique affronte les SP et l’euthanasie, ce qui risque d’occulter les objectifs et les contenus des SP, ou carrément donne davantage la parole à la militance pro-euthanasique qu’aux acteurs des SP et de l’accompagnement bénévole. Le débat ne différencie pas assez d’un côté l’acte d’euthanasie qui apparaît isolé et de l’autre les SP qui sont un ensemble d’actes et d’attitudes en continuité dans le temps, un projet. La Sfap, dont on entend bien moins parler, réunit pourtant plus de 200 associations et par elles plus de 25 000 professionnels et bénévoles. Ils sont avant tout des acteurs engagés auprès des patients et de leurs familles, ce qui ne les dispense pas d’une forme de militance moins instrumentalisée. Les acteurs des SP en structures spécialisées sont généralement contre l’acte d’euthanasie, et contre sa dépénalisation. Je suis d’accord avec les raisons suivantes. La vie d’un être humain doit être respectée. Il est possible de rendre supportables les pires souffrances imaginables dans la grande majorité des cas. Le risque de dérives vers des euthanasies contre la volonté de la personne ou pour des personnes relevant de la psychiatrie existerait. La valeur d’un sujet et le coût financier de ses soins pourraient être appréciés de fac ¸on trop variable. Un interdit social protecteur de la personne la plus démunie serait levé en dépénalisant l’euthanasie. Mais la condition sine qua none de cette prise de position dans la pratique est d’accorder toute une attention, coûte que coûte, en priorité, précisément à ceux qui évoquent ou demandent l’euthanasie. Le débat serait plus ouvert si l’on pesait, d’un côté, l’irréversibilité et l’intentionnalité de provocation
De la demande d’euthanasie aux soins palliatifs, à propos de situations singulières de la mort dans l’acte d’euthanasie, et de l’autre, la proportionnalité et l’intentionnalité d’obtention d’un soulagement suffisant dans le projet de SP. . .Il serait éclairé si l’on considérait les SP et l’accompagnement dans cet espace situé entre la mort provoquée et l’obstination déraisonnable. . .
En second, le citoyen n’est pas forcément, loin s’en faut, averti de ce que recouvrent concrètement les soins palliatifs ; bien des représentations fausses sont encore véhiculées. Les soins palliatifs démarrent à partir du moment où « la guérison n’est plus possible », qu’il s’agisse de maladies cancéreuses certes, mais aussi de la maladie sida, de maladies neurologiques dégénératives (Alzheimer, Parkinson), de pathologies cardiaques, vasculaires, respiratoires avancées et irréversibles. . .
Nous expliquons aux personnes relevant des SP et à leurs familles, admises dans une unité de soins palliatifs (USP), ou dans un service avec lits identifiés de soins palliatifs (LISP), ou suivies par une équipe mobile (EMSP), ou encore incluses dans un réseau de soins palliatifs à domicile, que « soins palliatifs » ne veut pas toujours dire « soins terminaux ». Les familles, le grand public ont spontanément peur de l’expression « soins palliatifs » car elles entendent souvent « fin de vie rapide ».
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On se réfère ici à la dimension psychologique : atténuer l’anxiété, traiter la dépression. . ., et existentielle : être accompagné par ses proches, être reconnu comme être humain unique, à part entière, intégré à la société quel que soit son état physique ou psychique. Que la personne malade soit la plus apaisée possible. Les soins palliatifs ne prétendent pas gommer la souffrance. Il n’y a pas de réponse à toutes les souffrances. Cet apaisement survient au moins par moments, et le jour au jour reste « vivable » aux yeux de la personne concernée.
« Soins palliatifs » signifie aussi personnalisation : c’est un individu en particulier que l’on va soigner et accompagner. Il est considéré pour lui même. Il fait l’objet d’attentions particulières. Le récit de sa vie, ce qu’il a vécu, entrepris, créé, doit être recueilli. L’équipe cherche à connaître ses attentes, à respecter ses volontés autant que faire se peut. Le projet de soins est personnalisé, adapté.
L’accompagnement signifie la prise en compte et le soutien des proches, pour eux mêmes, mais aussi pour le bienfait du patient. Le malade vulnérable a encore plus besoin de ses proches, familles et amis, selon son choix bien sûr, et il doit pouvoir compter sur eux. Le projet de soins s’articulera donc aussi avec l’entourage.
Enfin, qui dit « soins palliatifs » dit aussi travail en équipe, collégialité. Les « soins palliatifs », c’est d’abord le soulagement : les professionnels de santé doivent tout faire pour soulager physiquement le patient. Le symptôme de la douleur est une préoccupation constante, et non exclusive car la douleur s’associe à bien d’autres symptômes tels la fatigue, la constipation, la gêne respiratoire, l’hémorragie, etc. Les soins palliatifs visent à soulager au maximum, afin de rendre « supportables » tous ces troubles. Une personne qui souffre de douleurs intenses, mal ou peu soulagées, va être totalement envahie dans sa vie, dans toutes ses composantes psychologique, sociale, familiale, existentielle. Sa relation est altérée. « La douleur intense, surtout si elle est persistante est une urgence ! ». Cette attitude systématique de lutte contre la douleur devrait être partagée par tous les professionnels de santé. De grands efforts doivent être accomplis pour diffuser l’expérience et les pratiques ; nous avons obligation de résultats ! Les « soins et l’attention au corps sont essentiels », sans jamais oublier la personne qui l’habite, avec ses émotions et sentiments, avec son histoire et son parcours.
« Soins palliatifs » signifie apaisement.
Vu la charge et l’affinement de ce travail, seule une équipe de professionnels peut assurer un projet de SP, quel que soit le lieu, au mieux complétée par une équipe d’accompagnants bénévoles.
En troisième, l’émergence d’une demande d’euthanasie nécessite d’apporter des nuances simplement introductives de cette question à multiples facettes. Il est vrai que l’on rencontre encore des personnes insuffisamment soulagées, avec des douleurs intenses, parfois dans des états dramatiques. Ces personnes peuvent demander à être dégagées de ces souffrances, peuvent « aspirer à la mort comme à une délivrance ». Cette évocation, cette plainte, ce cri, restent fréquemment rencontrés en situation palliative, même si l’on a progressé dans les traitements symptomatiques. En fait, on pourrait distinguer les demandes « chaudes » et les demandes « froides » d’euthanasie.
Les « demandes chaudes d’euthanasie », de loin les plus fréquentes, sont déclenchées,
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Éditorial provoquées par une souffrance intense actuelle, avec toujours une intrication somatopsycho-existentielle.
Du reste, ce sont souvent les proches et parfois les professionnels de santé qui expriment la demande. La question de l’euthanasie rapportée à une situation clinique est essentielle pour nous, professionnels : nous devons vraiment entendre la demande d’euthanasie mais aussi toutes les nuances que cette personne exprime autour de cette demande. Pour moi, la vraie demande d’euthanasie, c’est « faites-moi une piqûre qui provoque ma mort parce que je souffre ou parce que je crains de souffrir ». Mais la plupart du temps, ce n’est pas ¸ ca que j’entends dans ma pratique. Ce qui est fréquemment exprimé, c’est plutôt « j’aspire à mourir parce que je ne supporte plus ma vie aujourd’hui » ou de la part du proche « aidez-le à mourir, il souffre trop, ce n’est plus supportable ». Dans la grande majorité des cas, on soulage, apaise, accompagne, et cette demande s’estompe. Il est donc vital d’articuler le projet de soins et d’accompagnement, tout en maintenant un vrai dialogue. Une fois soulagée, la personne malade va souhaiter continuer sa vie ; un regain de vitalité et des capacités relationnelles adviennent. Cette amélioration, parfois spectaculaire, est obtenue par des SP optimisés. Chaque fois qu’il est nécessaire, il faut résolument demander l’intervention d’une équipe spécialisée de SP, sans trop attendre, sans trop se décharger sur elle.
Si un soulagement suffisant ne peut pas être obtenu, malgré la mobilisation des moyens nécessaires et des moyens thérapeutiques réadaptés, un acte de sédation peut être envisagé. Dans des cas extrêmes, par l’injection d’un médicament tranquillisant, et si besoin d’un morphinique, une somnolence est induite, de profondeur et de durée variables, selon une prescription médicale écrite, à adapter au cas par cas et proportionnée à la détresse, avec une prise de risque réfléchie en équipe, en informant les proches et la personne malade quand c’est possible. Cet acte de sédation ne doit pas être confondu avec un acte d’euthanasie tel que défini avant. Dans tous les cas, le médecin ne doit pas agir seul. Le travail en équipe est essentiel, la collégialité primordiale. Un médecin, le plus compétent, le plus intelligent, le plus dévoué soit-il, ne peut pas assurer, ni assumer tout seul des situations aussi complexes, des décisions aussi difficiles à prendre. Il appartient par contre au médecin de tracer la prescription et la décision de cet acte de sédation par écrit dans le dossier.
Les « demandes froides d’euthanasie » sont rarement exprimées, mais elles paraissent les plus difficiles à recevoir ! Il s’agit de demandes formulées le plus souvent par une personne atteinte d’une pathologie chronique, plutôt neurologique ou cardio-vasculaire ou respiratoire que cancéreuse,
et dont les symptômes physiques apparaissent suffisamment soulagés. Elle souhaite que sa vie s’arrête à partir du moment où elle sait qu’elle va mourir inéluctablement de cette maladie. Elle ne supporte plus et n’admet plus, ni ses conditions de vie et dégradations physiques actuelles, ni les pertes, ni les risques de complications pathologiques à venir, avec leur éventuel cortège de traitements, telle la réanimation artificielle. Sur un plan psycho-existentiel, elle ne trouve plus de sens à son existence, n’a plus ni projet, ni désir. Cette personne revendique son choix, au nom de sa liberté individuelle. Sa demande est raisonnée, construite. Elle parait déterminée. Elle attend d’autrui respect et compréhension. Elle a souvent obtenu l’assentiment de ses plus proches. Il n’est pas rare de l’entendre évoquer sa déchéance, son refus de « vivre comme un légume ». . .Elle peut réclamer un geste dit « de compassion ». Mais quel est le sens de cette demande ? Lui a-t-on permis de s’exprimer sur sa propre mort et pris le temps de l’écouter ? Pour qui se sent-elle encore digne d’intérêt ? Cette demande n’est-elle pas une tentative d’appropriation, une demande de communication, de considération ?... Cette personne veut accéder à sa mort en la faisant provoquer par un tiers et c’est un acte d’euthanasie, ou en la provoquant elle-même avec l’aide d’un tiers et c’est un acte de suicide assisté. Les professionnels de santé se trouvent alors face à un positionnement singulier qui parait soutenu par une logique implacable. Je dis « paraît », car à l’expérience, ce « froid » est sous-tendu par bien d’autres souffrances, volontiers anciennes, recouvertes, inscrites dans le patrimoine familial ou inscrites dans la trajectoire du malade, et notamment la participation à un acte d’euthanasie d’un proche dans le passé. Cette dernière observation renforce la nécessité de l’accompagnement familial et amical, avec l’accord du patient, en respectant son intimité. Dès lors, tel professionnel, parfois dans un cadre associatif, mais en France plutôt dans l’alcôve de sa pratique libérale ou dans l’isolement de la chambre d’hôpital, franchira le pas de l’injection mortelle. Ou bien il aura prescrit, ou parfois seulement ordonné verbalement à l’infirmière, une perfusion sédative létale et terminale appelée jadis « cocktail lytique ». Ces gestes, ces prescriptions, existent, mais quoiqu’on entende ici ou là, ils deviennent heureusement de plus en plus rares avec le développement des SP. Or en France, l’euthanasie et le suicide assisté relèvent du droit pénal. Le code pénal franc ¸ais pose une limite, celle de l’interdit de provoquer intentionnellement la mort d’autrui. C’est pourquoi, d’aucuns demandent une dépénalisation de l’acte d’euthanasie, sous conditions d’application. . .
En quatrième, la loi « relative aux droits des malades et à la fin de vie » dite de Léonetti, peut être délicate à appliquer. La SFAP la reprend totalement à son compte.
Cette loi est une loi d’encadrement de la décision médicale de limitation ou d’arrêt de thérapeutiques actives (LATA), pas simplement
De la demande d’euthanasie aux soins palliatifs, à propos de situations singulières une loi contre l’obstination déraisonnable (autrement appelée acharnement thérapeutique). Elle répond en grande partie aux difficultés de la fin de vie. Mais quel texte, quelle personne ou groupe de personnes pourrait prétendre résoudre toutes les questions autour de la fin de vie, dissoudre la souffrance humaine, éluder les questions face à la fragilité et à la finitude.
Son application devrait commencer par des SP de qualité optimale, avec une offre de SP suffisante, y compris en secteur gériatrique et en secteur rural ! Pour faire face à une demande d’euthanasie, la loi ne suffit pas évidemment, il faut s’engager auprès de la personne malade, avec sa confiance et son adhésion, avec sa famille, avec l’équipe soignante et chercher ensemble des solutions au jour le jour. Il convient aussi de trouver un lieu de vie selon le choix du patient et en adéquation avec son état, point sur lequel le bât blesse ! Cette loi va plus loin.
Elle attend et permet d’adapter et de proportionner les soins et traitements, d’éviter des traitements futiles. Elle prévoit de pouvoir arrêter même l’alimentation ou l’hydratation d’un patient à sa demande ou suite à une procédure collégiale s’il est en incapacité d’exprimer sa volonté.
Cette loi donne des droits à la personne de confiance si elle a été cooptée par le malade : droits à l’information, à l’accès au dossier, à la participation pour la prise de décision, etc.
Elle stipule la prise en compte des directives anticipées du patient, mais qui en a entendu parler et qui les recherche vraiment ? Il n’est pas facile de rédiger cet écrit qui envisage les conditions de sa propre mort avec la limite ou le refus de tel traitement, sans savoir ce qui adviendra, parfois avec la vision d’un bien-portant.
Elle exige aussi la collégialité avec le double avis médical, la concertation interprofessionnelle, et la trac¸abilité. Elle apporte une réponse adaptée à la grande majorité des demandes d’euthanasie, mais elle ne répond pas aux « demandes froides » d’euthanasie, qui sont, il est vrai, exceptionnelles, et rejoignent davantage la problématique
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du suicide assisté (légalisé en Suisse et dans les états d’Oregon et de Washington). En sus des difficultés évoquées, cette loi Léonetti est très largement méconnue, même par les professionnels de soins. Plus de 70 % des 1000 personnes interrogées lors du sondage Opinion Way pour la SFAP n’ont jamais entendu parler de la loi sur la fin de vie. La formation médicale n’a pas suffisamment suivi l’évolution des lois. La loi de 2005 est enseignée, mais peu de temps lui est consacré. Les étudiants connaissent rarement ses applications concrètes, sauf à rencontrer un service où elle est appliquée, à participer à un atelier spécifique, etc. Mais il faut aussi mesurer que cette loi interroge en profondeur l’attitude du médecin et ses pratiques : information et consentement du patient, réflexion éthique en équipe, partage de la décision, horizontalité des relations hiérarchiques.. Cela tombe sous le sens pour le bienfait du patient, il est cohérent d’agir ainsi, mais cela modifie profondément les comportements. Depuis son entrée en vigueur en 2005, cette loi intelligente et adaptée apparait très insuffisamment appliquée dans sa complétude, et de fac ¸on très inégale selon les professionnels, les équipes et les lieux de soins. Avant de conclure, pensons avec reconnaissance à tous les professionnels de santé qui exercent en dehors des structures spécialisées de soins palliatifs, particulièrement dans les services d’urgence, de gériatrie, dans les maisons de retraite et EHPAD. Ils interviennent auprès de personnes relevant des SP, se dévouent avec tant de qualité et d’altruisme, parfois malgré une insuffisance de moyens en personnel. Chaque soignant, chaque citoyen a un rôle à jouer pour éteindre les braises d’une situation euthanasique, adoucir le temps du mourir, poser les enjeux du débat au niveau individuel et collectif. L’acte d’euthanasie ne laisse personne indifférent, que l’on soit pour ou contre !
Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Remerciements Aux amis correcteurs qui ont amélioré le contenu et la forme de ces lignes.
Pour en savoir plus http://www.sfap.org. Enquêtes d’opinion sur les SP Sondage Opinion Way/SFAP/SFAR/CREFAV/ + « Digne La Vie » janvier 2011. Communiqué de presse du 13 août 2011. http://www.croix-saint-simon.org/formation-etrecherche/observatoire-national-de-la-fin-de-vie/espacepresse/revue-de-presse. Communiqué de presse ONFV du 12 août 2011. http://www.legifrance.gouv.fr. Loi no 2002-30 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Loi no 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Décret no 2006-119 du 6 février 2006 relatif aux directives anticipées prévues par la loi
64 no 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et modifiant le code de la santé publique. Décret no 2006-120 du 6 février 2006 relatif à la procédure collégiale prévue par la loi no 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et modifiant le code de la santé publique. http://www.wikipedia. Euthanasie\Législation sur l’euthanasie par pays - Wikipédia.mht.
Éditorial Benoit Burucoa Service de soins palliatifs, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux, France Adresse e-mail :
[email protected] Rec ¸u le 29 aoˆ ut 2011 ; accepté le 22 d´ ecembre 2011 Disponible sur Internet le 3 mars 2012