Réanimation 14 (2005) 307–309 http://france.elsevier.com/direct/REAURG/
De la physiologie à la médecine fondée sur des preuves pour la prise en charge ventilatoire du syndrome de détresse respiratoire aiguë : un pacte de non-agression ! From physiology to evidence-based medicine for the ventilatory management of acute respiratory distress syndrome patients: a non-agression pact! Depuis plus de 30 ans, le syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) représente pour le réanimateur une entité clinicoradiologique et physiopathologique complexe, et un véritable défi thérapeutique au quotidien. La curiosité intellectuelle des réanimateurs et leur volonté de « sauver des vies » ont ainsi conduit à la publication de près de 10 000 articles scientifiques (source Pubmed) depuis la description princeps de cette agression pulmonaire aiguë sévère et multifactorielle [1]. Si en dépit de cette recherche scientifique considérable, tant fondamentale que clinique mais souvent controversée, persistent encore de nombreuses inconnues, force est de constater que des avancées thérapeutiques notables ont été réalisées dans la prise en charge ventilatoire du SDRA durant toutes ces années [2]. Si l’on admet une amélioration du pronostic chez ces patients au cours des dix dernières années, avec des taux de mortalité variant, selon les études, de 50–60 % [3] à 35–40 % pour les plus optimistes [4], il est très probable que ces progrès ventilatoires y ont largement contribué. Ces progrès découlent avant tout de la prise de conscience, par les réanimateurs, outre du rôle indispensable de la ventilation mécanique (VM), de son effet paradoxal potentiellement délétère susceptible d’entretenir ou d’aggraver les lésions pulmonaires au cours du SDRA. Cette agression pulmonaire induite par la VM ou « ventilator– induced (associated) lung injury » (VILI ou VALI) [5] associé à un authentique processus inflammatoire, véritable « biotraumatisme » local voire systémique [6], a ainsi conduit à modifier les objectifs et donc la stratégie de VM au cours du SDRA. Il n’était alors plus question de normaliser la ventilation alvéolaire et, pour corriger l’hypoxémie, de n’appliquer qu’une simple pression expiratoire positive externe (PEPe), fut-elle la « best » [7]. Il fallait tenir compte du risque de surdistension thoracopulmonaire (« barovolotraumatisme ») [8] mais aussi du risque de dérecrutement induit par le collapsus alvéolaire [9], conséquences respectives de l’utilisa-
tion de pressions et/ou de volumes trop élevés ou trop faibles. Nécessaire compromis entre un recrutement alvéolaire suffisant et une hyperinflation pulmonaire minimale, et bien que suggéré depuis longtemps sur un plan physiologique [10], le concept de ventilation dite « protectrice » devait alors émerger progressivement en application clinique [11]. Les conséquences d’une telle stratégie visant à limiter les volumes insufflés et les pressions des voies aériennes, notamment de fin d’inspiration, impliquaient alors au clinicien d’accepter un certain degré d’hypercapnie dite « permissive » [11], de rechercher à nouveau le niveau de PEPe optimal [12] tout en tenant compte du retentissement hémodynamique [13] et, finalement, d’optimiser au mieux les réglages du ventilateur, voire de s’aider de thérapeutiques ventilatoires adjuvantes, en espérant ainsi réduire la mortalité liée au SDRA de façon symptomatique. De manière intéressante, cette protection pulmonaire a également pour effet de protéger la circulation et le fonctionnement du ventricule droit. En effet, la pratique de plus en plus répandue de l’échographie en réanimation nous a fait prendre conscience que la traditionnelle vision de la seule gêne au retour veineux n’était pas suffisante pour expliquer les effets négatifs de la ventilation sur le cœur, et que la défaillance ventriculaire droite était au cours du SDRA un phénomène majeur et pour beaucoup lié à la ventilation [14]. Ainsi, l’association de la baisse des pressions de plateau et de la mortalité s’explique peut-être, en partie au moins, par un moindre retentissement hémodynamique sur la post-charge ventriculaire droite [4]. Cependant, si le rationnel physiologique de la stratégie de VM au cours du SDRA est de mieux en mieux établi [15], il faut bien reconnaître que sa mise en application au travers des grands essais cliniques randomisés peut apparaître, pour le clinicien, quelque peu déroutante au vu de leurs résultats tout aussi discordants que controversés, tant dans leur interprétation que dans leur respect de l’éthique scientifique
1624-0693/$ - see front matter © 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2005.04.017
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[16,17]. Il est donc apparu nécessaire à la commission des référentiels de la SRLF de faire le point sur les données scientifiques actuelles, afin de compléter ou de conforter au mieux le bon sens clinique des réanimateurs qui semble encore prévaloir dans ce domaine [18]. Les recommandations fournies dans ce numéro de la revue sont ainsi le fruit de la réflexion de plus de 25 experts, adultes et pédiatres, ayant largement contribué au niveau international, dans leur domaine respectif, aux progrès réalisés dans la prise en charge ventilatoire du SDRA. À côté du concept innovant de « SDRA confirmé », le message essentiel de ces recommandations, applicable tant chez l’adulte que chez l’enfant (en dehors du nouveau-né) atteint de SDRA quel qu’il soit (pulmonaire ou extrapulmonaire), est qu’il faut, certes, délivrer une ventilation « douce » (non agressive) mais avant tout « personnalisée » pour chaque patient. Cette VM, préconisée préférentiellement selon un mode en débit, doit en effet tenir compte à l’échelon individuel, à la fois des caractéristiques mécaniques du poumon, des conséquences hémodynamiques du SDRA et de la VM, mais également de leur évolutivité respective dans le temps. Les moyens d’une telle « stratégie protectrice » ne sont donc pas d’uniformiser les réglages du ventilateur (volume courant, PEPe en particulier) pour tous les patients de façon quelque peu dogmatique [19] mais, de façon plus pragmatique, de les moduler afin d’assurer à chaque patient le meilleur compromis possible entre la prévention de la surdistension pulmonaire, l’optimisation du recrutement alvéolaire, les moindres effets cardiocirculatoires et l’obtention d’échanges gazeux compatibles avec la survie. À l’inverse, ce « pacte de non agression » avec le poumon doit imposer, chez tous les patients, une mesure régulière de la pression de fin d’inspiration (pression de plateau) et de la PEP totale (PEPe + PEP intrinsèque), paramètres simples mais dorénavant essentiels à la surveillance de toute VM au cours du SDRA. Cela implique également pour les services de réanimation adultes ou pédiatriques prenant en charge de tels patients, d’une part de disposer de ventilateurs adaptés permettant de réaliser facilement et de façon fiable ces mesures (occlusions téléinspiratoire et télé-expiratoire), et d’autre part de se donner les moyens d’un monitorage hémodynamique adéquat (échographie cardiaque, cathétérisme artériel pulmonaire). Pour ce qui est du monitoring, il est enfin temps que nos ventilateurs soient ceux du XXIe siècle, que chaque ventilateur de réanimation dispose d’un écran suffisamment grand pour être vu de loin et que cette mesure de la pression de plateau, si essentielle, soit d’accès simple et rapide pour nos infirmières. Le clinicien réanimateur nous semble maintenant pouvoir disposer pour sa pratique clinique d’une stratégie de prise en charge ventilatoire au cours du SDRA, à la fois pragmatique et raisonnée, tenant compte des données actuelles issues de la physiologie clinique et des résultats controversés de l’evidence-based medicine [20,21]. Il est clair que de nombreux progrès restent à faire dans la compréhension physiopathologique du SDRA et que de nouvelles études cliniques sont à venir. Leur rationnel devra néanmoins tenir compte de ce « standard of care » aussi bien que de l’« usual care » [22],
de l’interaction évidente des différents paramètres de réglages du ventilateur (volume courant, PEPe, fréquence respiratoire,...) pour maintenir une pression de plateau ≤ 30 cmH2O et des différentes possibilités pour y parvenir. Finalement, c’est probablement la prise en compte conjointe du traitement étiologique et du traitement symptomatique de ce syndrome complexe qui nous permettra, à l’avenir, d’en améliorer au mieux la mortalité et, peut-être, d’espérer voir ainsi l’aboutissement de cette route longue et sinueuse qu’est la prise en charge optimale de nos patients atteints de SDRA.
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C. Girault * Service de réanimation médicale, hôpital Charles-Nicolle, CHU Hôpitaux-de-Rouen, 76031 Rouen cedex, France Adresse e-mail :
[email protected] (C. Girault). L. Brochard Service de réanimation médicale, hôpital Henri-Mondor AP–HP, université Paris-XII, 94010 Créteil, France
* Auteur correspondant.