De quoi l’exérèse complète du mésocôlon est-elle le nom ?

De quoi l’exérèse complète du mésocôlon est-elle le nom ?

Modele + ARTICLE IN PRESS Journal de Chirurgie Viscérale (2016) xxx, xxx—xxx Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ÉDITORIA...

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ARTICLE IN PRESS

Journal de Chirurgie Viscérale (2016) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

ÉDITORIAL

De quoi l’exérèse complète du mésocôlon est-elle le nom ?夽 From what is complete mesocolic excision the name?

Des évolutions voire même des révolutions sont survenues ces 30 dernières années dans la prise en charge chirurgicale du cancer colorectal. La description du mésorectum et l’introduction du concept d’exérèse totale du mésorectum (ETM) par R.J. Heald au début des années 1980 en est le meilleur exemple [1]. Ainsi, le simple fait de modifier la technique opératoire et de suivre ce « holy plane » entre le fascia recti et le fascia pré-sacré a permis de faire chuter le taux de récidive locorégionale à moins de 10 %, alors qu’il pouvait atteindre dans certaines séries jusqu’à 35 à 40 % avec une chirurgie dite « conventionnelle ». Bien que ce type de dissection n’était pas totalement nouveau en soi, les résultats de Heald ont aussi (et peut être surtout) fait prendre conscience à la communauté chirurgicale digestive de l’importance de changer ses pratiques et de standardiser la technique de proctectomie pour cancer. Ainsi, éviter par exemple le terrible « effet cône » qui consiste à se rapprocher de la tumeur au pire endroit lors de la section rectale et qui a probablement fait autant pour l’amélioration des résultats que le concept de Heald en lui-même. On en veut pour preuve d’ailleurs le fait que des équipes américaines notamment, comme celle de Enker rapportait déjà avant 1990 des résultats oncologiques aussi bon que Heald sans avoir eu besoin de théoriser le concept d’ETM, mais avec une technique de proctectomie de qualité. Par analogie au cancer du rectum, le groupe de W. Hohenberger d’Erlangen en Allemagne a introduit en 2009 le concept d’« exérèse complète du mésocôlon » (ECM) [2]. Le but de cette dissection est double : réaliser une ligature des vaisseaux à leur origine et respecter au mieux les plans embryologiques, afin d’obtenir une pièce d’exérèse comprenant un fascia mésocolique intact et contenant l’ensemble des éléments ganglionnaires et vasculaires à partir desquels la tumeur pourrait disséminer. À partir d’une série de 1329 cancers du côlon, les auteurs ont montré que l’utilisation de cette technique sur une période de 25 ans avait permis de faire diminuer le taux de récidive locale à 5 ans de 6,5 à 4 % et d’augmenter la survie spécifique au cancer de 82 à 89 %. Ces chiffres ne sont pas aussi impressionnants que ceux obtenus après l’introduction de l’ETM mais paraissent non négligeables. L’un des avantages avancé par les promoteurs de la technique est le nombre plus important de ganglions analysés sur la pièce opératoire, ce qui améliorerait le staging ganglionnaire et donc la survie des patients (par un phénomène de migration de stade encore appelé effet Will Rogers). Depuis cette première publication, l’intérêt de l’ECM ainsi que sa faisabilité par voie laparoscopique ont été rapportés dans de nombreux travaux [3,4]. Cependant, il faut souligner que la plupart d’entre eux comportaient des effectifs peu importants et étaient de faible niveau de preuve.

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.jviscsurg.2016.09.017. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Journal of Visceral Surgery, en utilisant le DOI ci-dessus. 夽

http://dx.doi.org/10.1016/j.jchirv.2016.09.012 1878-786X/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

JCHIRV-713; No. of Pages 3

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2 En 2015, une étude parue dans le Lancet Oncology est venue alimenter encore plus les discussions sur le sujet [5]. Il s’agit d’une étude de population réalisée à partir des données de patients opérés électivement d’un cancer du côlon non métastatique entre 2008 et 2011 dans la région Hovedstaden au Danemark. Avec un total de 1395 patients inclus, Bertelsen et al. ont montré que les malades ayant eu une ECM dans un centre dédié avaient une survie sans récidive (SSR) à 4 ans significativement supérieure par rapport à ceux opérés dans des centres effectuant une chirurgie « conventionnelle » (86 % vs 76 %, p = 0,001). Cet avantage de survie était retrouvé pour les cancers de stade I (100 % vs 90 %, p = 0,046) et de stade II (92 % vs 78 %, p = 0,0033) mais pas pour les stades III (73,5 % vs 67,5 %, p = 0,13). En analyse multivariée selon un modèle de Cox, l’ECM était un facteur pronostique indépendant pour la SSR (HR = 0,59 ; IC 95 : 0,42—0,83 ; p = 0,0025). Après la réalisation d’un score de propension, la chirurgie avec ECM était également associée à une meilleure SSR à 4 ans (86 % vs 73 %, p = 0,0014). Alors, est-ce que cette étude permet de clore le débat et ce en faveur de l’ECM ? Non, évidemment car cela serait trop facile. Et l’absence de randomisation est déjà un problème majeur. Mais il y a d’autres critiques possibles de cette étude. Tout d’abord, même si un bénéfice en termes de SSR a été mis en évidence, la chirurgie avec ECM n’entraînait pas un gain de survie en ce qui concerne la survie globale à 5 ans (75 % vs 70 %, p = 0,12). Ensuite, la technique d’ECM permettait effectivement une analyse d’un nombre plus important de ganglions sur la pièce de colectomie (médiane de 34 vs 19, p < 0,0001), de retrouver plus de ganglions envahis et de mieux affiner le stade pN+ des patients (pN2 : 19 vs 11 %, p = 0,0003). Cependant, les stades TNM entre les deux groupes étaient identiques (stade III : 38 % vs 35 %, p = 0,57). Il n’était donc pas observé de migration de stade, ce qui aurait pu avoir un impact sur la prise en charge postopératoire et l’administration d’une chimiothérapie adjuvante. Il est à noter également que même si la chirurgie avec ECM n’améliorait pas le staging ganglionnaire, les patients avec une tumeur de stade II dans le groupe ECM recevaient plus de chimiothérapie adjuvante que ceux du groupe « conventionnelle » (25 % vs 15 %, p = 0,0053). Or cette différence pourrait supposer une prise en charge globale plus agressive dans le centre réalisant l’ECM avec un potentiel effet centre. Ce biais éventuel pourrait être corrigé avec un essai randomisé et une stratification par centre mais il semble illusoire qu’un tel essai puisse être réalisé, et de demander aux chirurgiens d’opérer selon deux techniques différentes. D’ailleurs, quelles sont les différences de dissection et de curages entre une chirurgie dite avec ECM et une chirurgie « conventionnelle » ? Concernant, la chirurgie pour cancer du côlon droit, W. Hohenberger l’a bien décrite dans son article princeps [2]. Elle comporte une dissection dans le fascia de Toldt avec une mobilisation complète du cadre duodénal et de la tête du pancréas avec une manœuvre de Kocher, une section de la racine du mésentère jusqu’à l’artère mésentérique supérieure et une mise à nu de la veine mésentérique supérieure pour les ligatures vasculaires. Pour les cancers du côlon gauche, on note un abaissement de l’angle colique gauche, un décollement de la partie gauche du grand épiploon, une section de l’artère mésentérique inférieure proche de son origine aortique et de la veine mésentérique inférieure au bord inférieur du pancréas. Mais n’est-ce pas ce que nous faisons déjà en routine ? Quel est l’apport donc d’une chirurgie avec ECM pour les cancers du côlon gauche ? La série de W. Hohenberger comprenait 59 % de cancers du côlon descendant et du sigmoïde. Dans l’étude de Bertelsen et al.,

Éditorial cette proportion était de 45 %. S’il semble exister quelques différences en ce qui concerne la prise en charge chirurgicale des cancers du côlon droit, l’évolution de la technique opératoire pour les cancers du côlon gauche est beaucoup moins évidente. Ainsi, l’ECM n’est-il pas en fin de compte un acronyme de ce qui est déjà reconnu de fac ¸on international comme une « bonne » chirurgie carcinologique du cancer colique ? L’équipe de la Cleveland Clinic a récemment rapporté des données de patients opérés entre 1994 et 2004, donc bien avant l’introduction du concept d’ECM, avec au final des résultats anatomopathologiques et des chiffres de récidive locale et à distance tout à fait superposable à ceux des études prônant l’ECM [6]. Que doit-on penser en revanche du taux de récidive locale de 21 % dans l’étude de Galizia et al. avant que cette équipe ne change leurs pratiques et réalise une chirurgie avec ECM [4] ? Ce taux de 21 % est-il le reflet d’une chirurgie « conventionnelle » ou plutôt d’une chirurgie oncologiquement non satisfaisante ? Enfin, quel est le point qui semble le plus important au cours de la chirurgie : l’absence de plaie au niveau du fascia mésocolique ou la ligature toute à fait à l’origine des vaisseaux ? Dans une étude réalisée à partir de l’essai CLASSIC, West et al. ont décrit trois grades pour l’intégrité du mésocôlon par analogie à la classification de P. Quirke pour le mésorectum [7]. Les patients présentant une musculeuse visible sur la pièce opératoire avaient une survie globale significativement inférieure par rapport aux autres patients. Une des données importantes de ce travail était que 24 % des patients de la série avaient eu une dissection dans le plan musculeux, ce qui paraît incroyable en 2015 lors d’une colectomie pour cancer. Ainsi, on a quand même un peu l’impression que ce concept d’ECM a surtout l’indéniable bénéfice de faire prendre conscience aux chirurgiens qu’une colectomie droite pour cancer ce n’est pas une résection iléo-cæcale pour maladie de Crohn ! Ne riez pas ! Un des auteurs de cet éditorial a assisté dans un congrès international à une intervention en direct par un « expert » au cours de laquelle la section de l’artère iléocæco-colo-appendiculaire a été réalisée environ 5 cm sous le bord inférieur du duodénum ! On peut donc déjà remercier l’équipe d’Erlangen pour cette prise de conscience salutaire. Doit-on ensuite la remercier pour avoir améliorer par une nouvelle technique chirurgicale le pronostic des cancers du côlon ? C’est une autre histoire. . .

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références [1] Heald RJ, Husband EM, Ryall RD. The mesorectum in rectal cancer surgery — the clue to pelvic recurrence? Br J Surg 1982;69:613—6. [2] Hohenberger W, Weber K, Matzel K, et al. Standardized surgery for colonic cancer: complete mesocolic excision and central ligation — technical notes and outcome. Colorectal Dis 2009;11:354—64 [discussion 64—5]. [3] West NP, Hohenberger W, Weber K, et al. Complete mesocolic excision with central vascular ligation produces an oncologically superior specimen compared with standard surgery for carcinoma of the colon. J Clin Oncol 2010;28:272—8. [4] Galizia G, Lieto E, De Vita F, et al. Is complete mesocolic excision with central vascular ligation safe and effective in the surgical treatment of right-sided colon cancers? A prospective study. Int J Colorectal Dis 2014;29:89—97.

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De quoi l’exérèse complète du mésocôlon est-elle le nom ? [5] Bertelsen CA, Neuenschwander AU, Jansen JE, et al. Diseasefree survival after complete mesocolic excision compared with conventional colon cancer surgery: a retrospective, populationbased study. Lancet Oncol 2015;16:161—8. [6] Liang J, Fazio V, Lavery I, et al. Primacy of surgery for colorectal cancer. Br J Surg 2015;102:847—52. [7] West NP, Morris EJ, Rotimi O, et al. Pathology grading of colon cancer surgical resection and its association with survival: a retrospective observational study. Lancet Oncol 2008;9: 857—65.

3 G. Manceau , Y. Panis ∗ Service de chirurgie colorectale, pôle des maladies de l’appareil digestif (PMAD), université Denis Diderot (Paris VII), hôpital Beaujon, Assistance publique—Hôpitaux de Paris (AP—HP), 100, boulevard du Général-Leclerc, 92118 Clichy cedex, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Panis)