Débat autour du principe de précaution

Débat autour du principe de précaution

Debat autour du principe de precaution Est-on en train d'assister aI'apparition d'une nouvelle donne entre la science, les entrepreneurs, Ie po/itlque...

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Debat autour du principe de precaution Est-on en train d'assister aI'apparition d'une nouvelle donne entre la science, les entrepreneurs, Ie po/itlque et la societe civile en ce qui concerne la gestion des risques ? Cest ce que la reflexlon autour du principe de precaution et de ses implications semble Indlquer. La redadlon a choisi de rassembler , deux textes sur ce theme; run, de pOrlee generale, par I'editeur scient/jique de I'ouvrage colled/jsur Ie principe de precaution Issu des Journees annuelles de NSS de 1995, I'autre, qui nous transmet les considerations Issues de la pratique.

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Le principe de precaution : renegocier les conditions de I'agir en univers controverse* OLIVIER GODARD De temps en temps surglssent des notions nouvelles qui semblent s'lmposer avec la force de I'evldence. Elles cristalllsent alors un ensemble de composantes diffuses qui, exlstant ce moment de fa~on IIbre et detachee les unes des autres, forment I'atmosphere d'une epoque. Du fait de cette cristalllsatlon, elles posent de nouveaux reperes dont les acteurs soclaux se salslssent et partir desquels les jeux de la decision collective se reorganlsent, au molns pour un temps. Tel est aujourd'hul Ie cas du principe de precaution pour la gestlon des risques. Quel est au Juste ce nouveau repere ? Les entrepre• neurs dolvent-lls Ie cralndre en y voyant une source de paralysle ? Je soutlens que ce principe de precau• tion n'est pas, ne peut pas ~e, la regie d'abstentlon que certains voudralent promouvolr, mals je soutlens egalement que ce principe appelle une renegoclatlon des conditions de I'aglr dans nos socletes modemes ou la technologle la plus avancee tout la fois struc-

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·OIMer Godard a dlrlge I'ouvrage Leprinclpedeprkaution dans Ia condulte des affalres humalnes, preface de Marceau Long. Paris, £dltlons de la MSH et Inra £dltlons, 1997,348 p.

ture la vie quotldlenne de chacun et se presente desormals comme une force planetalre capable d'ln• terferer avec les prlnclpaux mecanlsmes qui reglssent Ie cllmat de cette planete et Influencent les conditions de deplolement de la vie.

Le terreau historique du principe de precaution Situons d'abord Ie contexte dans lequel Ie nouveau principe s'est Impose, celul du basculement de I'lmagl• nalre collectlf et des pratlques vers des unlvers contra• verses. Le sleele qui se termlne a vu la construction des £tats providence, Le developpement des connals• sances statlstlques et des apparells d'£tat a permls que s'etabllssent une securlte soclale et des systemes d'as• surances pour organlser la maTtrlse collective des rlsques IndMduels. Alnsl I'alea affectant les personnes (travallleurs, habitants, automoblllstes,...), cet alea qui peut menacer la destlnee de chacun, a-HI pu donner nalssance des Institutions nouvelles. Ces demleres ont permls I'approfondissement du lien social et de la solidarlte elementalre qui Ie constltue, mals en I'exte• r10rlsant et Ie bureaucratlsant. Les Idees de maltrlse, de solldarlte, de collectlvlte alialent cependant de pair.

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NSS. 1998, vol. 6. n° 1. 41-45 / ltl Elsevier

Olivier Godard Dlrecteur de recherche au CNRS Clred, Ura 940 du CNRS, EHESS, 19, rue Amelle, 75007 Paris, France

Ce cercle vertueux ne fonctlonne plus aussl bien aujourd'hul. Certaines promesses de maitrlse des rlsques ont ete dementles par une serle d'accldents pius ou molns graves dont certains sont devenus des affalres. D'autres promesses apparalssent peu flables au regard de I'apparltlon de nouveaux rlsques. Les Institutions qUi devalent apporter la securlte ont, a plusleurs occasions, falll!. En de nombreux cas, leur defalllance ne s'expllque pas par la force majeure, mals par des erreurs de jugement ou par un trouble dans la hlerarchle des crlteres de decision et des valeurs. Des comptes sont demandes. Une prise de conscience s'est alnsl operee : I'utlllte du progres technique n'est pius une evidence, On decouvre des rlsques pour lesquels les disposltlfs de maitrlse en place sont mal outilles, mal Informes, et reaglssent trop tard. La science les concernant est encore balbutlante, ne fournissant pius la base sollde sur laquelle, croyalt-on, la maitrlse passee etait asslse. Le processus de controverses sclentlflques allmente vlte des controverses soclales. La meflance s'est Intro• dulte de fa~on systematique dans res esprits et prend pour clble les Institutions pUbllques, les responsables d'entreprlses, les sclentlflques et les experts. S'afflrme alnsl, en quelque sorte,un refus croissant de deleguer a tous ces - responsables • Ie pouvolr d'engager Ie sort collectlf dans Ie m~me temps ou, au nom de la vlellle promesse de maitrlse, jamals oubllee, une demande crolssante de securlte leur est adressee. Cest sur ce terreau Impregne d'une hlstolre soclale de I'entreprlse technique et du rapport aux Institutions pUbliques qU'a pousse Ie principe de precaution, au crolsement de la science, du droit et du polltlque, la ou s'imbrlquent les scenes du savoir, de I'actlon et de la legltlmlte.

De nouvelles conditions de I'agir, mals pas une regie juridlque Avec Ie principe de precaution, les termes de la prise de decision sont modifies, volre m~me Inverses. - Quand tout allalt bien " formule deslgnant la norme qui, dans I'Imaglnalre, reglssalt I'ordre technologlque passe, la decision ratlonnelle pouvalt falre proceder I'actlon d'un savolr prealable complet. Desormals, face a des rlsques possibles auxquels sont attachees des presomptlons de gravlte ou d'irreverslblllte, II nous faut apprendre collectlvement a aglr avant de savolr. II s'aglt de rlen de molns que de fa negoclatlon de nouvelles conditions de I'aglr, On parle d'un principe de precaution. l:ldee m~me de principe evoque une definition nette au contenu depourvu d'amblgu'ite, un enonce susceptible de pouvolr donner un traltement deflnl aux situations. Face a I'Incertltude nouvelle, qUi resulte a la fols des retombees de I'appllcatlon de la science et des Ilmltes cognltlves de cette science, certains presentent Ie nouveau principe comme une solution qUi permettralt de mettre un terme aux hesitations ou a I'Irresolutlon des responsables (Cameron et Wade-Gery, 1995).

D'autres veulent y voir une regie jurldlque a laquelle tout un chacun seraIt deja soumis (Laudon, 1996), En fait ces vues sont erronees en donnant au principe un statut qU'j( n'a pas et qU'1i n'est pas en mesure d'avolr. Le principe de precaution n'est qU'un principe moral et polltlque Inscrlt dans dlfferents textes jurldlques de droit International et Interne : declarations mlnlste• rlelles sur la protection de la mer du Nord, Convention-cadre sur Ie cllmat, tralte de Maastricht Instltuant I'Unlon europeenne et, dans Ie cas fran~als, la 101 Barnler de renforcement de la protection de I'en• vlronnement, adoptee en 1995, ~tant pose comme I'un des prlnclpes sur lesquels s'appuie la definition des polltlques pUbllques, ce principe ne peut pas donner corps a lui seul a une responsablllte penale nl a des obligations jurldlques partlculleres pour les membres de la societe civile. II auralt besoln pour ce falre de traductions piUS preclses dans des lois et reglements. Cest pourquolll s'aglt de ce que certains jurlstes (Lascoumes, 1996) appellent un - standard juri• dlque " c'est-a-dlre une norme qUi a besoln d'~tre completee par des Informations exterleures au droit pour pouvolr produlre des effets jUrldlques, D'allleurs, la lecture des dlfferentes definitions donnees dans les textes jurldiques montre que ledit principe n'a pas un contenu unlvoque. II y a piUS que des nuances entre telle ou telle definition. Je ne prendral que deux exemples. La declaration mlnlsterlelle de la deuxleme confe• rence Internatlonale sur la protection de la mer du Nord nous dlt en 1987 : - Une approche de precaution s'lmpose afln de proteger la mer du Nord des effets dommageables eventuels des substances les plus dange·reuses. Elle peut requerlr I'adoptlon de mesures de contrOle des emissions de ces substances avant m~me qU'un lien de cause a effet solt formellement etabll sur Ie plan sclentlflque " Selon les termes de la 101 Barnler, II s'aglt du prin• cipe - selon lequel I'absence de certitudes, compte tenu des connalssances sclentlflques et techniques du moment, ne dolt pas retarder I'adoption de mesures effectlves et proportlonnees visant' a prevenlr un risque de dommages graves et lrreverslbles a I'envl• ronnement a un coOt economlque acceptable.• La Declaration de Rio de Janeiro en 1992 evoqualt, quant a elle, ndee de mesures economlquement efflcaces (- cost-effective .) face a des rlsques de dommages graves au irreversibles. De m~me que, dans la religion cathollque, Ie mystere de nncarnation divine n'est accessible qU'a travers les textes des quatre evangellstes, donnant un rOle essentiel a I'Interpretatlon de ces textes, au-dela de leur contenu IIttera1, la verite de la precaution est Inseparable des actes d'interpretation du principe au seln des dlfferentes traductlons locales, contlngentes, qUi lui sont donnees pour falre face a des rlsques specifies, Voila pourquol je defends une interpretation possl• blllste du principe de precaution, Ce principe est en quelque sorte un Intermedlalre entre problemes et solutions, II est porteur de la question vlvante de l'ln• certitude et du risque. II oblige a ne pas I'ecarter d'un revers de la main, Mals II ne dit pas comment y repondre. II dlt seulement que I'absence de certitudes

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sclentltlques ne dolt pas retarder I'adoptlon de rnesures qui auralent ~~ jU~ ralsonnables et I~ times sl de telles certitudes avalent ~~ acqulses. Le principe de prkautlon n'a pas vocation ~ court• circuiter, au nom d'un Im~atlf cat~gorlque, les proce• dures usuelles de validation des d~slons. Mals l'lncer• tltude sclentlflque ne dolt pas ~re utllls~ pour retarder les dklslons, Au contralre, elle dolt decien• cher une prise en compte prkoce. Mals quelle prise en compte ? Pour Ie d~lner II est utile de revenlr sur ce que rappelle la r~e de I'abstentton.

Ce seralt une erreur que d'asslmller Ie principe de precaution aune regie de I'abstention I.e principe de prkautlon, al-je afflrm~, n'est pas une de I'abstentlon (Godard, 1997a). C'est dire qU'en d~plt des apparences, on ne peut pas Ie reconnaTtre dans I'Injonction propo~ II y a qUelques an~ par une organisation non gouvernementale dans Ie contexte de la lutte contre la pollution de la mer du Nord. L:lnjonctlon propo~ ~alt la sulvante : « Aucun rejet ne dolt lMre d~e~ en mer tant que son Inno• cult~ n'a pas ~~ prouv~ .• II Ya dans cet ~onc~ trois Ingr~dlents qUi m~nent ~ des exlgences d~ralson' nables ou qUi tont perdre au crlt~e sa valeur dlscrlml• natolre. Ces Ingredients sont une rM~rence Irratlon• nelle au dommage z~o, Introdult de fa.;on subreptlce ~ travers la notion d'innocu~, une focallsatlon exces• sive sur I'~vltement du sc~narlo du plre, elle aussl d~~, en contexte scIentlflquement contro~, de la notion d'innocult~, et enfin la tausse bonne Id~ de l'lnverslon de la charge de la preuve, Sur Ie dommage z~ro, je m'en tlendral ~ ced : en tant que norme g~n~rale, dans un monde ou les ressources sont rares, ce qUi slgnltle qU'elles ne permettent pas de satlstalre slmultan~ment tous les besolns, II s'aglt d'une norme Impossible. Elle rel~e­ ralt d'un autre monde qui n'est pas celul des hommes. II peut cependant se talre qU'on veullle retenlr cet Objectlf dans tel ou tel cas partlculler. Mals II taut alors apporter des justifications partlculI~res ~ cela et ne pas se contenter d'invoquer Ie principe ~neral. Quant aux sc~arlos du plre, je veux en soullgner Ie caract~re de constrult contingent et Ie talt que la Surenchere du plre entre options concurrentes conduit, de par la Ioglque m~me de la controverse, ~ falre perdre sa valeur dlWlmlnante au crIt~e : quand on en vlent ~ demontrer que chaque option peut deg~n~er en catastrophe majeure, « ~ussl plre • I'une que I'autre, la dklslon dolt bien se prendre sur d'autres bases que I'evltement de la catastrophe... L:lnverslon de la charge de la preuve semble !tre un Ingredient piUS sollde. Est-ce sl sQr ? 51 ron est dans un contexte ou une eplstemologle posltMste est encore operatolre, cette Inversion se tradult seulement par des delals supplementalres, ceux qU'1i taut ~ la science pour resoudre les Incertitudes et apporter les preuves demand~s. Ce seraIt cependant, dans la plupart des r~gle

cas, oubller dans quelles conditions on est venu a lnvoquer Ie principe de prkautton : celles de rlsques nouveaux, certes, mals aussl celles d'un nouveau regard porte sur fa science. Nous savons desormals que Ie progres sclentlflque engendre de nouvelles Incertitudes ~ mesure qU'1i en redult certaines. Nous savons aussl que Ie savolr scientlflque Incorpore des Incertitudes Intrlnseques, Indepassables. Nous savons encore que rappllcatlon de ce savolr scIentlflque a des situations concrMes est Inseparable d'arbltrages et de cholx conventlonnels, par exernple sur les conditions de generalisation de tel ou tel resultat, sur les dkl• slons d'arr~t dans les sequences d'effets prlses en compte, sur la transposition de valeurs tlr~s d'un contexte donne pour d'autres contextes reputes proches, etc. Bref, nous savons desormals que, pour un horizon temporel pertinent pour I'actlon humalne, la science n'est pas plus en etat d'apporter la preuve de l'lnnoculte d'une substance que d'apporter celie de I'exlstence du dommage. II taut donc achever la r~volutlon copernlclenne entreprlse et comprendre que Ie principe de prkau• tlon ne conslste pas a Inverser la charge de la preuve mals ~ prendre ses distances avec I'Id~ de preuve.

Remettre Ie principe de precaution sur ses pleds Dans eel espace dklslonnel Intermedlalre ballse par les deux exlgences extr~mes de la preuve de I'exls• tence du dommage et de la preuve de I'absence de dommage, on peut reformuler Ie prinCipe de prkau• lion de la manlere sulvante (Godard, 1997b) : « prin• Cipe selon lequel II est fonde d'aglr avant d'avolr des certitudes sclentlflques " des lars que I'aglr embrasse solldalrement la prise de risque et I'Innovatlon, radop• tlon de mesures de sauvegarde et celie de dlsposltlfs colleetlfs d'accompagnement de I'actlon, alors traltee comme une experimentation. La pragrnatlque de la prkautlon depend Icl de r~gles et procedures ~ Inventer au cas par cas et pas de I'appllcatlon mka• nlque d'une regie. Deux types de param~tres vont jouer pour determiner slle curseur va plutOt se rappro• cher de I'exlgence de preuve du dommage ou de celie de preuve de I'absence de dommage : les charges de gravlte et d'lrr~erslblllte presumees du risque consl• dere ; Ie degre d'elaboratlon sclentlflque des hypo• theses en presence.

Une transformation des relations entre science et decision Une tols Ie principe de prkautlon retabll dans sa signification hlstorlque et son contenu normatlf, que peut-on en attendre du point de we de la transforma• tion des relations entre science et dklslon ? A premiere vue, Ie debat oppose deux camps : les premiers y volent une menace pour Ie tondement

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sclentlflque de fa decision pUbllque et une occasion addltlonnelle donnee a I'arbltralre administratif, tous deux etant la source d'une Insecurlte jurldlque pour les entreprlses. Les seconds y volent la restauratlon de rautonomle et du prlmat de la decision polltlque et de son expression administrative, enfln degagee d'une tutelle sclentiste. Les deux vues ne sont d'allleurs pas Incompatibles. Je voudrals pour rna part souligner rapprofondlsse• ment de la dependance de la decision pUbllque vis-a• vis de la vie sclentlflque. La loglque de la precaution va d'abord engendrer de nouvelles demandes de connalssances, en poussant a rexploratlon de conjec• tures blzarres, d'hypotheses marglnales. Elle est aussl de pouvolr donner un effet declslonnel a des hypo• theses et conjectures qui, auparavant, ne produlsalent des effets que dans Ie champ sclentlflque. Elle est enfln suspendue a une mise en forme sclentlflque mlnlmale des rlsques a apprehender. En effet, comment pourralt-on deflnlr une strategle de precau• tion vis a vis d'un risque dont on ne se represente m~me pas la nature possible? l'autonomle recuperee par Ie polltlque est donc toute relative. Voyons en quelques consequences. La posslblllte pour les sclentlflques, par leur seule actlvlte de formulation d'hypotheses, de conjectures et de theories non encore valldees, d'influencer la deci• sion pUbllque ou d'affecter les marches, a travers ren• cadrement reglementalre de ces dernlers, leur confere nolens volens, de nouvelles responsabllltes : ne vont• lis pas porter Inutllement tort a certaines actlvltes en falsant valolr un risque hypothetlque dont lis ne pour• ront pas vallder rexlstence par la suite? ne font-lis pas preuve, de fa~on symetrlque, de legerete en ne prenant pas au serleux telle ou telle hypothese ? Cette capaclte nouvelle qU'lis re~olvent de falre et defalre les marches ou de peser sur les coOts va modifier leur place dans la societe et transformer la nature des relations qU'lis etabllssent avec les autres acteurs. Molns que jamals, les dlfferents acteurs potentlellement concernes vont lalsser les sclentl• flques G!uvrer comme lis rentendent. l'experlence a deja montre comment les procedures judlclalres pouvalent falre Intrusion dans les affalres sclentl• flques et mettre en cause les experts. II n'est pas sOr que les malentendus soient alses a surmonter. Ne peut-on cralndre des degats pour les deux mondes, sclentlflque et jUrldlque, a donner alnsl des effets juri• diques a des productions sclentlflques non valldees ? Le risque n'est pas negligeable, par exemple, de voir des sclentlflques chercher Indlviduellement ou collec• tlvement une validation precoce de leur actlvlte sur la scene soclale en delalssant les procedures sclentl• flques elles-m~mes. En revanche, on peut esperer que ne solt plus donnee une prime a l'lgnorance, comme celie qui pousse, pour les dommages relevant d'une responsablllte pour faute, a exonerer piUS facllement la responsablllte de celul qui ne savalt pas, bien qU'1I eOt pu savolr, que celie de celul qui n'a pas su emp~ cher la realisation d'un risque, malgre ses efforts de connalssance.

II faut cependant rappeler de manlere nette que, dans retat actuel du droit, partout ou regne deja un regime de • responsablllte pour risque· ou • responsa• blllte sans faute ., comme pour la circulation des prodults, Ie principe de precaution ne change rlen aux regles de la responsablllte civile. Un autre effet que ron peut escompter est un renforcement de rengagement des acteurs econo• mlques sur Ie terrain sclentiflque, non pas seulement pour developper les connalssances, rnaIs pour en plloter Ie mode de developpement, en contrOler la diffusion, Influencer Ie debat sclentlflque. l'enjeu pour eux est de peser sur la formation du paysage sclentl• flque afln de donner du credit aux vues qui sont Ie piUS en phase avec leurs Inter~. II est en effet beau• coup plus facile et molns coOteux de lancer une hypo• these ou une contre-hypothese que de parvenlr a des resultats valldes. Or, dans I'univers de la precaution, cela serait sufflsant pour Influencer les regJes admlnls• tratlves ou les decisions polltlques I Dans un unIvers sclentlflquement controverse, la competition ne se joue plus seulement sur les prodults, les techniques I'Ingenlerle flnanclere, elle se joue egalement sur les theories sclentlflques et les visions du monde qui en decoulent. Alnsl, en falsant echo a une crise de conflance des cltoyens, des consommateurs et des habitants envers ceux qui prennent des decisions touchant a la creation de rlsques technologlques et Industrlels qui pourront avolr des retombees pour tous, en marquant la neces• site de construlre de nouveaux modes collectlfs de gestlori'de ces types de rlsques que la science ne fait que pressentlr sans pouvolr leur appllquer res dlsposl• tits de maltrlse elabores pour les aleas Indlvlduels, Ie principe de precaution modlfle les relations etabiles entre Ie champ sclentlflque, Ie champ polltlque et Ie champ economlque. II renforce !'Imbrication de ces champs et donne nalssance a de nouveaux jeux d'ln• f1uence reclproque. La raison, la cltoyennete et Ie sens de rentreprlse peuvent s'y perdre ensemble sl cette mutation n'est pas bien geree avec humlllte et ouver• ture d'esprlt, mals aussl avec dlscernement.

Quelques orientations Parmlles orientations qU'on peut desslner pour frayer la vole d'une pratique ralsonnable de la precaution, la necesslte peut~e la plus Imperleuse pour les entre• preneurs qui creent des rlsques pour autrul est de mettre la gestlon de ces rlsques en partage et en d~lI­ beratlon dans la societe gJobale, contre les strategies du secret. De nouveaux partenarlats sont a Inventer pour parvenlr a sortlr la gestlon du risque du seul monde des decldeurs et des experts. Lorsqu'elle est profondement ebranlee, la conflance ne se retabllt pas par des coups de communication ou de publlclte. Aux comites d'experts dolvent ~re adjolnts de nouveaux types de forums, que certains appellent hybrldes, ou II seralt possible de voir representer, au plus pres des

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groupes concernes, Ie point de vue des gens ordl• nalres. La restauratlon de la credlbilite de I'Infonnation passe par I'assoclatlon des groupes concemes tI son elaboration et tI sa verification. La deuxl~me orientation est celie d'une prise en charge precoce, graduelle, mals reversible des rlsques aU-delti des exlgences reglementalres du moment : I'organlsatlon d'une vellle sur les menaces, la constitu• tion de reseaux d'experts pr~ tI ~tre moblllses, Ie recours tI une expertise plurallste, la definition de sortes d'ectlelles de Richter des etapes de I'elaboratlon sclentlflque afln de detJnlr dlfferents degres de mesure de sauvegarde et de precaution, I'adoptlon de mesures provlsolres de sauvegarde qui pourront ~e reexamlnees en fonctlon des Infonnatlons nouvelles, telJes sont qUelques unes des composantes d'une stra• tegle de precaution dont les modalltes restent large• ment tllnventer. F1nalement, les responsables publics et prlves dolvent se penetrer d'une Idee simple: detJnlr ce qu'est Ie risque acceptable est I'affalre de taus, et pas seulement celie des experts. ('est en Ie reconnalssant qU'on pourra passer du • risque acceptable' au • risque accepte • car gere dans une culture de precaution.

REFERENCES cameron J, ~ W. 1995. Adresslng un
Lascoumes P. 1996. La prkautlon comme antkIpatton des rtsques restduels et hybt1daIIon de la responsabllltl!, fAnnee sodoIoglque vol. 46 (21, pp. 359-382.

Laudon A. 1996. I.e droit face • 1'lncertItude scIentIflque : rtsques, responsabl' lite et prtndpe de prl!cautlon, Atelier 13 ; • La dl!dslon • long terme en avenlr Incertaln et controversl!. Quelle poIlt1que de prudence et de prkaUUon ? " COIloque International • Que! envtronnement pour Ie xxi ~ ?" abbaye de rootevraud, 8-11 septembre.

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