Dénutrition chez le patient insuffisant respiratoire chronique

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ScienceDirect www.sciencedirect.com Nutrition clinique et métabolisme xxx (2015) xxx–xxx

Développement professionnel continu

Dénutrition chez le patient insuffisant respiratoire chronique Malnutrition in chronic respiratory insufficiency Arnaud Chambellana,∗ , Estelle Nobecourt-Dupuya , Adam Jirkab a

Inserm UMR1087, institut du thorax, laboratoire d’explorations fonctionnelles et réhabilitation respiratoire, hôtel-Dieu, CHU, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France b Service d’hépato-gastroentérologie et d’assistance nutritionnelle, institut des maladies de l’appareil digestif, CHU, 44093 Nantes cedex 1, France

Résumé La dénutrition est fréquente et de causes multiples dans l’insuffisance respiratoire chronique. Son dépistage est simple et d’autant plus important que la baisse de la masse maigre est de mauvais pronostic. La prise en charge nutritionnelle est à mettre en place au mieux dans le cadre d’un programme de réhabilitation respiratoire où la renutrition est associée à la reprise de l’activité physique. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : BPCO ; Masse maigre ; Pronostic ; BIA ; Réhabilitation respiratoire

Abstract Malnutrition is frequent and of multiple causes in chronic respiratory diseases. Nutritional assessment is easy and important as it provides important determinants of prognosis of the disease. The nutritional intervention is thus a cornerstone of the multimodal and optimal management of these patients in the context of a pulmonary rehabilitation program. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: COPD; Lean body mass; Prognosis; BIA; Pulmonary rehabilitation

1. Handicap respiratoire et conséquences métaboliques La dénutrition est fréquente dans l’insuffisance respiratoire chronique (IRC), avec une prévalence entre 20 et 40 % pour les patients stables, pouvant atteindre 70 % lors des exacerbations nécessitant une hospitalisation. L’IRC est définie par l’existence d’une hypoxémie chronique justifiant la mise sous oxygénothérapie de longue durée ; elle affecte environ 170 000 personnes en France. La principale maladie concernée est la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) qui sera, selon l’OMS, la troisième cause de mortalité dans le monde d’ici 2020–2030, après les maladies cardio-vasculaires et les cancers. Parmi les facteurs aggravant son pronostic, plusieurs marqueurs nutritionnels et métaboliques ont été identifiés qui amènent le thérapeute à compléter sa prise en charge par une approche multimodale ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Chambellan).

appelée réhabilitation respiratoire [1]. À la lumière de plusieurs travaux récents, cet article fait le point sur les principales avancées dans l’évaluation et la prise en charge nutritionnelle de ces patients. 1.1. De l’atteinte des voies aériennes au handicap La BPCO représente un bon exemple de maladie chronique. La déficience initiale concerne l’appareil respiratoire avec altération progressive des voies aériennes et du parenchyme pulmonaire (emphysème) suite à l’agression répétée notamment de la fumée de tabac. Le stress oxydatif et l’inflammation chronique entraînent des lésions chroniques partiellement irréversibles et une accélération du vieillissement pulmonaire objectivées notamment lors des explorations fonctionnelles respiratoires (présence d’un trouble ventilatoire obstructif) et de l’imagerie du thorax (emphysème). Le symptôme principal est la dyspnée qui évolue insidieusement, motif de plainte

http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2015.06.004 0985-0562/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Chambellan A, et al. Dénutrition chez le patient insuffisant respiratoire chronique. Nutr clin métab (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2015.06.004

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lorsque la fonction respiratoire est déjà sévèrement altérée, ce qui explique le retard diagnostique souvent constaté. La baisse des activités physiques en raison de la dyspnée (véritable spirale de la dyspnée menant au déconditionnement), les conséquences de l’hypoxémie chronique et de l’inflammation systémique de bas grade vont aggraver la fonction musculaire et le statut nutritionnel de ces patients. Le poids du handicap est alors important, lié à la sévérité de la dyspnée et de la fatigue dans leur quotidien, avec sédentarisation, isolement social et syndrome anxio-dépressif très fréquent à ce stade [2].

L’inactivité physique secondaire à la dyspnée a un impact majeur sur la fonction musculaire et le handicap.

1.2. Des facteurs pronostiques indépendants aux phénotypes métaboliques L’indice de masse corporelle (IMC) est le premier facteur pronostique « nutritionnel » de mortalité rapporté dans l’IRC [3]. Les indices musculaires directs (surface du quadriceps, indice de masse maigre, force isométrique du quadriceps), et indirects (distance au test de marche de 6 minutes, capacité aérobique et actimétrie) sont tous des marqueurs pronostiques qui représentent autant de cibles d’intérêt à optimiser. Au niveau biologique, les principaux marqueurs sont la CRP, le fibrinogène et l’IL6 [4,5]. Des indices multifacteurs ont été proposés qui rendent mieux compte du pronostic au niveau individuel, notamment l’indice BODE (combinaison de la dyspnée, du VEMS, de la distance au test de marche en 6 minutes et de l’IMC) [6]. Le développement récent de grandes cohortes sur la BPCO, contenant de nombreuses informations recueillies de manière prospective, a ouvert une nouvelle ère avec l’utilisation d’outils mathématiques permettant d’identifier des groupes de patients aux profils similaires (ou clustering) et en extraire les principales caractéristiques (improprement appelé « phénotypes ») [7,8]. C’est dans ce contexte que l’importance des comorbidités, notamment métaboliques a été précisée : trois profils métaboliques se distinguent ainsi : le sujet cachectique (type pink puffer), l’obèse et l’obèse sarcopénique (ces deux derniers étant auparavant regroupés sous le type blue bloater) [9].

La baisse de l’IMC, de l’indice de masse maigre et de la surface du quadriceps sont de mauvais pronostic.

2. Mécanismes de la dénutrition

un patient (Fig. 1) [10]. Certains gènes de susceptibilité ont été rapportés avec des polymorphismes génétiques sur le gène de l’IL1␤ et le gène FTO associé à l’obésité et à la masse grasse. Une inadéquation des ingesta est observée, notamment chez les patients les plus sévères, avec baisse de l’appétence pouvant être liée à l’inflammation systémique (IL6, TNF␣) et au niveau élevé de leptine circulante. Elle est souvent associée à la dépression qui représente alors un facteur aggravant. Un hypermétabolisme est présent, avec une dépense énergétique de repos majorée de 10–15 % par rapport à des sujets non BPCO. Il ne s’agit pas d’une augmentation de la thermogenèse des aliments mais d’une majoration du travail ventilatoire (lié à l’obstruction des voies aériennes et sa conséquence : la distension thoracique) associé à la baisse du rendement mécanique (coût énergétique supérieur de la glycolyse anaérobique) dans les activités physiques journalières. Une augmentation du turn-over des protéines corrélé à l’augmentation de la dépense énergétique de repos et la perte de masse maigre est aussi décrite. Cet hypermétabolisme est majoré lors des exacerbations, en rapport avec l’infection et la réponse inflammatoire locale et systémique. Certains traitements peuvent favoriser cet hypermétabolisme de repos comme l’utilisation des sympatico-mimétiques, ou la corticothérapie orale utilisée sur une longue durée, qui aggrave de plus le métabolisme musculaire en freinant la synthèse protéique. Les conséquences de l’hypoxémie chronique, du stress oxydatif et de l’inflammation sur le muscle favorisent son atrophie, avec transformation progressive de sa composition en faveur des fibres de type II glycolytiques anaérobiques. Le catabolisme protéique est majoré via le système ubiquitineprotéasome principalement médié par l’activation de la voie NF-kB. Le rôle de l’hypogonadisme est rapporté, notamment chez les sujets les plus sévères, avec baisse de la GH, de l’IGF-1 et hypoandrogénisme. La prévalence de la baisse de testostérone pouvant varier selon les études de 22 à 69 %. La ghreline, sécrétée par l’estomac et orexigène, est élevée chez les patients BPCO cachectiques probablement par un mécanisme compensatoire. À l’inverse, la leptine, qui dépend de la masse grasse et anorexigène, est abaissée chez ces mêmes patients. Elle est ainsi corrélée à l’IMC de la même fac¸on chez le sujet BPCO stable que chez le sujet normal. Il n’est en fait à ce jour pas clairement établi de lien de causalité entre ces dérèglements hormonaux et la survenue de l’état cachectique.

La dénutrition est multifactorielle, notamment conséquence de l’inflammation systémique et de l’hypermétabolisme de repos non compensé, de l’hypoxémie chronique et de l’anorexie.

La perte de poids et notamment de la masse maigre est la combinaison de plusieurs causes plus ou moins associées chez Pour citer cet article : Chambellan A, et al. Dénutrition chez le patient insuffisant respiratoire chronique. Nutr clin métab (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2015.06.004

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Fig. 1. Principaux mécanismes de la dénutrition.

3. Des outils du dépistage au diagnostic de la dénutrition dans l’IRC Le dépistage simple de la dénutrition repose avant tout sur la baisse de poids involontaire supérieure à 5 % sur les six derniers mois et le calcul d’un IMC inférieur à 21 kg/m2 [11]. Mais c’est la mesure de la masse maigre par bio-impédancemétrie (BIA) qui va constituer l’élément le plus discriminant pour le diagnostic de cachexie, avec un seuil inférieur à 17 kg/m2 chez l’homme et 15 kg/m2 chez la femme. Cette mesure est plus reproductible que la méthode anthropométrique, plus accessible que la méthode par DEXA, mais son interprétation reste cependant sujette à caution pour des IMC extrêmes. Un groupe d’expert internationaux

propose d’évaluer le pronostic des patients IRC en combinant les résultats de ces trois données [9] (Fig. 2). Les marqueurs biologiques classiques comme l’albumine ou la transthyrétine sont moins sensibles au dépistage de la dénutrition que la BIA chez le patient BPCO stable. La CRP et le fibrinogène sont le reflet de l’inflammation systémique et indirectement de l’hypermétabolisme. Le dosage de la vitamine D est utile chez les patients les plus sévères et les dénutris chez qui la prévalence d’un déficit est élevée ; cependant au vu des recommandations franc¸aises récentes encadrant le dosage de la vitamine D [12], on peut discuter une supplémentation systématique de ces patients. Quant au dosage de la testostéronémie, il est réservé aux patients avec signes cliniques d’hypoandrogénisme

Fig. 2. Évaluation du risque nutritionnel [2,9].

Pour citer cet article : Chambellan A, et al. Dénutrition chez le patient insuffisant respiratoire chronique. Nutr clin métab (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2015.06.004

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et/ou à masse maigre basse, posant alors la question de la substitution. Le suivi diététique est recommandé dans le cadre d’une réhabilitation respiratoire. L’identification du profil métabolique sur la base de la baisse du poids récente, de l’IMC et de la masse maigre est encouragée. La carence en vitamine D doit être prise en charge car elle participe à la baisse de la masse maigre. 4. Du diagnostic d’une dénutrition à sa prise en charge La consultation diététique représente un temps essentiel, permettant les mesures des marqueurs de dénutrition. L’évaluation des ingesta permet de personnaliser les éléments de la prise en charge nutritionnelle. L’estimation des ingesta est indispensable, non seulement au dépistage d’une anorexie, mais aussi pour les adapter à la reprise d’une activité physique régulière. Elle est à réaliser au mieux par l’enquête alimentaire sur 48 h, ou de manière plus simple en utilisant l’échelle visuelle d’évaluation de la prise alimentaire (EPA) qui reste cependant à valider dans ce contexte. Les apports caloriques recommandés sont de 35 kcal/kg par jour avec une ration protéique à 1–1,5 g/kg par jour. En cas d’apports insuffisants, la première attitude est l’enrichissement alimentaire, en conseillant le fractionnement des repas pour améliorer la tolérance respiratoire. Le suivi diététique permet d’évaluer l’efficacité de ces mesures et, en cas d’échec, de proposer le complément nutritionnel oral (CNO). Celui-ci est débuté progressivement avec un apport situé entre 400–700 kcal/j, au mieux en trois prises avec des petits volumes pour en optimiser la tolérance. La dernière métaanalyse Cochrane confirme l’intérêt de la complémentation nutritionnelle orale sur la prise de poids (en moyenne 1,6 kg) et la tolérance à l’exercice (en moyenne + 40 m sur le test de marche) [13]. L’enrichissement des CNO en acides gras oméga-3 et/ou en antioxydants (vitamine A, C, E) sur le statut inflammatoire et la capacité à l’exercice semble intéressant mais reste à confirmer. Concernant la nutrition entérale, les indications sont celles de l’algorithme proposé par la SFNEP [14]. En pratique, elle concerne les patients les plus sévères chez qui une chirurgie de résection d’emphysème et/ou transplantation pulmonaire est envisagée, et avant de débuter un réentraînement physique. On ne dispose cependant pas d’études sur le bénéfice obtenu chez ces patients en phase stable. Un cas particulier est celui du patient obèse sarcopénique : il se caractérise par une baisse de la masse et de la fonction musculaires (au profit du métabolisme glycolytique anaérobique), avec maintien de la masse grasse qui est redistribuée au niveau des viscères, et comorbidités cardiovasculaires. Chez ces patients, l’action est portée sur l’équilibre alimentaire (notamment hyperprotidique) adapté à la reprise d’activité physique et à la gestion du risque cardio-vasculaire. De manière générale, il n’est pas indiqué de prescrire un régime hypocalorique à un patient IRC obèse. Cependant, au cas par

cas, chez le patient présentant une obésité grade 3 sévère, on peut obtenir un amaigrissement très progressif combiné à la réhabilitation respiratoire tout en maintenant les apports protéiques et en préservant sa masse maigre. Le dernier traitement ayant fait l’objet d’études prospectives est la substitution androgénique qui est à discuter dans le contexte d’une approche multimodale, associant la reprise d’une activité physique régulière, à l’éducation thérapeutique et l’accompagnement nutritionnel [15]. En effet, les bénéfices de l’androgénothérapie seule se limitent à l’amélioration de la masse maigre. Pour obtenir un gain sur la tolérance à l’exercice, la force musculaire et la qualité de vie, c’est la combinaison de ces différentes approches qui se révèle la plus efficace [16]. Ceci est fait en pratique au cours d’un stage de réhabilitation respiratoire qui peut être réalisé selon les régions, en centre (sur trois à quatre semaines), en ambulatoire (type hôpital de jour sur quatre à six semaines) ou à domicile (environ douze semaines). Les principaux soins sont organisés autour d’un axe somatique (reprise de l’exercice en endurance et résistance, techniques de kinésithérapie respiratoire, accompagnement nutritionnel et gestion des comorbidités), et d’un axe cognitivo-comportemental (éducation thérapeutique, suivi psychosocial, maintien des acquis sur le long terme) [17]. La réhabilitation respiratoire est ainsi actuellement indiquée pour tout patient BPCO dès le stade modéré, qui exprime une dyspnée et une certaine motivation pour améliorer sa situation : en effet les bénéfices sont alors optimaux, avec notamment une amélioration de la survie. La BPCO représentant un modèle de maladie chronique, sa prise en charge demande une certaine coordination des professionnels de santé pour s’intégrer dans le cadre du plan personnalisé du patient et répondre ainsi au parcours de soins BPCO prôné par la HAS (guide du parcours de soins) [18]. Si les bénéfices sont surtout décrits chez ces patients, la plupart des pathologies respiratoires chroniques sont de bonnes indications à la réhabilitation respiratoire. Le rôle des associations de patients et des prestataires de santé à domicile est important pour garantir un maintien des acquis sur le long terme. Certaines régions peuvent ainsi s’appuyer sur une véritable dynamique dans le cadre de réseaux financés par les tutelles de santé, permettant une bonne coordination ville–hôpital autour du patient (exemple : réseau Récup’air en Île-de-France, ou Air + R en Languedoc Roussillon). Ainsi, le développement de nouveaux réseaux « maladies chroniques » et la promotion du concept Sport-Santé encouragés par les ARS devraient permettre d’optimiser la prise en charge des patients respiratoires.

L’enrichissement alimentaire et le fractionnement des repas sont indiqués chez le dénutri. Le CNO est efficace pour le gain de poids et la tolérance à l’exercice. La prise en charge nutritionnelle associée à la reprise de l’activité physique et à l’éducation thérapeutique (action multimode) est l’approche optimale.

Pour citer cet article : Chambellan A, et al. Dénutrition chez le patient insuffisant respiratoire chronique. Nutr clin métab (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2015.06.004

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5. Conclusion L’évaluation du statut nutritionnel est important chez le patient IRC car elle en conditionne le pronostic. Elle repose notamment sur la mesure de la masse maigre afin d’identifier les phénotypes métaboliques à risque. La recherche d’un déficit en vitamine D est recommandée notamment chez le patient dénutri car elle est fréquente et participe à la dysfonction musculaire. Les éléments de base de la prise en charge reposent sur l’enrichissement alimentaire et les compléments nutritionnels oraux dont le bénéfice est optimal lorsqu’ils sont associés à une réhabilitation respiratoire. Déclaration d’intérêts

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Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. [12]

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Pour citer cet article : Chambellan A, et al. Dénutrition chez le patient insuffisant respiratoire chronique. Nutr clin métab (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2015.06.004