Cahiers de nutrition et de diététique (2016) 51, 175–176
Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com
Dernière minute Libre opinion Vin de Champagne et Alzheimer : les liaisons dangereuses Le matin du mardi 21 juin 2016, premier jour de l’été, j’allumai mon poste de radio et le réglai sur la fréquence d’une radio européenne à large auditoire. Une nouvelle attira toute mon attention. Une chroniqueuse de renom annonça qu’un site d’information dont l’objectif affiché est de « raconter le monde tel qu’il est » venait, la veille, de signaler que : « une étude anglaise avait montré des résultats spectaculaires dans la lutte contre la maladie d’Alzheimer. Trois verres de champagne par jour…» — « par jour ? » interrompit l’animateur de l’émission… « là, je vous jure », répondit la chroniqueuse… — « amélioreraient largement les facultés cognitives ». Les bras m’en tombèrent. Comment peuton signaler à plusieurs centaines de milliers d’auditeurs qu’en buvant autant d’alcool — fût-ce du champagne — on obtient un effet bénéfique de cette ampleur. Avec un tel régime, n’y-a-t-il pas plutôt deux risques, celui de grever son budget de dépenses quotidiennes et celui de devenir alcoolique ?! Deux attitudes s’offraient alors à moi : tester l’expérience sur moi-même ou examiner les sources de l’information pour en vérifier la véracité. J’optai pour la deuxième solution et allai consulter le site d’information en question. Le très court article mentionnait que : « la consommation hebdomadaire de trois verres de champagne a une influence positive sur de nombreuses fonctions cognitives telles que la mémoire ». Ah ! il s’agissait en réalité de 3 verres par semaine et non par jour. Notre chroniqueuse avait mal lu ou mal retenu. L’information propagée est donc au minimum fausse d’un facteur 7 comme le nombre de jours dans la semaine. Me vinrent alors à l’esprit les questions suivantes : comment ces chercheurs anglais avaient-ils procédé et, notamment, quel était le groupe témoin ? S’agissait-il d’individus ne buvant pas ou bien ingurgitant la même quantité d’alcool que celle présente dans le champagne ? Les expérimentateurs avaient-ils donné une ration quotidienne de champagne aux sujets ou bien une seule fois par semaine ? Je décidai donc de me procurer la publication à l’origine de cette découverte et, première surprise, l’étude datait de 2013 [1]. Deuxième surprise, il s’agissait d’une étude portant sur des rats de laboratoire, et non pas sur des humains. Les chercheurs avaient donné du champagne à
doi:10.1016/S0007-9960(16)30093-1
des rats — quel gâchis ! Quelle était la justification de ces recherches ? L’introduction de l’article signale des études préalables démontrant que la consommation modérée de vin rouge retarde le vieillissement du cerveau, vraisemblablement grâce à l’apport de flavonoïdes (polyphénols) présents dans ce breuvage. De tels flavonoïdes se trouvent dans le raisin rouge dont deux variétés, le Pinot Noir et le Pinot Meunier, sont utilisées dans la fabrication du champagne. Ce point est indiqué par les investigateurs comme justifiant l’étude. Ceux-ci déclarent l’absence de conflit d’intérêt, ce qui laisse supposer qu’ils ont reçu un financement indépendant qui n’est cependant pas rapporté dans l’article. Deux groupes d’animaux témoins ont été analysés en parallèle du « groupe champagne », l’un prenant un régime iso-calorique et l’autre le même régime mais contenant une quantité d’alcool équivalente à celle reçue par le « groupe champagne ». Les auteurs de la publication ont calculé que la dose de champagne administrée aux animaux correspondraient à environ 1,3 verres (125 mL) par semaine si elle était donnée à des humains. On est donc passé des 3 verres par jour de notre chroniqueuse à 125 mL divisés par 7 jours, c’est–à-dire environ 18 mL (un fond de verre) quotidiens. Par ailleurs, le mode d’administration n’est pas très alléchant pour des humains puisqu’il s’agit de mélanger quotidiennement le champagne à un peu de nourriture pour en faire une « pâte » et de renouveler ce processus pendant 6 semaines. Enfin, pourquoi parler de maladie d’Alzheimer puisque l’étude ne porte pas sur cette maladie mais ne fait que révéler des effets sur la mémorisation des rats comme l’indique le titre traduit de l’anglais de l’article en question : « L’apport d’acide phénolique, délivré via une consommation modérée de vin de champagne, améliore la mémoire de travail dans l’espace par la modulation de l’expression/activation de protéines de l’hippocampe et du cortex. » Deux conclusions s’imposent. La première concerne la déontologie des chercheurs qui ne devraient pas surinterpréter les résultats des expériences de façon à éviter l’amalgame entre une recherche de type fondamental et son passage à l’Homme. La deuxième concerne la vérification des sources par les journalistes qui devraient obligatoirement remonter aux origines de l’information avant de la dévoiler. Cette rigueur devrait permettre d’éviter que des erreurs monumentales et donc des interprétations erronées passent dans l’esprit des lecteurs ou des auditeurs. Une telle vérification est d’autant plus importante
176
Dernière minute
qu’il s’agit, comme c’est le cas ici, de débattre d’un problème de santé publique. Enfin, notre chroniqueuse aurait pu certainement trouver bien d’autres moyens de vanter les mérites du vin de champagne sans avoir à invoquer des allégations trompeuses. Référence [1] Corona G, Vauzour D, Hercelin J, Williams CM, Spencer JPE. Phenolic acid intake, delivered via moderate champagne wine consumption, improves spatial working memory via the modulation of hippocampal and cortical protein expression/activation. Antioxid Redox Signal 2013; 19:1676—1689. DOI: 10.1089/ars.2012.5142 C. Forest
[email protected]
Actualité La FDA modifie les informations nutritionnelles Le 20 mai 2016, la Food and Drug Administration a présenté le nouveau bloc d’informations nutritionnelles à appliquer sur les emballages des produits alimentaires manufactures (le précédent remontait à plus de 20 ans). La nouvelle version apparaît nettement plus lisible : l’accent est mis sur le nombre de portions par emballage et révise des portions conseillées (pour une diète apportant 2000 Kcal) pour les rendre plus compatibles avec les habitudes de consommation des Américains (certaines augmenteront, d’autres diminueront). Le nombre de calories par portion figure maintenant en gros caractères gras. Les calories lipidiques par portion ont disparu (la composition en acides gras étant un paramètre jugé plus important). La contribution de chaque portion aux apports recommandés en nutriments figure en gramme et en pourcentage de l’apport recommandé. On notera qu’y figurent graisses saturées et trans, sodium, fibres et sucres totaux (n’incluant pas les carbohydrates non sucrants) avec apparition d’une mention sur les « sucres ajoutés » ; les vitamines A et C ont disparu au profit de la vitamine D, du fer et du potassium ; le calcium reste présent. Les industriels américains ou ceux qui exportent aux États-Unis ont jusqu’au 28 juillet 2018 pour se conformer à cette nouvelle formule.
Quelques commentaires : Il est heureux que la taille des portions soit mise en exergue ; • I’innovation la plus marquante nous semble être l’apparition des sucres ajoutés. Pour la FDA, ce sont ceux qui sont réellement ajoutés lors des process de fabrication ou les boissons à base de fruits dont la concentration en sucres dépasse celle du fruit d’origine. Les britanniques eux préfèrent mentionner les « sucres libres » (free sugars) excluant les sucres constitutifs des fruits et des légumes (ce qui n’est pas forcément judicieux). À quand une nomenclature internationale unifiée ? ; • ces nouveaux food labels sont purement informatifs et non prescriptifs : on est bien dans le contexte nordaméricain qui privilégie la responsabilité individuelle. De nombreuses associations, savantes ou non, se félicitent de ces modifications en effet nettement plus accessibles au public.
http://www.fda.gov/food/guidanceregulation/guidancedocumentsregulatoryinformation
B. Guy-Grand
[email protected]