Journal des Maladies Vasculaires (2014) 39, 73—76
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CAS CLINIQUE
Dissection traumatique du tronc artériel brachiocéphalique. À propos d’un cas Traumatic dissection of the innominate artery. A case report S. Ben Omrane , M. Ben Hammamia ∗, M. Ben Mrad , K. Kaouel , Z. Daoued , A. Khayati Service de chirurgie cardiovasculaire et thoracique, faculté de médecine de Tunis, université de Tunis El Manar, La Rabta, Tunis, Tunisie Rec ¸u le 29 avril 2013 ; accepté le 24 octobre 2013
MOTS CLÉS Tronc artériel brachiocéphalique ; Dissection ; Traumatisme
KEYWORDS Brachiocephalic trunk; ∗
Résumé Introduction. — Les lésions des troncs artériels supra-aortiques sont souvent en rapport avec un traumatisme thoracique violent. Elles sont rarement isolées et peuvent engager le pronostic vital. Nous rapportons le cas d’un patient opéré pour une dissection isolée du tronc artériel brachiocéphalique post-traumatique. Observation. — Un homme âgé de 48 ans, était victime d’un accident de la voie publique occasionnant un traumatisme crânien, un traumatisme fermé du membre inférieur gauche et un traumatisme fermé du thorax. L’examen trouvait des pouls plus faibles au niveau du membre supérieur droit comparativement au membre controlatéral et un gradient de pression de 50 millimètres de mercure entre les deux membres supérieurs. Le scanner avait montré une dissection localisée au niveau du tronc artériel brachiocéphalique épargnant son origine et sa bifurcation. Le tronc artériel brachiocéphalique était remplacé, après cervico-sternotomie, par un pontage prothétique après héparinothérapie et clampage en amont et en aval de la lésion. Les suites opératoires étaient simples et le gradient de pression entre les deux membres supérieurs avait disparu. Conclusion. — Les lésions du tronc artériel brachiocéphalique post-traumatiques sont rares mais graves. Un diagnostic et une prise en charge précoces conditionnent le pronostic. La chirurgie conventionnelle reste le traitement de référence de ces lésions en raison de ses résultats satisfaisants. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Introduction. — Lesions affecting the supra-aortic arterial trunks often occur in a contest of severe chest trauma. They are rarely isolated and can be life-threatening. We report a case of surgery for an isolated traumatic dissection of the innominate artery.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Ben Hammamia).
0398-0499/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2013.11.005
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S. Ben Omrane et al.
Dissection; Trauma
Case report. — A 48-year-old patient had a road accident causing head injury, trauma of the left lower limb and blunt chest trauma. At the physical exam, the pulse at the upper right limb was weak compared to the contralateral member. A pressure gradient of 50 mm Hg was recorded between the two upper limbs. A whole body scan revealed a dissection of the innominate artery sparing its origin and bifurcation. Cervicotomy and sternotomy was necessary to achieve control. After heparinization and clamping, a prosthetic bypass was inserted to replace the innominate artery. The postoperative course was uneventful and the pressure gradient between the two upper limbs disappeared. Conclusion. — Lesions of the brachiocephalic arterial trunk are not frequent but they are serious. A careful physical exam at admission helps detect them. Prognosis is directly linked to early diagnosis and management. Conventional surgery provides good results and remains the standard treatment for these lesions. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Des lésions des troncs artériels supra-aortiques (TSA) peuvent être observées après un traumatisme thoracique violent. Elles sont rarement isolées et peuvent engager le pronostic vital. L’indication opératoire est nécessaire dans la majorité des cas après un bilan lésionnel. Nous rapportons le cas d’un homme opéré pour une dissection isolée du tronc artériel brachiocéphalique (TABC) post-traumatique en précisant la place de la chirurgie dans la prise en charge de cette lésion.
Observation Il s’agit d’une homme âgé de 48 ans, victime d’un accident de la voie publique occasionnant un traumatisme crânien, un traumatisme fermé du membre inférieur gauche et un traumatisme fermé du thorax. À l’examen, le patient était stable sur le plan hémodynamique, l’état neurologique était conservé et il était eupnéique. L’examen cardiovasculaire avait trouvé des pouls plus faibles au niveau du membre supérieur droit comparativement au membre controlatéral, avec un gradient de pression de 50 mmHg entre les deux membres supérieurs (90/60 mmHg à droite, 140/80 mmHg à gauche). Un scanner corps entier avait montré des fractures étagées des côtes, une fracture sus- et inter-condylienne du genou gauche et une dissection localisée au niveau du TABC épargnant son origine et sa bifurcation (Fig. 1). L’indication opératoire était retenue pour la lésion du TABC par une cervico-sternotomie. Après héparinothérapie et clampage en amont et en aval de la lésion, le TABC était remplacé par un pontage prothétique en termino-terminal à chaque extrémité. La durée de clampage a été de 18 minutes. Les suites opératoires étaient simples et le gradient de pression entre les deux membres supérieurs avait disparu.
Discussion L’incidence des dissections traumatiques du TABC n’est pas connue car la symptomatologie associée est souvent pauvre et la lésion peut passer inaperc ¸ue. Le 1er cas de dissection post-traumatique du TABC a été rapporté par Binet et al. en 1962 [1]. Depuis, 132 cas ont été rapportés jusqu’en 2003. Ces derniers ont été occasionnés par des accidents de la
Figure 1 Angioscanner préopératoire montrant une dissection localisée au niveau du tronc artériel brachiocéphalique. Preoperative computed tomography angiogram showing the dissection of the brachiocephalic trunk.
voie publique dans 88,9 % des cas, des traumatismes par écrasement dans 8,9 % des cas et des chutes dans 2,2 % des cas [2]. Les lésions traumatiques isolées du TABC sont rares. La violence du traumatisme peut expliquer la survenue d’autres lésions graves. Un pneumothorax, des fractures de côtes, des lésions trachéobronchiques, un traumatisme crânien, des fractures de membre et des fractures de clavicule sont les lésions les plus fréquemment observées [2]. L’existence éventuelle de ces lésions peut parfois faire différer l’intervention chirurgicale de quelques jours en proposant un traitement antihypertenseur sous surveillance étroite de la lésion par une échographie trans-œsophagienne (ETO) ou un angioscanner [3]. Dans le cas de notre patient, la chirurgie a été indiquée malgré l’existence de lésions associées. En effet, ces lésions étaient stables et il n’y avait pas de contre-indication à l’héparinothérapie. L’association des lésions traumatiques du TABC avec des ruptures de l’aorte ascendante, de l’isthme aortique et des autres TSA est fréquente dans le cadre d’un polytraumatisme grave. Ces lésions s’en rapprochent par leur mécanisme. Elles sont liées à une mise sous tension de l’aorte thoracique et de ses principales branches par une compression
Dissection traumatique du tronc artériel brachiocéphalique. À propos d’un cas thoracique antéro-postérieure avec hyperextension du rachis cervical. Dans ces situations, les ruptures de l’isthme aortique sont les plus fréquentes suivies des lésions de l’aorte ascendante et des TSA dont l’atteinte la plus fréquente est celle du TABC suivie par l’atteinte de l’artère sous-clavière gauche [4]. La dissection post-traumatique du TABC est associée à une morbi-mortalité importante. La mortalité globale est de l’ordre de 6,8 % et la morbidité de l’ordre de 9,1 %. Cependant, cette morbi-mortalité diminue avec le temps. Ainsi, la mortalité est passée de 11,9 % avant 1986 à 1,5 % après 1986 et la morbidité est passée de 14,9 % à 3,1 % après 1986 [2]. Ces résultats peuvent être expliqués par la prise en charge précoce de la lésion, le développement de l’imagerie médicale et des différentes techniques chirurgicales. Les lésions du TABC sont suspectées initialement par l’examen clinique qui a une importance primordiale pour le diagnostic. Ce dernier est basé sur la palpation systématique des pouls et la prise de la tension artérielle au niveau des deux membres supérieurs. L’avènement de l’angioscanner multibarrettes a modifié la prise en charge des lésions isolées des TSA et constitue actuellement l’examen de référence pour affirmer le diagnostic. L’angioscanner permet de préciser le siège de la lésion, son étendue, son aspect et l’existence d’un faux anévrisme ou d’autres lésions associées [5]. L’ETO prend actuellement une place de plus en plus grande dans la démarche diagnostique permettant de visualiser les lésions intimales mal ou non précisées par l’angioscanner ou l’aortographie. Elle reste cependant un examen opérateur dépendant [6]. Un scanner cérébral est indispensable avant la prise en charge chirurgicale des lésions du TABC à la recherche de foyers de contusion hémorragiques pouvant parfois contre-indiquer une héparinothérapie peropératoire. Le traitement chirurgical avait été retenu afin d’éviter l’évolution possible vers des complications comme une dissection carotidienne pouvant entraîner des lésions neurologiques graves associées à une mortalité de l’ordre de 40 % [7,8]. D’autres complications ont été rapportées, dont la thrombose, le faux anévrisme ou la rupture complète de la paroi artérielle pouvant évoluer vers l’hémothorax et le décès [8,9]. Certaines équipes préconisent un traitement conservateur des lésions du TABC qui nécessite une surveillance rapprochée par des ETO ou des angioscanners à répétition surtout dans les cas où ces lésions se limitent à des décollements localisés au niveau l’intima [10]. Le traitement chirurgical n’est indiqué qu’en cas de survenue d’un faux anévrisme ou d’une thrombose complète du TABC. Cette attitude visant le traitement médical des dissections des artères à destinée encéphalique n’est pas codifiée et la prise en charge de ces lésions est discutée au cas par cas. Il semble plus rationnel de traiter ces lésions à froid avant la survenue de telles complications. En effet, la disparition spontanée d’une dissection du TABC n’a jamais été décrite, et l’évolution naturelle et rapide de ces lésions se fait vers une occlusion et la formation d’un faux anévrisme dans 70 % des cas. Le traitement chirurgical dans les situations de rupture ou de choc hémorragique donne des résultats moins satisfaisants [11]. En cas de lésions artérielles associées et pour prévenir les accidents de clampage, l’utilisation d’une circulation extracorporelle peut s’avérer nécessaire et reste
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actuellement la technique la plus adaptée comme alternative au clampage simple de l’aorte [9]. La chirurgie des lésions du TABC fait souvent appel à un remplacement par un tube prothétique ou une interposition d’une prothèse entre l’aorte et le TABC mais d’autres techniques ont été rapportées dont la réparation bout à bout, la réparation par un patch veineux ou la réimplantation [2]. Le traitement endovasculaire a une place dans l’arsenal thérapeutique de ces lésions. La mise en place d’un stent actif ou non au niveau du TABC a été rapportée comme alternative à la chirurgie [12]. La technique reste certes moins invasive surtout chez les patients polytraumatisés instables ne pouvant pas avoir une cervico-sternotomie et une héparinothérapie en raison de lésions crâniennes ou abdominales graves susceptibles de saigner. Cependant, elle comporte un taux important de resténose intra-stent et de migration [13,14]. Ces complications imposent une surveillance postopératoire rapprochée et coûteuse basée sur des échographies doppler ou des angioscanners réguliers [12]. Cette surveillance est plus espacée en cas de chirurgie conventionnelle et se base surtout sur l’examen clinique comparatif des pouls et de la tension artérielle au niveau des deux membres supérieurs.
Conclusion Les lésions du TABC post-traumatiques sont rares mais graves. L’examen clinique initial contribue à les détecter. Un diagnostic et une prise en charge précoces conditionnent le pronostic. La chirurgie conventionnelle reste le traitement de référence de ces lésions en raison de ses bons résultats.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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