La Revue de médecine interne 32 (2011) e49–e51
Cas clinique
Dissémination lymphangitique et greffe sur implant contraceptif de Mycobacterium marinum Sporotrichoid topographic distribution and Mycobacterium marinum grown on a subdermal contraceptive implant H. Savini a , F. Morel a , S. Vedy b , C. De Biasi c , E. Lightburn a , E. Garnotel b , J.-J. Morand a,∗ a
Service de dermatologie, HIA Laveran, 13384 Marseille cedex 13, France Service de biologie, HIA Laveran, Marseille, France c Service d’anatomopathologie, HIA Laveran, Marseille, France b
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Historique de l’article : Disponible sur Internet le 19 juin 2010 Mots clés : Mycobacterium marinum Lymphangite Implant contraceptif Greffe septique
r é s u m é Nous rapportons l’observation d’une femme de 37 ans présentant une éruption cutanée papulonodulaire à distribution sporotrichoïde survenue après des activités d’aquariophilie, révélatrice d’une infection à Mycobacterium marinum. La greffe bactérienne sur un implant sous-cutané contraceptif posé un an auparavant fait toute l’originalité de cette observation. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Mycobacterium marinum Sporotrichoid distribution Contraceptive implant
We report a 37-year-old woman who presented a cutaneous papulonodular skin eruption with sporotrichoid topographic distribution. The diagnosis of Mycobacterium marinum infection was obtained with the bacteriological examination of a cutaneous biopsy and related to cleaning her aquarium at home. Mycobacteriological grown on a subdermal contraceptive implant had not been published before. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction Nous rapportons la première observation de greffe septique sur un implant sous-cutané contraceptif, avec dissémination lymphangitique sur le membre supérieur par Mycobacterium marinum (Mm). 2. Observation Une femme de 37 ans, sans antécédent notable, était adressée par son médecin traitant en consultation de dermatologie pour l’apparition de nodules du bras gauche. Trois mois environ auparavant, elle s’était blessée le majeur gauche avec un cactus importé d’Amérique du Sud. Était alors survenue une tuméfaction érythémateuse de la cuticule du doigt : considérée
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-J. Morand).
comme un panaris, bien qu’indolore, la tuméfaction avait été évacuée chirurgicalement. Malgré ce geste et des antibiothérapies successives (ampicilline, amoxicilline–acide clavulanique, puis ciprofloxacine), la lésion persistait (Fig. 1) et depuis trois semaines, se développaient trois nodules érythémateux, disposés suivant un trajet linéaire sur la face interne du membre supérieur gauche (Fig. 2). Un des nodules inflammatoires se situait en regard d’un dispositif contraceptif sous-cutané, implanté, il y avait plus d’un an. Il n’existait pas d’adénopathie axillaire ni de fièvre. L’examen histologique d’un nodule objectivait un infiltrat inflammatoire granulomateux associé à une zone nécrotique suppurée et à une couronne histiocytaire palissadique. Les diverses colorations Ziehl, Gomori-Grocott et PAS n’étaient pas contributives. L’examen bactériologique ne retrouvait pas de pyogènes, ce dont on pouvait se douter devant le caractère « froid » de la lésion péri-unguéale. Une sporotrichose évoquée en raison de la dissémination d’aspect lymphangitique et l’origine américaine du cactus étaient éliminées par l’examen mycologique. La recherche de Mm
0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.10.443
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Fig. 1. Pseudopanaris avec onychomadèse après piqûre de cactus.
Fig. 2. Lymphangite nodulaire concernant le site d’implant contraceptif.
était, en revanche, positive par culture sur milieu de Löwenstein, puis identification par PCR tant pour la lésion unguéale que pour le prélévement englobant le dispositif contraceptif, retiré dans ce contexte présumé infectieux. La reprise de l’anamnèse révélait que la malade, aquariophile, avait nettoyé ses aquariums sans protection après sa plaie à l’index. La patiente bénéficiait d’un traitement par rifampicine, ofloxacine et minocycline pendant trois mois. L’évolution était favorable avec disparition des lésions cutanées, hormis une séquelle unguéale (Fig. 3). 3. Discussion Les infections à Mm font partie des infections cutanées par inoculation et représentent 50 % des mycobactérioses cutanées. Mm est responsable d’infection chez les poissons d’eau douce ou salée, les dauphins, les tortues et les crabes. La transmission entre animaux se fait sur le mode direct ou indirect par le biais d’aliments contaminés. Chez l’homme, la transmission se fait par contact à travers une plaie ou par piqûre. Actuellement, l’infection touche le plus souvent les aquariophiles (84 % des cas), exposés à l’agent infectieux lors du nettoyage de l’aquarium sans gants de protection [1]. La symptomatologie est essentiellement cutanée après une période d’incubation variable, de 16 jours en moyenne [1]. Les
Fig. 3. Évolution favorable après trois mois d’antibiothérapie.
lésions siègent en regard du point d’inoculation et donc, préférentiellement au membre supérieur (95 % des cas) [1]. Il s’agit le plus souvent d’une papule ou d’un nodule indolore avec écoulement purulent évoluant vers l’ulcération ou l’abcédation [2]. La guérison spontanée est possible chez le sujet immunocompétent. Dans plus de 39 % des cas, les lésions sont multiples et se développent sur un trajet lymphatique du membre selon une répartition sporotrichoïde typique [1]. Il existe dans 30 % des cas [1] des atteintes ostéoarticulaires (ostéite, arthrite, ténosynovite), surtout en cas de corticothérapie associée, et exceptionnellement une atteinte systémique chez des patients immunodéprimés (infection par le VIH, enfants atteints d’hémopathie) [3,4]. L’aspect histologique classique est celui d’une inflammation granulomateuse tuberculoïde [5]. Les colorations spécifiques peuvent mettre en évidence des bacilles acido-alcoolorésistants mais seule la culture sur milieu spécifique permet d’affirmer le diagnostic. Mm se cultive en deux semaines en moyenne, à 32 ◦ C, et les colonies obtenues sont muqueuses, photochromogènes et de couleur jaune ; cette mycobactérie ne possède pas d’activité catalasique et uréasique, et certaines souches hydrolysent le Tween [2]. Les nouvelles techniques de biologie moléculaire sont un outil diagnostique majeur lorsque les autres moyens sont mis en défaut [6]. Le traitement n’est pas standardisé. On utilise de manière empirique une association comportant deux ou trois antibiotiques, dont la rifampicine de fac¸on systématique, associée à une cycline ou un macrolide de nouvelle génération ou une fluoroquinolone ou un aminoside [1,7]. L’antibiothérapie est prolongée (poursuivie au minimum deux mois après la disparition des lésions). L’apport de la chirurgie n’est pas évalué mais il est préférable de pratiquer l’exérèse de nodules bien limités et peu nombreux. Dans 70 à 87 % [1,8] des cas, la symptomatologie est améliorée ou disparaît sous traitement. Les diagnostics différentiels d’une lymphangite nodulaire dite sporotrichoïde sont nombreux et la plupart sont regroupés dans le Tableau 1. Il s’agit le plus souvent d’étiologies infectieuses au retour d’une zone tropicale. Les plus fréquentes sont la leishmaniose, les mycobactérioses, la sporotrichose et les nocardioses. Il s’agit de la première observation publiée rapportant une greffe de Mm sur implant contraceptif. Ce dispositif permet la libération prolongée de progestatifs à partir de tiges ou de capsule polymérique pendant une durée de trois ans environ. Différents produits existent sur le marché ; les plus courants étant Implanon® , Norplant® , Jadelle® et Elcometrine® . Ce moyen de contraception a l’avantage d’éviter le premier passage hépatique et les oublis de prise. Les infections locales sont rares, évaluées entre 0,2 et 1 %
H. Savini et al. / La Revue de médecine interne 32 (2011) e49–e51 Tableau 1 Étiologies des lymphangites nodulaires. Protozoaires Leishmania guyanensis Leishmania tropicana Leishmania major Leishmania brasiliensis Mycobactéries Mycobacterium marinum Mycobacterium chelonae, fortuitum, abscessus Mycobacterium kansasii Mycobacterium tuberculosis Mycoses Sporotrix schenckii Blastomyces dermatidis Coccioides immitis Histoplasma capsulatum Cryptococcus neoformans Fusarium sp. Bactéries Nocardia brasiliensis Nocardia asteroides Francisella tularensis Staphylococcus aureus Streptoccus pyogenes Pseudomonas pseudomallei Bacillus anthracis Virus HHV8 (maladie de Kaposi) Herpès simplex virus Tumeurs Mélanome métastatique Carcinome épidermoïde
[9]. La plupart des agents infectieux n’ayant pas été identifiés, il est difficile d’établir la fréquence des infections à mycobactéries. Des mycobactéries environnementales, notamment M. fortuitum et M. abcsessus, ont été impliquées lors d’infection de matériels orbitaires [10], orthopédiques [11] ou mammaires [12]. Une infection à M. abscessus sur implant contraceptif a été décrite en 1995 par une équipe canadienne [13].
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4. Conclusion Il est probable que le risque de greffe septique par un agent mycobactérien sur implant contraceptif soit sous-estimé car l’identification bactériologique en est difficile. Il importe donc d’évoquer cette étiologie lors d’infection d’implant contraceptif, a fortiori en cas de dissémination lymphangitique. Conflit d’intérêt Absence de conflit d’intérêt. Références [1] Aubry A, Chosidow O, Caumes E, Robert J, Cambau E. Sixty-three cases of Mycobacterium marinum infection. Clinical features, treatment and antibiotic susceptibility of causative isolates. Arch Intern Med 2002;162: 1746–52. [2] Morand JJ, Maslin J, Darie H. Manifestations cutanéo-muqueuses des mycobactéries environnementales (dont Mycobacterium ulcerans). Encycl Médico-Chir, Dermatol, Paris, 2005, 98 365 A 10, 16p. [3] Tchornobay AM, Claudy AL, Perrot JL, Lévigne V, Denis M. Fatal disseminated Mycobacterium marinum infection. Int J Dermatol 1992;31:286–7. [4] Zukervar P, Canillot S, Gayrard L, Perrot H. Infection sporotrichoïde à Mycobacterium marinum chez un sujet porteur de virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Ann Dermatol Venereol 1991;118:111–3. [5] Travis WD, Travis LB, Roberts GD, et al. The histopathologic spectrum in Mycobacterium marinum infection. Arch Pathol Lab Med 1985;109:1109–13. [6] Posterato B, Sanguinetti M, Gargovich A, Ardito F, Zampetti A, Masucci L, et al. Polymerase chain reaction-reverse cross blot hybridization assay in the diagnostic of sporotrichoid Mycobacterium marinum infection. Br J Dermatol 1998;139:872–6. [7] Aubry A, Jarlier V, Escolano S, Truffot-Pernot C, Cambau E. Antibiotic susceptibility pattern of Mycobacterium marinum. Antimicrob Agents Chemother 2000;44:3133–6. [8] Ang P, Rattana-Apiromyakij N, Goh CL. Retrospective study of Mycobacterium marinum skin infections. Int J Dermatol 2000;39:343–7. [9] Klavon SL, Grubb GS. Insertion site complications during the first year of Norplant use. Contraception 1990;41:27–37. [10] Zuercher D, Malet T. Mycobacterium abscessus infection in a case of recurrent orbital implant exposure. Orbit 2007;26:337–9. [11] Cheung I, Wilson A. Mycobacterium fortuitum infection following total knee arthroplasty: a case report and literature review. Knee 2008;15:61–3. [12] Macadam SA, Mehling BM, Fanning A, Dufton JA, Kowalewska-Grochowska KT, Lennox P, et al. Nontuberculous mycobacterial breast implant infections. Plast Reconstr Surg 2007;119:337–44. [13] Alfa MJ, Sisler JJ, Harding GK. Mycobacterium abscessus infection of a Norplant contraceptive implant site. CMAJ 1995;153:1293–6.