Emil Kraepelin (1856–1926) - 4. L’héritage

Emil Kraepelin (1856–1926) - 4. L’héritage

Annales Me´dico-Psychologiques 169 (2011) 606–611 Dictionnaire biographique Emil Kraepelin (1856–1926) - 4. L’he´ritage Emil Kraepelin (1856–1926) -...

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Annales Me´dico-Psychologiques 169 (2011) 606–611

Dictionnaire biographique

Emil Kraepelin (1856–1926) - 4. L’he´ritage Emil Kraepelin (1856–1926) - 4. The heritage T. Haustgen a,*, J. Sinzelle b a b

CMP, secteur 93 G 10, 77, rue Victor-Hugo, 93100 Montreuil, France 50, avenue de Saxe, 75015 Paris, France

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Disponible sur Internet le 7 septembre 2011

La classification de Kraepelin, discute´e en Allemagne par Jaspers, l’e´cole de Wernicke et Kretschmer, aux E´tats-Unis par Adolf Meyer, est, contrairement a` la le´gende, largement adopte´e par Freud et les premiers psychanalystes viennois. Elle est diffuse´e en France par Se´rieux. Les e´le`ves de celui-ci (Masselon, Pascal) et les alie´nistes de la Salpeˆtrie`re (Se´glas, Deny) y font connaıˆtre la de´mence pre´coce entre 1900 et 1911. Les travaux de Bleuler sont tributaires des 6e et 7e e´ditions du manuel. Les critiques ulte´rieures de la schizophre´nie rejoignent celles de la Dementia Praecox. Dans la description de la folie maniaque-de´pressive, devenue en France psychose maniaquede´pressive (Deny et Camus, 1907), ce sont surtout les e´tats mixtes qui sont discute´s (Chaslin, Jaspers). Le champ des e´tats de´pressifs se rattachant a` l’affection est restreint en France a` la me´lancolie intermittente, en Allemagne aux de´pressions endoge`nes bipolaires. En sont retranche´es la me´lancolie simple (Ey, Guiraud), les de´pressions psychoge`nes (Lange) et unipolaires (Leonhard, Angst, Perris). La conception restrictive, non hallucinatoire, de la paranoı¨a est admise par Se´rieux et Capgras (1909), dans les descriptions de la constitution paranoı¨aque, puis dans la the`se de Lacan (1932). Malgre´ son abandon en Allemagne, la paraphre´nie est toujours isole´e en France au sein des de´lires chroniques. ß 2011 Publie´ par Elsevier Masson SAS.

Mots cle´s : De´mence pre´coce Folie maniaque-de´pressive Nosographie Paranoı¨a Paraphre´nie Schizophre´nie

A B S T R A C T

Keywords: Dementia praecox Manic-depressive insanity Nosology Paranoia Paraphrenia Schizophrenia

The classification of Kraepelin, discussed in Germany by Jaspers, the pupils of Wernicke and Kretschmer, in the USA by Adolf Meyer, is, unlike the legend, adopted by Freud and the first psychoanalysts in Vienna. It has been diffused in France by Paul Se´rieux. His pupils (Masselon, Pascal) and the Salpeˆtrie`re school (Se´glas, Deny) have published most contributions about the dementia praecox between 1900 and 1911. The work of Eugen Bleuler (1911) is tributary of the 6th and 7th editions of Kraepelin’s textbook. Further criticisms of the schizophrenia are analogous to previous ones about the dementia praecox. Manic-depressive insanity is named in France manic-depressive psychosis (Deny and Camus, 1907). In the entity, mixed affective states are above all criticized (Chaslin, Jaspers). The illness is restrained to ‘‘intermittent melancholia’’ in France, to endogenous bipolar depression in Germany. ‘‘Simple melancholia’’ (Ey, Guiraud) and unipolar depression (Leonhard, Angst, Perris) are differenciated from it. The restrained, non-hallucinatory conception of the paranoı¨a has been admitted by Se´rieux and Capgras (interpretation delusion, 1909), in the descriptions of the ‘‘paranoid constitution’’ and in the thesis of Jacques Lacan about paranoid personality (1932). The paraphrenia is still isolated by French psychiatrists after it has been forsaken in Germany. ß 2011 Published by Elsevier Masson SAS.

Apre`s la Premie`re Guerre mondiale, la classification de Kraepelin va s’imposer, non seulement dans son pays d’origine,

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (T. Haustgen). 0003-4487/$ – see front matter ß 2011 Publie´ par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.amp.2011.07.001

mais encore dans l’ensemble du continent europe´en. Certes, des critiques me´thodologiques, des re´serves sur la de´nomination et les limites de ses entite´s cate´gorielles se font jour, surtout en France. On tente d’opposer Bleuler a` Kraepelin, la psychopathologie a` la taxinomie. Mais le canevas ge´ne´ral et le champ clinique des trois grandes entite´s de´mence pre´coce/paranoı¨a/folie

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maniaque-de´pressive sont inte´gre´s par les diffe´rentes e´coles de pense´e.

1. Accueil et cheminement de la nosographie kraepelinienne C’est d’abord dans les contre´es de langue allemande que le manuel de Kraepelin devient la re´fe´rence obligatoire, en de´pit des critiques de Bonhoeffer et de Hoche (voir 2e partie, § 3). Par certains coˆte´s, l’œuvre de Jaspers peut aussi apparaıˆtre comme une mise en cause radicale : « A` la place de ces descriptions telles que les donne encore toujours le traite´ de Kraepelin, une psychiatrie spe´ciale future e´nume´rera [. . .] des se´ries de types obtenus exclusivement par l’e´tude de de´tail. Un pre´curseur de cette psychiatrie spe´ciale apparaıˆt dans l’usage de certaines maisons de sante´ de ne pas de´signer des cas particuliers par le diagnostic ge´ne´ral ‘‘de´mence pre´coce’’ ou ‘‘folie maniaque-de´pressive’’, mais de les diagnostiquer avec le nom de malades observe´s ante´rieurement et qui repre´sentaient le meˆme type » [20]. Mais l’approche de Jaspers va reveˆtir le roˆle d’un comple´ment critique, se situant sur un autre plan que la clinique. « On peut se demander si Jaspers lui-meˆme aurait pu exister sans Kraepelin », notait en 1954 le psychiatre japonais Uchimura (cite´ in [32]). La seule alternative nosographique influente, la classification des psychoses endoge`nes de Wernicke-Kleist-Leonhard, n’aura pas le succe`s de celle de Kraepelin. En revanche, les travaux de Kretschmer, inaugurant a` partir de 1919 une approche psychoge´ne´tique des psychoses, marquent une premie`re breˆche se´rieuse, repre´sente´e d’abord par le de´lire de relation, ensuite par la biotypologie traduisant une continuite´ entre normal et pathologique [23]. Bien que reprenant la dichotomie des psychoses endoge`nes, elle rompt avec la notion de processus et constitue une « re´surrection au de´but du XXe sie`cle de l’unite´ romantique du corps et de l’esprit » [3]. Les biographes de Freud mettent en ge´ne´ral l’accent sur l’hostilite´ de Kraepelin a` l’e´gard du me´decin viennois. E´voquant le cas de l’Homme aux Loups, Peter Gay e´crit : « Le fait que deux praticiens e´minents, qu’il tenait pour des ennemis, Theodor Ziehen a` Berlin et Emil Kraepelin a` Munich, aient abandonne´ a` son sort cet inte´ressant jeune homme, dut inciter Freud a` entreprendre le traitement de ce cas de´sespe´re´ » [18]. Il semble bien pourtant que la publication du cas Schreber en 1911 soit a` l’origine de l’adhe´sion de Kraepelin deux ans plus tard a` la proposition de Freud de de´nommer paraphre´nies une partie des cas de de´mences pre´coces paranoı¨des : « Je pense que Kraepelin a eu parfaitement raison de se´parer une grande partie de ce qui jusqu’alors avait e´te´ appele´ paranoı¨a et de la fondre avec la catatonie et d’autres entite´s morbides en une nouvelle unite´ clinique, bien qu’a` la ve´rite´ le nom de « de´mence pre´coce » soit tout particulie`rement mal choisi pour de´signer celle-ci. Le terme de schizophre´nie preˆte e´galement a` cette critique [. . .]. Je crois que le nom le plus approprie´ a` la de´mence pre´coce serait celui de paraphre´nie, terme d’un sens quelque peu inde´termine´ qui exprime le rapport existant entre cette affection et la paranoı¨a et qui, de plus, rappelle l’he´be´phre´nie, qui y est maintenant comprise » [17]. On a vu (3e partie) que le Royaume-Uni avait dispose´ d’une traduction de Kraepelin de`s la fin de la Premie`re Guerre mondiale, 60 ans avant la France. Aux E´tats-Unis, l’influence du maıˆtre de Munich a e´te´ freine´e de`s la fin du XIXe sie`cle par les orientations antinosologiques d’Adolf Meyer, au profit du concept de re´action. Il reprochait en 1896 a` Kraepelin de n’avoir pas publie´ de revue de la litte´rature, ni d’argumentation contre ses opposants dans son traite´. Le psychiatre allemand prit la peine de lui re´pondre dans ses Me´moires qu’il avait pre´sente´ ses ide´es comme « l’e´tat courant du savoir » [10]. En 1933, dans sa monographie sur les psychoses schizo-affectives, Kasanin est se´ve`re a` l’e´gard de Kraepelin. Il critique son « attitude fataliste et sans espoir » et le « concept sous-

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jacent d’un processus maladif immuable dans la de´mence pre´coce, pre´judiciable aux progre`s de la psychiatrie » [22]. Toutefois, la classification de l’APA de 1934 inte`gre les deux grandes psychoses kraepeliniennes parmi ses 17 classes diagnostiques. De meˆme, le DSM-I de 1952 semble ente´riner la dichotomie de Kraepelin dans sa se´paration des « re´actions affectives » et des « re´actions schizophre´niques ». En France, c’est Paul Se´rieux qui fait connaıˆtre la 6e e´dition en 1900 : « Des conceptions tre`s hardies, des aperc¸us tre`s originaux sont e´mis par le professeur de Heidelberg. Ce qui fait le puissant inte´reˆt de son œuvre, c’est que sa classification ne repose point sur des conside´rations the´oriques [. . .]. Le Professeur Kraepelin a pris pour base la clinique et surtout l’e´volution des psychoses. [. . .] Cette classification est appele´e, croyons-nous, a` rendre des services aux cliniciens en introduisant dans la pathologie mentale les me´thodes de la pathologie interne » [36]. Toutefois, les traite´s qui paraissent en France avant 1914 n’adoptent pas la classification kraepelinienne, qu’il s’agisse de Gilbert Ballet, de Chaslin ou de Re´gis. Ce dernier de´nonce en 1906 « le caracte`re non me´thodique de ses divisions, la multiplicite´ et l’encheveˆtrement de ses formes, sa terminologie souvent peu pre´cise » [33]. En 1903, le manuel de Rogues de Fursac reprend ne´anmoins les conceptions de la folie maniaque-de´pressive. Les travaux franc¸ais sur les de´lires chroniques sont en partie a` l’origine des modifications de la 8e e´dition (voir 3e partie). En 1922, le manuel de Dide et Guiraud se rapproche des positions kraepeliniennes, la de´mence pre´coce apparaissant sous le nom d’he´be´phre´nie. En 1932, dans la partie historique de sa the`se, Lacan mentionne abondamment et e´logieusement Kraepelin : « En orientant avec une grande force la me´thode clinique sur des crite`res d’e´volution et de pronostic, il lui a fait porter ses supreˆmes et plus beaux fruits » [24]. Kraepelin est apre`s Freud l’auteur le plus cite´ dans les trois volumes des E´tudes psychiatriques de Ey (112 re´fe´rences, contre 59 a` Bleuler) [15]. Le maıˆtre de Bonneval rend un vibrant hommage au professeur de Munich 100 ans apre`s sa naissance (1956) : « Emil Kraepelin est le ve´ritable fondateur de la psychiatrie classique des entite´s. C’est son glorieux me´rite. Meˆme si sa nosographie ‘‘syste´matique’’ a, depuis 50 ans, paru a` beaucoup de cliniciens eˆtre trop rigoureuse et e´troite, elle demeure comme un prototype du travail clinique, un mode`le de la lente et minutieuse observation qui sont les qualite´s dont se sont toujours re´clame´s les grands cliniciens franc¸ais » [16]. Dans ses deux premie`res cate´gories, la classification franc¸aise des troubles mentaux de l’INSERM reprend en 1968 la dichotomie des psychoses kraepeliniennes.

2. De´veloppement et avatars des grandes entite´s 2.1. La de´mence pre´coce Entre 1900 et 1911, la de´mence pre´coce de Kraepelin s’impose dans les pays francophones, en de´pit de quelques re´sistances. « Les ide´es de Kraepelin ont rayonne´ dans tout le monde scientifique, elles se sont re´pandues meˆme la` ou` elles se sont trouve´es le plus conteste´es », e´crira Constanza Pascal [31]. De`s 1899, avant la parution de la 6e e´dition, Christian, me´decin de Charenton, fait paraıˆtre dans les Annales Me´dico-Psychologiques un important me´moire en cinq parties sur l’entite´ [7]. Il ne s’y re´fe`re qu’a` la 4e e´dition, dans laquelle la dementia praecox se limite a` l’he´be´phre´nie, et ne cite Kraepelin que parmi beaucoup d’autres auteurs. Par la suite, le me´moire de Christian sera mis en avant dans les historiques franc¸ais, au meˆme titre que les travaux beaucoup plus anciens de Morel. Deux e´coles franc¸aises introduisent la synthe`se de la 6e e´dition, celle des alie´nistes parisiens de la Salpeˆtrie`re (Se´glas, Deny) et celle des alie´nistes des asiles de la Seine (Se´rieux et ses e´le`ves). Cinq ans

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apre`s la publication de ses fameuses « Lec¸ons cliniques » (1895), Jules Se´glas fait le point en 1900 sur la de´mence paranoı¨de (forme paranoı¨de de la de´mence pre´coce) [34]. Il pre´cise ce qui va devenir la position classique de l’e´cole franc¸aise, dont Kraepelin saura tirer les conse´quences dans sa 8e e´dition : exclusion des de´lires chroniques hallucinatoires de la de´mence pre´coce pour n’en conserver que l’ancienne de´mence paranoı¨de, avec ide´es de´lirantes polymorphes, incohe´rence du langage et affaiblissement intellectuel. En 1902, Se´glas re´ajuste les crite`res de la catatonie, au centre desquels il place le ne´gativisme et le de´faut de synthe`se psychique (aboulie). En 1909, il pose le proble`me des catatonies symptomatiques de troubles de l’humeur et des rapports de la de´mence pre´coce avec la folie maniaque-de´pressive, premie`re formulation des futurs e´tats schizo-affectifs [35]. Enfin, en 1911, il traite avec Logre des re´missions dans la de´mence pre´coce. L’ensemble de ces articles restreint donc le champ de l’entite´ kraepelinienne, aussi bien dans sa forme paranoı¨de que catatonique. De son coˆte´, Gaston Deny fait paraıˆtre en 1903 le premier ouvrage franc¸ais sur la maladie [14], puis pre´sente au congre`s des alie´nistes de langue franc¸aise de 1904 un rapport sur les de´mences ve´saniques, qui vise a` faire disparaıˆtre ce groupe au profit de la de´mence pre´coce [11]. Il dresse une revue me´thodique des signes fondamentaux et accessoires, en consacrant une description unique aux trois formes cliniques de Kraepelin. La the`se de la de´ge´ne´rescence de Morel est de´finitivement battue en bre`che. La de´mence pre´coce est pour Deny une affection « fortuite et accidentelle », se de´veloppant sous l’influence de processus autotoxiques. Elle englobe la plupart des cas de de´mences secondaires aux autres formes mentales. Paul Se´rieux est en fait le premier auteur franc¸ais a` avoir comple`tement adopte´, de`s 1902, la de´mence pre´coce kraepelinienne [37]. Il subdivise ses manifestations en symptoˆmes essentiels (l’affaiblissement psychique) et accessoires (troubles de´lirants, pouvant reveˆtir la forme des hallucinations, des e´tats confusionnels, de l’excitation ou de la de´pression). C’e´tait la mise en acte de la subdivision de Falret (1864) entre aptitude a` de´lirer et re´sultante psychique, que reprendra Bleuler. D’autres analogies de la description de Se´rieux avec les conceptions de Falret sont la notion d’espe`ce « naturelle » et le mode e´volutif en trois pe´riodes de l’affection : de´but (ne´vropathique), e´tat (de´lire), terminaison (de´mence). Il existe pour Se´rieux de fre´quentes re´missions qui « dans 20 % des cas peuvent se prolonger et e´quivaloir a` la gue´rison ». Enfin, la forme simple, proche de l’he´boı¨dophre´nie de Kahlbaum, acquiert droit de cite´. A` peu pre`s au meˆme moment, Weygandt (1902) et Diem (1903) l’isolent en Allemagne. Cette meˆme anne´e 1902, Rene´ Masselon, interne de Se´rieux, soutient sa the`se sur la « Psychologie des de´ments pre´coces », insistant sur la perte des sentiments affectifs et la difficulte´ d’associer des ide´es. Il publie en 1904 la seconde monographie franc¸aise sur la de´mence pre´coce [25]. Mettant l’accent sur l’e´volution progressive d’une « phase prodromique » survenant a` l’adolescence, domine´e par les troubles affectifs, vers des « phe´nome`nes aigus surajoute´s », il est le premier a` utiliser, huit ans avant Chaslin, le terme de discordance, pour de´signer la paramimie he´be´phre´nique. Autre innovation terminologique, il se´pare, dans la symptomatologie de la maladie, troubles « primitifs » et « secondaires ». Les troubles primitifs de´pendent pour lui des perturbations de l’affectivite´. Ils sont re´sume´s par une triade symptomatique : apathie, aboulie, perte de l’activite´ intellectuelle. En 1906, Juquelier, chef de clinique de Joffroy, peut re´diger un conse´quent « Historique critique de la de´mence pre´coce » pour la Revue de Psychiatrie. Dans deux articles des Annales Me´dicoPsychologiques, parus en 1906 et 1907, le Roumain Alexandre Soutzo, s’appuyant sur Masselon, met l’accent sur les troubles de la

volonte´ comme caracte´ristiques de l’affection. Vers cette e´poque, Mlle Pascal, autre interne d’origine roumaine de Se´rieux, commence a` publier une se´rie de travaux sur l’entite´. Elle aborde successivement la pe´riode prodromique de´pressive de la de´mence pre´coce (1906), ses rapports avec la me´lancolie (1907), puis la question de ses re´missions (1907), qui concernent les formes simples de l’affection, l’he´boı¨dophre´nie et une forme circulaire e´voluant par pousse´es, dont Kraepelin reprendra la description dans sa 8e e´dition. Dans l’ouvrage de synthe`se qu’elle consacre en 1911 a` la de´mence pre´coce [31], Mlle Pascal reprend la subdivision de son maıˆtre Se´rieux entre affaiblissement mental « de´mentiel » et symptoˆmes accessoires. L’affaiblissement comprend comme symptoˆmes essentiels les perturbations affectives et e´motionnelles, comme symptoˆmes secondaires les alte´rations des principales fonctions psychiques : troubles intellectuels, attentionnels, de la me´moire (e´carte´s, on l’a vu, par Kraepelin, mais re´habilite´s par les recherches neurocognitives contemporaines), de l’association des ide´es et de la psychomotricite´ (aboulie, signes catatoniques). Les symptoˆmes accessoires sont les ide´es de´lirantes et les hallucinations. L’alie´niste belge Meeus, me´decin de la colonie familiale de Gheel, est en 1902 le premier auteur a` articuler sa critique du terme de de´mence pre´coce sur la comparaison statistique entre une se´rie de cas juve´niles et de cas de « de´mence a` e´volution rapide », de´veloppe´s a` l’aˆge adulte et dans la vieillesse. C’est une premie`re bre`che dans la notion d’une e´closion de la maladie a` l’adolescence. Meeus insiste sur les « moments de lucidite´ » des de´ments pre´coces et, la meˆme anne´e que Masselon, sur le trouble des associations : « C’est comme un piano me´canique de´traque´ dont les notes s’encheveˆtrent dans une cacophonie e´trange » [26]. D’autres contributions sont franchement hostiles a` Kraepelin. Le Russe Serbsky parle en 1903 dans les Annales Me´dicoPsychologiques de « de´mence sans de´mence ». Rappelant apre`s Meeus que l’affection ne survient pas exclusivement a` l’adolescence, Re´gis tente d’opposer a` partir de 1904 une de´mence pre´coce constitutionnelle ou de´ge´ne´rative (he´be´phre´nie), dont il attribue ˆ ment la paternite´ a` Morel, a` une de´mence pre´coce postindu confusionnelle (catatonie), psychose toxique d’origine accidentelle. Moins subtils, Parant fustige en 1905 la « soi-disant de´mence pre´coce », re´duisant a` de´finir la folie en fonction de l’aˆge du de´clenchement des troubles, et Marandon de Montyel pre´tend la meˆme anne´e que l’affection n’est « ni une de´mence ni pre´coce ». Dans la meˆme veine, Chaslin notera en 1914 : « La de´mence est contestable et n’est pas ne´cessairement pre´coce ». Les premiers psychanalystes s’inte´ressent aussi a` la maladie. En 1907, Jung fait reposer la psychologie de la de´mence pre´coce sur la notion de complexe, en comparant ses me´canismes a` ceux de l’hyste´rie [21] et entretient une correspondance avec Freud sur l’autoe´rotisme dans l’affection, dont Bleuler fera l’autisme. Toujours en 1907, Abraham e´tudie la signification des traumatismes sexuels juve´niles dans la symptomatologie de la de´mence pre´coce. En 1908, il aborde la question des diffe´rences psychosexuelles entre l’hyste´rie et la de´mence pre´coce. De par son intention affiche´e d’« appliquer les ide´es de Freud » a` la de´mence pre´coce, on a coutume d’opposer Bleuler a` Kraepelin. Mais le psychiatre zurichois se situe de`s 1902 dans la filiation directe du maıˆtre de Heidelberg. Il prend position en sa faveur contre les critiques de Serbsky : « Ce n’est pas la de´mence, mais le type de de´mence qui caracte´rise la maladie. » Le titre de sa monographie de 1911 commence par « Dementia Praecox » et se poursuit par « groupe des schizophre´nies » [4]. Tout en soulignant en introduction l’e´tape que repre´senterait son œuvre, il ne se faisait gue`re d’illusions sur l’avenir : « L’individualisation de ce concept est provisoire, dans la mesure ou` il faudra le dissoudre par la suite, a` peu pre`s dans le sens ou` la bacte´riologie a scinde´ la

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pneumonie en diffe´rentes infections. » Il reconnaissait que « toute l’ide´e de la de´mence pre´coce vient de Kraepelin [. . .]. Kraepelin a un peu rele´gue´ au second plan la terminaison dans la Verblo¨dung, sur laquelle il insistait beaucoup au de´but, en formulant nettement que rele`vent aussi de la dementia praecox de nombreux cas qui aboutissent, au moins en pratique, a` une gue´rison de´finitive ou d’assez longue dure´e » (il se re´fe`re ici a` la 7e e´dition, celle de 1904). En revanche, Bleuler fait reposer sa description sur un ensemble de symptoˆmes fondamentaux ne´gatifs et de´ficitaires, conside`re les symptoˆmes primaires comme d’origine organique, estime que « meˆme l’examen ulte´rieur de malades sortis [. . .] ne nous a jamais montre´ de restitutio ad integrum » et formule ouvertement des conside´rations euge´nistes : « Espe´rons que la ste´rilisation pourra bientoˆt eˆtre utilise´e a` assez grande e´chelle pour des motifs d’hygie`ne raciale » [4] (p. 583). Alors qu’on estime ge´ne´ralement que le travail de Bleuler aurait inaugure´ une perspective psychopathologique de la maladie, les conside´rations the´oriques n’occupent qu’une des 11 parties (la 10e) et 135 des 600 pages de son ouvrage [4]. En 1926, Bleuler reconnaıˆtra encore sa dette envers Kraepelin : « Ce fut un trait de ge´nie de Kraepelin de pre´ciser en meˆme temps que le groupe de la de´mence pre´coce celui de la psychose maniaque-de´pressive. Car c’est justement cette opposition qui mit en pleine lumie`re la notion kraepelinienne de de´mence pre´coce et qui permit d’en de´terminer les limites [. . .]. Pendant de longues anne´es, je fus, je crois, le seul a` reconnaıˆtre toute la porte´e de cette conception et a` l’adopter sans re´serves. L’obstacle principal re´sidait d’ailleurs, non pas dans les faits eux-meˆmes, mais dans le nom choisi pour les de´signer » [5]. Alors qu’Oscar Bumke, le propre successeur de Kraepelin a` la chaire de Munich, publie en 1924 un article sur la « dissolution de la de´mence pre´coce », l’entite´ survit chez les auteurs franc¸ais, mais en se superposant a` l’affection qu’aurait de´crite Morel en 1860. « On peut se demander si la de´mence pre´coce de Morel ne serait pas une vraie de´mence survenue rapidement dans les folies discordantes », note Chaslin en 1912 [6]. Lorsqu’il traite du « de´membrement de la de´mence pre´coce » en 1924, Lautier se´pare lui aussi de la folie discordante la « de´mence pre´coce vraie, type Morel ». Mais c’est surtout Henri Claude qui, dans les anne´es 1920, va opposer l’inte´ressante schizophre´nie a` la re´trograde de´mence pre´coce, « qui donne imme´diatement a` l’observateur l’impression de se trouver en pre´sence d’une maladie organique » [9]. Pour le maıˆtre de Ey et Lacan, « il y a ici vraiment de´mence, et la de´mence pre´coce des auteurs franc¸ais, type Morel, nous apparaıˆt une entite´ clinique immuable » [8]. Ce sont les travaux d’Euge`ne Minkowski qui vont imposer en France le vocable de Bleuler. Il souligne cependant la parente´ entre de´mence pre´coce selon la 8e e´dition et ataxie intrapsychique de Stransky : « Deux grands groupes de troubles caracte´risent selon Kraepelin la de´mence pre´coce. L’un consiste dans un affaiblissement des mobiles affectifs qui activent, chez l’individu normal, d’une fac¸on constante, le vouloir, l’autre dans la perte de cette unite´ inte´rieure qui relie dans la vie d’une fac¸on harmonieuse nos faculte´s intellectuelles, nos sentiments et nos volitions » [27]. Apre`s la parution en 1927 de l’ouvrage de re´fe´rence de Minkowski [28], l’histoire de la de´mence pre´coce en France se confond avec celle de la schizophre´nie. Toutefois, Henri Ey publie encore en 1938 (avec He´le`ne Bonnafous) dans les Annales Me´dico-Psychologiques des « E´tudes cliniques et conside´rations nosographiques sur la de´mence pre´coce » et l’alie´niste nantais Raoul Benon en 1945 un ouvrage sur la de´mence pre´coce [2], e´cartant de sa de´finition les formes paranoı¨des, mettant l’accent sur l’asthe´nie et l’hypothymie, une conception assez proche de l’athymhormie de Dide et Guiraud. Le « groupe » nosographique de Bleuler est alors en butte aux meˆmes critiques que la maladie de Kraepelin en son temps. « Le diagnostic de schizophre´nie n’offre pas plus de pre´cision que n’offrirait un diagnostic d’hallucination ou de de´mence », e´crivait

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de`s 1924 Lautier dans les Annales Me´dico-Psychologiques. Paul Abe´ly publie 30 ans plus tard dans la meˆme revue l’article au titre significatif : « Pourquoi je ne crois plus a` l’actuelle schizophre´nie » (1958). Les « symptoˆmes de premier rang » du phe´nome´nologiste allemand Kurt Schneider (1950) sont des troubles de la pense´e, des troubles des perceptions et l’ide´ation de´lirante, non les symptoˆmes fondamentaux ne´gatifs de Kraepelin et Bleuler. Dans les anne´es 1950, Henri Ey envisageait aussi le de´lire et non la dissociation comme manifestation cardinale des pathologies psychotiques [15]. On voit donc que le succe`s du terme de schizophre´nie au milieu du e ` cle s’est accompagne´ d’un glissement de sens, comme si les XX sie auteurs voulaient s’e´loigner de plus en plus de la synonymie avec la de´mence pre´coce, affirme´e par le titre meˆme du travail de Bleuler. 2.2. La folie maniaque-de´pressive Contrairement a` ce que l’on croit parfois, la folie maniaquede´pressive va eˆtre l’objet des meˆmes controverses et des meˆmes re´sistances que la de´mence pre´coce. Ces oppositions sont motive´es en France par des raisons similaires : l’extension du champ de l’entite´ au de´triment des e´tats me´lancoliques, bien au-dela` des descriptions de Falret et Baillarger, un demi-sie`cle plus toˆt. Certes, des partisans convaincus se manifestent de`s les anne´es 1900, les meˆmes que ceux de la de´mence pre´coce. Se´rieux inspire a` son e´le`ve Capgras sa the`se sur la me´lancolie d’involution (1900), entite´ qui continuera a` eˆtre de´crite se´pare´ment en France, bien apre`s son inte´gration par Kraepelin dans la folie maniaque-de´pressive (Halberstadt, 1928 ; Guiraud, 1956). Deny et Camus publient en 1907 l’ouvrage sur la « psychose maniaque-de´pressive » [13], dont le titre est la traduction incorrecte de l’Irresein kraepelinien, qui servira dore´navant a` de´nommer l’affection en France. Ils pre´sentent en de´tail la conception des e´tats mixtes de la 6e e´dition, reprise par Gilbert Ballet (1909), mais critique´e par Chaslin (1912) et beaucoup plus tard par Guiraud (1956). C’est aussi en 1907 qu’Andre´ Antheaume, me´decin-chef de Charenton, popularise dans les « Psychoses pe´riodiques » la « conception synthe´tique de Kraepelin », en l’opposant aux conceptions analytique (Falret, Baillarger) et synthe´tique (Magnan) de l’e´cole franc¸aise. En 1908, Deny fait paraıˆtre le premier article franc¸ais sur la constitution cyclothymique [12]. Mais la plupart des auteurs sont moins enthousiastes. Au chapitre « Psychoses pe´riodiques ou intermittentes » du traite´ de Gilbert Ballet (1903), Arnaud ne cite pas les travaux de Kraepelin. Re´gis en 1906 [33], Chaslin en 1912 [6] lui de´nient toute originalite´. Ce dernier pre´fe`re parler de « folie maniaque-me´lancolique ». Les Franc¸ais font la distinction entre me´lancolie vraie ou simple, re´actionnelle, a` de´but progressif, s’accompagnant d’ide´es de culpabilite´, a` acce`s prolonge´s, a` e´volution lente, peu re´cidivante, et me´lancolie intermittente, survenant brusquement, sans facteur de´clenchant, a` acce`s courts, a` e´volution tranche´e, re´cidivante, le « fonds de la me´lancolie sans son relief » de Falret, dans lequel le ralentissement et la fatigue pre´dominent sur la douleur morale et les ide´es de´lirantes. C’est seulement cette me´lancolie intermittente que les Franc¸ais acceptent de rattacher a` l’entite´ kraepelinienne. Apre`s la Premie`re Guerre mondiale, le manuel de Dide et Guiraud (1922) inte`gre la manie et la me´lancolie dans un chapitre « Psychose maniaque-de´pressive », classe´e aux coˆte´s des de´lires progressifs et de l’he´be´phre´nie parmi les « syndromes a` pre´dominance instinctivo-affective ». Mais manie et me´lancolie continuent a` faire l’objet de chapitres se´pare´s, aussi bien de la « Psychiatrie clinique » de Paul Guiraud en 1956 (en tant que « syndromes hormo-thymiques ») que du manuel d’Henri Ey a` partir de 1960 (en tant que « crises » de de´structuration de la conscience). Les « psychoses pe´riodiques maniaco-de´pressives » sont en 1953 le the`me de la 25e e´tude de Ey [15], apre`s la manie et la me´lancolie (21e et 22e).

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En Allemagne, Jaspers critique la conception des e´tats mixtes : « Cette direction n’a pas progresse´ [. . .]. On a utilise´ tels quels des e´le´ments de rapports compre´hensibles comme composantes et facteurs objectifs de la vie psychique, confusion si fre´quente de la psychologie compre´hensive et de la psychologie objective explicative » [20]. L’anne´e 1926, celle de la mort de Kraepelin, voit la syste´matisation par son e´le`ve Lange de la dichotomie de´pression endoge`ne/de´pression psychoge`ne et la diffe´renciation par Kleist, e´le`ve de Wernicke, des formes unipolaires et bipolaires des psychoses cycloı¨des « de´ge´ne´ratives ». Cette dichotomie, reprise en 1957 par Karl Leonhard, sera ente´rine´e en 1966 par les travaux du Suisse Angst et du Sue´dois Perris [1]. La maladie de Kraepelin semble scinde´e en deux entite´s distinctes, dont l’une recoupe la me´lancolie « simple » des Franc¸ais. 2.3. La paranoı¨a et les paraphre´nies La conception restrictive de la paranoı¨a ne va pas non plus eˆtre accepte´e sans mal. « La signification du terme e´tait, a` l’e´tranger, devenue si impre´cise que les formes les plus disparates s’y trouvaient re´unies. [. . .] Kraepelin, en re´servant le mot paranoı¨a a` une espe`ce morbide nettement caracte´rise´e, a dissipe´ la confusion », e´crivent Se´rieux et Capgras [38]. Alors que Mendel et Ziehen maintiennent dans leurs traite´s respectifs (1902) la distinction paranoı¨a hallucinatoire/paranoı¨a combinatoire, le Milanais Tanzi (1905) et Bleuler (1906) se rallient a` l’approche kraepelinienne. En France, c’est l’ouvrage de 1909 sur les folies raisonnantes [38] qui conduit a` l’adoption de l’entite´. Se´rieux et Capgras notent de`s l’introduction : « C’est a` ces deux espe`ces cliniques : de´lire d’interpre´tation et de´lire de revendication, qu’il convient de circonscrire la paranoı¨a. On met ainsi en e´vidence les affinite´s nosologiques de ces formes et de plus on reste d’accord avec l’e´tymologie du vocable [. . .]. La paranoı¨a est en quelque sorte pour l’e´tat normal ce qu’est le paradoxe au regard de la ve´rite´. » Toutefois, pour Se´rieux et Capgras, puis pour Cle´rambault (1921), seul le de´lire d’interpre´tation peut au sens strict se rattacher au caracte`re paranoı¨aque. Le de´lire de revendication, puis les psychoses passionnelles ont quant a` eux partie lie´e avec stigmates de de´ge´ne´rescence, anomalies du sens moral, ide´e pre´valente de nature obse´dante et « nœud ide´o-affectif ». On a vu (3e partie) que Kraepelin adopte cette se´paration en excluant de la paranoı¨a son de´lire de que´rulence dans la 8e e´dition du traite´. Contrairement au de´lire chronique de Magnan, la psychose hallucinatoire chronique de Gilbert Ballet (1911) survient chez des sujets qui pre´sentaient ante´rieurement des troubles du caracte`re : « Inquiet, ombrageux, hautain, jaloux, vaniteux, orgueilleux. » Il s’agit de´ja` des traits de la future constitution paranoı¨aque, dont la triade classique (orgueil, me´fiance, faussete´ du jugement) est de´crite en 1919 par Dupre´. Cette constitution pathologique fait l’objet en France, dans les anne´es 1920, des analyses approfondies de Montassut [29] et Ge´nil-Perrin [19]. En Allemagne, le de´lire sensitif de relation de Kretschmer (1919) traduit la continuite´ entre personnalite´, e´ve´nement ve´cu et psychose. La the`se de Lacan [24], qui introduit une troisie`me varie´te´, la paranoı¨a d’autopunition, marque dans sa partie historique un certain retour aux conceptions kraepeliniennes, en s’appuyant sur une lecture soigneuse de la 8e e´dition : « On ne peut nier l’extreˆme rigueur nosologique de l’œuvre de Kraepelin et nous comptons y trouver en quelque sorte le centre de gravite´ de la notion que l’analyse franc¸aise a rendue parfois assez divergente [. . .]. Il met en relief la « tonalite´ fortement affective » des expe´riences vitales dans le de´lire [. . .]. Voici une gene`se qui nous porte au cœur des fonctions de la personnalite´ : conflits vitaux, e´laboration interne de ces conflits, re´actions sociales. » De son coˆte´, Henri Ey, s’il consacre trois de ses e´tudes psychiatriques (17e, 18e et

19e) a` des the`mes de´lirants paranoı¨aques (hypocondrie, jalousie, me´galomanie), n’a pas eu l’opportunite´ de faire paraıˆtre le 4e tome consacre´ aux de´lires chroniques et aux psychoses paranoı¨aques qu’il projetait de re´diger. Alors que les paraphre´nies sont rapidement abandonne´es en Allemagne par les e´le`ves de Kraepelin (voir 3e partie), le concept se de´veloppe en France dans l’entre-deux-guerres. Situation comparable a` celle de la me´lancolie d’involution, elle aussi vite laisse´e de coˆte´ par l’e´cole qui l’a produite. Le psychiatre alsacien Bernard Frey essaie un peu artificiellement en 1923 de superposer les quatre formes de paraphre´nies kraepeliniennes aux de´lires chroniques des Franc¸ais. Mais ce sont surtout les e´le`ves d’Henri Claude qui assurent leur succe`s, sous le nom de de´lire fantastique, sujet de la the`se de Clerc en 1925. Claude propose de lui donner en 1933 le nom de paraphre´nie tout court, en l’honneur de Kraepelin. La critique par Nodet des psychoses hallucinatoires [30], qu’inspire Henri Ey, introduit, entre de´lire paranoı¨aque et de´lire paranoı¨de, la notion de structure paraphre´nique. Elle se caracte´rise « par l’importance du facteur imaginatif et hallucinatoire, par l’excellente adaptation au monde re´el, malgre´ la superposition constante d’une pseudo-re´alite´ de´lirante ». Dans les de´structurations de la personnalite´ de Ey, les psychoses fantastiques ou paraphre´nies occupent une place interme´diaire entre paranoı¨a et formes paranoı¨des de la schizophre´nie. Dans le manuel, elles se de´finissent par les caracte´ristiques suivantes : pense´e paralogique, me´galomanie, primaute´ de la fabulation sur les hallucinations, inte´grite´ paradoxale de l’unite´ de la synthe`se psychique. Reconnaissance tardive de la de´nomination propose´e par Freud pour le cas Schreber ! ˆ ts De´claration d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Angst J, Marneros A. Bipolarity from ancient to modern times: conception, birth and rebirth. J Affect Disord 2001;67:3–19. [2] Benon R. La de´mence pre´coce. Clinique, me´decine le´gale, traitement. Paris: Vigot; 1945. [3] Berrios GE, Beer D. Unitary psychosis concept. In: Berrios G, Porter R, editors. A history of clinical psychiatry. Londres: The Athlone Press; 1995. p. 312–35. [4] Bleuler E. Dementia Praecox ou groupe des schizophre´nies. Viallard A, Paris: EPEL, GREC; 1993 (1911, trad fr). [5] Bleuler E. La schizophre´nie. Congre`s des me´decins alie´nistes et neurologistes de France, 30e session (Gene`ve-Lausanne). Paris: Masson; 1926. p. 3–26. [6] Chaslin P. E´le´ments de se´miologie et clinique mentales. Paris: Asselin et Houzeau; 1912. [7] Christian J. De la de´mence pre´coce des jeunes gens. Contribution a` l’e´tude de l’he´be´phre´nie. Ann Med Psychol 1899;57(I):43–65, 200–16, 420–36, II, 5–23, 177–88. [8] Claude H, Borel A, Robin G. De´mence pre´coce, schizomanie et schizophre´nie. Ence´phale 1924;19:145–51. [9] Claude H. De´mence pre´coce et schizophre´nie. Revue des congre`s. Ence´phale 1926;21(II):629–38. [10] Decker HS. How kraepelinian was Kraepelin? How kraepelinian are the neoKraepelinians? From Emil Kraepelin to DSM-III. Hist Psychiatry 2007;18:337– 60. [11] Deny G. Les De´mences ve´saniques. Congre`s des me´decins alie´nistes et neurologistes de France, 14e session. Paris: Masson; 1904. p. 141–221. [12] Deny G. La cyclothymie. Semaine Med 1908;15:169–71. [13] Deny G, Camus P. Les folies intermittentes. La psychose maniaque-de´pressive. Paris: Baillie`re JB; 1907. [14] Deny G, Roy P. La de´mence pre´coce. Paris: Baillie`re JB; 1903. [15] Ey H. E´tudes psychiatriques, I, II et III, 1re ed., Paris: Descle´e de Brouwer; 1948, 1950, 1954. [16] Ey H. Le centenaire de Kraepelin. Le proble`me des « psychoses endoge`nes » dans l’e´cole de langue allemande. Evol Psych 1956;XXI:951–8. [17] Freud S. Cinq psychanalyses, 3e ed., Paris: PUF; 1967 (trad fr). [18] Gay P. Freud, une vie. Trad fr Paris: Hachette; 1991 (1988). [19] Ge´nil-Perrin G. Les paranoı¨aques. Paris: Maloine; 1926. [20] Jaspers K. Psychopathologie ge´ne´rale, 3e ed., Paris: Alcan F; 1933 [trad. fr]. [21] Jung CG. Psychologie de la de´mence pre´coce. In: Psychogene`se des maladies mentales. trad fr, Paris: Albin Michel; 2001 (1907).

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