Épidémiologie des infections à Pseudomonas aeruginosa

Épidémiologie des infections à Pseudomonas aeruginosa

Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 22 (2003) 520–522 www.elsevier.com/locate/annfar Club d’infectiologie Épidémiologie des infections...

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Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 22 (2003) 520–522 www.elsevier.com/locate/annfar

Club d’infectiologie

Épidémiologie des infections à Pseudomonas aeruginosa Epidemiology of infections due to Pseudomonas aeruginosa A. Lepape * Service d’anesthésie–réanimation, réanimation Nord, centre hospitalier universitaire Lyon-Sud, 165, chemin du Grand-Revoyet, Pierre-Bénite cedex, 69495 Lyon, France

Mots clés : Épidémiologie ; Infections nosocomiales ; Soins intensifs ; Pseudomonas aeruginosa ; Colonisation Keywords: Epidemiology; Nosocomial infections; Intensive care; Pseudomonas aeruginosa; Colonisation

L’intérêt de l’épidémiologie bactérienne ne se borne pas à la tenue d’une sorte de comptabilité des germes et de leurs résistances. Elle est importante surtout pour mesurer les évolutions à moyen et à long terme, comprendre leurs causes, anticiper sur les problèmes et si possible mettre en œuvre les mesures permettant de les éviter ou de les résoudre. L’importance de Pseudomonas aeruginosa en réanimation justifie pleinement sa surveillance épidémiologique : non seulement l’évaluation de sa fréquence dans les infections documentées et la surmortalité qui s’y rattache, mais aussi la description des facteurs de risque de résistance, notamment les antécédents d’antibiothérapie chez les sujets atteints.

1. Place de Pseudomonas dans l’écologie microbienne Pseudomonas est un micro-organisme ubiquitaire dont l’habitat naturel est l’eau douce, le sol et les plantes. En milieu hospitalier, la principale source de contamination est le réseau de distribution d’eau et la nourriture (notamment crudités et fruits frais) [1]. Comme tous les mammifères, l’homme peut l’héberger de façon plus ou moins transitoire. La littérature médicale et scientifique abonde de publications sur des épidémies de sources très diverses, mais surtout hydriques, y compris des médicaments injectables ou des solutions alcooliques antiseptiques. En réanimation, il faut être particulièrement attentif aux appareils, notamment les humidificateurs, les systèmes d’aspiration, les aérosols, les endoscopes...

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Lepape). © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. doi:10.1016/S0750-7658(03)00169-2

2. Déroulement d’une épidémie Ni l’antibiogramme ni même le sérotype ne sont des marqueurs suffisamment précis pour retracer l’origine et le déroulement d’une épidémie. Le génotypage est devenu la méthode de référence, le plus souvent par électrophorèse en champ pulsé. L’épidémie débute par une phase de colonisation, digestive ou respiratoire le plus souvent. Dans une étude menée en réanimation chez 297 patients colonisés, il a été identifié 353 souches avec 44 génotypes différents, ce qui montre la rareté des souches épidémiques [2]. La contamination était intestinale dans 42 cas, respiratoire dans 37 cas, présente dès l’admission dans 35 cas et acquise dans 44 cas. Dans une étude longitudinale portant sur tous les patients d’un service de soins intensifs, la même équipe s’est intéressée au lien entre colonisation et infection [3]. L’analyse des 10 premiers cas de pneumonie à P. aeruginosa acquise sous ventilation mécanique (PAVM) survenus dans cette cohorte montre l’ubiquité de la colonisation : 91 prélèvements, respiratoires ou extrarespiratoires, étaient positifs, avec 7 génotypes différents, y compris chez un patient donné.

3. Particularités microbiologiques de P. aeruginosa Ce n’est pas un hasard si P. aeruginosa pose autant de problèmes de virulence et de résistance. C’est un germe doté de très grandes capacités d’adaptation, capable de développer toute une variété de mécanismes de résistance aux antibiotiques : sécrétion de pénicillinases, de céphalosporinases, mutations d’imperméabilité, modification des porines. Le Tableau 1 présente de façon simplifiée et schématique les

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Tableau 1 Mécanismes de résistance de Pseudomonas aeruginosa Uréidopénicillines Souche sauvage Pénicillinase Céphalosporinase Imperméabilité Mutation porine

S R R R S

Uréidopénicilline + inhibiteur de bêtalactamase S S/R R R S

conséquences cliniques de ces mécanismes. P. aeruginosa est aussi un germe doté de multiples facteurs de virulence (voir à ce sujet l’article de A. Lazdunski dans ce numéro). L’une de ses capacités originales est la sécrétion d’un biofilm d’alginates, le rendant peu accessible aux défenses immunitaires et aux antibiotiques. C’est pourquoi P. aeruginosa est impliqué dans des pathologies multiples : infections respiratoires au cours de la mucoviscidose ou du sida, pneumopathies nosocomiales en réanimation, infections urinaires, endocardites, septicémies...

4. Fréquence en réanimation Les données du comité de lutte contre les infections nosocomiales de la région sud-est peuvent servir d’illustration à la fréquence de son isolement à l’hôpital : en réanimation, chez 27 334 patients, 9824 souches ont été isolées entre 1996– 2000, dont un peu plus de la moitié de bacilles à Gram négatif (BGN). Cette proportion est à peu près stable sur la période d’observation. Parmi ces 4963 BGN, 1/4 (24 %) était un P. aeruginosa, avec ici encore une grande stabilité sur les 5 années d’observation. Les marqueurs de résistance ont été étudiés dans cette série (Fig. 1). Au cours des 5 années de surveillance, le pourcentage de souches résistantes à la ceftazidime se situe entre 20 et 30 % et celui de souches résistantes à la ticarcilline entre 40 et 50 %. Il existe des variations selon les années, mais pas de tendance statistique claire. Il s’agit néanmoins, il faut le souligner, de pourcentages élevés. Il n’y a pas de corrélation (positive ou négative) entre la

Ceftazidime

Imipénème

S S R S S

S S S S R

fréquence des infections à P. aeruginosa et à Staphylococcus aureus. Par site infectieux, on constate que le pyocyanique a été en cause dans 18 % des infections pulmonaires, 10 % des infections sur cathéter veineux central et 13 % des infections urinaires.

5. Fréquence des rechutes Dans une cohorte prospective de 37 patients atteints de pneumonie acquise sous ventilation mécanique (PAVM) à P. aeruginosa, 6 des 33 survivants ont eu des épisodes multiples d’infection au même germe [4]. Dans 5 cas sur 6, le génotypage a prouvé qu’il s’agissait bien de la souche initiale.

6. Surmortalité spécifique Il est toujours très difficile, chez les patients de réanimation, polypathologiques et en état clinique critique, de montrer l’influence propre d’une étiologie bactérienne donnée sur le pronostic. L’infection à P. aeruginosa a incontestablement une réputation péjorative, mais la construction des études destinées à le prouver est difficile, qu’il s’agisse d’études de cohorte, qui nécessitent de très nombreux patients, ou des études cas-témoins, posant de difficiles problèmes de constitution du groupe témoin. L’une des études les plus anciennes et les mieux documentées est celle de Fagon et al. en 1993 [5]. Il s’agissait d’évaluer, dans 48 cas de PAVM, la mortalité de cette complication et le rôle de l’agent bactérien. Acineto-

Fig. 1. Profil de résistance de P. aeruginosa en milieu de réanimation. Données du comité de lutte contre les infections nosocomiales du réseau sud-est.

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bacter et P. aeruginosa étaient regroupés dans l’analyse et la surmortalité spécifique qui leur était attribuée était très importante (42 %). Dans une étude plus récente, 26 patients atteints de pneumopathie à P. aeruginosa ont été appariés à 52 témoins [6]. La mortalité attribuable était évaluée à 13,5 %. Au total, malgré des discordances dans l’amplitude de la surmortalité, toutes les études s’accordent à faire de P. aeruginosa un facteur péjoratif dans les PAVM en réanimation. Une autre question qui se pose est de savoir si le profil de sensibilité bactérienne influe défavorablement sur le pronostic. Selon une étude française, la réponse est non, à condition que l’antibiothérapie ait été précoce et adaptée [7].

Tableau 2 Antibiothérapie antérieure comme facteur de risque de sensibilité ou de résistance : d’après Harris et al. [10,11] Antibiotique R à l’imipénème

S à l’imipénème R à pipéracilline-tazobactam

S à pipéracilline-tazobactam

Exposition antérieure Imipénème, pipéracilline-tazobactam, vancomycine, aminosides Vancomycine, ampicilline-sulbactam, C2G Pipéracilline-tazobactam, imipénème, vancomycine, aminosides, C3G Vancomycine, ampicilline-sulbactam

8. Conclusion 7. Facteurs de risque de résistance dans les infections hospitalières à P. aeruginosa On conçoit qu’ici encore les problèmes méthodologiques ne soient pas simples. Certains éléments de risque échappent de toute façon à l’intervention médicale : âge, sexe, maladies associées, gravité de l’état clinique lors de l’admission. De la même façon, il est bien évident que le risque augmente avec la durée du séjour en soins intensifs, la lourdeur des mesures de réanimation, le nombre de dispositifs invasifs, une intervention récente. Ce sont encore des facteurs sur lesquels la médecine a peu ou pas de prise. Il est clair cependant que, l’antibiothérapie antérieure est un facteur de risque majeur d’infection par une souche résistante aux antibiotiques [7–11]. Le risque pourrait différer suivant l’antibiotique administré. Selon une étude, le risque serait plus faible avec la ceftazidime qu’avec d’autres antibiotiques, selon la hiérarchie suivante : ceftazidime < pipéracilline < ciprofloxacine < imipénème [9]. Les facteurs de risque de résistance à la pipéracilline ont été étudiés dans 34 cas de PAVM à P. aeruginosa résistant, comparés à 101 cas à souche sensible [7]. L’analyse unifactorielle fait apparaître comme facteurs de risque le nombre de classes d’antibiotiques reçus au préalable, l’administration d’imipénème et celle de fluoroquinolones. L’analyse multifactorielle ne fait ressortir que l’administration de fluoroquinolone comme facteur de risque indépendant, avec un risque relatif de 4,6 (intervalle de confiance à 95 % : 1,7–12,7). Deux études majeures sur l’antibiothérapie antérieure comme facteur de risque de résistance ont été publiées en 2002 par la même équipe, l’une pour l’association pipéracilline–tazobactam [10] l’autre pour l’imipénème [11]. Les résultats (Tableau 2) montrent que l’administration préalable d’un antibiotique augmente le risque de résistance à ce même antibiotique. Elle favorise aussi, par un phénomène de sélection, la sensibilité à d’autres antibiotiques. Pour la vancomycine, plusieurs hypothèses sont avancées : soit il s’agit d’un simple marqueur de gravité, sans relation de cause à effet, soit l’antibiothérapie préalable a induit un déséquilibre entre les bactéries à Gram négatif et à Gram positif.

P. aeruginosa est une bactérie qui préoccupe beaucoup les réanimateurs. Elle est fréquente et responsable d’infections graves dans les unités de soins intensifs. La relation entre l’émergence de souches résistantes et l’antibiothérapie antérieure apparaît bien démontrée. Les antibiotiques à large spectre, et tout particulièrement les fluoroquinolones, semblent les plus grands pourvoyeurs de ces résistances. Références [1]

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