Épidémiologie et facteurs de risque professionnels des pathologies neuro-dégénératives

Épidémiologie et facteurs de risque professionnels des pathologies neuro-dégénératives

Compte rendu de Congre`s Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2014;75:511-542 Service de neurologie et pathologie du mouveme...

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Compte rendu de Congre`s

Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2014;75:511-542

Service de neurologie et pathologie du mouvement, Centre Expert Parkinson, CHRU – Hoˆpital Roger Salengro, 59037 Lille Adresse e-mail : [email protected] La maladie de Parkinson (MP) est la 2e pathologie neurode´ge´ne´rative apre`s la maladie d’Alzheimer. Elle de´bute en moyenne vers 60 ans avec une pre´dominance masculine, sa pre´valence est de 1,7 % de la population apre`s 65 ans et augmente avec l’aˆge [1]. Dans 10 % des cas, la maladie de´bute avant l’aˆge de 40 ans et concerne des patients encore en activite´ professionnelle. Si l’e´tiologie de la MP est encore inconnue, plusieurs hypothe`ses e´tiologiques sont souleve´es : celle d’un facteur environnemental toxique, l’apparition de cas apre`s exposition aux pesticides (insecticides, fongicides et herbicides) e´tant maintenant clairement de´montre´ [2]. En France, la se´curite´ sociale a reconnu en 2006 un cas de maladie de Parkinson comme maladie professionnelle pour un ancien salarie´ agricole. Depuis le 7 mai 2012, le lien entre la maladie de Parkinson et les pesticides est officiellement reconnu. Les re´percussions sont directes puisque la MP peut maintenant eˆtre reconnue comme maladie professionnelle chez les agriculteurs. Une relation dose-effet serait e´tablie en fonction du nombre d’anne´es d’exposition. Cette relation entre pesticide et MP pourrait s’expliquer par plusieurs me´canismes : soit une action neurotoxique directe, soit une action indirecte avec un profil particulier des patients pour la de´toxification des xe´nobiotiques. La mise en e´vidence de le´sions neuropathologiques au sein du bulbe olfactif, responsables d’une hyposmie signe re´ve´lateur possible de la maladie, plaiderait e´galement pour cette origine toxique par inhalation de toxiques. L’autre origine potentielle de la MP est ge´ne´tique, plusieurs formes familiales ont e´te´ identifie´es avec une transmission autosomique dominante ou re´cessive. Ces formes familiales repre´sentent 20 a` 30 % des cas de MP. La symptomatologie clinique se caracte´rise par une triade motrice : tremblement de repos intermittent et asyme´trique, lenteur et re´duction de la vitesse des mouvements avec progressivement un de´faut d’initiation du geste (akine´sie), hypertonie extrapyramidale avec phe´nome`ne de rigidite´ et roue dente´e. La maladie peut se re´ve´ler par l’un des symptoˆmes de la triade motrice mais aussi par des troubles de la marche (chez le sujet aˆge´), une dystonie segmentaire (chez les sujets jeunes), une micrographie ou par d’autres symptoˆmes non moteurs tels qu’une de´pression, des douleurs notamment des e´paules, une hyposmie, des cauchemars, un amaigrissement, une constipation. . . De nombreuses activite´s professionnelles peuvent eˆtre perturbe´es par les symptoˆmes d’une MP. En effet, la lenteur gestuelle, le tremblement, le de´faut d’initiation des gestes, une de´marche plus lente, retentissent non seulement sur les activite´s quotidiennes familiales mais aussi professionnelles. Le stress en lien avec l’annonce du diagnostic et le souhait fre´quent des patients de cacher leur maladie dans le monde professionnel sont sources d’une accentuation transitoire des symptoˆmes (par exemple le tremblement de repos qui s’accentue au cours d’une re´union de service ou d’une confe´rence). Les difficulte´s attentionnelles, la tristesse de l’humeur voire un syndrome de´pressif, un discret syndrome dysexe´cutif, sont autant de symptoˆmes qui peuvent interfe´rer sur l’activite´ professionnelle en termes de coordination ou de planification des activite´s. L’exercice de professions justifiant l’utilisation d’un ve´hicule (voiture, poids lourds) est, e´galement, directement impacte´, puisque tout patient qui pre´sente une MP doit de´clarer sa maladie a` la commission me´dicale du permis de conduire de sa pre´fecture, qui seule est habilite´ a` lui donner l’autorisation de poursuivre la conduite. Les troubles de la voix, des difficulte´s d’e´critures croissantes ou de manipulations d’ordinateur peuvent poser des proble`mes spe´cifiques dans certaines professions (enseignements, management, secre´tariat. . .). L’accentuation des symptoˆmes s’observe au cours d’une activite´ professionnelle notamment si celle-ci est intense sur le plan moteur. Cet e´le´ment doit eˆtre e´value´ au cas par cas avec le me´decin du travail et le neurologue afin de pre´ciser si un ame´nagement de temps de travail peut eˆtre mis en place. Pour l’exposition au toxique, il faut adopter des mesures de protection, l’arreˆt de l’exposition n’e´tant pas toujours facile a` ge´rer et il n’y a pas actuellement d’arguments pour pre´ciser qu’elle est l’influence directe d’un arreˆt de cette exposition.

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L’un des crite`res diagnostiques de la MP est une bonne sensibilite´ au traitement antiparkinsonien (la dopathe´rapie principalement), qui doit eˆtre prolonge´e plus de 5 ans. Dans la pratique, une adaptation the´rapeutique au cas par cas est possible et une pe´riode de « lune de miel » est classiquement admise ; une bonne partie des symptoˆmes est alors controˆle´e permettant de poursuivre une activite´ professionnelle avec un handicap limite´. Il faut prendre en compte l’adaptation du traitement qui ne´cessite quelques mois mais aussi de la tole´rance. Certains effets secondaires peuvent eˆtre geˆnants pour l’activite´ professionnelle : nause´es, variations tensionnelles, somnolence ; plus rarement des modifications du comportement (activite´ d’achats, de jeux). Une proportion importante de patients (80 %) pre´sentera au bout de quelques anne´es des fluctuations de la symptomatologie extrapyramidale d’intensite´ variable avec une re´surgence des troubles moteurs ou non moteurs a` certain moment de la journe´e, s’associant ensuite a` des mouvements involontaires (dyskine´sies) sous forme de mouvements chore´iques ou dystonique. A` ce stade de l’e´volution clinique, des strate´gies the´rapeutiques sont possibles : adaptation des horaires des prises de me´dicamenteuses, proposition de technique de stimulation dopaminergique continue : stimulation ce´re´brale profonde ou pompe a` apomorphine par voie sous-cutane´e. Au stade des complications motrices le maintien de l’activite´ professionnelle est souvent difficile et il est fre´quent qu’une mise en invalidite´ soit alors propose´e et que l’activite´ professionnelle soit de´finitivement interrompue, surtout s’il existe e´galement un de´clin cognitif. Un reclassement au cas par cas doit eˆtre, bien entendu, toujours conside´re´ meˆme si dans certaines professions celui-ci s’ave`re difficile. Dans tous les cas le neurologue recommandera au patient de de´clarer sa pathologie a` la me´decine du travail afin qu’elle soit prise en conside´ration avec une analyse de l’adaptation du poste de travail ou de sa dure´e. Mots cle´s Maladie de Parkinson ; Pesticides ; Maladie professionnelle De´claration d’inte´reˆts L’auteur de´clare ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Chrysostome V, Tison F. E´pide´miologie. In: Defebvre L, Ve´rin M, editors. La maladie de Parkinson. Monographie de Neurologie. 2e e´dition, Paris: Editions Masson; 2011. [2] Defebvre L. Maladie de Parkinson : roˆle des facteurs ge´ne´tiques et environnementaux. Implication en pratique clinique quotidienne. Rev Neurol 2010;16(6):764–9. http://dx.doi.org/10.1016/j.admp.2014.07.038

E´pide´miologie et facteurs de risque professionnels des pathologies neurode´ge´ne´ratives Epidemiology and occupational risk factors of neurodegenerative diseases Alexis Elbaz1,*,2, Sofiane Kab1,2, Fre´de´ric Moisan2 1 Inserm U1018, Centre de recherche en e´pide´miologie et sante´ des populations, E´quipe « De´terminants professionnels et sociaux de la sante´ », Hoˆpital Paul Brousse, Baˆtiment 15/16, 16, avenue Paul VaillantCouturier, 94807 Villejuif cedex 2 De´partement Sante´ Travail, Institut de Veille Sanitaire, Saint-Maurice (94) *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Elbaz) Les maladies neuro-de´ge´ne´ratives sont lie´es a` la de´ge´ne´rescence et a` la mort de neurones ; le type de neurones atteints conditionne le type de maladie. Meˆme si les me´canismes implique´s ne sont pas identiques d’une pathologie a` l’autre, l’agre´gation de prote´ines repre´sente un me´canisme commun : Tau et betaamyloı¨de dans la maladie d’Alzheimer, alpha-synucle´ine dans la maladie de Parkinson, prote´ines ubiquitine´es dans la scle´rose late´rale amyotrophique. Ces maladies ont une e´tiologie multifactorielle impliquant des facteurs ge´ne´tiques et environnementaux [1]. Aussi bien pour la maladie de Parkinson

Compte rendu de Congre`s que pour la scle´rose late´rale amyotrophique, ces malades sont environ 1,5 fois plus fre´quentes chez les hommes que chez les femmes, ce qui pourrait sugge´rer le roˆle d’expositions professionnelles. La maladie d’Alzheimer est en revanche plus fre´quente chez les femmes que chez les hommes, en grande partie en raison de diffe´rences dans le niveau d’e´ducation. Parmi les facteurs de risque environnementaux, les facteurs de risque professionnels ont e´te´ souvent e´tudie´s et, parmi eux, les pesticides sont l’exposition pour laquelle le plus grand nombre d’e´tudes sont disponibles et les re´sultats plus solides. Une me´ta-analyse sur la relation entre la maladie de Parkinson et l’exposition aux pesticides publie´e en 2012, a inclus 46 e´tudes re´alise´es jusqu’en novembre 2010 [2]. La plupart des e´tudes ont repose´ sur une me´thode sommaire d’e´valuation de l’exposition et n’ont pas souvent conside´re´ les familles ou types de produits. Dans un peu plus de la moitie´ des e´tudes, l’exposition professionnelle et non professionnelle n’e´taient pas distingue´es, tandis que d’autres portaient exclusivement sur l’exposition professionnelle. Seules quelques e´tudes ont utilise´ des me´thodes d’e´valuation de l’exposition plus sophistique´es comme des matrices emploi-exposition ou l’expertise individuelle des questionnaires d’exposition. D’apre`s cette me´ta-analyse, le risque de maladie de Parkinson est environ 1,6 fois plus e´leve´ chez les personnes expose´es aux pesticides au cours de leur vie. Il existait toutefois une he´te´roge´ne´ite´ importante entre les e´tudes explique´es en partie par la me´thode d’e´valuation de l’exposition. L’association est plus particulie`rement pre´sente pour les herbicides (odds ratio = 1,40) et les insecticides (odds ratio = 1,50). Deux autres me´ta-analyses retrouvent des re´sultats comparables [3,4]. Ces re´sultats sont en faveur d’une association ge´ne´rique entre l’exposition aux pesticides et la maladie de Parkinson. De nombreuses questions demeurent quant a` deux aspects importants de l’exposition. D’une part, bien qu’un petit nombre d’e´tudes aient montre´ une relation dose-effet, des donne´es quantitatives plus de´taille´es sont ne´cessaires pour mieux caracte´riser cette relation. D’autre part, il semble que les me´canismes physiopathologiques implique´s dans la maladie de Parkinson de´butent plusieurs anne´es avant l’apparition des signes moteurs et il existe de nombreuses inconnues sur les feneˆtres d’exposition pertinentes pour la maladie de Parkinson. Dix e´tudes cas-te´moins et trois e´tudes de cohorte ont porte´ sur la relation entre l’exposition aux pesticides et la scle´rose late´rale amyotrophique. Deux me´taanalyses re´centes, ayant utilise´ des me´thodes diffe´rentes, retrouvent une association entre l’exposition aux pesticides et la scle´rose late´rale amyotrophique ; l’une d’entre elles estimait un odds ratio de 1,8 tandis que l’autre rapportait un odds ratio de 1,88 chez les hommes et de 1,31 chez les femmes [5,6]. Toutefois, les re´sultats individuels des e´tudes restent souvent peu concordants et le petit nombre d’e´tudes disponibles ne permet pas d’explorer correctement les sources d’he´te´roge´ne´ite´ ou un biais de publication. Ainsi, des e´tudes de plus grande taille et comportant une e´valuation de l’exposition plus pre´cise (type de produits, dure´e d’exposition) sont ne´cessaires afin de mieux caracte´riser la relation entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la scle´rose late´rale amyotrophique. Une dizaine d’e´tudes ont explore´ l’hypothe`se d’un lien entre pesticides et maladie d’Alzheimer. Une partie d’entre elles e´taient des e´tudes cas-te´moins qui comportent des difficulte´s importantes quant a` l’e´valuation de l’exposition chez des patients de´ments et reposent souvent sur l’interrogatoire des apparente´s ou des mesures indirectes. Trois e´tudes de cohorte ont permis de recueillir les informations sur l’exposition avant le de´but des troubles de me´moire et retrouvaient une association [7–9]. L’exposition aux solvants a e´te´ e´galement e´tudie´e pour la maladie de Parkinson avec des re´sultats e´vocateurs mais ne´anmoins moins cohe´rents et forts [4,10]. Dans le cas de la scle´rose late´rale amyotrophique, plusieurs e´tudes ont montre´ des concentrations plasmatiques plus e´leve´es en plomb chez des cas que chez des te´moins [11,12]. Les re´sultats sont moins cohe´rents ou ne´gatifs pour d’autres expositions professionnelles comme la soudure [13], les champs e´lectromagne´tiques [14] ou l’activite´ physique professionnelle [15]. En conclusion, les pesticides sont l’exposition professionnelle pour laquelle les re´sultats sont les plus solides et concordants, mais des e´tudes comple´-

mentaires sont encore ne´cessaires afin de mieux connaıˆtre les expositions implique´es et leurs caracte´ristiques. Pour les autres expositions, des e´tudes comple´mentaires sont e´galement ne´cessaires pour conforter certaines des pistes identifie´es ; les points cle´s sont l’e´valuation de´taille´e des expositions, la qualite´ du design des e´tudes et la prise en compte des facteurs de confusion. Mots cle´s Epide´miologie ; Maladies neuro-de´ge´ne´ratives ; Expositions professionnelles De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Wirdefeldt K, Adami HO, Cole P, et al. Epidemiology and etiology of Parkinson’s disease: a review of the evidence. Eur J Epidemiol 2011;26(Suppl. 1):S1–58 [Epub 2011 May 28]. [2] Van der Mark M, Brouwer M, Kromhout H, et al. Is pesticide use related to Parkinson’s disease? Some clues to heterogeity in study results. Environ Health Perspect 2012;120:340–7. [3] Van Maele-Fabry G, Hoet P, Vilain F, et al. Occupational exposure to pesticides and Parkinson’s disease: a systematic review and meta-analysis of cohort studies. Environ Int 2012;46:30–43. Epub 2012 Jun 13. [4] Pezzoli G, Cereda E. Exposure to pesticides or solvents and risk of Parkinson disease. Neurology 2013;80:2035–41. [5] Kamel F, Umbach DM, Bedlack RS, et al. Pesticide exposure and amyotrophic lateral sclerosis. Neurotoxicology 2012. [6] Malek AM, Barchowsky A, Bowser R, et al. Pesticide exposure as a risk factor for amyotrophic lateral sclerosis: a meta-analysis of epidemiological studies: pesticide exposure as a risk factor for ALS. Environ Res 2012;117:112–9. http://dx.doi.org/10.1016/ j.envres.2012.06.007 [Epub Jul 20 2012]. [7] Tyas SL, Manfreda J, Strain LA, et al. Risk factors for Alzheimer’s disease: a population-based, longitudinal study in Manitoba, Canada. Int J Epidemiol 2001;30:590–7. [8] Baldi I, Lebailly P, MohammedBrahim B, et al. Neurodegenerative diseases and exposure to pesticides in the elderly. Am J Epidemiol 2003;157:409–14. [9] Hayden KM, Norton MC, Darcey D, et al. Occupational exposure to pesticides increases the risk of incident AD: the Cache County study. Neurology 2010;74:1524–30. [10] Lock EA, Zhang J, Checkoway H. Solvents and Parkinson disease: a systematic review of toxicological and epidemiological evidence. Toxicol Appl Pharmacol 2013;266:345–55. [11] Kamel F, Umbach DM, Munsat TL, et al. Lead exposure and amyotrophic lateral sclerosis. Epidemiology 2002;13:311–9. [12] Fang F, Kwee LC, Allen KD, et al. Association between blood lead and the risk of amyotrophic lateral sclerosis. Am J Epidemiol 2010;171:1126–33. [13] Mortimer JA, Borenstein AR, Nelson LM. Associations of welding and manganese exposure with Parkinson disease: review and meta-analysis. Neurology 2012;79:1174–80. [14] Vergara X, Kheifets L, Greenland S, et al. Occupational exposure to extremely low-frequency magnetic fields and neurodegenerative disease: a meta-analysis. J Occup Environ Med 2013;55:135–46. [15] Huisman MH, Seelen M, de Jong SW, et al. Lifetime physical activity and the risk of amyotrophic lateral sclerosis. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2013;84:976–81. http://dx.doi.org/10.1016/j.admp.2014.07.039

Pathologies neuro-de´ge´ne´ratives: e´valuation des capacite´s et maintien dans l’emploi Assessment of capacities and fitness to work in neurodegenerative diseases

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