Escarres acquises à l’hôpital: une pathologie évitable et un indicateur de qualité des soins

Escarres acquises à l’hôpital: une pathologie évitable et un indicateur de qualité des soins

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Éditorial

Presse Med. 2006; 35: 745-6 © 2006, Masson, Paris

Escarres acquises à l’hôpital : une pathologie évitable et un indicateur de qualité des soins Joël Belmin

Service de gériatrie, Hôpital Charles Foix et Université Paris 6, Ivry-sur-Seine (94)

Correspondance : Joël Belmin, Service de gériatrie, Hôpital Charles Foix et Université Paris 6, 7 avenue de la République, 94200 Ivry-sur-Seine. Tél : 01 49 59 45 65 Fax : 01 49 59 43 79 [email protected]

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es escarres de décubitus menacent les patients qui ont une perte sévère de mobilité, qu’elle soit permanente ou transitoire. Si quasiment tous les secteurs hospitaliers peuvent être concernés, les services de chirurgie, de gériatrie, de neurologie, de réanimation et de rééducation accueillent un grand nombre de patients à risque. La survenue d’une escarre entraîne une augmentation considérable de la charge en soin pour le personnel infirmer et de la durée de séjour hospitalier [1]. Le traitement des escarres est long et difficile et la cicatrisation complète peut prendre plusieurs mois. Même lorsque que la maladie responsable de l’hospitalisation a pu être traitée et contrôlée, la survenue d’une escarre acquise à l’hôpital (EAH), encore appelée “escarre nosocomiale” par certains [2], est un facteur de morbidité qui modifie l’évolution et le devenir du patient, et peut même entraîner des complications spécifiques [3]. L’effraction cutanée est une porte d’entrée pour des infections nosocomiales locorégionales et systémiques [3]. Les escarres sont responsables de douleurs, notamment lors des pansements ou de la mobilisation ou des changements de position, et la qualité de vie des patients est altérée [3]. Des études ont montré que les patients ayant des escarres avaient une mortalité plus élevée, bien que le rôle des facteurs de comorbidité associés à l’escarre soit déterminant [4]. Les escarres sont en grande partie évitables et ont été relativement négligées. L’article de Barbut et al. publié dans ce numéro de La Presse Médicale a le mérite d’attirer l’attention sur les escarres à partir d’une enquête transversale dans un hôpital universitaire français. Il montre que les escarres ont concerné près de 7 % des patients, et que 80 % des escarres ont été acquises à l’hôpital [5].

Prévention: des protocoles précis

tome 35 > n° 5 > mai 2006 > cahier 1

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La prévention des escarres est un objectif thérapeutique particulièrement pertinent car la prévention est remarquablement efficace, alors que le traitement curatif reste difficile, long et coûteux [6], même si les moyens thérapeutiques locaux et généraux ont beaucoup progressé au cours des dernières années [7]. La prévention fait appel à 3 grands types d’approche. En premier, les protocoles de retournement des patients à haut risque sont certainement les mesures les plus largement recommandées [8]. Ils consistent à changer le patient de position toutes les 2 à 3 heures, en privilégiant chez les patients alités la position en décubitus latéral oblique à 30° par rap-

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port au plan du lit. Bien que l’efficacité du retournement n’ait pas été établie par des études comparatives [9], ces protocoles interviennent sur le processus physiopathologique et évitent qu’une compression prolongée des parties molles aboutisse à leur nécrose ischémique. La mobilité spontanée du patient doit être encouragée autant que faire se peut [6]. La seconde mesure efficace est l’utilisation de supports spécifiques tels que les matelas, sur matelas et coussins de posture. Les matelas de prévention en mousse se sont montrés plus efficaces que les matelas hospitaliers standard pour prévenir les escarres. Une métaanalyse du groupe Cochrane [10] a confirmé cette notion, sans trouver d’efficacité préventive pour les supports plus sophistiqués et plus coûteux comme les matelas statiques à air ou à eau, ou les supports dynamiques (matelas “alternating” et autres). La troisième mesure efficace est l’approche nutritionnelle. Des études ont montré que la supplémentation nutritionnelle était efficace pour prévenir la survenue des escarres chez les patients à risque et ayant un état nutritionnel altéré. En France, BourdelMarchasson et al. [11] ont conduit un essai randomisé pour évaluer l’efficacité d’une supplémentation orale calorique et protidique sur la survenue d’escarre dans une population de 672 patients âgés à haut risque. La supplémentation orale a entraîné une réduction significative de l’incidence des escarres (risque relatif: 0,72 ; IC95: 0,53-0,98). Ces résultats ont été confirmés par une méta-analyse [12] portant sur 6 études d’intervention (incluant celle de BourdelMarchasson et al.), en montrant que le risque relatif de contracter une escarre était significativement diminué (risque relatif: 0,74 ; IC95: 0,62-0,88) avec ce type d’intervention. Ces mesures ne doivent pas être appliquées à tous les malades hospitalisés mais seulement aux patients à haut risque. Plusieurs échelles cliniques, comme l’échelle de Braden et Bergström [8, 13] permettent de reconnaître les patients à haut risque. Les soignants devraient les utiliser largement pour évaluer le risque chez les personnes ayant

une réduction de mobilité. L’application à ces patients à haut risque des mesures de prévention citées plus haut devraient permettre de prévenir un grand nombre d’EAH. Par exemple, dans un hôpital suédois, Gunningberg et al. ont obtenu une réduction de 50 % des EAH en mettant en œuvre une politique de prévention structurée [14].

Un indicateur de la qualité des soins Ces résultats encourageants montrent que les EAH sont une pathologie en grande partie évitable grâce à une démarche de soins active et de qualité. Des auteurs ont proposé d’en faire un indicateur de qualité des soins [2]. L’incidence des EAH varie aussi en fonction du niveau de risque de la population hospitalisée. L’indicateur idéal pourrait être l’incidence des EAH calculée parmi la population des patients à haut risque admis à l’hôpital. Ainsi, l’évolution de l’incidence des EAH pourrait aussi former un indicateur pour suivre l’évolution de la qualité des soins dans des services hospitaliers accueillant des malades à haut risque. Toutefois, il est vraisemblable que, comme pour les infections nosocomiales, il ne soit pas possible de faire disparaître totalement les EAH [9, 15]. Comme pour les infections nosocomiales, la survenue d’un EAH doit conduire les équipes médicales et soignantes à s’interroger sur les facteurs qui ont conduit à son apparition. La survenue d’une EAH devrait faire partie des événements cibles à inclure dans des démarches de revues de morbidité conseillées pour l’évaluation de pratiques professionnelles à l’hôpital. À l’heure où l’évaluation des pratiques professionnelles devient une démarche incontournable dans les hôpitaux, la surveillance des pathologies survenues à l’hôpital telles que l’EAH formera un indicateur important pour évaluer la qualité des soins et détecter d’éventuels dysfonctionnements. Aussi, il est vraisemblable qu’une attention croissante sera portée aux EAH [13], ce d’autant que le nombre de plaintes et procédures judiciaires des patients hospitalisés qui ont fait l’expérience d’événements indésirables au cours de leur séjour tend à augmenter rapidement.

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Emeriau JP et al. A multi-center trial of the effects of oral nutritional supplementation in critically ill older inpatients. GAGE Group. Groupe Aquitain Geriatrique d’Évaluation. Nutrition. 2000; 16; 1-5. Stratton RJ, Ek AC, Engfer M et al. Enteral nutritional support in prevention and treatment of pressure ulcers: a systematic review and metaanalysis. Ageing Res Rev. 2005; 4: 422-50. Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Évaluation de la prévention des escarres. Juin 1998. Disponible sur le site Internet de la Haute Autorité de Santé : www.has-sante.fr Gunningberg L, Lindholm C, Carlsson M, Sjoden PO. Reduced incidence of pressure ulcers in patients with hip fractures: a 2-year follow-up of quality indicators. Int J Qual Health Care. 2001; 13: 399-407. Thomas DR. Are all pressure ulcers avoidable? J Am Med Dir Assoc. 2003; 4: S43-8.

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