Psychologie française 51 (2006) 427–444 http://france.elsevier.com/direct/PSFR/
Article original
Étude du style interactif maternel et des compétences sociocommunicatives des enfants. Une étude comparative entre enfants porteurs de trisomie et enfants typiques Mother’s interaction style and children’s sociocommunicative abilities. A comparison study between Down syndrome children and non- handicapped children S.-E. Laroche Laboratoire de psychologie cognitive et clinique, EA 3946, université Nancy-II, BP 3397, 54015 Nancy cedex, France Reçu le 28 novembre 2005 ; accepté le 10 juillet 2006
Résumé Cette rechercher vise à mieux comprendre l’origine des troubles langagiers observés chez les enfants porteurs de trisomie 21. Afin de mieux comprendre les troubles, nous avons souhaité examiner le contexte environnemental privilégié dans lequel des enfants typiques ou porteurs de trisomie évoluent. Nous avons donc décrit le profil interactionnel des mères et les compétences communicationnelles des enfants au cours de situations de communication. Nous avons filmé 44 dyades mère–enfant (22 composées d’enfant typique et 22 d’enfant porteur de trisomie). Les enfants sont âgés entre 4 et 24 mois (AM). Nous avons analysé le contenu propositionnel des productions verbales des mères, et les capacités d’attention et d’interaction de chaque partenaire. Notre étude plaide en faveur d’une covariation comportementale entre la mère et l’enfant, laquelle est envisagée comme source explicative des troubles communicationnels, observés chez les enfants porteurs de trisomie. © 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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[email protected] (S.-E. Laroche). 0033-2984/$ - see front matter © 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.psfr.2006.07.002
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Abstract The goal is to explain Down syndrome social language disturbances. Down’s syndrome and nonhandicapped children were observed interacting with their mothers. We compared 22 dyads with Down syndrome children and 22 dyads with non-handicapped children. Down’s syndrome children were matched on mental age with non-handicapped children (4 to 24 months). Social context, mothers’ behaviours and children’s social communicative competences were evaluated. Interaction behaviours in the mothers of DS children differ from those of mothers of non-handicapped children. DS communicative competences also are different from those in non-handicapped children. We argue that mothers’ behavioural interaction in the dyads with DS children can be an aspect of social communicative disturbances of DS children. © 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Enfants porteurs de trisomie ; Style maternel ; Compétences sociocommunicatives ; Interaction Keywords: Down syndrome; Children–Mother’s style; Social communicative competences; Interaction
1. Introduction Les compétences des enfants porteurs de trisomie 21 ont été majoritairement étudiées relativement aux compétences des enfants sans handicap. Dans un premier temps, l’objectif était de situer les troubles sur la courbe développementale typique, qui se référait à la compétence étudiée e.g. apparier les enfants porteurs de trisomie et les enfants sans handicap sur la base d’un âge chronologique (Dunst, 1981 ; Marfo, 1984) ou développemental (Mundy, et al. 1988 ; Tannock, 1988). Dans un second temps, la question était de déterminer l’origine des troubles. Les voies proposées étaient soit d’ordre neurologique (Echenne, 1994), soit d’ordre physiologique (Cuilleret, 1994), soit elles portaient sur les déficits cognitifs (Cicchetti et Beegly 1990 ; Fowler, 1990 ; Miller, 1995 ; Singer Harris, et al. 1997). Plus actuellement, et sans exclure les deux voies citées ci-dessus, les recherches, qui étudient les compétences des enfants porteurs de trisomie 21, s’intéressent à l’effet du contexte social et du milieu familial sur le développement des compétences des enfants. En effet, par exemple, Chapman, et al. (1998) montrent que le développement du langage des enfants porteurs de trisomie présente une vitesse plus lente que celle de leur développement cognitif. La cause du retard de langage, observé dans cette population, est donc à chercher au-delà des processus cognitifs. Dans cette perspective, il a été montré que l’environnement familial a une forte influence sur le développement des enfants porteurs de trisomie (Pino, 2000). En effet, selon Pino, le développement des enfants, qui souffrent de retard mental, dépend du degré de stimulation parentale et de l’enrichissement social. Ainsi, les interactions enfant–parents reflètent d’une part, les besoins et les difficultés coexistants aux troubles développementaux des enfants et, d’autre part, elles permettent de voir l’influence des comportements parentaux sur le développement de l’enfant. Les styles interactifs maternels sont donc dynamiques et répondent aux compétences développementales des enfants (Biringen, et al. 1994 ; Kinderman 1993 ; Marfo, 1992), aussi bien qu’aux comportements interactifs des enfants (Tannock, 1988). Maccoby (1992) rappelle ainsi le rôle fondamental de la relation parent–enfant sur le développement des compétences des enfants. Selon cet auteur, la relation parent–enfant doit être
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repensée comme le processus, qui inclut l’enfant dans un système de réciprocité. La relation parent–enfant est donc fondée sur un ajustement à la réponse (responsiveness) mutuel et réciproque, qui tient compte des besoins de l’autre. La contingence du « responsiveness » dans les interactions mère–enfant est donc un bon indicateur du développement des compétences sociocommunicatives du jeune enfant. Il a été ainsi montré que l’ajustement à la réponse et la réciprocité maternels stimulent, et par-là même, concourent au développement cognitif et social de l’enfant Berger (1990) et Fivaz et Guillemin (1987). De ce fait, le degré de la réciprocité mutuelle apparaît, d’une part, être une qualité importante de la relation parent–enfant et, d’autre part, apparaît comme le critère permettant de différencier les dyades les unes des autres (Maccoby, 1984). Par exemple, on peut distinguer deux styles parentaux, qui ont une influence sur les compétences sociocommunicatives de l’enfant, et plus particulièrement sur la façon dont l’enfant va s’ajuster aux patterns parentaux (Pino, 2000). Le premier style est fondé sur la quantité de réciprocité et de réponses que déploient les parents envers l’enfant. Le second style porte sur la quantité de contrôle parental délivrée à l’enfant (Mink, et al. 1988 ; Widaman, 1991). Pino rappelle ainsi que lorsque les parents répondent beaucoup aux demandes et besoins de leur enfant, alors celui-ci montre une meilleure coopération et acceptation face aux recommandations parentales au cours de l’interaction et, en retour, il montre de meilleures compétences cognitives et langagières, comparativement à l’enfant dont les parents répondent peu à ses demandes. De la même façon, une moindre réciprocité entre l’enfant et le parent ou des réponses parentales, fondées sur un style négatif (e.g., restrictions, punitions), ont un effet négatif sur le développement des compétences cognitives et sociales de l’enfant (Widaman, 1991). En revanche, des comportements parentaux, qui s’accordent aux intérêts de l’enfant, et donc, qui ne contrôlent ni ne restreignent les comportements de ce dernier, favorisent le développement cognitif, social et langagier de l’enfant (Landry, et al. 1997). 1.1. Style interactif maternel et compétences des enfants porteurs de trisomie Le style interactif des mères d’enfant porteur de trisomie a fait l’objet de diverses recherches (Landry, et al. 1994 ; Mahoney, et al. 1990 ; Marfo, 1990 ; Roach, et al. 1998 ; Stoneman, et al. 1983). L’objectif principal de ces recherches était d’expliquer les stratégies interactives singulières, manifestées par les mères d’enfant porteur de trisomie (relativement aux stratégies classiquement utilisées par les mères d’enfant sans handicap), à la lumière des difficultés développementales de leur enfant. Par exemple, Marfo (1990) rappelle que l’activité de tutelle est spécialement importante pour les enfants qui présentent un retard mental, en particulier chez les enfants porteurs de trisomie, qui ont des difficultés dans les requêtes verbales (Mundy, et al. 1988) et dans l’initiation d’interactions sociales (Beegly, et al. 1989 ; Berger, 1990 ; Jones, 1980). Ces enfants utilisent également moins de stratégies pour diriger leur propre comportement (Kopp, et al. 1983) et s’ajustent moins à la réponse du parent (Beegly, et al. 1989 ; Fischer, 1987 ; Kasari, et al. 1995 ; Stoneman, et al. 1983). C’est l’ensemble de ces résultats, qui expliquerait pourquoi les mères d’enfant porteur de trisomie développent un rôle très actif dans les interactions sociales, comparativement aux mères d’enfant sans handicap (Jones, 1980 ; Marfo, 1990). Par ailleurs, au cours d’interactions dyadiques mère–enfant, les mères d’enfant retardé mental présentent plus de comportements directifs, moins d’initiation et moins de réponses positives, dirigées vers leur enfant, que les mères d’enfant typique. Par comportements directifs, les
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auteurs entendent une fréquence élevée d’ordre et de questions, et, en revanche, peu de réponse à l’activité de l’enfant et d’initiative interactionnelle (McCoy et Buckhalt, 1990). En outre, le style interactif maternel, examiné chez les mères d’enfant handicapé, s’observe dans différents contextes. En effet, alors que les mères d’enfant sans handicap réservent surtout les comportements directifs à des situations de tutelle, les mères d’enfant porteur de trisomie présentent, pour leur part, ces mêmes comportements dans divers contextes (e.g. jeu libre ou structuré) (Landry, et al. 1994). De la même façon, les mères d’enfant sans handicap montrent également plus de comportements suggestifs, c’est-à-dire qui laissent plus d’opportunités de choix à leur enfant, comparativement aux mères d’enfant à risques (Landry et Chapieski 1990). Selon Jones (1980), le style interactif directif, présenté par les mères d’enfant porteur de trisomie, serait à relier avec les moindres capacités de réponses et d’initiations, manifestées par l’enfant porteur de trisomie. Ainsi, il a été montré que les mères d’enfant porteur de trisomie perçoivent leur enfant comme ayant des compétences interactives moindres (Barnard et Kelly, 1990) et, en retour, elles cherchent à stimuler les performances de leur enfant. De façon corollaire, les enfants porteurs de trisomie percevraient alors leurs parents plus dans un rôle d’adulte–éducateur plutôt que dans un rôle de partenaire de jeu (Mahoney, et al. 1990 ; Maurer et Sherrod, 1987). En effet, selon certains auteurs, les parents sont habitués à suivre une prise en charge éducative pour leur enfant porteur de trisomie ; c’est cette prise en charge qui modifierait les comportements quotidiens des parents dans leur relation à leur enfant (Marfo, 1991 ; Pino, 2000 ; Spiker et Hopman, 1997). Par exemple, Pino (2000) montre que si au cours d’activité de jeu libre, les mères d’enfant porteur de trisomie ne se montrent pas plus directives avec leur enfant que les mères d’enfant typique, en revanche, elles ont davantage recours à des comportements de type « enseignement ». En contrepartie, les mères d’enfant typique effectuent plus de verbalisations positives et d’encouragements, que ne le font les mères d’enfant porteur de trisomie. Par ailleurs, Berger et Cunningham (1983) notent que le style interactif directif des parents d’enfant porteur de trisomie provoque, en retour, un déficit dans l’ajustement de la réponse de l’enfant à ses parents. Or, Atkinson (1995) et Marfo (1990) rappellent que pour les enfants porteurs de trisomie la contingence interactionnelle est cruciale pour contrebalancer leurs difficultés. Toutefois, Maurer et Sherrod (1987) ont montré que si on apparie les enfants porteurs de trisomie avec des enfants typiques sur la base d’un âge développemental et non sur la base d’un âge chronologique, alors la directivité des mères d’enfant porteur de trisomie disparaît. Selon les auteurs et Watson (1998), les parents ajustent leurs propres comportements verbaux relativement aux compétences de leur enfant, et non relativement à leur âge chronologique. Une donnée développementale conforte cette idée. En effet, le style interactif maternel évolue avec le développement de l’enfant. Par exemple, plus l’enfant grandit, et plus la mère devient sensible et « répondante » à son enfant. Cette évolution comportementale des mères serait à relier avec l’évolution des compétences cognitives de l’enfant (Mahomey, et al. 1985 ; Whitehurst, et al. 1988). 1.2. Interaction et développement des compétences cognitives L’interaction mère–enfant a souvent été étudiée comme outil d’investigation pour appréhender le caractère social de l’acquisition et du développement des capacités cognitives de l’en-
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fant. À partir de ces études, des questions portant sur les relations entre différents types d’interaction et l’acquisition de diverses compétences ont été considérées. Par exemple, on note l’étude de relation entre le discours maternel et les progrès langagiers précoces (Furrow et Nelson, 1984) ou encore la relation entre la stimulation parentale et les progrès cognitifs (Carew, 1980). De nombreux travaux issus de la théorie interactionniste mettent en lumière la relation entre l’utilisation et la forme de transmission des outils culturels parentaux et l’acquisition des savoirs et savoir-faire des enfants. Il y a donc une dépendance entre transmission de savoir par l’adulte et acquisition de savoir de l’enfant, qui est sous-tendue par des processus interpsychiques. Aussi, pour que la mère organise les échanges avec son nourrisson et les rende signifiants, il faut une organisation particulière qui permette à l’enfant d’acquérir les savoirs. Selon Bruner (1983), c’est à travers les processus interpsychiques et dans les formats que cette transmission et cette acquisition vont s’opérationnaliser. Dans la théorie de Bruner, l’étude de l’interaction mère–enfant permet de mettre en relief le caractère primordial de la médiation culturelle et de l’intersubjectivité dans la construction des savoirs de l’enfant. De cette façon, étudier les relations entre interaction et acquisition de savoirs suppose des coconstructions de savoirs, supportée par une causalité conduite de l’adulte vers l’enfant. De ce fait, l’orientation de la causalité adulte vers enfant a souvent été mise en avant. Il est aussi intéressant de se demander quels sont les facteurs propres à l’enfant qui peuvent influencer, voire modifier les comportements de l’adulte dans l’interaction sociale. Le choix méthodologique qui en découle porte sur le type d’activité déployée au cours de l’interaction. En mettant en exergue l’efficacité de la transmission des savoirs, l’interaction de tutelle facilite la description de l’orientation de la causalité. L’interaction libre, en ôtant le caractère de guidage, autorise, pour sa part, à mettre en relief la structure et/ou la nature des échanges sociaux entre les partenaires et surtout leur caractère uni- ou bivarié. L’interaction libre permet ainsi, de voir si les comportements de chaque partenaire témoignent d’une organisation individuelle ou bien d’une organisation bilatérale. 1.3. Notre étude Comme nous l’avons écrit dans le second paragraphe (p. 4) du présent article, la littérature montre que les enfants porteurs de trisomie présentent des difficultés langagières, dont l’étiologie est encore mal connue. Les différentes hypothèses proposées jusqu’alors (cognitives, neurologiques…) n’ayant été jugées que partiellement valides, nous proposons une hypothèse pragmatique comme source explicative des difficultés langagières, observées chez les enfants porteurs de trisomie 21. Nous proposons donc d’examiner si le contexte verbal dans lequel l’enfant porteur de trisomie évolue peut expliquer les différences observées entre ses propres compétences langagières et celles de ses pairs sans handicap. C’est dans la perspective de mise en relation entre le style interactif maternel et les compétences de l’enfant porteur de trisomie que se situe notre recherche. Notre problématique s’oriente sur la structure de la dyade comme source explicative des troubles langagiers des enfants porteurs de trisomie. L’hypothèse principale supportée par la définition de l’interaction, qui suppose que les interactions sociales naissent des influences interindividuelles (interaction directe), mais aussi de l’incidence de l’environnement, et de ses modifications sur le sujet (interaction indirecte), envisage qu’il existe des différences structurelles entre les dyades mère–enfant typique et les
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dyades mère–enfant porteur de trisomie, qui expliqueraient les troubles langagiers des enfants porteurs de trisomie. Notre objet d’étude va donc être le cadre social de la dyade, puisqu’il permet l’observation de l’ensemble des influences qui agissent au centre du système dyadique et soutiennent sa structure. Pour ce faire, nous avons, dans un premier temps, observé le style interactif des mères d’enfant porteur de trisomie et ceux des mères d’enfant sans handicap et, dans un second temps, observé les compétences sociocommunicatives de leur enfant. Le but de la présente recherche n’est pas de décrire et d’analyser l’impact du handicap de l’enfant, en l’occurrence la trisomie 21, sur les comportements de la mère dans sa relation à son enfant, mais d’évaluer le style interactif maternel développé par ces mères (en regard de celui des mères d’enfant non porteur de handicap). L’hypothèse générale est que les mères d’enfant porteur de trisomie vont présenter des styles interactifs différents de ceux des mères d’enfant sans handicap et que parallèlement les enfants porteurs de trisomie vont présenter des compétences sociocommunicatives différentes de celles des enfants sans handicap. Avant de présenter l’opérationnalisation de notre hypothèse, il nous semble utile de nous attarder brièvement sur ce que nous entendons par style interactif. En effet, la littérature permet de constater qu’une vaste gamme de variables est étudiée pour décrire un style interactif. Ainsi pour élaborer un style interactif particulier, les chercheurs regroupent les comportements ad hoc à observer, qui correspondent aux variables qui leur permettront de tester leur(s) hypothèse(s). De ce fait, on peut trouver des comportements verbaux, gestuels, affectifs etc. Les comportements codés vont alors traduire une attitude, caractérisée par l’expression des comportements (le reflet de vocalisations et/ou d’expressions faciales neutres peut exprimer une attitude de désintéressement), ensuite c’est la prédominance des attitudes qui va statuer le descripteur maternel (le taux d’attitude de désintéressement et d’évitement de l’interaction, par exemple, vont traduire un désengagement du partenaire vis-à-vis de l’autre partenaire) permettant de décrire subséquemment le style interactif. Comme nous l’avons vu, l’objectif principal de notre recherche est d’évaluer le contexte sociolangagier dans lequel les enfants évoluent, parce que nous postulons que les différences de contextes sociolangagiers vont permettre de mieux comprendre l’origine des troubles langagiers des enfants porteurs de trisomie 21. C’est donc la fréquence des comportements langagiers et communicatifs utilisés par les mères, qui nous permettra de voir si les mères d’enfant porteur de trisomie se différencient des mères d’enfant typique. Ensuite, la fréquence, couplée au contenu et à l’utilisation des comportements, nous permettra de voir si les mères des deux groupes présentent des styles interactifs différents. Afin d’opérationnaliser notre hypothèse générale, nous avons tout d’abord créé une situation d’interaction dyadique mère–enfant (enfants porteurs de trisomie 21 et enfants sans handicap). Puis à l’aide du film, nous avons codé certains comportements langagiers et communicatifs des mères, afin de décrire leur stratégie interactive. Ensuite, nous avons analysé les comportements sociocommunicatifs des enfants. Nous avons émis les hypothèses suivantes : ● h1 : les comportements langagiers et communicatifs des mères d’enfant porteur de trisomie sont différents, dans leur fréquence et leur contenu, de ceux des mères d’enfant sans handicap.
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Il en découle que le style interactif des mères d’enfant porteur de trisomie se distingue de celui des mères d’enfant sans handicap ; plus particulièrement, nous postulons que les mères d’enfant porteur de trisomie vont montrer un style interactif plus actif que les mères d’enfant sans handicap. Ce postulat s’appuie sur le fait que les mères d’enfant porteur de trisomie, percevant leur enfant comme un interactant passif (Jones, 1980 ; Rondal, 1985), vont créer davantage de stimulations pour encourager les échanges interactifs avec leur enfant, comparativement aux mères d’enfants sans handicap. On sait par exemple qu’au cours d’une situation de communication avec leur enfant (typique), les mères exagèrent leurs comportements interactifs pour bien capter l’attention de leur enfant (Brazelton, et al. 1974 ; Fogel, 1977 ; Stern, et al. 1977). Donc, si dans une interaction mère–enfant typique, les mères ont recours au câblage visuel pour capter l’attention de leur enfant (Kaye et Fogel, 1980), alors, nous pouvons nous attendre à ce que les mères d’enfant porteur de trisomie favorisent plus le câblage visuel avec leur enfant — que ne le font les mères d’enfant sans handicap — afin de stimuler les échanges interactifs avec ce dernier. Les mères d’enfant porteur de trisomie regarderont donc plus vers leur enfant, que les mères d’enfant typique ne le font. De ce fait, nous envisageons en retour que les mères d’enfant porteur de trisomie, qui sont dans des échanges plus actifs avec leur enfant que ne le sont les mères d’enfants sans handicap, aient plus de difficulté à réguler la réciprocité interactionnelle, comparativement aux mères d’enfants sans handicap ; dans la même perspective, les mères d’enfant porteur de trisomie présenteront des comportements langagiers différents de ceux des mères d’enfant typique : on s’attend à ce que les premières utilisent plus d’actes directifs et d’encouragement que ne le feront les secondes, lesquelles manifesteront plus d’actes suggestifs (Landry et Chapieski 1990 ; Landry et al. 1994). ● H2 : les styles interactifs maternels étant différents entre la population expérimentale et la population témoin, alors les comportements sociocommunicatifs des deux groupes d’enfants seront différents (Pino, 2000). Par exemple, nous proposons que le style interactif directif gêne l’enfant dans la régulation de l’interaction et donc dans son ajustement à l’autre (Berger et Cunningham, 1983). En prenant en compte les prédictions de l’hypothèse 1 (style interactif plus actif et plus directif chez les mères d’enfant porteur de trisomie comparativement aux mères d’enfant typique), nous nous attendons à observer chez les enfants porteurs de trisomie plus de difficultés à escorter, donc à gérer, le trajet structurel de l’interaction ; ce qui entraînera chez les enfants de moindres capacités interactionnelles, relativement à leurs pairs d’âge sans handicap. Par exemple, l’enfant porteur de trisomie aura du mal à distribuer de façon adéquate son attention au cours de l’interaction (e.g. il n’y aura pas toujours un accordage visuel mère–enfant lorsque la mère parlera) ; par ailleurs, si les mères d’enfant porteur de trisomie présentent des difficultés à réguler la réciprocité interactionnelle (H1), alors, en retour, leur enfant présentera le même comportement (correspondance comportementale). Corollairement, les enfants sans handicap vont mieux réguler la réciprocité interactionnelle que ne le feront les enfants porteurs de trisomie. Donc, comparativement aux enfants sans handicap, les enfants porteurs de trisomie présenteront une moindre réciprocité et utilisation des règles interactionnelles durant la situation dialogique avec leurs mères.
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2. Méthode 2.1. Population Nous avons observé 44 dyades mère–enfant, dont 22 sont composées d’enfant porteur de trisomie1 et 22 d’enfants sans handicap. Les dyades ont été recrutées à partir des centres de soins (GEIST 21 pour les dyades mère–enfant porteur de trisomie) ou dans des crèches, pour les dyades mère–enfant sans handicap. Nous avons remis aux parents une lettre exposant succinctement la recherche. Puis, les parents intéressés nous ont répondu. Afin de contrôler au mieux le biais de la situation « filmage », nous avons rencontré de façon informelle plusieurs fois les parents avec leur enfant, soit au centre de soins, soit à leur domicile, avant de débuter l’expérience. En ce qui concerne la période développementale étudiée, nous avons choisi les deux premières années de vie. Ce choix se justifie par le fait que c’est durant les deux premières années de vie que se construisent les comportements de communication, et nous avons souhaité voir dans quel contexte environnemental ces constructions s’élaborent. 2.2. Les enfants 2.2.1. L’appariement Il nous est apparu pertinent de prendre en considération deux phénomènes. Tout d’abord, selon Maurer et Sherrod (1987) et Watson (1998), les parents ajustent leurs comportements relativement aux compétences de leur enfant, et non relativement à leur âge chronologique. Ensuite, la littérature montre, dans sa globalité, que les enfants porteurs de trisomie présentent, lorsque l’on se réfère à l’âge chronologique, un développement ralenti par rapport à leurs pairs d’âge sans handicap. Donc, si on apparie les enfants porteurs de trisomie aux enfants sans handicap sur la base d’un âge chronologique (AC), il est probable qu’il y aura des différences de patterns de communication maternelles entre les deux groupes. C’est pourquoi, il nous a semblé plus judicieux d’apparier les enfants porteurs de trisomie sur la base d’un âge développemental. Pour ce faire, nous avons choisi l’échelle IPDS d’Uzgiris et Hunt complétée par Dunst (1981). Cette échelle permet d’évaluer le développement sensorimoteur de zéro à trois ans. Sont observés la permanence de l’objet, la résolution de problèmes : moyens et fins, l’imitation gestuelle, l’opération de causalité, les relations spatiales, les schèmes et l’imitation vocale. Hodapp et Zigler (1993) ont montré qu’il existe chez les enfants porteurs de trisomie des patterns de corrélations entre les différentes habiletés cognitives évaluées par l’échelle de UzgirisHunt analogues à ceux établis chez les enfants ordinaires. On note chez les enfants porteurs de trisomie un écart progressif entre l’âge chronologique et le développement dans tous les domaines (Dunst, 1993). Cette échelle offre l’avantage de permettre l’obtention d’un âge développemental global. Les 22 enfants porteurs de trisomie (12 filles et dix garçons) sont âgés, en âge chronologique, de 11,3 mois à 46,1 mois, la moyenne d’âge est de 21,5 mois. Leur niveau de développement se situe entre 4 et 24 mois, avec une moyenne de 11,5 mois. Les 22 enfants ordinaires 1
Les enfants porteurs de trisomie ne présentent pas de troubles physiques ou sensoriels particuliers.
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(11 filles et 11 garçons) sont âgés de 4,1 mois à 24,2 mois, la moyenne d’âge est de 10,6 mois. 2.3. Les mères Les mères des enfants porteurs de trisomie ont un âge moyen de 35 ans et sept mois. Le niveau d’étude moyen est le bac ; cinq mères n’ont pas le bac. Les mères des enfants typiques ont un âge moyen de 31 ans et sept mois. Le niveau d’étude moyen est le bac ; quatre mères n’ont pas le bac. 2.4. Situation expérimentale Les observations ont été faites soit au centre de soins, soit à la crèche. On a choisi une situation où la mère et l’enfant sont en activité libre. L’objectif de notre recherche nous amène à privilégier l’interaction libre, puisque que nous cherchons à comprendre comment l’interaction mère–enfant porteur de trisomie s’organise structurellement. C’est la nature des échanges sociaux habituels qui nous intéressent. De ce fait, nous sommes plus dans l’observation d’une structure dyadique émergente, plutôt que dans la recherche d’une configuration comportementale produit par une cause. Les partenaires sont libres d’utiliser ou non des jouets mis à leur disposition. Les jouets regroupent plusieurs cubes de couleurs, un culbuto représentant un nounours, un jeu d’anneaux de couleurs à enfiler sur une tige et une boîte. Après familiarisation, on a demandé à la mère et à l’enfant de s’installer dans une pièce au calme, sans autre membre de l’équipe éducative ou de la famille. On a installé la caméra et le panier contenant les jouets tout en continuant à converser avec la mère et l’enfant, les laissant en même temps se familiariser avec la pièce. Avant de commencer à filmer, on précise à la mère que l’enregistrement durera dix minutes. Pour perturber au minimum l’activité de la dyade, l’expérimentateur se tient derrière la caméra, et ne regarde ni l’enfant ni la mère durant l’enregistrement. 2.5. Le relevé de données 2.5.1. Les indices Nous avons choisi de ne pas définir au préalable des styles interactifs maternels particuliers. Ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas de définir un style interactif propre aux mères d’enfant porteur de trisomie et un autre propre aux mères d’enfant typique ; mais de voir si les styles interactifs de chaque groupe de mères se différencient l’un de l’autre. Comme nous l’avons déjà précisé, ce qui a suscité notre intérêt, c’est le contexte langagier et communicatif dans lequel l’enfant évolue. Donc, nous avons décidé de mesurer des comportements langagiers et des comportements communicatifs maternels, afin d’évaluer les stratégies interactives mises en place par les mères pour communiquer avec leur enfant. Chez les enfants, nous avons considéré la fréquence et l’utilisation d’outils sociocommunicatifs qu’ils mettent en place au cours d’une interaction avec leur mère. 2.5.1.1. Les comportements langagiers. Nous avons décrit les comportements langagiers des mères en nous inspirant de la liste proposée par Pino (2000). Toutefois, afin de tester nos hypothèses, il nous a fallu augmenter cette liste. En effet, Pino a observé des commentaires
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tant verbaux que non verbaux. Dans notre recherche, nous analysons uniquement les commentaires verbaux des mères. Utiliser uniquement la liste des commentaires verbaux de Pino ne nous aurait pas permis une description assez riche pour tenter d’élaborer un style maternel. Par exemple, la liste de l’auteur n’aurait pas permis de différencier un style négatif (e.g., restrictions, punitions) d’un style positif (e.g. suggérer, stimuler) (Widaman, 1991). Nous obtenons la liste suivante : ● Aider ; commentaires positifs ; commentaires d’acquiescement ; commentaires négatifs ; encourager ; imiter ; diriger ; enseigner ; interdire ; questionner ; stimuler (Annexe A pour une définition de chaque comportement). 2.5.1.2. Les comportements communicatifs. L’attention. Afin de voir si le locuteur cherche à capter l’attention de son l’interlocuteur, et si cet interlocuteur est attentif au locuteur, nous avons mesuré comme suit la direction du regard de chaque partenaire au cours des échanges dialogiques : ● ● ● ●
le locuteur dirige son regard vers son interlocuteur quand il lui parle ; quand il parle, le locuteur dirige son regard vers une autre cible autre que son partenaire ; l’interlocuteur regarde le locuteur quand ce dernier lui parle ; l’interlocuteur regarde une autre cible que le locuteur quand ce dernier lui parle.
Le locuteur a été désigné comme celui qui initie le dialogue et l’interlocuteur comme celui à qui le discours est adressé. C’est le déroulement de l’interaction qui a permis de définir le statut de chaque partenaire. La réciprocité interactionnelle. L’indice que nous avons retenu est le respect des tours de paroles. Les tours de paroles ont été codés comme suit : ● l’interlocuteur parle en même temps que le locuteur ; ● l’interlocuteur parle en dehors des verbalisations ou vocalisations du locuteur. 2.5.1.3. Accord intercodeurs. Trois codeurs ont effectué séparément un codage des films. L’accord global des juges (coefficient de Kappa) pour les comportements langagiers des mères est de 0,89, = 0,94 pour les orientations visuelles, et = 0,93 pour les collisions verbales. La concordance entre les juges pour les enfants est 0,90 pour les orientations visuelles et = 0,91 pour les collisions verbales. L’accord global des juges est significativement bon. 2.6. Analyses statistiques L’un des objectifs de la présente recherche est de déterminer si les comportements langagiers et communicatifs varient entre les mères d’enfant porteur de trisomie et les mères d’enfant typique. Puis, si les comportements communicatifs des enfants porteurs de trisomie se distinguent de ceux des enfants typiques. Afin de savoir si les deux populations se distinguent, nous avons appliqué une analyse comparative des fréquences d’occurrences comportementales. Pour différencier les comportements cibles de chaque population, nous avons utilisé des Anova, accompagnées de comparaison post hoc de moyennes (test Newman-Keuls).
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3. Résultats 3.1. Les comportements maternels 3.1.1. Les comportements langagiers (Tableau 1) Afin de savoir si les variations entre les fréquences moyennes des comportements langagiers des mères varient significativement entre les deux populations, on a appliqué une Anova. Le résultat montre une différence significative entre les deux populations uniquement pour deux comportements, à savoir, les actes d’encouragement F (1,42) = 7,15, p > 0,01 et les commentaires négatifs F (1,42) = 4,89, p > 0,03. Les mères d’enfant porteur de trisomie réalisent plus de comportements d’encouragement et de comportements négatifs que ne le font les mères d’enfant sans handicap. Par ailleurs, les analyses de comparaison post hoc intrapopulation indiquent que les mères d’enfant porteur de trisomie réalisent plus de comportements de stimulation, d’encouragement, de propositions positives et de questions comparativement aux autres actes de langage. Les mères d’enfant sans handicap, pour leur part, formulent plus de commentaires positifs, de stimulation et de questions que d’autres actes de langage. 3.1.2. Les comportements communicatifs La seconde hypothèse portait sur la stimulation visuelle durant la prise de parole. L’hypothèse était que les mères d’enfant porteur de trisomie allaient plus consolider le câblage visuel durant leur verbalisation que ne le font les mères d’enfant sans handicap. Quand elles parlent, les mères, tous groupes confondus, dirigent plus leur regard vers leur enfant (1,21 ; σ = 0,4), plutôt que vers une autre cible (0,1 ; σ = 0,02) (F (2,42) = 45,44 ; p > 0,01). Les analyses intergroupes montrent que les mères d’enfant porteur de trisomie ne se distinguent pas de celles d’enfant typique (F (2,42) = 0,26 ; p > 0,05). En ce qui concerne l’orientation du regard des mères lorsque leur enfant vocalise, on remarque que les mères des deux groupes regardent plus vers leur enfant quand il vocalise ou parle (3,72 ; σ = 2,9), plutôt que vers une autre cible (0,43 ; σ = 0,5) (F (1,42) = 54,06 ; p < 0,01). On ne note pas de différence significative entre les groupes de mères d’enfant porteur de trisomie et celui des mères d’enfant typique (F (1,42) = 0,34 ; p > 0,05). Tableau 1 Moyennes et écarts-types de chaque commentaire verbal, obtenus pour chaque groupe de mères, et seuil de significativité des analyses interpopulations Comportements verbaux Aider Commentaires positifs Commentaires d'acquiescement Commentaires négatifs Encourager Imiter Diriger Enseigner Interdire Questionner Stimuler
MET21 0 (0) 2,9 (1,97) 0,09 (0,07) 0,73 (1,16) 4,32 (3,83) 0,27 (0,17) 0,73 (0,7) 0,36 (0,27) 0,55 (0,36) 2,5 (2,5) 6,27 (6,21)
Population MESH 0,09 (0,01) 3,77 (2,79) 1,09 (0,5) 0,14 (0,47) 1,77 (2,28) 0,41 (0,19) 0,23 (0,16) 0,73 (0,51) 0,45 (0,23) 2,84 (3,18) 6,64 (3,75)
MET21 : mères d’enfant porteur de trisomie 21 ; MESH : mère d’enfant sans handicap.
p ns ns ns < 0,03 < 0,01 ns ns ns ns ns ns
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Pour l’alternance des tours de paroles, l’Anova, réalisée sur la fréquence moyenne des périodes où la mère parle en même temps que son enfant, indique que les mères d’enfant porteur de trisomie se distinguent de celles d’enfant typique (F (1,42) = 3,70 ; p < 0,05). Les analyses a posteriori indiquent que les mères d’enfant porteur de trisomie parlent, en moyenne, plus souvent en même temps que leur enfant comparativement aux mères d’enfant typique (4,4 ; σ = 3,2 vs 0,9 ; σ = 0,4). 3.2. Les comportements des enfants (Tableau 2) Quand les enfants sont locuteurs, alors ceux porteurs de trisomie dirigent plus souvent leur regard vers une autre cible que vers leur mère, comparativement aux enfants sans handicap (F(2,42) = 9,93 ; p < 0,01). Toutefois, si on compare le nombre moyen de regards dirigés exclusivement vers leur mère, alors les enfants des deux groupes ne se distinguent pas (Tableau 3). Pour ce qui est du nombre de regards de l’enfant dirigés vers la mère quand celle-ci est locutrice, on s’aperçoit que les enfants typiques regardent plus souvent vers leur mère que vers une autre cible, ce qui n’est pas observé chez les enfants porteurs de trisomie (F (1,42) = 2,97 ; p < 0,003). En effet, ces derniers dirigent leurs regards quasiment autant vers leur mère que vers une autre cible. En ce qui concerne le respect des tours de paroles, l’Anova, effectuée sur la fréquence moyenne des périodes où l’enfant parle en même temps que sa mère, indique que les enfants porteurs de trisomie se distinguent des enfants typiques F (1,42) = 8,83 ; p < 0,01. Les enfants porteurs de trisomie vocalisent davantage en même temps que leur mère, comparativement aux enfants typiques (4,77 ; σ = 3,4 vs 0,34 ; σ = 0,1). 4. Discussion Ce travail cherchait, d’une part, à voir s’il existait des différences entre le style interactif des mères d’enfant porteur de trisomie et celui des mères d’enfant typique et, d’autre part, de voir subséquemment si les comportements sociocommunicatifs de leur enfant allaient également se différencier. Tableau 2 Nombre moyen et écarts-types des regards des enfants quand ils sont locuteurs et seuils de significativité
ET21 ESH p
Mère 1,57 (0,9) 1,52 (0,8) ns
Orientation du regard vers Autre cible 2,7 (1,9) 1,52 (0,8) < 0,01
p ns ns
Tableau 3 Nombre moyen et écarts-types des regards des enfants quand leur mère parle et seuils de significativité
ET21 ESH p
Mère 2,09 (1,9) 3,31 (2,8) ns
Orientation du regard vers Autre cible 1,9 (0,7) 1,13 (0,7) ns
p ns < 0,003
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L’une des hypothèses était que les mères d’enfant porteur de trisomie présenteraient un style interactif plus directif que les mères d’enfant sans handicap. Il s’avère que les styles interactifs ne sont pas identiques entre les deux populations. En ce qui concerne le profil langagier des mères d’enfant porteur de trisomie, on remarque tout d’abord qu’elles font plus de commentaires d’encouragement et aussi plus de commentaires négatifs au cours de l’interaction que ne le font les mères d’enfant typique. Contrairement aux travaux antérieurs (Barnard et Kelly, 1990 ; Marfo, 1991 ; Pino, 2000 ; Spiker et Hopman, 1997), les mères d’enfant porteur de trisomie ne réalisent pas plus d’actes de stimulation qui laisseraient penser qu’elles perçoivent leur enfant comme peu actif dans l’interaction. De même, les mères d’enfant typique ne réalisent pas plus de commentaires positifs ni d’encouragement que les mères d’enfant porteur de trisomie (Pino, 2000). Au contraire, ce sont les mères d’enfant porteur de trisomie qui encouragent plus leur enfant dans ses actions que les mères d’enfant typique, et elles utilisent fréquemment des commentaires positifs sur les actions de leur enfant. Les différences entre les comportements langagiers des mères d’enfant trisomique et ceux des mères d’enfant typique se situent donc à la fois sur des encouragements sur l’action de l’enfant, allouant ainsi une stimulation positive, et aussi sur des actes qui vont à l’encontre de l’action de l’enfant. Ce qui laisse envisager que le profil langagier des mères d’enfant porteur de trisomie est fondé plus sur l’évaluation des actions de l’enfant que celui des mères d’enfant typique. En ce qui concerne la directivité maternelle, nos résultats ne s’accordent pas avec la majorité de la littérature, puisque les mères d’enfant porteur de trisomie ne sont pas plus directives que les mères d’enfant typique (Kopp, 1990 ; Marfo, 1990). L’absence de directivité que nous avons observée peut s’expliquer par le fait que les comportements maternels s’adaptent aux compétences actuelles de l’enfant (Mahoney et al., 1985 ; Whitehurst et al., 1988). En effet, nous avions choisi dans notre étude d’apparier les enfants porteurs de trisomie aux enfants témoins sur la base d’un âge développemental et non sur la base d’un âge chronologique. Il y a donc une influence qui s’exerce de l’enfant, plus spécifiquement de ses compétences, vers la mère. Quant aux comportements communicatifs, on constate que la stimulation visuelle durant le discours maternel n’est pas particulière renforcée chez les mères d’enfant porteur de trisomie, puisqu’elles ne cherchent pas plus que les mères d’enfant typique à attirer l’attention de leur enfant au cours d’échanges dialogiques. Ce résultat ne corrobore donc pas les travaux, qui décrivent les mères d’enfant porteur de trisomie comme plus actives que les mères d’enfant typique (Jones 1980 ; Marfo, 1990). En revanche, en ce qui concerne la réciprocité interactionnelle, nos résultats s’accordent aux études antérieures qui montrent que les parents d’enfant porteur de trisomie ont du mal à laisser un temps suffisamment important pour que leur enfant réponde à leur sollicitation. Les parents auraient tendance à parler à la place de leur enfant, ce qui gêne l’établissement des règles conversationnelles (Berger et Cunningham, 1983). Au contraire, les mères d’enfant typique adoptent une réciprocité interactionnelle qui laisse à l’enfant le temps nécessaire pour répondre aux sollicitations de sa mère, ou encore d’aller jusqu’au bout de sa proposition. Cet usage précoce des règles conversationnelles facilite l’échange dialogique et par ricochet l’apprentissage du langage. Ces différents résultats laissent entrevoir que si les actes de stimulation sont présents dans chaque population, en revanche, ceux donnés à l’enfant porteur de trisomie s’orientent plus vers des actes d’évaluation positive ou négative, et sur une réciprocité dialogique perturbée. Nous n’avons donc pas observé de directivité ou de surstimuation spécifique chez les mères
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d’enfant avec trisomie, néanmoins, sur d’autres aspects, leurs comportements langagiers se distinguent de ceux des mères d’enfant typique. Ces résultats peuvent s’expliquer en partie par deux phénomènes. Tout d’abord, tous les enfants porteurs de trisomie qui ont participé à la recherche suivent une prise en charge dans un GESIT 21, et nous avons rencontré leur mère dans ces centres de soins. Nous émettons l’hypothèse que les comportements des mères d’enfant porteur de trisomie ne seraient pas uniquement modelés par les caractéristiques de l’enfant, mais aussi par les effets corollaires liés au handicap, à savoir la prise en charge éducative (Marfo, 1991 ; Pino, 2000 ; Spiker et Hopman, 1997). De ce fait, si les actes de stimulation sont présents au cours des interactions mère–enfant, qu’il s’agisse d’enfant porteur de trisomie ou d’enfant typique, l’évaluation des actions de l’enfant constitue une spécificité chez les mères d’enfant avec trisomie. La question qui est alors soulevée est de savoir si les mères d’enfant avec trisomie ne revêtent pas un rôle plus éducatif que les mères d’enfant typique. Cette question trouve son origine dans les travaux qui ont montré que les enfants porteurs de trisomie perçoivent leurs parents plus dans un rôle d’éducateur que dans un rôle de partenaire de jeu (Mahoney et al. 1990 ; Maurer et Sherrod, 1987). Donc, ça ne serait pas uniquement sur les caractéristiques de l’enfant que repose la structure comportementale des mères, mais aussi sur l’environnement dans lequel les mères sont amenées à vivre, et qui les amène à adopter un style comportemental particulier. Ainsi, les facteurs qui vont influencer les comportements maternels ne sont pas le handicap même de l’enfant, mais davantage les compétences actuelles de l’enfant et l’environnement que les deux partenaires sont amenés à côtoyer. Les comportements maternels seraient donc influencés non seulement par des interactions directes, issues des influences interindividuelles, mais également par les interactions indirectes telles que la prise en charge. Par ailleurs, la question fondamentale qui nous intéressait était celle de l’influence du style maternel sur les comportements de l’enfant. Nos résultats montrent que les enfants porteurs de trisomie, tout comme leur mère, se différencient de la population typique. Qu’ils soient dans le statut de locuteur ou d’interlocuteur les enfants porteurs de trisomie ont des difficultés à respecter la règle de distribution des regards ; ce phénomène n’est pas observé chez les enfants typiques. Or, le jeu des regards entre le locuteur et l’interlocuteur permet d’engager et de se représenter la relation dyadique. C’est grâce à cette distribution des regards que le regardé et le regardant vont donner des informations sur le déroulement de l’interaction. Par ailleurs, tout comme leur mère, les enfants porteurs de trisomie gèrent difficilement l’alternance des tours de paroles, ce qui n’est pas observé chez la population typique. En effet, les enfants typiques utilisent adéquatement la règle de réciprocité interactionnelle, tout comme le font leurs mères. Ces deux derniers résultats montrent que deux règles dialogiques essentielles, qui permettent de structurer l’organisation de l’interaction, en aidant la distribution des rôles, semblent perturbées chez les enfants porteurs de trisomie. En outre, si les mères des enfants porteurs de trisomie respectent la distribution des regards en fonction des statuts locuteur–interlocuteur ; en revanche, elles utilisent modérément la règle de l’alternance des tours de paroles. Or, comme nous l’avons déjà mentionné, une moindre gestion des tours de paroles peut gêner l’acquisition du langage (Berger et Cunningham, 1983 ; Laroche et Mellier, 2002). Il est donc envisageable que la moindre utilisation de cette règle dialogique soit à l’origine des perturbations langagières, observées chez les enfants porteurs de trisomie. Les enfants porteurs de trisomie auraient des difficultés à distribuer les rôles de chaque interactant, et donc des difficultés
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à structurer l’organisation de l’interaction. Ce qui laisse penser que c’est parce que le contexte interactionnel, qui permet l’apprentissage du langage, est perturbé, que l’apprentissage du langage est lui-même perturbé. 5. Conclusion La moindre gestion des tours de paroles et la moindre gestion des regards orientés vers le partenaire au cours de situations dialogiques laissent entrevoir que les enfants porteurs de trisomie ont des difficultés à utiliser les règles interactionnelles, et donc à structurer les différents comportements qui organisent le déroulement de l’interaction. Or, une mise en place plus difficile et plus tardive des règles dialogiques freine le développement du langage. Les résultats indiquent également que les mères d’enfant porteur de trisomie ont un style interactif différent de celui des mères d’enfant typique, pas plus actif et directif, mais orienté davantage dans un but évaluatif, et elles gèrent plus difficilement la réciprocité interactionnelle comparativement aux mères d’enfant typique. C’est cette moindre gestion interactionnelle qui serait susceptible de freiner le développement du langage de leur enfant, puisque eux-mêmes gèrent moindrement cette réciprocité. Enfin, nos résultats indiquent non seulement une moindre réciprocité interactionnelle entre l’enfant porteur de trisomie et sa mère, mais également une utilisation substantielle de commentaires négatifs par les mères d’enfants porteurs de trisomie. Donc, nos résultats confortent la proposition de Widaman (1991), selon laquelle une moindre réciprocité entre l’enfant et le parent ou des réponses parentales, fondées sur un style négatif, ont un effet négatif sur les compétences sociales de l’enfant. La cause des troubles du langage des enfants porteurs de trisomie peut donc bien être expliquée au-delà des processus cognitifs, et trouver une cause explicative dans le contexte environnemental même, lequel semble être une voie pour expliquer, en partie, les compétences des enfants porteurs de trisomie. Toutefois, nous n’avons pas analysé particulièrement le contenu des verbalisations maternelles au moment précis des collisions verbales. Or, ces collisions semblent être une voie explicative aux troubles du langage des enfants porteurs de trisomie. Il serait intéressant d’approfondir l’étude sur la réciprocité interactionnelle, en analysant le contenu des verbalisations maternelles au moment des chevauchements verbaux ainsi que le temps de parole de chaque interactant. En effet, cette analyse nous permettrait de trouver l’origine de ces collisions, à savoir si c’est vraiment parce que les mères ont du mal à laisser un temps suffisamment important pour que leur enfant réponde à leur sollicitation, ou bien si elles changent l’orientation discursive ou encore si c’est parce l’enfant prend un temps de parole trop important. Trouver le facteur causal de cette gestion interactive nous paraît nécessaire pour contribuer à une meilleure prise en charge et donc un meilleur développement du langage chez les enfants porteurs de trisomie 21.
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Annexe A A.1. Définitions des commentaires maternels
Catégories de commentaires
Définition
Aider
Quand l'enfant essaye de faire quelque chose et qu'il n'y arrive pas, alors la mère propose verbalement une assistance qui facilité l'action de l'enfant « prends le vert (il s'agit d'un cube) » Félicitations formulées pour l'enfant : quand la mère soutient ou renforce l'action de l'enfant et/ou complimente l'enfant ou l'action de l'enfant « tu regardes bien maman » « oui, c'est ça, c'est bien, tu fais bien » Commentaires qui vont dans le sens de l'enfant, qui montrent un consentement: « ah, tu veux qu'on fasse ça » ; « oui, on fait la souris » Quand la mère marque un désappointement ou utilise des formules punitives ou contradictoires. « mais il n'est pas gentil » « je vais pas être contente » Commentaires qui vont faire persévérer l'enfant dans son action, « oui, continues ma chérie » Reproduction des vocalisations ou verbalisations de l'enfant Quand la mère guide avec une certaine autorité les actions de l'enfant « prends le cube là, et mets le ici » Quand la mère utilise des propositions pour guider les actions de l'enfant pour réaliser une action :« alors, on va faire une tour, en prenant d'abord les bleus (cubes).» Quand la mère proscrit une action « arrête ça, tu vas te faire mal » Toutes interrogations émises par la mère « tu veux arrêter ? » La mère incite l'enfant à réaliser une action « allez, tu peux le faire toi aussi. Essaye, allez »
Commentaires positifs
Commentaires d'acquiescement Commentaires négatifs Encourager Imiter Diriger Enseigner
Interdire Questionner Stimuler
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