ARTICLE DE FOND
Évaluation de la responsabilité des hôpitaux à l’égard de la prestation de services non rémunérés par Carolyn Ells Carolyn Ells, PhD, professeure adjointe en médecine et membre de l’unité d’éthique biomédicale à l’Université McGill et éthicienne clinique à l’Hôpital général juif - Sir Mortimer B. Davis. Elle préside le Comité d’éthique clinique et le Comité de recherche en éthique à cet hôpital. Sa recherche porte sur des sujets en éthique organisationnelle, en éthique clinique, en éthique de recherche et en théorie de l’autonomie.
Résumé D’ordinaire, les hôpitaux assument les coûts de services de santé non rémunérés, cependant, il n’est plus possible de le faire en raison des compressions budgétaires. Le présent article définit des aspects éthiques et juridiques importants de l’obligation d’un hôpital à l’égard des services non rémunérés dans un contexte de ressources limitées. Sauf dans certaines situations d’urgence, même si un hôpital n’a pas l’obligation d’assurer la prestation de services aux personnes qui ne sont pas en mesure d’en acquitter les frais, certaines lignes directrices sont proposées afin d’aider les hôpitaux à répondre aux demandes de services non rémunérés.
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es services hospitaliers non rémunérés sont des coûts de soins aux malades que les hôpitaux assument sans compensation. Essentiellement, les hôpitaux règlent les factures médicales au nom des patients qui ne sont pas en mesure d’acquitter les services de santé qu’ils reçoivent1. Il s’agit là d’un problème grandissant pour les hôpitaux canadiens, particulièrement dans les milieux qui attirent un grand nombre d’immigrants, de réfugiés, d’étrangers clandestins et de visiteurs étrangers. Il n’est pas inhabituel dans de nombreux hôpitaux tertiaires au Canada d’assumer des coûts de services non rémunérés s’élevant à 2 millions de dollars par année. Même les hôpitaux où ces coûts ne sont pas aussi élevés, il n’y a plus de fonds pour assumer les coûts de services non rémunérés importants sans nuire à la capacité d’assurer les services à ceux qui peuvent les acquitter soit dans le secteur public ou privé. Les hôpitaux ont réussi à assumer ces coûts dans le passé, mais les compressions budgétaires importantes et les coûts croissants des services non rémunérés rendent maintenant cette pratique prohibitive. En conséquence, les professionnels de la santé, y compris les cadres des services de santé, font face à un certain nombre de préoccupations d’ordre éthique et juridique quant au niveau auquel les hôpitaux sont tenus d’affecter des ressources aux malades qui ne peuvent pas en acquitter les coûts. L’emplacement où a lieu la prestation de soins (un service d’urgence, une hospitalisation en salle commune ou une clinique de consultation externe) n’indique pas à proprement dire le niveau de services reçus ou de coûts engendrés. Les malades peuvent recevoir des services non rémunérés dans un service d’urgence et peuvent être retournées à leur domicile ou dans un autre établissement de soins intensifs de courte durée; les personnes peuvent être hospitalisées pour des soins non urgents; la prestation des soins d’urgence peut se faire en clinique externe. L’interaction entre les valeurs et les attentes personnelles, professionnelles et sociales, la façon qu’on comprend le mandat de l’établissement et son rôle dans ses rapports avec l’établissement, les responsabilités juridiques, les incertitudes inhérentes à la pratique médicale et les conséquences éventuelles sur les patients, les hôpitaux et les professionnels de la santé doivent tous faire partie des aspects à considérer lorsqu’on se penche sur la prestation de services non rémunérés. Le présent article
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définit et analyse des aspects éthiques et juridiques importants de l’obligation d’un hôpital à l’égard de la prestation de services non rémunérés dans un contexte de ressources limitées au Canada. Des considérations d’ordre juridique, éthique et administratif font l’objet d’un examen et sont décrites et analysées à partir de cas. Des lignes directrices sont proposées afin d’aider les professionnels de la santé, y compris les administrations des services de santé, à faire face à ces situations. La responsabilité des hôpitaux constitue le point de mire de cet article. Néanmoins, en plus des coûts assumés par les hôpitaux, il est important de comprendre que les services non rémunérés peuvent aussi engendrer des pertes de revenu pour les médecins qui ne sont pas salariés. Il arrive que certains médecins assurent bénévolement des soins à ceux qui demandent leurs services, mais ce faisant, il peuvent produire un effet de réaction en chaîne. Des tests et des traitements supplémentaires peuvent être nécessaires qui font appel à des spécialistes et des sous-spécialistes qui doivent eux aussi décider s’ils fourniront leurs services « bénévolement » (s’ils s’aperçoivent qu’ils ne seront pas rémunérés avant de fournir les services demandés). Cette situation peut causer de l’animosité entre les médecins, ce qui peut mettre à risque leurs relations de travail collégiales et coopératives particulièrement lorsqu’il ne s’agit pas de cas isolés. Elle peut également influencer les délais et la disponibilité de la ressource pour d’autres patients qui ont besoin de soins de santé. Les personnes qui demandent et/ou reçoivent des soins non rémunérés Les personnes qui demandent et/ou qui reçoivent des soins de santé non rémunérés sont le plus souvent des visiteurs, des clandestins, des réfugiés qui n’ont pas formulé leur demande de couverture d’assurance-maladie ou qui ne l’ont pas reçue, des étudiants étrangers qui ont une couverture d’assurance-maladie insuffisante ou des citoyens canadiens qui ne se qualifient pas temporairement au régime d’assurance-maladie (par ex., des personnes revenues récemment de l’étranger qui n’ont pas obtenu de couverture d’assurance-maladie privée pour la période intérimaire avant que n’entrent en vigueur leurs régimes d’assurancemaladie). Dans la plupart des cas, les personnes qui veulent obtenir ces services ne le font pas délibérément pour tirer avantage du système de soins de santé canadien, non plus pour y imposer de grosses sommes d’argent. Les circonstances, certaines choisies et d’autres imposées, mettent les personnes ayant des ressources personnelles insuffisantes dans le besoin de services de santé et la meilleure la solution, ou la plus facile, est de tenter d’obtenir des soins gratuits dans un hôpital canadien de leur voisinage. Nous présentons ici des cas représentatifs : 1. Joanna, une étudiante étrangère, est atteinte de tuberculose progressive. Étant donné que la tuberculose progressive pose un risque pour la santé publique, elle est admise à l’hôpital pour un traitement de six semaines. Elle explique qu’étant donné qu’elle était malade, elle 14
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n’a pas pu s’inscrire à ses cours pour le semestre. L’hôpital apprend, qu’étant donné qu’elle n’est pas inscrite à des études à temps plein, sa couverture d’assurance-maladie est annulée. Elle ne peut pas régler les frais d’hospitalisation. 2. Deryek visite des amis au Canada. Il se noie dans leur piscine et est amené à l’hôpital par ambulance. Après des efforts de réanimation, il glisse dans un coma. Sa famille est anxieuse de le voir rapatrié chez lui aux ÉtatsUnis, mais elle doit attendre deux semaines avant qu’il ne soit stabilisé d’un point de vue médical. Sa police d’assurance-maladie ne couvre pas les frais de transport hors frontière. 3. Leah est venue d’Asie rendre visite à sa famille au Canada. Elle est admisse peu après au service d’urgence souffrant d’arythmie cardiaque, mais elle n’est pas en mesure d’assumer les frais des services de santé. Même si l’admission à l’unité de soins coronariens est pratique courante, deux cardiologues jugent que ce n’est pas essentiel. Elle est stabilisée et on lui donne son congé de l’hôpital en lui recommandant de retourner dans son propre pays où elle pourra être traitée. On lui dit qu’elle aura éventuellement besoin de chirurgie en raison de sa condition. Leah indique qu’elle a l’intention de rester avec sa famille au Canada indéfiniment. Considérations d’ordre juridique Conformément aux lois canadiennes en matière de négligence et de faute professionnelles, la relation d’un patientmédecin doit exister pour qu’un médecin ait l’obligation de fournir des services de santé à une personne en particulier (c.-à-d. le « devoir de diligence »). La loi n’oblige cependant pas le médecin à établir une relation patient-médecin avec une personne qui se présente pour des services de santé et elle n’impose pas non plus le devoir de diligence. Mais le « devoir d’assistance » peut s’imposer à un médecin dans un établissement de soins de santé (comme un hôpital ou une clinique) qui doit intervenir avec les services de santé si la vie ou l’intégrité de la personne est en péril, compte non tenu de la capacité de payer du malade2. Dans un même ordre d’idées, un hôpital peut légalement refuser des soins à une personne qui n’a pas de couverture d’assurance et qui ne peut pas fournir de garantie financière satisfaisante, sauf si la vie ou l’intégrité du malade est en péril3. En ce qui concerne la responsabilité civile, un hôpital ne contrevient pas à la loi en refusant de soigner une personne non assurée qui ne peut pas fournir de garantie financière satisfaisante, sauf si la vie ou l’intégrité du malade est en péril4. En ce qui touche les services non rémunérés, un hôpital canadien administré publiquement a l’obligation juridique d’assurer des services non rémunérés à une personne lorsque sa vie ou son intégrité est en péril. La compréhension et le respect de cette « conclusion légale » sont assez explicites. Mais cela ne résolut pas le dilemme éthique quant à savoir l’importance (le cas échéant) du service non rémunéré
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et non urgent. Par exemple, dans de nombreux cas les coûts réels sont souvent marginaux étant donné que les coûts fixes comme les frais généraux et les salaires ne sont pas touchés et qu’on a besoin que de peu de fournitures et de tests. En outre, les coûts peuvent être plus faibles (et les avantages pour la santé plus élevés) lorsque les services sont fournis avant qu’une vraie urgence ne survienne. L’hôpital est-il tenu d’intervenir pour aider ces gens ? Il arrive parfois que la compassion justifie la prestation des services de santé. Une autre exigence juridique vient se rattacher à cette question. De nombreux gouvernements provinciaux au Canada imposent par la loi à leurs hôpitaux un devoir d’équilibre budgétaire. Dans la gestion des services non rémunérés, les hôpitaux doivent pondérer les conséquences potentielles de contrevenir à cette obligation. Même lorsque le coût de chaque cas est faible, les dépenses s’accumulent et peuvent tout de même avoir un effet significatif sur l’ensemble de la gestion budgétaire. Même lorsqu’un hôpital peut assumer au moins certains des coûts des services non rémunérés, la question demeure : doit-il assurer le service ou doit-il affecter ses fonds à un autre usage ? Une analyse d’ordre éthique s’impose. Considérations d’ordre éthique Mission et valeurs institutionnelles Ordinairement, les déclarations de mission et de valeurs d’un hôpital ne font pas mention des services non rémunérés, non plus que ses politiques abordent cette question de façon précise. Mais la déclaration de mission et de valeurs d’un hôpital indique de manière générale, entre autres, qu’il est engagé à la compassion et à satisfaire aux besoins du patient. Les hôpitaux allèguent souvent qu’ils s’efforcent de fournir des soins exceptionnels à leurs patients, qu’ils maintiennent une préoccupation sociale et qu’ils gèrent leurs ressources de manière responsable. La personne considérée comme un « patient de l’hôpital » aura une influence sur qui aura droit aux services. Il est raisonnable de supposer qu’un « patient de l’hôpital » est une personne qui est admise officiellement ou qui obtient des soins en clinique externe. Il ne suffit pas de demander des soins de santé pour garantir le droit à ces services (sauf lorsque la vie ou l’intégrité du malade est en péril). Dans un même ordre d’idées, l’admission à l’hôpital ne constitue pas une condition suffisante pour garantir la prestation du service demandé. Un bon jugement d’ordre médical, une utilisation responsable des ressources, la politique de l’hôpital et des considérations d’ordre éthique et juridique sont tous essentiels à l’élaboration de tout plan de soins. De la même façon, il est raisonnable que la capacité d’un patient d’assumer les frais des services envisagés soit pondérée dans la planification des soins, tout comme il faut planifier la réadaptation ou la gestion de la maladie dans la période posthospitalière des autres patients. L’enrichissement des déclarations de mission et de valeurs et des codes d’éthique de l’hôpital et/ou de ses professionnels de la santé, les documents de planification stratégique de l’hôpital et les exigences d’agrément créent un
cadre d’orientation supplémentaire qui permet de prioriser l’utilisation des ressources. À ce niveau de planification et d’orientation, il y a un point de mire (à bon escient) sur les besoins et les intérêts des populations (par opposition aux intérêts individuels) desservies par l’hôpital. La planification stratégique non plus que les lignes directrices d’agrément contribueront vraisemblablement à résoudre les dilemmes que posent des individus particuliers qui demandent des services non rémunérés. De façon indirecte, les normes d’agrément qui exigent des mécanismes institutionnels pour la gestion des défis d’ordre éthique5 viennent à l’appui, en principe, de la responsabilité de l’hôpital d’aider ses professionnels de la santé dans des situations d’incertitude morale, de conflit et de détresse, qui peuvent inclure des situations supposant la prestation de services non rémunérés. L’éducation, la politique de l’hôpital et/ou d’autres actions peuvent créer un apport. On pourrait alléguer que ces mécanismes sont justifiés par la nécessité d’assurer que la mission et les valeurs de l’hôpital sont promulguées. Valeurs professionnelles Les professionnels de la santé, y compris les cadres des services, portent allégeance aux codes d’éthique de leur propre groupe professionnel. Reflet des responsabilités d’ensemble du leadership de l’hôpital, le code d’éthique du Collège canadien des directeurs de services de santé stipule que ses membres doivent aider à l’organisation en vue de « servir l’intérêt public » et « s’efforcer de fournir des services de haute qualité à l’intérieur des ressources disponibles ». En partenariat avec la communauté et la société, il incombe aux directeurs de services de santé canadiens de « s’efforcer d’identifier et de satisfaire les besoins en matière de santé de la collectivité »6. Même si la direction de l’hôpital met l’accent sur les besoins et le bien-être de la population qu’elle dessert, la plupart des codes d’éthique des professionnels de la santé (qui travaillent supposément en contact direct avec les patients) stipulent une priorité quant aux besoins et aux intérêts des patients individuels. Mais il y a aussi une ligne directrice claire quant à l’utilisation responsable des ressources sociales par les professionnels de la santé7,8. Il est raisonnable de conclure que ces valeurs professionnelles viennent à l’appui de l’affirmation que les professionnels de la santé qui travaillent en contact direct avec les patients ou au niveau de la direction de l’hôpital doivent assurer de bons soins au patient, à l’intérieur des ressources disponibles, en tenant compte de la population desservie par l’hôpital. Pour déduire et comprendre cette obligation, on peut utiliser le principe « qu’à l’impossible nul n’est tenu ». Autrement dit, les professionnels de la santé ne sont pas tenus de fournir des ressources qu’ils n’ont pas. Le code d’éthique des médecins indique ordinairement qu’une relation de soins établie avec un patient dicte la responsabilité du médecin de poursuivre cette relation à moins que le patient ne puisse être transféré en toute sécurité7,9. La plupart des médecins prennent cette obligation très au sérieux. Ainsi, s’il existe une relation thérapeutique avant que l’incapacité d’assumer les frais des services soit Healthcare Management FORUM Gestion des soins de santé – Fall/Automne 2006
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révélée au médecin, ce dernier sentira vraisemblablement l’obligation de poursuivre la prestation des services si d’autres moyens de financement ou modalités de soins ne sont pas trouvés. Bien évidemment, des options satisfaisantes pour les professionnels de la santé et les bénéficiaires de services seront difficiles à trouver dans la plupart des situations où les soins qui sont demandés ou fournis ne seront pas rémunérés. Par exemple, un médecin peut facilement référer les patients inadmissibles à l’assurance-maladie aux services de santé communautaires pour des soins de suivi. Certains médecins assureront des services non rémunérés limités, mais un grand nombre n’y consentira pas. Un bon nombre de médecins dans les établissements hospitaliers supposent qu’une relation thérapeutique est établie au moment où la personne se présente à l’hôpital pour obtenir des soins ou elle est référée à un médecin. Néanmoins, le code d’éthique du médecin permet ce qui suit : « Un médecin peut mettre fin à une relation thérapeutique lorsqu’il y a une cause juste et raisonnable de le faire »9. Compte tenu des considérations d’ordre juridique (décrites précédemment), il est raisonnable de considérer une incapacité d’assumer le coût des services de santé non urgents comme un motif valable pour mettre fin à une relation thérapeutique ou ne pas l’entamer. Il est normal dans un système de soins de santé universel, administré publiquement, comme celui du Canada, que les codes d’éthique des professionnels de la santé ne s’arrêtent pas à la question des personnes qui veulent obtenir des services auxquels ils ne sont pas admissibles. Les codes d’éthique visent à définir les responsabilités des professionnels de la santé à l’égard de leurs patients, de leurs collègues et de la société. Les « responsabilités » qu’ils n’ont pas ne sont pas abordées, non plus que les besoins et les intérêts des personnes qui ne sont pas admissibles au système de soins de santé universel et administré publiquement. Les valeurs canadiennes relatives aux soins de santé Dans son analyse historique du soutien public pour la législation sociale canadienne, Barbara Murphy10 signale que dès 1950 la population canadienne a adopté la notion d’un régime d’assurance-maladie. Un grand nombre de Canadiens avaient adhéré à des plans d’assurance-maladie volontaires et un sondage Gallop avait trouvé que 80 % de la population canadienne voulait un programme d’assurancemaladie financé par les deniers publics. C’était avant que les gouvernements fédéral et provinciaux déclarent leur intérêt pour la création d’un régime d’assurance-maladie national ou provincial. Les gouvernements canadiens ont répondu au public canadien (malgré les batailles et la résistance considérables avec les médecins canadiens) et en 1961, la population du Canada presque en entier se dotait des avantages d’un régime d’assurance-maladie. Les principes de la Loi canadienne sur la santé – administration publique, exhaustivité, universalité, portabilité et accessibilité – sous-tendent les nombreuses valeurs que la population canadienne continue de défendre au sujet de son régime d’assurance-maladie. Ces principes et cette Loi sont restreints explicitement par la façon de régir le régime d’as16
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surance-maladie national. Par exemple, « l’accessibilité » signifie que les personnes assurées peuvent avoir un accès raisonnable aux services d’hospitalisation et de médecine nécessaires, libre de considérations financières ou autres obstacles11. L’accessibilité ne signifie pas une prestation de services « gratuits » à ceux qui ne font pas partie du régime, non plus qu’une prestation de services au-delà des services d’hospitalisation et de médecine nécessaires d’un point de vue médical. En 2002, deux évaluations exhaustives de la santé et des besoins en matière de santé de la population canadienne, par les honorables Michael J.L. Kirby12 et Roy J. Romanow13, ont permis de constater un appui soutenu aux valeurs et aux principes de la Loi canadienne sur la santé. Les changements recommandés à la Loi (et la prestation des services de santé en général) visent la façon d’appliquer ces valeurs et ces principes. Aucun de ces rapports n’aborde la question des services non rémunérés. L’enquête du Forum national de la santé de 199714, au sujet du régime de soins de santé, a révélé que la population canadienne avait à cœur les valeurs suivantes : égalité (ou équité), compassion, dignité et respect, efficience/efficacité, responsabilité collective, responsabilité personnelle, qualité, administration judicieuse et responsabilisation. Ces valeurs complètent celles qui sous-tendent les principes de la Loi canadienne sur la santé, suggérant aussi leur pertinence pour la population canadienne. Néanmoins, au cours des dernières années plusieurs programmes sociaux canadiens, y compris les programmes d’assurance-maladie, ont connu une baisse dans l’appui public. L’Association médicale canadienne et d’autres ont demandé qu’on apporte des modifications à la Loi canadienne sur la santé de manière à ce que ceux qui peuvent le faire assument le coût de certains des services de santé10. Des cas de refus de participation aux régimes d’assurance-maladie gouvernementaux (particulièrement en Alberta et au Québec) ont déclenché un débat public et politique. Les efforts que déploient les individus et le gouvernement pour secourir les personnes dans le besoin sont généralement appréciés et admirés par les Canadiens. Certains croient que le véritable civisme et le bon gouvernement supposent une obligation de fournir au moins certains services non rémunérés. Cependant, le manque de discussions publique et politique sur la question des services de santé non rémunérés suggère qu’il n’y a pas d’attente sociale générale relativement à la prestation de services d’hospitalisation ou de médecine aux personnes qui n’adhèrent pas au régime d’assurance-maladie. Compte tenu de la rareté des ressources disponibles dans le programme d’assurancemaladie canadien et du désaccord récent au Canada en ce qui touche l’ensemble des services de santé à fournir dans le cadre des programmes d’assurance-maladie publics, on pourrait raisonnablement remettre en question la justification d’assurer des services de santé publique aux personnes qui ne sont pas admissibles au régime canadien, même en répondant aux besoins de santé d’urgence des personnes qui ne bénéficient pas d’une couverture d’assurance (bien que je n’avance pas cet argument ici).
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Justice distributive Il n’y a pas d’accord dans les publications savantes, ou l’ensemble de la pratique, sur les principes qui doivent régir la répartition des ressources de soins de santé rares ou celui qui l’emporte si plus d’un principe semble s’appliquer, mais en se fondant sur des principes qui semblent applicables mènent à des plans d’action incompatibles. Les principes de liberté, d’utilité, de besoin, d’avantage, de mérite, d’égalité, d’efficience, de responsabilité, de capacité de payer, de fidélité au patient, de restitution, du premier arrivé premier servi et d’autres principes procéduraux de justice sont utilisés dans différentes situations15-18. Souvent, les professionnels de la santé tiennent compte de plusieurs de ces principes. Par exemple, un médecin peut tenir compte principalement du besoin et de l’efficience pour déterminer la façon d’allouer du temps aux patients lorsque les visites doivent être écourtées. Dans un même ordre d’idées, il n’y a pas d’accord relativement à la mesure dans laquelle nous devrions favoriser l’atteinte de meilleurs résultats avec des ressources limitées, à la priorité à accorder au traitement des personnes les plus malades ou les plus handicapées, à obtenir des avantages modestes pour un grand nombre de personnes plutôt que des avantages plus significatifs pour un moins grand nombre de personnes, ou à l’établissement d’un processus démocratique juste qui permettrait de déterminer ce qui constitue un rationnement équitable19. Les décisions relatives à l’affectation des ressources sont faites à différents niveaux (macro = gouvernement, meso = établissement, micro = individu). Différentes responsabilités et des valeurs/principes différents peuvent par conséquent s’appliquer ou être pondérées différemment à différents niveaux. Par exemple, les besoins des populations dont nous avons le mandat de servir adéquatement ont plus de poids en établissant la politique du gouvernement et de l’établissement quant à l’affectation et le rationnement des ressources (par ex., l’importance des ressources à affecter aux soins d’oncologie, aux services de radiologie et autres traitements), tandis qu’une insistance accrue peut être mise sur les besoins d’individus en particulier dans l’affectation ou la répartition des ressources entre les individus (par ex., prioriser les malades qui sont vus par le médecin au service d’urgence, les personnes qui reçoivent un traitement de dialyse et ainsi de suite). Compte tenu de la rareté des ressources disponibles dans les hôpitaux au Canada, il est justifié d’utiliser la justice distributive dans l’affectation des ressources aux personnes qui ont une assurance-maladie ou qui y ont droit. Des critères pertinents devraient être formulés de manière à orienter la répartition des ressources limitées, dans la mesure du possible. La souplesse dans les critères serait souhaitable étant donné que certains principes ou certaines priorités peuvent être jugés plus pertinents (justifiés) dans certaines situations que dans d’autres. Par exemple, l’incapacité d’assumer les frais d’un traitement non urgent devrait vraiment entrer en ligne de compte dans le refus d’une prestation de services de santé lorsque les coûts prévus pour l’hôpital (ou le médecin) sont tels qu’ils pourraient nuire aux autres qui ont
davantage droit à ces ressources. En revanche, l’incapacité d’assumer les frais prend moins d’importance lorsque les coûts prévus pour l’hôpital sont faibles et que d’autres principes entrent en jeu. Par exemple, une touriste est blessée lorsqu’elle essaie de venir en aide à une victime de vol et agression près de l’hôpital. Un administrateur des services de santé juge que la compassion, la restitution et l’avantage justifient la prestation des services qui n’aura que peu d’effet sur l’ensemble des ressources de l’hôpital. Un hôpital devrait établir un processus de gouvernance qui démontre la responsabilité, lorsque la définition et la pondération des principes de justice pertinents aboutissent à l’incertitude ou si l’application d’autres politiques de l’hôpital ne résout pas les questions de rationnement. Ce processus devrait être continu de manière à optimiser l’efficacité et l’efficience et à réaliser une cohérence relative dans les prises de décisions. Le processus devrait tenir compte de quatre éléments : la transparence des décisions et de leurs justifications, des justifications qui donnent une explication raisonnable sur la façon que les décisions atteignent les objectifs sociaux ou organisationnels à l’intérieur des contraintes de ressources, un mécanisme d’appel des décisions ou de la politique et une réglementation du processus afin de veiller à la réalisation de ces conditions20. Les personnes engagées dans l’établissement du processus de responsabilité de la prise de décisions devraient inclure le directeur en chef du service médical (directeur des services professionnels), le directeur financier, les représentants des professionnels de la santé confrontés à répondre aux demandes de services non rémunérés et à la façon de le faire, et une ou plusieurs personnes qui peuvent représenter la perspective des personnes qui ont besoin de services non rémunérés. Considérations relatives aux administrations On peut s’attendre à ce que les gouvernements provinciaux s’opposeront à compenser les soins de services non rémunérés comme une responsabilité de soins de santé d’étrangers (ou de personnes qui ne sont pas admissibles à l’assurance-maladie) qui ne relève pas de leur administration. D’un point de vue pratique, il est raisonnable de prédire qu’un gouvernement qui accepterait régulièrement de fournir des services de santé aux personnes qui ne seraient pas en mesure d’en assumer les frais et qui ne seraient pas admissibles à l’assurance-maladie serait rapidement inondé d’un grand nombre de demandes. Cette situation submergerait rapidement le système et le mettrait en faillite au grand dam et au détriment de la population canadienne. La constitution de fonds gouvernementaux spéciaux afin de venir en aide aux personnes inadmissibles à l’assurancemaladie n’est pas une option prometteuse, mais des groupes d’intérêt spéciaux peuvent décider d’instituer des fonds de charité prévoyant des critères d’accès à utiliser sur une base spéciale ou régulière pour la prestation des services de santé qui resteraient autrement non rémunérés. Discussion À la lumière de ces considérations, revoyons maintenant les cas décrits précédemment. Dans le Cas 1, Joanna est une Healthcare Management FORUM Gestion des soins de santé – Fall/Automne 2006
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étudiante étrangère qui a contracté la tuberculose progressive. Sa condition pose une urgence de santé publique qui a mené à son admission à l’hôpital pour un traitement de six semaines. Les options autres que « traiter gratuitement » ou « ne pas traiter » ont-elles été considérées ? Par exemple, est-il possible que Joanna s’inscrive pour ses cours universitaires plus tard afin de pouvoir réactiver son assurancemaladie ? Est-ce qu’un calendrier de paiements flexibles peut être aménagé, même à un taux réduit qui ne tient pas compte des coûts fixes comme les frais généraux ? Est-ce que le risque à la santé publique peut être évité si Joanna porte un masque qui filtre le virus de la tuberculose et qu’on la retourne dans son pays (où on peut espérer qu’elle recevra le traitement) ? Les preneurs de décisions doivent dresser une liste complète des plans d’action possibles, avant d’évaluer les mérites de chaque option et de faire un choix. En ce qui concerne les professionnels de la santé, ils doivent pondérer des options inhabituelles, de sorte qu’on devrait faire appel à d’autres intervenants intéressés qui aideraient à définir et à évaluer des plans d’action possibles. Si le retour de Joanna dans son pays n’est pas une option valable ou justifiée et qu’un autre mode de financement n’est pas trouvé, l’hôpital pourrait ne pas avoir le choix que d’assumer le coût des soins afin de protéger le public (sinon Joanna elle-même) de la morbidité et de la mortalité causées par la tuberculose. La situation de Joanna est compliquée par les détails de sa police d’assurance-maladie. Son assurance est frappée de nullité si elle n’est pas inscrite à des cours à titre d’étudiante à temps plein. (Son statut d’immigrante pourrait aussi être mis en péril.) L’université qui admet un étudiant étranger et le ministère de l’Immigration qui délivre un visa d’étudiant assument une certaine part de responsabilité dans une supervision raisonnable qui permet d’éviter que l’étudiant n’impose pas un fardeau financier ou sanitaire exagéré sur le public canadien. En ce sens, il devrait y avoir des normes minimales pour les polices d’assurance-maladie (et inclure les soins hospitaliers), et un contrôle de conformité aux critères d’admissibilité à l’assurance-maladie (y compris l’inscription aux cours si l’assurance-maladie en est tributaire). De bonne foi, certaines personnes signent des polices d’assurance-maladie de voyage en supposant que tous les services hospitaliers sont compris. Les hôpitaux peuvent apprendre trop tard, soit après qu’un patient ait reçu son congé de l’hôpital et que la compagnie d’assurance ait refusé de rembourser les frais, que la police ne couvrait pas les services rendus. À moins que l’hôpital puisse communiquer avec ces anciens patients et obtenir le paiement, les dépenses doivent être radiées. S’il ne s’agit pas d’un problème isolé, l’hôpital pourrait bénéficier d’un changement dans le processus d’évaluation de la couverture de la police d’assurance avant de commencer un traitement ou plus tôt dans un séjour à l’hôpital. Dans le Cas 2, Deryek qui s’est noyé dans la piscine d’un ami est transporté à la salle d’urgence d’un hôpital. L’intervention de l’hôpital est clairement requise pour le ramener à la vie. La réanimation le plonge dans un coma et il a besoin d’interventions pendant deux semaines pour sta18
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biliser sa condition. Trop instable pour être transporté, la condition de Deryek demeure une urgence médicale et l’hôpital est tenu de fournir le traitement, peu importe la capacité de la victime d’assumer les frais. Une fois stabilisé, si d’autres sources de financement ne sont pas trouvées, il pourrait être dans l’intérêt financier de l’hôpital de prendre des dispositions pour transférer Deryek à une installation qui satisfait ses besoins aux États-Unis et en assumer les frais. Même si Deryek vit dans l’un des états du sud et que sa famille préfère qu’il soit transporté en avion chez lui, l’hôpital n’est tenu que de le transférer à une installation qui satisfait ses besoins de santé de base. Étant donné qu’il y a un hôpital qui accepte la police d’assurancemaladie de Deryek dans un état frontalier qui n’est qu’à trois heures de route de l’hôpital canadien où Deryek repose dans un coma, les administrateurs du service de santé satisfont leur obligation envers Deryek en prenant les dispositions pour un transfert en toute sécurité à cet endroit. Dans le Cas 3, Leah arrive au service d’urgence où on découvre qu’elle souffre d’arythmie cardiaque. Il n’est pas clair si sa condition initiale devrait être classifiée comme « situation d’urgence » ou « situation impérieuse ». Parfois les tests et une évaluation de la réaction aux interventions initiales sont nécessaires avant de pouvoir classifier une condition. Il serait inapproprié de donner un congé de l’hôpital à Leah sans évaluer sa condition cardiaque étant donné que ceci contreviendrait à l’obligation de traiter les urgences médicales. Si sa condition était évaluée comme étant impérieuse (mais pas urgente), la retourner sans traitement semble aussi problématique étant donné que les conditions impérieuses non traitées peuvent souvent dégénérer dans des conditions d’urgence, qui dans son cas, pourraient être plus difficiles à traiter avec succès. De plus, un traitement de stabilisation peut aussi lui être administré sans mettre en péril indûment les ressources de soins de santé offertes aux autres. Ainsi, un rapport favorable entre les avantages potentiels avec les dangers ou les préjudices potentiels existe qui tient compte non seulement de la condition de Leah, mais aussi des autres patients qui ont davantage droit à ces ressources. Le cas de Leah est un exemple de situations qui existent souvent dans les normes de soins. Même si l’admission à l’unité de soins coronariens pour un examen plus approfondi est une pratique usuelle à l’hôpital, les cardiologues évaluent la condition en suivant un plan d’examen moins poussé qu’à l’habitude, cette pratique étant tout de même acceptable compte tenu que sa condition n’en est pas une d’urgence. Elle pourrait être réexaminée en clinique externe (si ceci ne pose pas de contrainte sur les ressources de l’hôpital ou les besoins des autres patients) ou on pourrait lui conseiller des façons de surveiller sa propre condition. Fait troublant dans le cas de Leah, elle refuse le conseil médical de retourner dans son pays d’origine pour se faire soigner. Elle refuse ce conseil même si les spécialistes coronariens prédisent qu’elle aura bientôt besoin d’une chirurgie cardiaque. Est-ce que Leah ne veut pas assumer la responsabilité de ses propres besoins de santé ? A-t-elle l’intention
ÉVALUATION DE LA RESPONSABILITÉ DES HÔPITAUX À L’ÉGARD DE LA PRESTATION DE SERVICES NON RÉMUNÉRÉS
d’abuser de la générosité de la population canadienne en profitant d’une chirurgie coronarienne d’urgence si sa situation se dégrade ? Est-ce qu’un principe de justice fondé sur le mérite s’applique et diminue la responsabilité de l’hôpital d’agir si elle revient pour un traitement coronarien impérieux ou d’urgence ? Comme pour tout refus de conseils médicaux, les commentaires de Leah au fait qu’elle ne retourne pas dans son pays d’origine pour un traitement devraient être explorés. Elle pourrait croire qu’elle ne peut pas retourner dans son pays d’origine en toute sécurité. Des problèmes familiaux pressants pourraient la retenir au Canada. Une consultation auprès des services sociaux pourrait être de mise. Y a-t-il une responsabilité sociale de fournir un rapport médical au ministère de l’Immigration qui a délivré le visa de visiteur ? Même si les hôpitaux ne sont habituellement pas consultés sur les problèmes d’immigration, la plupart des personnes qui cherchent à obtenir des services non rémunérés se trouvent au pays à la discrétion des agents de l’immigration et peuvent être déportées en toute légitimité (suivant la procédure établie) si elles posent un risque à la population canadienne sur le plan de la sécurité ou de l’utilisation des ressources publiques. Les professionnels de la santé devraient pouvoir évaluer s’ils ont l’obligation de protéger les renseignements personnels dans ce cas. S’il faut divulguer à d’autres personnes identifiables des renseignements confidentiels afin d’éviter un préjudice imminent, qui ne peuvent pas être évités d’autres façons et que la menace évitée est plus grande que le préjudice causé en divulguant les renseignements personnels, la divulgation est alors justifiée. Si une divulgation est justifiée dans le cas de Leah, elle devrait être informée de l’intention d’informer les agents de l’immigration et les motifs. Cette étape respecte sa dignité et pourrait amener Leah à résoudre le risque qu’elle pose aux autres. Les décisions de rationnement sont rarement entièrement satisfaisantes. Le « rationnement », par définition, signifie qu’il n’y a pas suffisamment de ressources disponibles pour tous. Les personnes qui auraient besoin ou qui pourraient profiter de ces ressources doivent s’en passer. Il y a des décisions difficiles même lorsque tous les bénéficiaires potentiels des ressources sont incontestablement admissibles. Les décisions quant au rationnement qui déclenchent des facteurs « non médicaux » (par ex., le mérite, les coûts ou les conséquences sociales) peuvent faire appel à une évaluation de certains critères que les preneurs de décisions ne possèdent pas. Compte tenu des valeurs des professionnels de la santé au Canada et des incertitudes inhérentes à la médecine et des évaluations du risque, il est raisonnable de supposer que, lorsque l’utilisation responsable des ressources le permet, les demandes de services non rémunérés devraient être évaluées au cas par cas, en tenant compte des besoins individuels, du risque potentiel aux autres, de la compassion et de la disponibilité de la ressource. Lignes directrices proposées À partir de l’analyse précédente, les lignes directrices
suivantes peuvent aider les professionnels de la santé ou les administrateurs des services de santé à répondre aux demandes de prestation de services de santé non rémunérés. Situations d’urgence – Dans une urgence, les soins requis pour maintenir la vie ou l’intégrité de la personne doivent être fournis. Services impérieux, courants ou de prévention – Il n’y a pas d’obligation juridique à fournir des soins urgents, courants ou de prévention. Cependant, lorsque l’utilisation responsable des ressources le permet, les demandes de services non rémunérés doivent être évaluées par compassion, plutôt qu’être refusées automatiquement, étant donné que la situation et le contexte de la personne peut justifier, dans une certaine mesure, la prestation de soins de santé. Orientation institutionnelle – La politique institutionnelle doit être établie afin d’aider les professionnels de la santé à répondre de façon responsable aux situations où il faut fournir ou refuser des soins non rémunérés. La politique doit définir les principes de justice (rationnement) qui auront préséance dans certains types de situations et un processus à suivre dans tous les autres cas, ou lorsque des circonstances atténuantes peuvent s’appliquer. Compte tenu de la complexité des problèmes, une approche multidisciplinaire peut être requise. Processus de responsabilité – Un processus doit être établi qui démontre la responsabilité dans les décisions et les pratiques relatives à la prestation de services non rémunérés. Le processus doit inclure une transparence dans les décisions et les justifications qui explique comment la décision correspond aux objectifs sociaux ou organisationnels à l’intérieur des contraintes de ressources, un mécanisme d’appel quant à la décision ou la politique et un processus de réglementation. Identification d’autres sources de soins et d’aide financière – Il peut être difficile pour les personnes d’identifier ou d’obtenir des sources accessibles de soins de santé et/ou de financement. Dans la mesure du possible, les personnes qui demandent la prestation de services non rémunérés doivent être aiguillées vers d’autres sources comme il suit : retourner la personne dans son pays d’origine pour qu’elle obtienne les soins de santé en tenant compte de la sécurité et de la disponibilité des soins, les services communautaires, les organisations d’aide humanitaire, les plans d’assurance où les dépenses des soins sont couverts et que la personne rembourse la dette à l’assureur. Norme de soins dans des cas exceptionnels – Dans la prestation de services de santé, les professionnels de la santé ont l’obligation de fournir des soins adéquats conformes aux normes de soins professionnels. Attendu qu’aucun soin négligent ne doit être fourni, il est important de reconnaître une plage de normes de soins acceptés. Il est acceptable de fournir des services de santé non rémunérés qui sont Healthcare Management FORUM Gestion des soins de santé – Fall/Automne 2006
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inférieurs à ce qui serait ordinairement fourni aux citoyens canadiens, en autant que le service satisfait des normes professionnelles de soins acceptables.
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Options de paiement flexible – De nombreux hôpitaux fournissent des calendriers de paiements flexibles au cas par cas lorsque des services non rémunérés sont fournis ou négociés. Cette pratique doit être poursuivie21. Dans le cas où la prestation de services est justifiée, les factures peuvent être ajustées de manière à ne pas tenir compte des coûts fixes ou les radier, mais exiger le paiement des autres coûts. Respect de la dignité – La dignité des personnes qui demandent ou qui reçoivent des soins non rémunérés doit être respectée. Même lorsque les services sont refusés, la communication des décisions, des justifications et des options suggérées doit se faire dans le respect.
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Partenariat avec les institutions locales et gouvernementales – Les hôpitaux locaux doivent travailler de concert avec les institutions gouvernementales afin d’aider à résoudre les incertitudes et les inconséquences dans la pratique des services non rémunérés22, et résoudre certains obstacles à l’accès aux services de santé (par ex., exiger que les étudiants étrangers soient titulaire d’une police d’assurance-maladie).
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Remerciements Les analyses et les lignes directrices proposées dans cet article ont profité des discussions avec Jane Chambers-Evans et des membres du Comité d’éthique clinique de l’Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis et de leur rétroaction. L’auteur tient à remercier Jessica Merkel-Keller pour son aide dans la recherche et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada pour l’appui financier accordé à cette recherche.
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