Rec¸u le : 7 septembre 2009 Accepte´ le : 10 fe´vrier 2010
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
Quel est votre diagnostic ?
Exophtalmie bilate´rale chez un enfant de cinq ans M. Cagneauxa, J.P. Pracrosa,b, L. Viremouneixa,b, V. Paolia*,b a
Service d’imagerie pe´diatrique et gyne´cologique, hoˆpital Femme-Me`re-Enfant, hospices civils de Lyon, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France b Universite´ scientifique Claude-Bernard Lyon-I, domaine scientifique de la Doua, 43, boulevard du 11 novembre 1918, 69622 Villeurbanne cedex, France
Observation Un garc¸on de cinq ans est hospitalise´ pour l’exploration d’une exophtalmie bilate´rale apparue progressivement dans un contexte d’alte´ration de l’e´tat ge´ne´ral. L’examen clinique
est normal en dehors d’une hypotonie globale de l’enfant. La nume´ration formule sanguine re´ve`le la pre´sence d’e´le´ments blastiques immatures circulant en quantite´ significativement e´leve´e. Une IRM ce´re´brale et orbitaire est re´alise´e (fig. 1–4).
Figure 2. Se´quence axiale en ponde´ration T1. Figure 1. Se´quence coronale en ponde´ration T2.
* Auteur correspondant. e-mail :
[email protected],
[email protected] 0181-9801X/$ - see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.frad.2010.02.014 Feuillets de radiologie 2010;50:80-83
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Exophtalmie bilate´rale chez un enfant de cinq ans
Figure 3. Se´quence axiale en ponde´ration T1 apre`s injection de gadolinium et saturation du signal de la graisse.
Figure 4. Se´quence coronale en ponde´ration T1 apre`s injection de gadolinium et saturation du signal de la graisse.
Quel est votre diagnostic ?
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M. Cagneaux et al.
Diagnostic Sarcome granulocytique orbitaire (SGO) re´ve´lant une leuce´mie aigue ¨ mye´loı¨de (LAM).
Analyse de l’imagerie L’IRM confirme la pre´sence d’une infiltration tissulaire sous forme de masses orbitaires extraconiques bilate´rales en isosignal T1 et discret hypersignal T2 par rapport aux muscles, pre´sentant un rehaussement homoge`ne apre`s injection de gadolinium. Ces masses inte´ressent la paroi late´rale, le plancher orbitaire et dans une moindre mesure le toit de l’orbite. Elles refoulent les muscles intra-orbitaires et s’insinuent a` travers les orifices orbitaires infe´rieurs dans les sinus maxillaires. Dans le plan axial, ces masses infiltrent les espaces graisseux de Bichat, autour des apophyses temporales des deux os malaires, en arrie`re. Cet aspect, associe´ a` la pre´sence d’e´le´ments blastiques sur la nume´ration formule, oriente le diagnostic vers un SGO re´ve´lant une leuce´mie aigue ¨ mye´loı¨de.
Discussion Le SGO (anciennement chlorome) est une manifestation particulie`re de LAM. Il s’agit d’une tumeur solide, extrame´dullaire, compose´e de cellules mye´loı¨des immatures issues de la ligne´e granulocytaire venant infiltrer l’os et les tissus mous [1]. Il survient plus volontiers chez l’enfant de moins de dix ans (75 %), avec une le´ge`re pre´dominance masculine [2], la localisation orbitaire e´tant l’atteinte la plus fre´quente dans la population pe´diatrique [3]. Surtout, il constitue un des e´le´ments cliniques qui peuvent re´ve´ler la pre´sence d’une LAM [2,4]. Classiquement, le SGO se manifeste par une exophtalmie rapidement progressive. Une cellulite pe´riorbitaire, une tume´faction de la glande lacrymale ou de la paupie`re sont possibles, mais plus rares [5]. Les signes ge´ne´raux d’atteinte he´matologique peuvent s’associer au tableau et les examens biologiques vont orienter rapidement vers une LAM, he´mopathie qu’il complique ou re´ve`le dans 3 a` 8 % des cas [1]. L’imagerie est relativement peu spe´cifique, retrouvant en IRM une masse en iso ou hyposignal T1 par rapport aux muscles, et en iso a` faiblement hypersignal T2, avec un rehaussement homoge`ne apre`s gadolinium [5]. Sa localisation extraconique, affectant plus particulie`rement le plancher et la paroi late´rale de l’orbite, son caracte`re non calcifie´ et peu lytique, avec refoulement plus qu’envahissement des structures adjacentes sont des e´le´ments suggestifs du diagnostic [3,5]. L’extension peut se faire vers les cavite´s sinusiennes de la face ainsi que vers les espaces masticateurs en arrie`re. Quelques atteintes ce´re´brales ont e´te´ de´crites [4]. Le caracte`re bilate´ral est e´galement tre`s en faveur du SGO mais n’est pas constant [6]. Le diagnostic repose donc sur l’association de donne´es d’imagerie e´vocatrices mais non spe´cifiques et d’un e´ventuel
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contexte clinique de LAM de´butante chez un enfant. La re´gression rapide des images apre`s mise en route d’une chimiothe´rapie adapte´e est un argument re´trospectif supple´mentaire [6]. Certaines situations moins fre´quentes et plus de´licates peuvent ne´cessiter une ve´rification histologique par biopsie. C’est le cas lorsque l’apparition de la LAM est diffe´re´e de plusieurs mois ou que le SGO s’associe a` d’autres types d’he´mopathies [1], voire lorsqu’il reste, dans certains cas exceptionnels, isole´. Le traitement et l’e´volution sont lie´s a` celui de la maladie he´matologique mais il semblerait que la pre´sence d’un SGO soit statistiquement associe´e a` certaines anomalies cytoge´ne´tiques comme la translocation t (8,21), elle-meˆme de relatif bon pronostic. La litte´rature n’est cependant pas unanime sur ce point [3,7]. Les masses orbitaires de l’enfant constituent un groupe le´sionnel he´te´roge`ne de pathologies assez rares. Ainsi les principaux diagnostics diffe´rentiels du SGO sont relativement peu nombreux et surviennent dans des contextes diffe´rents : le rhabdomyosarcome atteint plus fre´quemment le toit de l’orbite et pre´sente un aspect d’importante lyse osseuse sur l’imagerie. Les me´tastases de neuroblastome contiennent souvent des calcifications et s’accompagnent d’une re´action pe´rioste´e agressive et de le´sions lytiques, de meˆme que l’histiocytose langherhansienne qui est associe´e a` des e´rosions osseuses [5]. Le lymphome orbitaire est exceptionnel chez l’enfant. La pseudotumeur inflammatoire est une le´sion be´nigne qui atteint les muscles et le nerf optique, elle ne s’accompagne pas d’alte´ration de l’e´tat ge´ne´ral [3].
Conclusion Le SGO est une le´sion orbitaire rare de l’enfant, qui peut pre´ce´der les manifestations initiales d’une LAM. Le caracte`re bilate´ral, non lytique, homoge`ne et bien rehausse´ en imagerie est suggestif de la maladie, mais c’est la pre´sence d’un contexte de LAM qui orientera la plupart du temps le diagnostic. Il constitue un de´fi pour le radiologue qui, devant la de´couverte d’une masse orbitaire de l’enfant ne devra pas me´connaıˆtre cette e´tiologie et s’attachera a` rechercher ce contexte he´matologique e´vocateur.
Conflit d’inte´reˆt Je soussigne´, Dr Vincent Paoli, de´clare que les auteurs signataires (Dr M. Cagneaux, Pr J.-P. Pracros, Dr L. Viremouneix) ainsi moi-meˆme ne pre´sentent aucun conflit d’inte´reˆt, concernant l’article dont la re´fe´rence est FRAD 28.
Re´fe´rences [1]
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