Table ronde Retard mental et génétique
Exploration raisonnée d’un handicap mental Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com Mots clés : Retard mental, Recommandations, CGH-array
Sensible guidelines for the evaluation of mental retardation A. Verloes* Département de Génétique, Hôpital Robert Debré, AP-HP, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France
L
’American Association for Mental Retardation définit le retard mental (RM) comme une diminution significative des facultés intellectuelles – soit un QI < à 70 (ou -2 DS) – associée à un déficit des comportements adaptatifs survenant au cours de la période de développement intellectuel [1]. Les comportements adaptatifs sont les capacités de gérer les interactions sociales, la communication, les soins personnels, les compétences domestiques, les habilités sociales, l’utilisation des ressources communautaires, l’autonomie, la santé et la sécurité, les aptitudes en milieu scolaire, dans les loisirs et le travail. La prévalence réelle du RM est inconnue. On estime que cette pathologie touche de 1 à 3 % des enfants de moins de 5 ans, soit 6000 à 18 000 nouveaux cas/an en France. L’incidence apparente augmente régulièrement jusqu’à l’âge de 20 ans, en raison de la détection tardive des formes les plus modérées. Dans la population adulte, la fréquence des sujets ayant de réels problèmes adaptatifs ne dépasse pas 1 %. Un excès de garçons s’observe dans toutes les catégories de RM (ratio M : F = 3 : 2) sauf dans le RM profond où les 2 sexes sont également représentés. Cet excès s’explique par les formes de RM liées au chromosome X.
Étiologie des RM On peut répartir le RM en 4 grands groupes étiologiques : chromosomique, monogénique, polygénique et environnemental. Il existe de grandes discordances dans la littérature quant au poids de chacune de ces étiologies. Ces disparités s’expliquent avant tout par les multiples biais de sélection des séries publiées, qui ne sont jamais établies sur une base strictement épidémiologique. Les progrès médicaux (prévention et traitement) ont modifié la répartition de ces causes au cours des dernières décennies. Ainsi, on note une diminution de l’incidence des embryofœtopathies infectieuses ou des anomalies génétiques aisément dépistables avant la naissance (telle la trisomie 21, dont l’incidence a chuté de moitié en raison du diagnostic prénatal), alors que d’autres causes acquises de RM sont en augmentation (séquelles de réanimation périnatale). Le tableau 1 résume grossièrement les fréquences relatives par catégorie étiologique. On remarquera l’importance de la pathologie génomique. Le non-diagnostic reste prédominant dans le RM léger, et la pathologie acquise représente un créneau * Auteur correspondant. e-mail :
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important dans le RM grave. Les techniques de FISH puis, tout récemment, l’hybridation génomique compétitive sur biopuces à ADN (technologie de CGH-array) ont révélé qu’une fraction importante du RM était porteuse de remaniements génomiques infra-microscopiques.
Bilan paraclinique du RM Le format de cet article ne permet pas d’entrer dans trop de détails. Le lecteur pourra se référer à 4 publications : les recommandations des généticiens [2], des neurologues [3] et des pédiatres [4] américains et l’excellente revue sur le « rendement diagnostique » des investigations paracliniques publiée récemment [5].
Examen chromosomique Le caryotype est indispensable et doit être de bonne qualité (450 bandes). Certains laboratoires font systématiquement (ou à la demande) un examen en haute résolution (HR : 550 à 650 bandes). L’apport réel de cette technique s’est amenuisé avec l’émergence de la cytogénétique moléculaire. L’utilité d’un caryotype HR demandé lorsque le caryotype de base est de bonne qualité est devenue discutable. Par contre, un caryotype ancien dont la qualité n’est pas certaine peut être répété. Il en est de même pour les prélèvements anténataux.
FISH ciblée Les 15 dernières années ont vu émerger les syndromes microdélétionnels. La plupart d’entre eux ne doivent être recherchés que face à une clinique évocatrice (Williams, Smith-Magenis…) : le problème réside donc surtout dans la formation en dysmorphologie de l’examinateur. La délétion 22q11 occupe une place à part : elle est fréquente (1/3000 naissances), particulièrement polymorphe, et la dysmorphie est subtile. Il est raisonnable de la rechercher en cas de cardiopathie congénitale, d’insuffisance vélaire ou de retard de langage isolé. Les microdélétions récurrentes représentent environ 5 % du RM.
Screening subtélomérique L’importance des anomalies subtélomérique est apparue au tournant des années 2000. Leur détection se fait par FISH multiplex sur métaphases, ou par une approche moléculaire, telle la méthode mlPA. Ces méthodes ne sont pas parfaitement identiques, les sondes utilisées ne ciblant pas exactement les
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mêmes loci. La technique MLPA présente l’avantage d’être bon marché et se prête à l’analyse en série. Une anomalie détectée en MLPA doit être vérifiée par FISH. Le rendement diagnostique du screening subtélomérique est de l’ordre de 4 à 5 %. Certains syndromes dont la région minimale critique n’est pas tout à fait subtélomérique peuvent être manqués : c’est le cas, en particulier, des délétions 4p (Wolff-Hirschhorn) ou 1p. En cas de forte suspicion clinique, la sensibilité de la FISH ciblée sur la région suspecte est donc supérieure au screening pansubtélomérique.
CGH-array
Tableau 1. Étiologies du RM Groupe étiologique
QI > 50 (en %)
QI < 50 (en %)
Chromosomique (caryotype standard)
5-10
15
FISH (microdélétions et subtélomères)
2-5 ?
5-10
CGH-array (hors microdélétion et subtélomères)
5-10 ?
10-20
Monogénique (non malformatif)
5
5-10
Malformation du SNC & syndromes
5
10
Pathologie acquise (clastique, infectieuse…)
10-15
15-20
La technique d’hybridation compétitive génomique sur Inconnu 35-60 15-40 puce (CGH array) recouvre un ensemble de méthodes Les étiologies sont ventilées en fonction de la sévérité du retard (RM léger vs. RM grave). Compilation permettant de détecter des remaniements génomiques extrapolée de multiples données publiées. (duplication ou délétion) à l’échelle du génome entier. Il existe de nombreuses variantes de CGH-array, et la Bilan métabolique technique évolue rapidement. Les puces se distinguent par leur densité : basse (moins de 1 sonde par Mb), moyenne (1 Les maladies métaboliques forment un groupe hétérogène de défisonde par 0,5-1 Mb), haute (1 sonde par 30-100 kb, soit 30 000 à cits enzymatiques. Les manifestations sont variées, souvent neu100 000 sondes) et très haute densité (1 sonde par 10 kB ou rologiques : retard mental, régression, épilepsie, ataxies, épisodes moins ; soit > 250 000 sondes). Avec les puces de moyenne de somnolence ou de coma, hypoglycémies… Les malformations densité, le taux de détection, dans une population de RM à sont rares, en dehors de certaines pathologies mitochondriales, du caryotype normal, varie entre 10 et 20 %. Les « vraies » figures métabolisme du cholestérol, de l’homo-cystinurie ou des maladies sont toutefois difficiles à établir pour le moment, car les séries de surcharge. publiées sont toutes plus ou moins biaisées (choix des malades Le « bilan métabolique » couvre, selon les lieux et les moments, sur le phénotype, explorations préalables). Peu de données sont des réalités très différentes. Le bilan métabolique « classique » disponibles pour les puces haute densité, plus récentes : leur comporte habituellement la chromatographie des acides aminés taux de détection serait de 20 à 30 % supérieur. Outre le coût sanguins et urinaires, la chromatographie des acides organiques et la technicité, la principale difficulté de la CGH-array réside urinaires, la recherche de muco-polysaccharides et d’oligosacchadans sa sensibilité exquise : le génome est très riche en régions rides urinaires, et éventuellement le dosage des acides gras à très polymorphes : des duplications et des délétions de petite taille longue chaîne. Les dosages d’acide lactique, pyruvique et d’ammosans retentissement phénotypique (les CNV ou copy number niac sont parfois réalisés, mais ils nécessitent une méthodologie variations) : le risque d’interprétation par excès est donc réel, sans faille (prélèvement sur glace…). On doit ajouter désormais d’autant que le catalogue des CNV est loin d’être exhaustif. au bilan standard la recherche d’anomalies du métabolisme de Pour les anomalies de petite taille, le contrôle des parents est la créatine (créatine et guanido-acétate), du cholestérol (7déhydonc souvent nécessaire. droxycholestérol) et des purines (AICAR et SAICAR), et les déficits La CHG-array, dans son état actuel, permet de détecter en une de la N- et de la O-glycosylation des protéines (CDG : transferrine, étape toutes les anomalies que l’on a l’habitude de détecter en apolipo-protéine C3). haute résolution ou par FISH (ciblée et subtélomérique), et toutes Le rendement du bilan métabolique est variable, mais toujours les anomalies interstitielles. Il est vraisemblable que, dans un très très faible lorsque le tableau clinique n’est pas évocateur, et que proche avenir, elle remplacera totalement les techniques de FISH : l’enfant a bénéficié du dépistage néonatal (ce qui n’est pas souvent la prescription combinée caryotype standard + CGH array devrait le cas chez les enfants nés dans des contrées en développement). être le standard à la fin de la décennie. Le rendement est inférieur à 1 % en l’absence de signes d’appel. Les tests récents (créatine, CDG) présentent sans doute plus d’intérêt que le bilan classique. Malgré son très faible rendement, ce bilan X fragile reste souhaitable, car il permet de détecter des pathologies qui, L’X fragile touche 1 garçon sur 5000. Le phénotype reste subtil chez pour certaines, sont curables. l’enfant. Il n’y a pas de malformations, pas de microcéphalie, et Autres tests l’épilepsie est peu fréquente (mais une comorbidité est toujours possible : malformations communes, pathologie acquise concoLe bilan biologique de base (NFS, ionogramme, calcium, phosphore, mitante…). Chez les filles, le phénotype est difficile à identifier. Le urée, créatinine, glycémie, fer sérique, transferrine et ferritine) n’a dépistage de l’X fragile est donc recommandé dans tous les cas, guère d’utilité diagnostique, mais il peut dépister des carences en dans les 2 sexes, sauf syndrome polymalformatif/dysmorphique fer ou une insuffisance rénale. Les tests thyroïdiens (TSH, T4 et T3) évident. Le rendement est faible : 1 à 4 % des garçons et 0,2 à 0,3 % sont peu utiles chez des enfants nés en France (le dépistage n’est des filles sans sélection clinique, mais > 10 % des garçons lorsque pas fait dans de nombreux pays). Le dosage de la T3 permet toutela clinique est évocatrice.
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fois de dépister les rares cas de déficit en transporteur cérébral des hormones thyroïdiennes. ASAT et ALAT font partie du bilan métabolique. Les CK permettent un diagnostic précoce de myopathie de Duchenne chez un jeune garçon présentant un retard léger. Devant 2 garçons (2 frères ou oncle maternel/neveu), le bilan moléculaire peut s’étendre à d’autres gènes de retard lié à l’X dont la fréquence est relativement fréquente : la duplication intragénique récurrente ARX, la mutation A140V de MECP2… Bien d’autres tests sont envisageables, dès lors que la clinique ne se limite pas au retard intellectuel : test ADN pour la recherche de syndrome d’Angelman ou de Rett, étude détaillée de l’équilibre REDOX,…
IRM cérébrale L’imagerie cérébrale est indispensable en cas de micro- ou de macrocéphalie, en cas d’épilepsie, de régression ou de façon générale, en cas de symptomatologie neurologique ou d’antécédents compatibles avec une souffrance cérébrale périnatale. Dans ces conditions, le rendement de l’examen peut dépasser 10 %. Dans le cas contraire, la positivité de l’examen ne dépasse pas 1 à 3 % : Si une anesthésie est nécessaire, on pourra donc habituellement surseoir à cet examen. Le fond d’œil peut apporter des informations intéressantes. L’EEG est habituellement inutile en l’absence de comitialité ou de malformation cérébrale.
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Conclusion Il est définitivement impossible de présenter un arbre décisionnel simple lorsqu’on s’adresse à l’exploration du handicap mental. L’examen cytogénétique et l’X fragile sont les seuls examens incontournables devant un RM « nu ». La CGH-array devrait bientôt prendre une place centrale.
Références 1. Luckasson R, Coulter DL, Polloway EA, et al. Mental retardation: Definition, classification, and systems of supports. American Association on Mental Retardation, 9th ed. Washington DC : 1992. 2. Curry CJ, Stevenson RE, Aughton D, et al. Evaluation of mental retardation: recommendations of a Consensus Conference: American College of Medical Genetics. Am J Med Genet 1997;72:468-77. 3. Shevell M, Ashwal S, Donley D, et al. Practice parameter: evaluation of the child with global developmental delay: report of the Quality Standards Subcommittee of the American Academy of Neurology and The Practice Committee of the Child Neurology Society. Neurology 2003;60:367-80. 4. Moeschler JB, Shevell M. Clinical genetic evaluation of the child with mental retardation or developmental delays. Pediatrics 2006;117:2304-16. 5. van Karnebeek CD, Jansweijer MC, Leenders AG, et al. Diagnostic investigations in individuals with mental retardation: a systematic literature review of their usefulness. Eur J Hum Genet 2005;13:6-25.