Article scientifique
M É M O I R E
Facteurs de risque de lombalgies chez le personnel hospitalier F. Debbabi1 E. Bouajina2 N. Rammeh2 I. Saad1 N. Mrizak1 1. Service de médecine du travail et de pathologie professionnelle, EPS Farhat Hached, Sousse, 4000, Tunisie 2. Service de rhumatologie, EPS Farhat Hached, Sousse, 4000, Tunisie. Tirés à part : F. Debbabi, à l’adresse ci-dessus. E.mail :
[email protected]
Mots-clés : Lombalgies, infirmiers, facteurs de risque. Key-words: Low-back pains, nurses, risks factors.
Summary
Résumé
Low back pain in hospital staff: prevalence and risk factors
Objectifs Les troubles musculo-squelettiques, en particulier les lombalgies, constituent un réel problème de santé au travail. Dans les hôpitaux, bien que la fréquence exacte des lombalgies reste difficile à évaluer, elle est de façon évidente très importante chez le personnel hospitalier. Afin d’évaluer leur prévalence sur les 12 derniers mois parmi les infirmiers et d’en rechercher les facteurs de risque professionnels et extraprofessionnels, une enquête épidémiologique a été réalisée. Méthodes Il s’agit d’une enquête transversale, réalisée entre 2000 et 2001, sur un échantillon représentatif de 250 infirmiers pris au hasard et basée un questionnaire s’intéressant aux facteurs professionnels et extraprofessionnels. Résultats Pour les 250 infirmiers qui ont participé à l’étude (129 femmes, 121 hommes), l’âge moyen de l’échantillon était de 38 ± 7,43 ans (de 26 à 56 ans). La prévalence de lombalgies était de 37,6 %, IC 95% = [34 %, 40 %]. Cette prévalence était de 56,3 % IC 95% = [50 %, 62 %] chez les femmes et de 43,6 % IC 95% = [36 %, 50 %] chez les hommes (différence non statistiquement significative). Dans une comparaison entre les sujets lombalgiques et les non lombalgiques, on a pu relever quelques facteurs de risque différents en particulier l’horaire du travail (de jour), la durée de trajet domicile-lieu du travail, le déplacement de l’agent au cours de son activité. Par contre, nous n’avons pas mis en évidence de différence de prévalence des lombalgies selon le type de la charge posturale au travail (travail en station debout, manutention des charges lourdes).
Arch Mal Prof Env 2006; 67: 14-18 Objectives Musculoskeletal disorders and particularly low back pain constitute a real occupational health problem. In hospitals, the exact frequency of low back pain remains difficult to estimate, but it is evidently very important among hospital staff. We carried out an epidemiologic survey with a view to assessing the prevalence of low back pain over the last 12 months among nurses and to search for the professional and extraprofessional risk factors. Methods This cross-sectional survey was carried out between March and September 2001. It included a representative randomized sample of 250 nurses, and was based on a questionnaire taking into account the professional and extraprofessional factors. Results The study included 250 nurses (129 women, 121 men); their mean age was 38 ± 7,43 years (range: 26-56 years). The prevalence of low back pain was 37,6 %, IC 95 % = [34 %, 40 %]; 56,3 % IC 95 % = [50 %, 62 %] among women and 43,6 % IC 95 % = [36 %, 50 %] among men (non statistically significant difference). The statistical analysis comparing subjects with and without low back pain, allowed to identify some risk factors in particular work schedule, length of journey from home to work and movements of the agent during his activity. On the other hand, we found no difference in low back pain prevalence related to the type of posture while working or load handling. © Masson, Paris, 2006
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Arch Mal Prof Env 2006
Discussion This study among nurses showed, as other studies in the literature, that risk factors of low back pain are multiple and entangled, both occupational and nonoccupational. It allowed to analyze the risk factors while taking into to account the specificities associated with nurses’ tasks in a hospital, so that they could be taken into consideration, justifying the implementation of a general policy of prevention.
L
es lombalgies constituent un vrai problème de santé publique. L’intérêt qu’elles soulèvent est lié au nombre important de sujets concernés, au caractère élevé de leur coût socio-économique et à la gravité de leur retentissement sur la vie socioprofessionnelle. En milieu professionnel, les lombalgies constituent un motif fréquent de consultation en médecine de travail, posant souvent des problèmes d’aptitude (1). En milieu hospitalier, comme dans l’industrie, cette pathologie semble être fréquente et cette dernière est souvent influencée par les conditions du travail souvent pénibles (2-6). En Tunisie, peu d’enquêtes épidémiologiques portant sur les lombalgies chez les infirmiers ont été réalisées. L’objectif de notre travail était alors d’évaluer l’importance de cette symptomatologie et d’en chercher les facteurs de risque professionnels et extraprofessionnels. Nous avons réalisé une étude épidémiologique transversale entre juin et décembre 2001 sur un échantillon de 250 infirmiers.
Discussion Ce travail réalisé chez des infirmiers a permis de dégager de multiples facteurs de risque professionnels. Cette étude a permis ainsi de tenir compte dans l’analyse de spécificités liées à l’exercice de la profession d’infirmier en milieu hospitalier, et ainsi de mieux de les prendre en compte, justifiant la mise en place d’une politique générale de prévention.
port du domicile au lieu du travail) , les caractéristiques du poste de travail (posture, charge), le tabagisme et les antécédents médicaux. Toutes ces variables ont été utilisées pour les comparaisons entre les sujets lombalgiques et non lombalgiques. La seconde partie intéressait uniquement les agents lombalgiques, avec la description de leurs plaintes lombaires (type de douleur, circonstances déclenchantes, mode d’installation, fréquence au cours de l’année), ainsi que les conséquences (arrêts de travail, modalités de recours aux soins). Les sujets lombalgiques étaient définis comme tous ceux qui, au cours des douze derniers mois précédant l’enquête, avaient présenté une douleur du bas du dos. Les données ont été recueillies, saisies puis analysées sur Epi Info 6.0. Les différentes variables qualitatives concernant l’infirmier ont été comparé à l’aide de test de khi2 au seuil de 5 %.
Résultats Matériels et méthodes La population de l’étude est l’ensemble des infirmiers des deux CHU de Sousse, n = 980. L’enquête a porté sur 250 sujets pris au hasard soit 25,5 % de l’ensemble des infirmiers. C’est une étude descriptive et analytique transversale basée sur un questionnaire composé de deux parties. La première intéressait tous les infirmiers inclus, avec les caractéristiques générales (sexe, âge, indice de masse corporelle), les caractéristiques socio-familiales (statut familial, nombre d’enfants, activités extraprofessionnelles, activités sportives, distance et mode de transArch Mal Prof Env 2006
L’échantillon était constitué de 121 hommes soit 48,4 %, et 129 femmes soit 51,6 %, avec un sex-ratio de 0,93, sachant qu’il était de 0,90 dans population de l’étude. L’âge moyen était de 38 ± 7,43 ans avec des extrêmes de 26 à 57 ans, l’ancienneté moyenne au travail était de 12,2 ± 7,1 ans (3 – 31 ans). Au cours des 12 mois précédant l’enquête, 94 soit 37,6 % des infirmiers avaient présenté des lombalgies. Leur âge moyen était de 38,2 ± 7,3 ans. Parmi les 129 femmes interrogées, 56,3 % déclaraient avoir souffert de lombalgies, alors que chez les hom15
MÉMOIRE
Lombalgies chez le personnel hospitalier
F. Debbabi et al.
mes cette proportion était seulement de 43,6 %. Cette différence n’était pas statistiquement significative. Le mode d’installation des lombalgies était en majorité progressif (56,4 %). Les caractéristiques de la douleur sont précisées dans le tableau I. Lorsque la douleur était jugée être liée à l’activité professionnelle, les infirmiers évoquaient une ou plusieurs causes à l’origine de cette douleur : le port de charges lourdes (43,6 %) ; les faux-mouvements (32 %) ; la position debout prolongée (11,7 %) ; 12 infirmiers évoquaient un déplacement fréquent au cours de l’activité professionnelle. L’absentéisme chez les sujets lombalgiques a été chiffrée à 81 jours d’arrêt de travail au cours de l’année précédant l’enquête, et aucun cas d’inaptitude au poste n’a été noté. L’analyse des déterminants extra-professionnels des lombalgies n’a trouvé aucun facteur qui leur était statistiquement associé (tableau II). Concernant les facteurs de risque, les horaires du travail, les déplacements ainsi que la durée du trajet domicile-travail étaient les facteurs de risque de lombalgies chez nos infirmiers (tableau III).
Tableau II : Comparaison des facteurs extra-professionnels chez les sujets lombalgiques et les non lombalgiques.
Caractéristiques étudiées
lombalgiques non lombalgiques (n = 94) (n = 156)
P
Âge < 50 ans
86
142
≥ 50 ans
8
14
N.S
Sexe Féminin
53
76
Masculin
41
80
N.S.
≤2
10
31
N.S
>2
84
125
Enfants à charge
Antécédents de pathologies rachidiennes Oui
13
16
Non
81
140
Oui
29
60
Non
65
96
N.S
Activité sportive N.S
NS : différence non significative.
Discussion Tableau I : Caractéristiques des lombalgies.
Caractéristiques des lombalgies
Effectifs (n = 94)
Pourcentage
Lombalgie - isolée
69
73,4
- associée à d’autres rachialgies
25
26,6
- progressive
53
56,4
- brutale
41
44,6
Installation
Nombre d’épisodes - unique
16
17
- plusieurs fois dans l’année
78
83
Cause de la douleur jugée par l’infirmier - professionnelle
42
44,7
- extra-professionnelle
23
24,4
- professionnelle et extra-professionnelle
38
40,4
12
11,3
Modalité de la prise en charge - recours au généraliste seul - recours au spécialiste
31
32
- aucune prise en charge
51
56,7
16
Cette étude a permis de mettre en évidence la fréquence élevée des lombalgies (37,6 %) chez les infirmiers et de montrer que leur origine était multifactorielle. Ces facteurs de risque étaient essentiellement liés au poste de travail et à son environnement. Notre échantillon d’infirmiers peut être considéré comme représentatif de la population des infirmiers (échantillon aléatoire). La prévalence globale des lombalgies sur les 12 derniers mois en milieu de travail varie selon la littérature entre 20 et 60 % (4, 7, 8). Cette grande variabilité peut être expliquée par l’absence de critères objectifs pour définir la pathologie, d’autant plus que son évaluation fait appel à la mémoire d’évènements qui peuvent remonter à une année (9). Par ailleurs, 44,6 % des lombalgies sont d’installation brutale. Les nombreuses études qui se sont intéressées aux épisodes douloureux du rachis lombaire confirment la brièveté des périodes algiques. Elles estiment que 40 à 70 % des épisodes douloureux durent moins de huit jours (10, 11). Concernant l’absentéisme lié aux problèmes lombaires, notre résultat (17,02 %) se rapproche de celui rapporté par M.Granier et al. ainsi que de ceux trouvés dans la littérature, qui varient entre 10 et 25 % (10, 12, 13). Arch Mal Prof Env 2006
Tableau III : Comparaison des facteurs professionnels chez les sujets lombalgiques et les non lombalgiques.
Caractéristiques étudiées
Lombalgiques Non (n = 94) lombalgiques (n = 156)
P
Mode de transport - A pieds
17
34
- A 2 roues
11
21
- Transport en commun
47
58
- Automobile
19
43
- ≤ 40 mn
33
81
- > 40 mm
61
75
- Jour
51
60
- Nuit
25
50
- Alterné
18
46
- Assise
13
38
- Debout prolongée
55
79
- Positions variées
26
33
N.S
Durée du trajet parcouru
lombalgie dans certaines études (17, 18). Cette corrélation n’a pas été constatée dans la nôtre. La mise en évidence des facteurs prédictifs de l’évolution chronique de ces lombalgies est une nécessité impérative si l’on veut réduire le poids de l’invalidité provoquée par ces pathologies. Une bonne prévention centrée sur une démarche ergonomique, comprenant la sensibilisation des agents et la détection rapide de la pathologie, l’aménagement de postes de travail, la formation à la manutention dès l’embauche et la prise en compte des facteurs psychosociaux serait alors nécessaire.
0,009
Références
poste horaire 0,04
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posture N.S
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- Oui
52
110
- Non
42
46
0,017
4. Abenhaim L., Rossignol M., Gobeille D., Bonvalot Y. : The prognostic consequences in the making of the initial medical diagnosis of work-related back injuries. Spine,1995 ; 20 : 791-795.
- > 10 kg répété
30
44
N.S
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- > 10 kg occasionnels
64
112
- ≤ 10 ans
50
82
- >10 ans
44
74
Déplacement fréquent au poste
Manutention de charges
Ancienneté au poste N.S.
NS : différence non significative.
Parmi les facteurs de risque professionnels, trois éléments ont été statistiquement associés à des lombalgies dans notre étude : la durée du trajet parcouru par l’infirmier, l’horaire du poste de travail et un trajet supérieur à 40 min. Ce dernier serait lié à l’apparition de lombalgies, dont la fréquence paraît plus importante chez le personnel hospitalier qui travaille le matin , en rapport avec un volume de travail plus important de la tâche d’avant – midi (11, 14). Ainsi, nos résultats rejoignent les données de la littérature sur l’origine multifactorielle des lombalgies, notamment dans ses origines professionnelles ou extra-professionnelles (10, 15, 16). Certains facteurs individuels, tels que le nombre d’enfants à charge, étaient étroitement associés à la Arch Mal Prof Env 2006
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MÉMOIRE
Lombalgies chez le personnel hospitalier
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