Facteurs de risque du delirium tremens : revue de la littérature

Facteurs de risque du delirium tremens : revue de la littérature

La Revue de médecine interne 33 (2012) 18–22 Mise au point Facteurs de risque du delirium tremens : revue de la littérature Risk factors for deliriu...

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La Revue de médecine interne 33 (2012) 18–22

Mise au point

Facteurs de risque du delirium tremens : revue de la littérature Risk factors for delirium tremens: A literature review N. Thiercelin a,b,∗ , Z. Rabiah Lechevallier b , E. Rusch c , A. Plat d a

CHU de Tours, boulevard Tonnelé, 37000 Tours, France Service d’addictologie, centre hospitalier Général-de-Dreux, 44, avenue J.-F.-Kennedy, 28100 Dreux, France c Service d’information médicale et d’économie de la santé, CHU de Tours, boulevard Tonnelé, 37000 Tours, France d Service d’addictologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, boulevard de l’hôpital, 75013 Paris, France b

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le 15 septembre 2011 Mots clés : Alcool Delirium tremens Sevrage alcoolique Facteurs de risque

r é s u m é Le delirium tremens (DT) est la complication la plus grave du sevrage d’alcool. Les facteurs de risque d’apparition du DT (avant que le sevrage ne commence) et les facteurs prédictifs précoces d’évolution du syndrome de sevrage vers le DT (une fois que le sevrage commence) ne font pas l’objet d’un consensus. Nous avons réalisé une revue de la littérature à partir des bases de données PubMed/Medline afin d’identifier les facteurs de risque de DT. Vingt et une études ont été sélectionnées. Seules trois étaient prospectives. Les facteurs de risque les plus fréquemment identifiés étaient les antécédents personnels de DT, ceux de crises convulsives, la présence d’une comorbidité aiguë somatique et, en particulier, infectieuse, la présence de symptômes de sevrage précoce, une prédisposition génétique. La plupart des facteurs restent encore très discutée et l’élaboration d’études prospectives pourrait être utile compte tenu de la prévalence du DT et de l’absence de protocole consensuel tant diagnostique que thérapeutique. © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Alcohol Delirium tremens Alcohol withdrawal Risk factors

Delirium tremens (DT) is the most severe complication from alcohol withdrawal. Risk factors for DT (before the withdrawal begins) and early predictive factors for the development of the withdrawal syndrome towards DT (once withdrawal has started) are not clearly established. We reviewed the literature from PubMed/Medline database to identify risk factors for DT. Twenty-one studies were been selected. Three only were prospective. The most commonly identified risk factors included personal history of DT, seizures, presence of acute somatic comorbidity especially infectious, presence of early withdrawal symptoms, and genetic predisposition. Most of these risk factors are still debated and prospective studies might appear useful considering the DT prevalence and the absence of consensual both diagnostic and therapeutic protocols. © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction Le syndrome d’alcoolodépendance se différencie des autres dépendances aux produits (tabac, cocaïne, opiacés, benzodiazépines, cannabis) par la gravité potentielle du sevrage. Le sevrage d’alcool est le seul qui puisse se compliquer de la mort du patient, en dehors de la décompensation d’une comorbidité, par la survenue d’un accident de sevrage : les crises convulsives généralisées (compliquant aussi le sevrage en benzodiazépines) ou le delirium

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Thiercelin).

tremens (DT). Avec un traitement adapté et un diagnostic précoce, la mortalité du DT a fortement diminué [1] et avoisinerait les 1 % [2,3]. La prévention de cette complication se fait actuellement par l’administration de benzodiazépines chez les patients alcoolodépendants (AD) qui débutent un sevrage [4]. Si la prescription très largement répandue de traitements préventifs a pu faire espérer la diminution, voire la disparition du DT, les observations quotidiennes dans les services de médecine d’urgence et de réanimation tendent à confirmer que de nombreux patients AD développent encore cette complication. Les facteurs de risque du DT (avant que le sevrage ne commence) et les facteurs prédictifs précoces d’évolution du syndrome de sevrage vers le DT (une fois que le sevrage a commencé) n’ont

0248-8663/$ – see front matter © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2011.08.002

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pas été clairement identifiés [5]. De plus, certains critères de surveillance du syndrome de sevrage (qui apparaissent dans le score CIWA [6] ou dans l’échelle de Cushman [7]) et les protocoles thérapeutiques qui y sont habituellement associés peuvent être mis en défaut par l’usage (voire le mésusage) de traitements (comme les benzodiazépines ou les bêtabloquants, par exemple) susceptibles de masquer ou modifier une partie des symptômes. Bien qu’elle représente une activité non négligeable des unités de courts séjours, des urgences (SAU), des services de médecine, de chirurgie et de soins intensifs, la prise en charge du DT (prévention et traitement) ne fait pas l’objet en France d’une activité de recherche spécifique. L’utilisation dans le langage médical franc¸ais du terme « pré-DT », qui n’existe pas dans d’autres pays (le « pré-DT » n’apparaît ni dans la CIM-10, ni dans le DSM IV), pourrait signifier que le DT et ses signes avant-coureurs tiennent une place spécifique chez les médecins franc¸ais [8]. Nous proposons dans ce travail d’identifier, à partir d’une revue de la littérature, les facteurs de risque du DT. 2. Méthodes Nous avons inclus tous les articles originaux qui se sont intéressés aux facteurs de risque (FdR) de DT. Les études qui ont porté sur les FdR de syndrome de sevrage sévère ou sur les FdR de crise convulsive de sevrage n’ont pas été retenues, sauf si elles évoquaient la notion de FdR de DT. Nous avons interrogé la base de donnée PubMed/Medline sans limite de date de publication et à partir des mots clés suivant : « alcohol ou withdrawal ou delirium ; alcohol withdrawal et delirium ; delirium tremens ; alcohol withdrawal et severity ». Nous avons étendu ensuite notre recherche, à partir des références des articles, ainsi que par l’utilisation de la fonction « article lié » de PubMed. Les articles ont été sélectionnés à partir des titres et des résumés de publication. Les critères de sélection ont été la présence de FdR associés à la notion de DT ou de complications de sevrage dont le DT. 3. Résultats Vingt et un articles ont été sélectionnés. Trois seulement étaient des études prospectives sur les facteurs de risque de DT, 17 des études de cohorte rétrospectives et une était une revue de la littérature sur les polymorphismes génétiques associés au DT. Il n’existait aucune méta-analyse sur le sujet. Seule une étude a été réalisée en France [9] et elle n’était pas spécifiquement dédiée au DT, mais à la sévérité du score de sevrage (score de Cushman). La plupart de ces études ont analysé des populations de patients AD en sevrage, principalement hospitalisés dans des services spécialisés. Une étude s’intéressait aux patients admis avec une alcoolémie positive dans un service de traumatologie. Le diagnostic de DT a été réalisé dans la plupart des cas à partir des critères du DSM IV dans un contexte de sevrage. Cependant, des données manquaient parfois sur la manière de définir les cas. Toutes les études n’ont pas cherché les mêmes FdR. Les facteurs les plus souvent analysés étaient l’âge, le sexe, les antécédents de DT et de crise convulsive généralisée (CCG), les comorbidités somatiques, les quantités d’alcool consommées, la pression artérielle, la fréquence cardiaque, le bilan hépatique, la numération formule sanguine (NFS), l’ionogramme sanguin. Les facteurs donnés dans le Tableau 1 ont été associés significativement au DT au moins une fois. 4. Discussion L’âge, dans certaines études, n’a pas été identifié comme un facteur significatif [9–12] tandis qu’il l’a été dans d’autres [13,14]. Un âge supérieur à 60 ans a été trouvé comme FdR de DT (odds ratio

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(OR) : 4,7 ; IC 95 % : 1,5–15) dans un groupe de patients hospitalisés pour sevrage d’alcool [14]. Une autre étude a trouvé qu’un âge supérieur à 40 ans était un facteur de risque de DT (OR : 2,98 ; IC 95 % : 1,97–4,51) en comparant un groupe (service de traumatologie) de patients ayant fait un DT à un groupe de patients ayant une alcoolémie positive [13]. L’alcoolodépendance ne se diagnostiquant pas sur une alcoolémie positive, il était donc difficile de comparer ces deux groupes sans biais majeurs. La prévalence de l’usage quotidien d’alcool chez la femme est plus faible que chez l’homme [15]. Il en est de même pour l’alcoolodépendance [16]. Aucune étude n’a retrouvé le sexe comme étant un FdR de DT chez le sujet AD. Au vu du recrutement majoritairement masculin des études, la réalisation d’une méta-analyse serait probablement nécessaire afin de statuer définitivement sur ce facteur. L’origine afro-américaine est apparue comme un facteur de risque dans une seule étude [2]. Il est important de noter que seules les études nord-américaines évaluent ce facteur. Dans cette même étude [2], le fait d’être sans emploi ou celui d’être sans domicile fixe (SDF) étaient des facteurs associés significativement au DT. Ces différences statistiques disparaissaient dans la régression logistique où seuls restaient significatifs le « délai entre le dernier verre et l’hospitalisation » et la « présence d’une comorbidité aiguë physique plus fréquente ». Les facteurs de précarité (être afro-américain, être sans domicile fixe, être sans emploi) pourraient être associés à une prise en charge plus tardive du sevrage ou être associés à une alcoolodépendance plus sévère. De nombreuses études se sont intéressées aux modes de consommation d’alcool et à leurs éventuels liens avec la survenue d’une complication de sevrage telle que le DT. Un lien significatif entre la survenue d’un DT et le délai entre le dernier verre d’alcool et l’hospitalisation a été noté [2]. Cette donnée n’est pas retrouvée dans une autre étude [12]. Il est dommage que si peu d’études aient recueilli cette donnée. Cela est probablement dû à leur nature rétrospective. Le DT se développant classiquement dans les 48–72 heures après l’arrêt brutal de la consommation d’alcool chez le sujet AD [17], il serait utile de corréler les données recueillies à l’arrivée avec le délai entre le dernier verre d’alcool et l’hospitalisation. Le nombre maximum de verres consommés sur une période de 24 heures a été associé au DT [18]. Il existerait un lien significatif entre une cessation brutale d’une consommation d’alcool importante et le DT [19], de même entre la quantité d’alcool consommée par jour et la survenue d’un DT [1]. Cela n’a pas été mis en évidence par d’autres [12,20]. D’autres facteurs n’ont pas été mis en évidence tels que l’ancienneté de l’alcoolodépendance [9], la durée d’une consommation excessive ou régulière d’alcool [12,21] et le nombre de jours de consommation par semaine [20]. Les patients qui présentaient une tolérance et une dépendance à l’alcool importantes (mesurées par l’échelle Severity of Alcohol Dependence Questionnaire [SADQ]) développeraient des sevrages plus sévères et des complications plus fréquentes [22]. Les résultats de ces études sont très hétérogènes. En effet, il existe une grande diversité dans les modes de consommation chez les patients ayant développé un DT. La réalisation d’entretiens rétrospectifs et, par ailleurs, la présence de troubles cognitifs chez les AD sévères peuvent participer à une sous-déclaration des quantités consommées. Il semble donc peu probable que ces facteurs aient pu être recueillis sans approximation. Les patients hospitalisés par le biais des urgences seraient plus à risque de développer un sevrage sévère que ceux provenant de la consultation d’alcoologie [9]. Des études prospectives manquent pour confirmer l’intuition clinique que la préparation au sevrage protège de ses complications. Les patients qui ont un antécédent de DT sont plus à risque de développer un nouveau DT [1,12,20,23,24]. C’est un des rares

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Tableau 1 Facteurs de risque du delirium tremens (DT). Facteurs sociodémographiques Âge > 40 ans [13] ou > 60 ans [14] (NS [9–12,23]) Afro-américain [2] Blessure par brûlure [13] SDF [2]

Antécédents personnels DT [1,12,20,23,24] Crise convulsive de sevrage [1,12,24] Nombre de sevrages antérieurs importants [18] (NS [9,20,21])

Génétiques Gènes impliqués dans la transmission de la dopamine [32] Mode de consommation Âge plus tardif d’une consommation excessive [21] Abus de benzodiazépines ou de barbituriques [21] Délai entre le dernier verre et l’hospitalisation [2] (NS [12,23]) Nombre maximum de verres consommés en 24 heures [18] Arrêt brutal d’une consommation importante [19] Quantité d’alcool consommée par jour [1,10,21] (NS [12,20]) Tolérance et dépendance élevées (échelle SADQ) [22]

Facteurs biologiques Thrombopénie [35] Hypokaliémie [11,21,23] (NS [10,20,23]) Hypoalbuminémie [2] (NS [10,23]) ALAT augmenté [11] (NS [10,20,23]) ␥-GT augmenté [11] (NS [10,20,23]) Hypochlorémie [11] (NS [20,23]) Urémie augmentée [20] (NS [10]) Créatininémie augmentée [20] (NS [10]) Anémie [21] (NS [10]) BDNF diminué [36]

Facteurs cliniques Pression artérielle systolique > 145 mmHg [24] ou > 150 mmHg ou hypotension artérielle [2,10] (NS [23]) Température axillaire > 38 ◦ C [10] Fréquence respiratoire augmentée [2] Fréquence cardiaque > 100/min [23] ou > 120/min [12] Survenue au cours du sevrage d’une crise convulsive [10,37,43] (NS [12]) Symptômes de sevrage associés à une alcoolémie > 1 g/L [12] Absence de latence entre le début des symptômes de sevrage et l’arrêt de la consommation d’alcool [33] Infection en cours [12,20] Présence une comorbidité physique aiguë [2,20,21,24] (NS [23]) Présence d’une ataxie ou d‘une polyneuropathie [11] NS : non significatif.

facteurs de risque de DT très régulièrement retrouvé dans les études. De même pour les antécédents de crises convulsives de sevrage. Des antécédents de lésions vasculaires cérébrales ou de traumatisme cérébral ne seraient pas des FdR de DT, de même pour les antécédents de maladie cérébrale de type démence [12]. Cependant, il est difficile chez les patients âgés porteurs d’une maladie dégénérative d’objectiver le DT, compte tenu des troubles cognitifs de ces patients. L’effet « kindling » (petit bois d’allumage) a été décrit pour la première fois par Goddard et al. en 1969 [25]. Une stimulation électrique initiale, par le biais d’électrodes dans le cerveau, ne produit pas d’effet. Après un certain temps, la répétition de cette même stimulation, de manière intermittente, induit l’apparition d’une réponse motrice et le développement de crises convulsives. Le cerveau serait sensibilisé par la répétition de la stimulation électrique. Cette sensibilisation pourrait aussi être faite de manière chimique par l’administration de drogues dans le cerveau [26]. L’hypothèse que le syndrome de sevrage à l’alcool et l’hyperexcitabilité du système nerveux central qui en découle puissent être le stimulus initial du « kindling » appliqué au syndrome d’alcoolodépendance est évoquée dès 1978 [27]. La répétition d’épisodes de sevrage augmenterait l’intensité des symptômes de sevrage et expliquerait l’apparition des complications (CCG et DT) [28]. Quelques études cliniques semblaient mettre en évidence cet effet « kindling » dans le cadre de la survenue de crises convulsives de sevrage. Chez des patients qui ont eu une crise convulsive de sevrage, 48 % avaient expérimenté au moins cinq épisodes de sevrage précédemment (12 % chez ceux n’ayant pas fait de crise convulsive) [29]. Il existerait une corrélation positive entre la présence d’antécédents de sevrage et l’apparition de CCG de sevrage [30]. Les syndromes de sevrage seraient plus sévères et les complications plus fréquentes chez les patients ayant des antécédents de sevrage [31]. Cependant, même si le principe de l’effet « kindling » était prometteur, les données de la littérature le qualifiant de facteur de risque de DT sont loin d’être claires et le concept associant « kindling » et AD sévère a

quelque peu disparu des publications les plus récentes. Le nombre d’antécédents de sevrage serait un facteur de risque de DT [18] mais bien d’autres études n’ont pas retrouvé cette donnée [9,20,21]. Peu d’études se sont intéressées aux antécédents familiaux comme pouvant être un facteur de risque de DT. Une revue de la littérature portant sur « polymorphismes génétiques et DT » a identifié huit polymorphismes associés significativement au DT [32]. Deux gènes candidats impliqués dans la transmission de la dopamine ont été associés significativement au DT dans deux populations d’étude différentes. 4.1. Les dosages biologiques Une alcoolémie supérieure à 1 g/L au moment de l’admission n’a pas été associée à un risque plus important de développement d’un DT [12,20]. Cependant, on remarque que chez certains patients, la présence d’alcool dans l’organisme est obligatoire pour éviter tout symptôme de sevrage. L’apparition de symptômes de sevrage malgré une alcoolémie positive supérieure à 1 g/L serait un facteur de risque de DT [12] ainsi qu’une absence de délai entre symptômes de sevrage et l’arrêt de la consommation d’alcool [33]. Une corrélation positive entre le dosage de la transferrine désyalilée (CDT) et la gravité du syndrome de sevrage a été notée [34]. Un taux d’ALAT augmenté a aussi été noté comme pouvant être un FdR de DT [11] mais n’a pas été retrouvé dans d’autres études [10,20,23]. Il en était de même pour un taux de ␥-GT augmenté. L’impression générale est que la majeure partie des patients AD hospitalisés pour sevrage ont des perturbations du bilan hépatique, DT ou non. Les résultats obtenus sont contestables : les bilans hépatiques ont probablement été les facteurs biologiques les mieux étudiés chez les AD. Si des augmentations des ␥-GT, des ASAT ou des ALAT étaient des facteurs de risque du DT, il semblerait surprenant que seule une ou deux études aient pu le mettre en évidence. Une hypochlorémie ou une hypokaliémie ont été trouvée comme pouvant être un facteur de risque de DT dans une étude [11] mais pas dans une autre [23]. Une thrombocytopénie serait un

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facteur de risque de DT [35]. Une étude a retenue une augmentation de l’urée plasmatique et de la créatininémie [20]. Récemment, le dosage du BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor) qui a un rôle dans les mécanismes de plasticité cérébrale, de modulation de l’activité des neurotransmetteurs et de différenciation neuronale, a été étudié comme facteur pronostic de la survenue d’un DT au cours du sevrage d’alcool [36]. Sans pouvoir définir un seuil, le taux plasmatique en début de sevrage était significativement plus faible dans le groupe DT que dans le groupe non-DT. L’analyse de la littérature n’a pas permis de faire apparaître une quelconque tendance concernant les critères biologiques. L’hypothèse était qu’un retentissement biologique pourrait parfois être le reflet d’une alcoolodépendance plus sévère qui pourrait elle-même être éventuellement un facteur de risque de DT. 4.2. L’évaluation clinique De nombreux auteurs ont incorporé l’évaluation clinique des patients en sevrage. Il ne s’agit pas stricto sensu, de facteurs de risque mais plutôt de facteurs prédictifs ou pronostiques d’évolution du syndrome de sevrage vers le DT. Néanmoins, en pratique, ils sont très utiles car ont été reliés à des protocoles de dispensation de benzodiazépines et de surveillance hospitalière des patients AD. Chez les patients AD au moment de l’admission, les facteurs prédictifs de DT seraient : • une fréquence cardiaque augmentée. La limite de la fréquence variait selon les auteurs : > 100/min [23] ou supérieure à 120/min [12] ; • une pression artérielle systolique augmentée. Là aussi, la valeur variait selon les études : 150 mmHg [10] ou 145 mmHg [24] ; • une fréquence respiratoire augmentée [2]. Les autres manifestations physiques du sevrage n’ont pas été notées mais n’ont pas été systématiquement cherchées : sueurs, tremblements, manifestations digestives, etc. L’ensemble de ces facteurs permet d’évaluer la gravité du syndrome de sevrage et fait partie d’échelles standardisées comme le score de Cushman ou la CIWA-Ar. Cependant, l’évaluation de ces données a ses limites, compte tenu des traitements (bêtabloquants, antihypertenseurs, par exemple) ou des pathologies pouvant influencer ces paramètres.

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et le degré de l’atrophie cérébrale n’étaient pas différents de ceux n’ayant pas fait de complication [38]. La présence d’une cirrhose n’était pas, dans une étude, un facteur de risque de DT [9]. L’insuffisance hépatique pourrait être même plutôt un facteur protecteur. Il existerait, au cours de la cirrhose, une accumulation de benzodiazépines endogènes (endozépines) qui serait corrélée à la gravité du score de CHILD indépendamment de la présence d’une encéphalopathie hépatique [39,40]. Au cours de l’encéphalopathie hépatique, il existerait de plus une augmentation du tonus GABAergic avec augmentation de la sensibilité des récepteurs GABAA [41,42]. L’insuffisance hépatique et l’encéphalopathie hépatique pourraient faire l’objet d’études permettant de confirmer leur caractère protecteur sur l’apparition de complications du sevrage d’alcool. Néanmoins, la préexistence d’une hépatopathie sévère et décompensée chez un patient AD en sevrage doit faire l’objet de précautions spécifiques (traitements hépatotoxiques, en particulier) et d’une surveillance accrue (encéphalopathie hépatique, hémorragie digestive, infection du liquide d’ascite, etc.). La présence d’une pathologie du pancréas ne serait pas un facteur de risque. De même pour la présence d’un diabète ou d’une maladie cardiopulmonaire chronique [12]. Alors que chez les patients AD ayant une insuffisance respiratoire (chronique ou aiguë) la tendance serait de prescrire moins de benzodiazépines, il n’était pas noté dans la littérature d’augmentation du DT dans cette population. Cependant, la présence dans les études d’un recrutement de patients AD et insuffisants respiratoires était trop faible pour pouvoir être correctement analysée. La pneumopathie infectieuse a été cependant associée au DT [12]. Même si le mauvais état général a été étudié et non trouvé comme facteur de risque [12], il n’existait pas de données sur l’état nutritionnel du patient (indice de masse corporel, amyotrophie) et la survenue d’un DT. 4.4. Les comorbidités psychiatriques Les études collectées étaient issues d’équipes médicales et se sont peu intéressées à ce facteur. Les sueurs, les tremblements, l’accélération du rythme cardiaque, l’augmentation de la pression artérielle sont des manifestations classiques chez le patient présentant un trouble anxieux majeur et réalisant, par exemple, une attaque de panique. La survenue de DT chez des patients présentant ces pathologies n’a pas été étudiée. 4.5. Les coaddictions et les co-consommations

4.3. Les comorbidités somatiques La survenue d’une crise convulsive au cours du sevrage serait un facteur prédictif de DT [10]. Dans une étude, un tiers des patients qui ont développé un DT ont eu une crise convulsive comme manifestation de départ ou comme manifestation accompagnant le DT [37]. Les auteurs ont évoqué la possibilité que la crise convulsive soit un symptôme inaugural du DT. Pour d’autres, il n’existait pas d’augmentation de fréquence de survenue de DT chez les patients ayant fait une crise convulsive dans les dernières 48 heures [12]. L’existence d’une comorbidité somatique a souvent été associée au DT [2,18,20,21,24]. Toutes les études n’ont pas retrouvé ce facteur [23]. Une maladie infectieuse en cours serait un FdR de DT [2,20]. L’augmentation de l’activité du système nerveux autonome (sueurs, tachycardie, hyperthermie, tremblements, nausées) liée à la présence d’une infection aggraverait la symptomatologie du sevrage et augmenterait les risques de DT. Par ailleurs, il est possible que la comorbidité somatique (infectieuse, par exemple) entraîne un retard diagnostique et thérapeutique de l’alcoolodépendance. L’existence d’une neuropathie alcoolique a été notée comme facteur de risque de développer un DT [11]. Chez les patients ayant fait des sevrages compliqués (crise convulsive ou DT), l’importance

La présence d’une co-dépendance n’a pas été notée comme étant un facteur de risque de DT [12]. La gravité et la durée du DT seraient plus sévères lorsqu’il existerait un abus concomitant de benzodiazépines, de barbituriques ou de carbamates [21]. Ces polyconsommations génèrent le risque de sevrages multiples. L’exclusion des patients AD déjà traités par benzodiazépines dans la majorité des études empêche, cependant, toute conclusion. Néanmoins, les benzodiazépines sont le traitement médicamenteux de première intention du syndrome de sevrage alcoolique et diminuent l’incidence des complications (DT et CCG) [4]. La nonprescription de ce traitement ou le retard à sa prescription est donc le principal facteur pronostic de la survenue du DT. L’ensemble des études sur les facteurs de risque de DT devraient donc être corrélés au délai entre le début des symptômes de sevrage, de l’arrêt d’alcool, de l’arrivée à l’hôpital, d’une part, et à la première prise du traitement, d’autre part. 5. Conclusions Cette revue de la littérature soulève, sans surprise, plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Les facteurs de risque sont loin

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N. Thiercelin et al. / La Revue de médecine interne 33 (2012) 18–22

d’être clairement identifiés. La reproductibilité des résultats de ces études dans des populations différentes ou similaires est rare. Les méthodes utilisées dans ces études sont aussi très hétérogènes ce qui rend parfois difficiles les comparaisons. Les facteurs de risque les plus fréquemment associés au delirium tremens sont : les antécédents personnels de DT, de CCG, la présence d’une comorbidité aiguë somatique et, en particulier, infectieuse, la présence de symptômes de sevrage précoce et une prédisposition génétique. Les caractéristiques sociodémographiques, le rôle de l’effet « kindling », les modes de consommation d’alcool, les modes d’hospitalisation et les dosages biologiques sont très discutés. Une fois le sevrage débuté, une augmentation précoce de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle systolique semblent les facteurs prédictifs les plus fréquemment retrouvés. Bien entendu, l’absence ou le retard de traitement du sevrage d’alcool sont des facteurs majeurs. Afin de vérifier la reproductibilité des résultats issus de cette revue de la littérature, il serait nécessaire de mettre en place des études prospectives intégrant des échelles validées, des critères cliniques et biologiques reproductibles en pratique clinique et en particulier au sein des services d’urgence. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Cushman P. Delirium tremens. Update on an old disorder. Postgrad Med 1987;82:117–22. [2] Ferguson JA, Suelzer CJ, Eckert GJ, Zhou XH, Dittus RS. Risk factors for delirium tremens development. J Gen Intern Med 1996;11:410–4. [3] Mayo-Smith M, Beecher L, Fischer T, Gorelick D. Management of alcohol withdrawal delirium. An evidence-based practice guideline. Arch Intern Med 2004;164:1405–12. [4] Mayo-Smith MF. Pharmacological management of alcohol withdrawal. A metaanalysis and evidence-based practice guideline. American Society of addiction medicine working group on pharmacological management of alcohol withdrawal. JAMA 1997;278:144–51. [5] Société franc¸aise d’alcoologie. Référentiel de bonnes pratiques cliniques. Sevrages non programmés. Accidents de sevrage [Internet]; 2006 décembre 19. Available from: http://www.sfalcoologie.asso.fr/download/ Svg accidents.pdf?PHPSESSID=c4e0ccade692e3e52e4ab73ab44c491b. [6] Sullivan JT, Sykora K, Schneiderman J, Naranjo CA, Sellers EM. Assessment of alcohol withdrawal: the revised clinical institute withdrawal assessment for alcohol scale (CIWA-Ar). Br J Addict 1989;84:1353–7. [7] Cushman P, Forbes R, Lerner W, Stewart M. Alcohol withdrawal syndromes: clinical management with lofexidine. Alcohol Clin Exp Res 1985;9:103–8. [8] Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en Santé. Société franc¸aise d’alcoologie. Maison de la chimie, Paris;1999: p. 24. Available from: http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/alccol2.pdf. [9] Mennecier D, Thomas M, Arvers P, Corberand D, Sinayoko L, Bonnefoy S, et al. Factors predictive of complicated or severe alcohol withdrawal in alcohol dependent inpatients. Gastroenterol Clin Biol 2008;32:792–7. ˜ R, Casariego E, Bal M, Pértega S. Risk factors for delirium [10] Monte R, Rabunal tremens in patients with alcohol withdrawal syndrome in a hospital setting. Eur J Intern Med 2009;20:690–4. [11] Wetterling T, Kanitz RD, Veltrup C, Driessen M. Clinical predictors of alcohol withdrawal delirium. Alcohol Clin Exp Res 1994;18:1100–2. [12] Palmstierna T. A model for predicting alcohol withdrawal delirium. Psychiatr Serv 2001;52:820–3. [13] Lukan JK, Reed DN, Looney SW, Spain DA, Blondell RD. Risk factors for delirium tremens in trauma patients. J Trauma 2002;53:901–6. [14] Kraemer KL, Mayo-Smith MF, Calkins DR. Impact of age on the severity, course, and complications of alcohol withdrawal. Arch Intern Med 1997;157: 2234–41.

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