Dépressions et âges de la vie
Fatigué(e) ou déprimé(e) ?
D. Pouchain 1 ter rue du Midi, 94300 Vincennes
LE SYMPTÔME FATIGUE La fatigue est un symptôme subjectif et sa sensibilité de point de vue statistique est très élevée. Ainsi quand quelqu’un se plaint de fatigue, c’est probablement qu’il se passe quelque chose. À l’inverse, c’est un symptôme qui a une spécificité faible : l’absence de fatigue n’élimine pas une maladie grave. Il n’existe pas d’outil validé pour « mesurer » la fatigue au moins en médecine générale. Les valeurs prédictives positives et négatives de la fatigue pour une maladie grave sont différentes selon la population soignée. Ceci explique pourquoi, quand on interroge un spécialiste sur la première cause de fatigue il répond : l’insuffisance cardiaque s’il est cardiologue, la chimiothérapie s’il est hématologue, la dépression ou les neuroleptiques s’il est psychiatre… Tout ceci est lié au fait que le raisonnement diagnostique est basé sur des critères de prévalence qui ne sont pas les mêmes selon les populations soignées. L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
La palissade qui se dégage est qu’en médecine générale, les maladies bénignes sont fréquentes et les maladies graves sont rares. À l’inverse, à l’hôpital, les maladies bénignes sont rares et les maladies graves sont fréquentes. Pour cette raison les démarches diagnostiques entre les milieux de soins sont différentes mais pas contradictoires. En médecine générale, il faut aller du plus simple (fréquent) au plus grave (rare) alors que les hospitaliers vont légitimement du plus grave au plus simple. En revenant à la littérature et en demandant à un interniste quelles sont les causes fréquentes de fatigue il répond le lupus érythémateux disséminé ou bien l’arthrite rhumatoïde. Il se base sur le postulat que toute asthénie prolongée est le symptôme d’une maladie somatique grave jusqu’à preuve du contraire.
DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES En considérant l’épidémiologie des maladies selon les lieux de
soins on constate qu’à l’hôpital l’asthénie somatique représente 25 à 40 % des asthénies, l’asthénie « psychique » 20 à 35 % et l’asthénie « réactionnelle », c’est-à-dire l’asthénie liée à l’environnement ou au contexte de vie sans signes dépressifs majeurs, 35 à 50 % (1). La distribution des causes de fatigue en soins primaires révèle que l’asthénie « psychique » représente 50 % des cas, l’asthénie « réactionnelle » 35 % des cas et l’asthénie liée à une pathologie somatique sous jacente 15 % des cas (5). Ce décalage pourrait être expliqué par les résultats de l’étude observationnelle de White KL en 1961 (6) en 2001 par Green LA (3). C’est une étude destinée à voir ce qui se passe en un mois dans une population de 1 000 adultes exposés à un trouble de santé. Les résultats montrent que 750 sujets ont perçu un trouble de santé (maux de tête, traumatisme bénin…) parmi lesquels le tiers, soit 250 sujets, ont consulté un médecin généraliste pour ce symptôme. Seulement 9 d’entre eux ont été hospitali-
sés, toutes structures hospitalières confondues, 5 ont consulté un spécialiste et 1 seul a été admis dans un centre hospitalouniversitaire (figure 1). Ceci revient à dire que la formation reçue en CHU, porte sur une population minime par rapport à l’ensemble de la demande en matière de soins en population générale. Les stratégies diagnostiques apprises à la faculté sont par conséquent relativement inadéquates à celles qui doivent être mises en œuvre en soins primaires. L’étude de la SFMG (4) qui s’est intéressée aux résultats de consultation des diagnostics en soins primaires, a montré que sur 25 résultats de consultation, 14 sujets sont hypertendus. Si l’on regarde l’ensemble des facteurs de risque cardiovasculaires, on constate qu’ils représentent 20 % de l’activité des médecins généralistes. En s’intéressant à l’activité psychiatrique (anxiété, humeur dépressive…), on peut déduire qu’elle représente 15 % de l’ensemble de l’activité d’un médecin généraliste (figure 2).
LITTÉRATURE RÉCENTE La recherche sur Medline s’intéressant aux articles publiés entre le 01/01/05 et le 15/09/07 et utilisant les mots clés : « Fatigue and depression and general practice » ne donne qu’une seule publication qui concernait une asthénie liée à une intoxication au mercure en NouvelleZélande. Par contre, quand on utilise les mots clés : « fatigue and depression » on obtient 60 références : 3 concernent le synS 18
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1 000 adultes exposés à un trouble de santé
750 sujets percoivent un trouble de santé
250 sujets consultent un médecin généraliste
9 sujets sont hospitalisés 5 sujets s’adressent à un autre médecin 1 sujet est hospitalisé dans un CHU
FIG. 1. — Résultats observés par Green et al. (3).
16,00
25 résultats de consultation = 50 % de la demande de soins
14,00 HTA 12,00 10,00 8,00 6,00 4,00 2,00 0,00 Va H cc TA ina H État tion yp fé er br lip ile id Ins émie Ex om am ni Ét . S e at yst Rh af . in éb I c oph rile or ar o y A narie n. rth n ro ne Lo path m ie ba Di lgie a A bète rth r A ose H nx um iét eu é rd A ép lgie re ssi v Pla Va e int rice C ea s on bd sti o. pa A tion sth Ja A énie m n Br bes gine on lou ch rd ite es aig uë Dé To pr ux es s A ion sth m e
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FIG. 2. — Prévalence des diagnostics en médecine générale.
drome de fatigue chronique, 1 revue générale porte sur la fatigue chez les cancéreux déprimés et 1 autre très pharmacologique, un ar ticle intitulé « Management of fatigue in depressed patients ». On trouve par ailleurs 53 articles parlant de dépressions liées à des comorbidités somatiques. Ainsi, le thème de la dépression et de
la fatigue sont assez peu explorés en médecine générale en France et dans le monde.
ASTHÉNIE : DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE Devant une fatigue apparemment isolée qui persiste plus de 3 semaines, il faut rechercher
des signes somatiques, à l’aide d’un entretien, de l’examen clinique et parfois examens paracliniques. Ces derniers n’ont pas un intérêt pour le diagnostic d’un trouble psychiatrique mais permettent d’éliminer des diagnostics somatiques aussi bien aux yeux du médecin que du patient parfois convaincu d’avoir une maladie somatique. Il faut s’enquérir du contexte et des événements de vie. Une approche plus globale du patient est ainsi indispensable. Il faut évaluer la qualité du fonctionnement au travail, dans le couple, la société… Le médecin doit explorer systématiquement le champ de la dépression au cours de l’entretien. On s’intéresse au sommeil, à l’appétit, à la mémoire, à la concentration, à l’humeur mais aussi à la libido, au sentiment d’autodévalorisation, à l’anxiété voire à l’anhédonie. Le problème qui se pose assez souvent est de faire la part des choses en cas de comorbidités : qu’est ce qui relève du registre somatique, qu’est ce qui relève du registre dépressif ? Dans tous les cas le diagnostic de dépression n’est pas un diagnostic d’élimination : c’est un diagnostic positif basé sur des signes positifs.
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se qu’il est déprimé. C’est le cas des patients qui se présentent pour des plaintes somatiques avec une asthénie dominante et qui refusent la réalité exprimée par le médecin par peur de la maladie mentale et de la « folie ». Dans ce cas le rôle du médecin est d’amener le patient à changer de registre en l’aidant à évoluer de la plainte physique aux faits psychiques. L’attitude du médecin est de : – s’intéresser à la vie personnelle du patient ; – développer un bon niveau d’empathie avec lui ; – avoir un contact visuel fréquent afin de signifier qu’on est là et qu’on l’écoute ; – poser des questions ouvertes telles que « qu’est ce que vous pensez de… ? » ; – ne pas interrompre trop souvent le patient ; – écouter les plaintes sans les banaliser c’est-à-dire ne pas éliminer systématiquement la plainte somatique mais la garder en mémoire et s’y référer en élargissant l’entretien ; – faire un examen clinique dont la négativité sera d’importance pour le sujet ; c’est parfois vrai aussi pour des examens complémentaires.
L’ANNONCE DU DIAGNOSTIC
LE TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX
Elle est facile si le patient est conscient de son état et de sa symptomatologie dépressive et s’il a des antécédents personnels d’épisodes antérieurs. L’annonce est plus délicate en revanche quand le patient pense qu’il a une maladie somatique alors que le médecin pen-
La mise en route d’un traitement médicamenteux est facile quand le patient et le médecin sont en accord sur le diagnostic et l’indication à traiter. Elle est plus difficile quand le patient est résistant au diagnostic et donc au traitement. Cette mise en route peut éga-
lement s’avérer difficile quand le médecin a tendance à éviter le diagnostic de dépression, à ne pas rechercher les symptômes dépressifs ou refuser de prescrire des antidépresseurs. Pour palier, au moins partiellement à ces diff icultés, un contrat thérapeutique précisant la nature du produit, la posologie et la durée du traitement avec un travail d’éducation à la santé est indispensable. Enfin, la disponibilité du médecin et l’accompagnement proposé au patient sont d’un grand apport pour une meilleure efficacité de la prise en charge et une bonne observance thérapeutique.
LE SYNDROME DE FATIGUE CHRONIQUE OU ENCÉPHALOMYÉLITE MYALGIQUE Définition Il est défini par une asthénie sévère et handicapante au moins à 50 % du temps depuis au moins 6 mois. Cette asthénie est augmentée par l’exercice physique léger et gêne l’activité physique et mentale quotidienne. Cette asthénie est associée à des myalgies, des céphalées, des troubles du sommeil, des troubles cognitifs et de l’humeur. L’examen somatique et les examens paracliniques sont normaux.
Prévalence La prévalence du syndrome de fatigue chronique en médecine générale est très variable selon S 19
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les études : elle varie de 0,006 % à 3 % (2). Ceci est au moins partiellement dû à la variabilité des définitions.
Traitement Les thérapies cognitives et comportementales et l’entraînement physique progressif semblent être efficaces pour le traitement du syndrome de fatigue chronique. Les antidépresseurs, les corticoïdes, le magnésium en intramusculaire, la nicotinamide, les suppléments diététiques, l’homéopathie, l’huile d’onagre et les repos prolongés ont été testés, l’efficacité… Appréciée. Le traitement par galantamine est probablement inefficace
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ainsi que celui par l’immunothérapie avec un rappor t risque/bénéfice défavorable.
CONCLUSION L’asthénie est une plainte fréquente en médecine générale. Ceci justifie la nécessité d’explorer systématiquement les étiologies psychiques, contextuelles et somatiques. En médecine générale, le diagnostic d’épisode dépressif caractérisé n’est pas un diagnostic d’exclusion, mais un diagnostic positif basé sur des critères cliniques. Enfin, passer de la plainte « asthénie » au diagnostic de dépression est un travail à la fois clinique et relationnel.
Références 1. Cathébras P, Housset H. L’asthénie. in Rousset H, Vital Durand D. Diagnostics difficiles en médecine interne. Paris : Maloine 1988 ; 23-29. 2. Reid S, Chalder T, Cleare A et al. Chronic fatigue syndrome. Clinical Evidence 2007. http:\\127.0.0.1:49152/1pBinCE/1pext.d11? F=templatesfn=main-hit-h.htm92.0. 3. Green LA, Fryer GE Jr, Yawn BP et al. The ecology of medical care revisited. N Engl J Med. 2001 Jun 28 ; 344 (26) : 2021-5, Comment in : N Engl J Med. 2001 Jun 28 ; 344 (26) : 2018-20, N Engl J Med. 2001 Oct 18 ; 345 (16) : 1211-2, N Engl J Med. 2001 Oct 18 ; 345 (16) : 1211 ; author reply 1212. 4. Société Française de Médecine générale. Documents de recherche en médecine générale. 2003 ; 58 : 1-84. www.sfmg.org 5. Société Française de Médecine générale. Observatoire de la Médecine Générale. www.sfmg.org 6. White KL et al. The ecology of medical care. BMJ 1961 ; 265 : 885-92.