Revue de chirurgie orthopédique 2007, 93, 859-862
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FAIT CLINIQUE
Fracture bilatérale de l’os pisiforme Bilateral fracture of the pisiform bone T. Ozalp *, C. Kurt **, E. Coskunol **, O. Ozdemir **, T. Bégué *** * Service de chirurgie orthopédique et traumatologique, CHU de Celal Bayar, Izmir, 45020 Manisa, Turquie. ** Service de chirurgie orthopédique et traumatologique, CHU d’Ege, Bornova-Izmir, Turquie. *** Service de chirurgie orthopédique et traumatologique et reconstructrice de l’appareil locomoteur, hôpital Avicenne, 125, route de Stalingrad, 93009 Bobigny.
ABSTRACT Fracture of the pisiform bone is exceptional compared with the other carpal bones. Such lesions may be missed in the emergency room because of the complex anatomy of the carpal region. The usual circumstances leading to fracture of the pisiform bone include fall with reception on the hyperextended wrist, traffic accidents, and blunt trauma. The purpose of this work was to present a case of bilateral fracture of the pisiform bones. A 34-year-old woman presented with pain along the ulnar borders of both wrists after a fall. The mechanism of fracture was direct trauma on both hands after reception in radial inclination. The diagnosis was established late and conservative treatment was applied. After simple immobilization, the clinical and functional outcome was excellent. The anatomic position of the pisiform bone exposes it to direct trauma. Late diagnosis can favor osteoarthritic sequelae involving the pisotriquetral joint. Key words: Carpal bones, pisiform bone, fracture, carpal fractures, pisiform fracture.
RÉSUMÉ L’os pisiforme est très rarement fracturé par rapport aux autres os carpiens ; la lésion est souvent méconnue en urgence à cause de l’anatomie complexe de la région carpienne. Chute au sol poignet en hyperextension, accident de la voie publique et traumatisme direct sont les circonstances habituelles de la fracture. Le but de ce travail était de présenter un cas de fracture bilatérale de l’os pisiforme, rare par le mécanisme étiologique et la bilatéralité. Une patiente âgée de 34 ans s’est présentée avec des douleurs sur les bords ulnaires des deux poignets suite à une chute. Le mécanisme fracturaire avait été un traumatisme direct sur les deux mains étendues en inclinaison radiale. Le diagnostic en a été tardif et le traitement conservateur, après une immobilisation simple de six semaines, le résultat clinique et fonctionnel a été excellent. La situation anatomique du pisiforme fait qu’il est exposé aux traumatismes et un diagnostic tardif pourrait exposer à des séquelles arthrosiques sur l’articulation pisotriquétrale. Mots clés : Os carpiens, os pisiforme, fracture, fractures carpiennes, fracture de pisiforme.
Correspondance : T. OZALP, 1786/1 sok. No : 1/7, 35540 Karsiyaka, Izmir, Turquie. E-mail :
[email protected] Acceptation définitive le : 2 mars 2007
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T. OZALP, C. KURT, E. COSKUNOL, O. OZDEMIR, T. BÉGUÉ
INTRODUCTION
Les fractures des os carpiens sont rares à l’exception du scaphoïde et souvent méconnues dans les services d’urgence à cause de l’anatomie complexe de la région carpienne. Les fractures du pisiforme sont parmi les plus rares et ne représenteraient qu’1 % des fractures carpiennes [Amadio et Taleisnik (1), Fleege et al. (2)]. Nous présentons un cas de fracture bilatérale de pisiforme suite à une chute au sol, le poignet en hyperextension, qui s’est terminée par un choc direct sur les deux éminences hypothénars. OBSERVATION Une patiente âgée de 34 ans, professeur des universités, s’est présentée aux urgences se plaignant des douleurs au bord ulnaire des deux poignets consécutives à une chute. Celle-ci était ainsi décrite : alors qu’elle tenait un téléphone portable dans une main et un grand dossier dans l’autre, la réception au sol avait entraîné un impact des bords ulnaires de ses deux poignets sur le relief aigu de l’angle du trottoir. Aux urgences sur les premiers clichés, la fracture n’a pas été reconnue ; des médicaments anti-inflammatoires, une attelle plâtrée sur un poignet et un bandage élastique sur l’autre, ont été prescrits. Quelques jours plus tard, la patiente étant toujours symptomatique, s’est adressée en consultation spécialisée. L’examen retrouvait des douleurs vives et un gonflement sur les bords palmaires et ulnaires des deux poignets. Les radiographies standard ont été réexaminées et montraient une fracture transversale sur chacun des pisiformes (fig. 1a et 1b). Pour confirmer le diagnostic, un scanner a été effectué (fig. 2a et 2b). Le traitement a été une immobilisation plâtrée de six semaines avec un bon résultat clinique et fonctionnel (fig. 3a et 3b). Au troisième mois, il n’y avait aucune douleur et la mobilité articulaire était dans les limites de la normale des deux côtés.
a b
DISCUSSION
FIG. 1. – a-b) Fracture bilatérale de l’os pisiforme à proximité de l’apophyse unciforme de l’os crochu.
Siégeant au bord médial de la première rangée des os carpiens le pisiforme repose sur le triquétrum et se comporte tel un os sésamoïde au sein du fléchisseur ulnaire du carpe (FCU) comme la rotule dans le complexe quadricipital [Matsunaga et al. (3), Saffar et Duek (4)]. La face palmaire du pisiforme est un point de fixation du rétinaculum des fléchisseurs et des extenseurs, du tendon du FCU et de l’origine du muscle abducteur digiti minimi (ADM). Le tendon du FCU se continue par les ligaments piso-hamate et pisométacarpien assurant la stabilité du pisiforme. Dans ce complexe, la fonction du pisiforme est de transmettre la force du FCU aux ligaments pour fléchir le poignet. Le pisiforme forme en même temps la paroi ulnaire du canal de Guyon dans lequel courent le nerf et l’artère ulnaire [Matsunaga et al. (3)]. Sa position superficielle rend le pisiforme vulnérable aux traumatismes. Trois mécanismes de fracture sont décrits dans la littérature : — traumatisme direct sur la région hypothénar : chute au sol poignet en hyperextension et l’avant-bras en prona-
tion et adduction; ou traumatisme direct en percutant l’éminence hypothénar [Fleege et al. (2), Muniz (5)] ; — traumatismes répétés : le pisiforme subit des traumatismes répétés produisant d’abord des microfractures, puis une fracture complète [Israeli et al. (6), Altinok et al. (7)]. Ce mécanisme est souvent évoqué dans la pratique de certains sports (volley-ball) ; — la résistance du FCU : dans ce cas plus fréquemment rencontré d’après certains auteurs, une fracture par avulsion survient suite à la résistance forcée du FCU contre l’hyperextension forcée du poignet [Fleege et al. (2)]. — La fracture bilatérale présentée a eu lieu lors d’une chute sur les éminences hypothénars. Des deux côtés, les traits de fractures se trouvaient adjacents au crochet de l’hamatum. La combinaison de deux mécanismes peut expliquer certaines de ces fractures : impact direct sur le pisiforme et la résistance involontaire forcée du FCU et ADM contre l’hyperextension du poignet. Un choc plus violent aurait pu entraîner une fracture-dislocation
FRACTURE BILATÉRALE DE L’OS PISIFORME
FIG. 2. – a-b) Les clichés de scanner montrant les fractures.
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ulnaire avec l’étirement du vecteur commun de FCU et ADM (fig. 4). De fréquence faible, la fracture de l’os pisiforme serait souvent associée à d’autres lésions du radius distal ou du carpe [Muniz (5)] susceptibles de masquer sa symptomatologie propre. L’examen clinique retrouve souvent une douleur aiguë, une tuméfaction ulnaire et une sensibilité sur l’éminence hypothénar dans les fractures isolées. La mobilité articulaire du poignet est généralement normale. Rarement, il peut y avoir des symptômes de compression du nerf ulnaire au canal de Guyon à cause de la fracture [Matsunaga et al. (3)]. La bilatéralité de ces fractures apparaît extrêmement rare. À l’exception d’un cas présenté par Fleege et al. (2), nous n’avons pas trouvé d’autre publication dans la littérature. Le diagnostic est souvent difficile par des clichés standard. Les urgentistes attachent beaucoup plus d’importance aux lésions plus sérieuses, et les radiographies du poignet et de la main peuvent avoir été omises. Il est important de reconnaître ces fractures car le diagnostic tardif pourrait
FIG. 3. – a-b) Consolidation des fractures.
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être à l’origine de chondromalacie et d’arthrose pisotriquétrale. Un cal vicieux ou une pseudarthrose de l’os peuvent aboutir à une douleur chronique, avec faiblesse musculaire et perte de mobilité articulaire et évolution vers l’arthrose [Amadio et Taleisnik (1), Fleege et al. (2), Saffar et Duek (4)]. Le bilan radiographique initial, à part les clichés standards, doit inclure un cliché de profil à 30° de supination et un cliché du canal carpien. Si tous les clichés sont négatifs mais le patient toujours symptomatique, le scanner est indiqué. Altinok et al. (7) proposent l’utilisation de l’IRM comme deuxième temps. Nous ne l’avons pas utilisée car nous pensons que cette technique est réservée à l’identification de lésions des tissus mous et après avoir écarté le diagnostic de fracture. Le traitement proposé pour les fractures récentes est toujours orthopédique [Amadio et Taleisnik (1), Matsunaga et al. (3), Georgoulis et al. (8), Dufek et al. (9)]. L’immobilisation plâtrée de 4 à 6 semaines assure la consolidation mais s’il existe une fracture-dislocation, une réduction chirurgicale avec stabilisation est indiquée [Georgoulis et al. (8)].
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Références 5.m
CH
Lpm
ADM
Lph
Lph
ADM
F P
P R
FCU
FCU
FIG. 4. – Physiopathologie des forces s’exerçant sur l’os pisiforme. ADM : abducteur digiti minimi. FCU : fléchisseur ulnaire du carpe. Lpm : ligament pisométacarpienne. Lph : ligament piso-hamate. CH : crochet du Hamate. P : pisiforme. F : trait de fracture. R : la résultante des muscles ADM et FCU.
L’excision du pisiforme est réservée aux complications tardives comme la pseudarthrose, le cal vicieux et l’arthrose pisopyramidale [Saffar et Duek (4), Pierre et al. (10)].
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