Henri le velu et Antoinette sa sœur

Henri le velu et Antoinette sa sœur

Formation médicale continue Archives Ann Dermatol Venereol 2005;132:95-7 Henri le velu et Antoinette sa sœur M. FAURE Naples, au musée de Capodimon...

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Ann Dermatol Venereol 2005;132:95-7

Henri le velu et Antoinette sa sœur M. FAURE

Naples, au musée de Capodimonte, parmi les tableaux de la collection Farnèse qui, par héritage, passa de la famille régnante de Parme aux Bourbons de Naples au 18e siècle, figure un tableau d’Agostino Carracci (Carrache) (1557-1602) intitulé « Arrigo Peloso, Pietro Mato et Amon Nano » (fig. 1). Ce tableau est un triple portrait, où l’artiste a peint vers 1598 trois curiosités humaines de la cour romaine du Cardinal Odoardo Farnese : Pietro le fou, c’est-à-dire le bouffon, Rodomonte le nain et un « sauvage des Canaries » [1], Arrigo Gonzalez, le velu, c’est-à-dire « peloso ». C’est ce velu et d’autres tableaux du 16e siècle qui nous intéressent ici.

À

Agostino Carrache, son frère Annibal, son cousin Ludovic sont les plus illustres représentants de l’école de Bologne en cette fin du 16e et en ce début du 17e siècle. Ils conjuguent la tradition maniériste et l’influence des écoles du Nord. Agostino peint à Parme, capitale des Farnèse depuis 1545, puis à Rome où il aide son frère Annibal pendant deux ans à la décoration du Palais Farnèse, actuellement ambassade de France à Rome. Le tableau fut peint pendant ce séjour à Rome. Ce tableau nous invite à un

voyage dans le temps et à travers l’Europe, à Bologne, à Parme, dans les Flandres, sur les traces d’une famille, originaire en effet en partie des îles Canaries.

Antonietta ou Tognina, sa soeur Au musée de Blois (fig. 4) se trouve le portrait d’une fillette velue qui en fait est la sœur du « sauvage » du musée de Naples. Cette fillette, Antonietta ou Tognina Gonzalez, richement vêtue en habit de cour, fut peinte par Lavinia

Arrigo Peloso Donc des animaux, chiens, singes, un perroquet, et trois hommes de cette cour Farnese de Rome (fig. 1) : à gauche le nain achondroplaste, ce qui, pour une cour princière, était d’une banalité extrême. Dans le coin supérieur droit, en arrière plan, la tête du « fou », mais ici encore rien que de très banal. Tout prince avait son fou. Au milieu, en revanche, le sauvage velu, vêtu de peaux de bêtes, certes, mais le corps couvert de poils, les membres (fig. 2), la poitrine, et surtout la face, où il ne s’agit pas d’une simple barbe. C’est bien une hypertrichose qui atteint le nez, les joues, le front, les tempes (fig. 3). Les poils sont longs, clairs, presque blancs. L’aspect est celui d’une hypertrichose lanugineuse. L’aspect bestial du sauvage est bien rendu, et ce Henri le velu constitue la curiosité principale de la cour du cardinal, ce qui justifie sa place centrale dans le tableau. Hôpital Edouard Herriot, Université Claude Bernard, Pavillon R, 69437 Lyon Cedex 03. Tirés à part : M. FAURE, à l’adresse ci-dessus.

Fig. 1. Agostino Carracci, Arrigo Peloso, détail, Naples, Musée de Capodimonte, Collection Farnèse.

Fig. 2. Agostino Carracci, Arrigo Peloso, détail, Naples, Musée de Capodimonte, Collection Farnèse.

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tion ancienne de Bologne à instruire le sexe féminin [2]. C’est d’après un dessin préparatoire, conservé à la Pierpont Morgan Library à New York, qu’elle peint l’enfant. Et plusieurs tableaux de cette fin du 16e siècle subsistent, pour mieux nous rappeler l’histoire de sa famille.

La famille de Petrus Gonsalvus

Fig. 3. Agostino Carracci, Arrigo Peloso, détail, Naples, Musée de Capodimonte, Collection Farnèse.

Fig. 4. Lavinia Fontana, Enfant velue, Blois, Musée des Beaux Arts.

Fontana, qui eut l’honneur dans l’histoire de l’art de partager avec Artemisia Gentileschi, sa cadette de quelques décennies, le privilège rare à l’époque d’être une femme peintre renommée [2, 3]. « A un œil moderne, l’image semble à la limite de la fiction. Sur un fond sombre, le visage arrondi d’une jeune fille à la moue légère attire le regard au centre de la toile : lèvres roses et pleines, joues enfantines… yeux d’un noir d’encre qui vous fixent avec assurance. Elle vous donne à lire une lettre, mais ce n’est pas la lettre, non plus que les lèvres, ni les yeux, ni même la robe somptueuse qui retiennent votre attention, mais la toison qui lui couvre la peau comme si elle était une sorte d’animal sauvage. Le contraste entre le décor aristocratique et les traits velus paraît scandaleux : le visage hirsute surgissant du satin ou de la soie, la fragile guirlande de fleurs posée délicatement sur sa tête. Qui est-ce ? Elle tient, pour notre gouverne, une lettre d’introduction. Bien que plusieurs mots soient devenus illisibles, la lettre lui prête une voix à travers les siècles : « Des îles Canaries fut apporté Au seigneur Henri II de France Don Pietro, l’homme sauvage.

De là, il s’installa à la cour Du Duc de Parme, ainsi que moi, Antonietta, et maintenant je suis Dans la maison de la signora donna Isabella Pallavicina, marquise de Soragna » [4].

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Lavinia Fontana, femme peintre, de Bologne Elle peint donc ce portrait de cette petite fille velue qui « appartenait » alors à une maison aristocratique. Lavinia Fontana née en 1552, morte en 1614 est une femme peintre, fille de peintre (Rogero Fontana), épouse d’un élève de son père, Giovanni Paolo Zappi, active à Bologne et représentant féminin du milieu intellectuel et artistique de cette ville. Bologne avait ouvert son université aux femmes dès le 13e siècle. Bologne était de plus sous le patronage de Sainte Catherine dei Vigri, née à Bologne en 1413, élevée à la cour de Ferrare, clarisse en 1427, musicienne, peintre, abbesse en 1456 et modèle des femmes artistes et cultivées de la tradition de la cité. Lavinia Fontana fut un portraitiste connu et réputé, qui dans l’histoire de l’art, témoigne de la tradi-

Arrigo Peloso et Tognina étaient fils et fille de Petrus Gonsalvus, ou Gonsalus, ou Pedro Gonzalez (Don Pietro), lequel était né à Ténériffe, et fut donc envoyé comme « curiosité » du fait de son hypertrichose à la cour de France. On le retrouve à l’âge de 20 ans à Namur, à la cour de Marguerite de Parme, fille de l’empereur Charles Quint, épouse d’Ottavio Farnèse, régente des PaysBas dans cette époque troublée qui vit la révolte des Pays Bas protestants contre le roi Philippe II, son demi-frère. Don Pietro épousa une hollandaise et eut quatre enfants, tous atteints de cette hypertrichose, qui correspond à l’hypertrichose lanugineuse congénitale universelle, maladie héréditaire à transmission dominante autosomique. Antonietta naît en 1572. La famille s’installe ensuite, vers 1583 à Parme, capitale du duché des Farnèse. C’est de cette époque que datent le tableau du musée de Blois et le dessin de New York. En fait on connaît plusieurs portraits de cette famille, illustre donc du fait de son système pileux [4]. Il existe d’abord une série de quatre tableaux d’un artiste bavarois anonyme, qui sont conservés près d’Innsbrück, au château Ambrass : Tognina âgée de 5 à 6 ans (fig. 5), son frère Arrigo âgé de 2 à 3 ans, sa mère et son père (fig. 6). Tous sont richement vêtus. Tous, sauf la mère, ont ce pelage bestial qui contraste avec l’aristocratie de leurs habits de cour. En 1582, Joris Hoefnagel, artiste allemand, réalise deux paires de dessins qui les représentent, l’un Tognina et son frère, l’autre Petrus et son épouse. Les deux médaillons sont conservés à la National Gallery of Art, à Washington. A la

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Fig. 5. Tognina, détail, Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Fig. 6. Pedro Gonzalez, détail, Vienne, Kunsthistorisches Museum.

même époque, ils sont peints pour le catalogue illustrant la collection de curiosités de l’empereur Rodolphe II (le Bestiaire de Rodolphe II) probablement par le peintre de cour Dirk de Quade Van Ravestyn. Le tableau montre les deux enfants et leurs parents (Oesterreichische National Bibliothek, Vienne). Ce sont des curiosités, en fait des monstres, des erreurs, des horreurs de la nature, des représentations de la face bestiale de l’humanité d’après la chute.

Ces velus vont être également observés avec le plus grand soin par le monde médical de l’époque. Ils sont examinés par l’illustre Félix Platter, à Bâle, sur leur route pour Parme. Un an après, à Bologne, ils vont être « étudiés » par Ulisse Aldrovandi, professeur à l’Université de Bologne, auteur d’une « Histoire des Monstres » qui sera publiée après sa mort en 1605 [4]. Cette Monstrorum historia cum paralipomenis historiae omnium animalum paraît à Bologne en 1642. A la

page 16 de l’in quarto, est une gravure montrant Petrus et son fils aîné. A la page 18, la petite sœur de Tognina, âgée de 8 ans. Page 17, Tognina elle-même, âgée de 12 ans. C’est à cet âge à peu près qu’elle a été dessinée et peinte par Lavinia Fontana qui appartenait à ce milieu instruit et cultivé de l’Italie du Nord, à Bologne d’abord, et à Parme ensuite sous la principat des Farnèse. Tognina vécut ensuite à la cour de Parme, elle se maria, et eut plusieurs enfants, velus. Elle fut exhibée dans plusieurs amphithéatres d’anatomie, et dans de nombreuses réunions élégantes. Son frère Arrigo vécut de ses attraits pileux parmi les « curiosités » de la cour du Cardinal Odoardo Farnèse où Agostino Carracci le peignit lors de son séjour romain. C’est ce tableau du frère de Tognina, âgé d’une vingtaine d’années, qui est au musée de Capodimonte à Naples.

Références 1. The Farnese Gallery, Museum of Capodimonte, Italian paintings, N. Spinosa ed, Electa Napoli, 2000. 2. Chadwick W. Women, art and society. Thames and Hudson ed, Londres, 1990. 3. Fortunati V. Lavinia Fontana of Bologna. The National Museum of women in the arts. Electa, Milan, 1998. 4. Manguel A. Lavinia Fontana, l’image connivence. In : Le livre d’images. Actes Sud -Leméac, 2001.

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