Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 570-2 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801004348/SCO
Cas clinique
Hirudine recombinante en neurochirurgie P. Poidevin*, V. Salomé, B. Riegel, M.F. Verdin, A. Bernard, R. Krivosic-Horber Département d’anesthésie-réanimation 1, hôpital Roger-Salengro, CHRU Lille, 59037 Lille cedex, France
RE´SUME´ Nous rapportons le cas d’une patiente de 70 ans souffrant d’un hématome péridural compressif responsable d’une paraplégie. En raison d’une arythmie ancienne, d’une prothèse valvulaire mitrale et du risque élevé de thrombose veineuse, un traitement anticoagulant postopératoire s’avérait indispensable. La malade ayant auparavant développé une thrombopénie induite par l’héparine de type II, un traitement par lépirudine a été instauré avec succès. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS hématome épidural neurochirurgie
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lépirudine
(RefludanT)
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OBSERVATION
ABSTRACT Recombinant hirudin in neurosurgery. We report the case of a 70-year-old woman with paraplegia resulting from spinal cord compression secondary to an epidural haematoma. Because of an arrhythmia, a mitral valve replacement and the high risk of venous thrombosis, an anticoagulant treatment was introduced postoperatively. The patient having previously developed an type II heparininduced thrombocytopaenia, a treatment by lepirudine was established successfully. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS epidural haematoma neurosurgery
traitements anticoagulants, limitant considérablement l’instauration d’un traitement postopératoire par héparine. La mise sur le marché récente de nouvelles molécules comme le danaparoïde sodique (Orgarant) offre au clinicien une alternative thérapeutique intéressante qui, hélas, disparaît lorsque cette TIH est induite à la fois par l’héparine, les HBPM et le danaparoïde sodique (Orgarant). L’hirudine recombinante a été utilisée avec succès chez une patiente se trouvant dans cette situation.
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lepirudin
(RefludanT)
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La thrombopénie induite par l’héparine (TIH), de type I bénigne ou de type II beaucoup plus sévère, est une complication bien connue et documentée des
Reçu le 24 novembre 2000 ; accepté le 1er janvier 2001. *Correspondance et tirés à part.
Une femme, âgée de 70 ans a été adressée aux urgences par son médecin traitant pour prise en charge de troubles de la marche, d’apparition récente. Chez cette patiente de 50 kg, l’interrogatoire révélait de nombreux antécédents médicaux : une hypertension artérielle difficilement contrôlée par ramipril (Triatect), rilménidine (Hyperiumt), furosémide (Lasilixt), urapidil (Médiatensylt) et aténolol (Ténorminet), une arythmie complète par fibrillation auriculaire sous digoxine et AVK (Previscant), une dyslipidémie traitée par fénofibrate (Lipanthylt) et un glaucome chronique non opéré sous timolol (Timoptolt). Sur le plan chirurgical, la patiente avait bénéficié auparavant d’un remplacement valvulaire mitral pour une maladie mitrale post-rhumatismale de grade III, responsable d’une hypertension artérielle pulmonaire. Les suites postopératoires avaient été difficiles en raison d’une complication hémorragique (hémopéricarde nécessitant une reprise chirurgicale) et thrombotique (infarctus splénique). Le bilan étiologique avait mis en évidence une thrombopénie induite par l’héparine de type II (TIH II) avec des tests d’activation plaquettaire positifs (HIPAA = heparin induced platelet activation assay)
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Hirudine recombinante en neurochirurgie
pour l’héparine, les HBPM et l’Orgarant. Un traitement par AVK avait alors été instauré. L’histoire de cette patiente débutait par de violentes lombalgies rapidement associées à une impotence fonctionnelle des membres inférieurs. À son admission aux urgences, elle était consciente et souffrait d’une paraplégie incomplète motrice et sensitive de niveau T10. L’IRM médullaire mettait en évidence un volumineux hématome péridural étendu de T9 à L4. Le bilan biologique révélait un TP à 14 % (INR>3), les autres paramètres en particulier la numération plaquettaire (320·109 ·L–1) et le bilan rénal (urée 7,6 mmol·L–1, créatinine 82 µmol·L–1) étaient normaux. Une indication d’évacuation neurochirurgicale en urgence de cet hématome était réalisée après réversion du traitement anticoagulant par une injection lente de 40 UI·kg–1 de PPSB. Le TP préopératoire était à 100 % (INR=1). Les suites postopératoires immédiates étaient simples, avec un saignement peropératoire de 500 mL et une hémoglobine de fin d’intervention à 125 g·L–1. La prise en charge postopératoire a nécessité une réintroduction précoce du traitement anticoagulant, en raison de la persistance d’une arythmie complète et du risque thromboembolique élevé dans un contexte clinique de paraplégie. L’existence d’une TIH de type II documentée y compris à l’Orgarant nous a incité à prescrire de l’hirudine recombinante, la lépirudine (Refludant). Le traitement a été débuté à j1 avec un bolus initial de 10 mg (0,2 mg·kg–1), puis une perfusion continue par seringue auto-pulsée à la dose de 5,5 mg·h–1 (0,11 mg·kg–1·h–1) pour obtenir un TCA le double du témoin. Une surveillance clinique et biologique était effectuée, en particulier le bilan de coagulation et la numération plaquettaire étaient quotidiennement contrôlés. Aucune complication hémorragique ou thrombotique n’a été relevée, à j5 un Doppler des membres inférieurs a confirmé l’absence de thrombus veineux. À j6, un relais par AVK a été progressivement débuté, avec un TP de sortie à 25 % (INR=2). L’évolution neurologique a été favorable, il ne persistait qu’un déficit modéré du membre inférieur droit, la prise de l’appui était possible. La durée totale du traitement par hirudine recombinante a été de huit jours.
coagulant chez les patients atteints d’une thrombopénie induite par l’héparine (TIH) de type II. Cette nouvelle alternative (AMM 1997) à un traitement anticoagulant classique est encore peu documentée en neurochirurgie et en particulier dans les suites d’une pathologie hémorragique. L’antécédent documenté de TIH de type II nous a fait discuter du choix du traitement anticoagulant et des différentes alternatives possibles. L’utilisation en neurochirurgie d’un traitement anticoagulant postopératoire reste prudente même si de récents travaux ont conclu à son innocuité [1]. Chez cette malade, une arythmie complète par fibrillation auriculaire, associée au risque thromboembolique très élevé dans un contexte de paraplégie [2], imposait l’instauration précoce d’un traitement anticoagulant efficace. Le recours à des moyens physiques seuls (bas de contention, compression pneumatique intermittente) ne semblait pas suffisant dans ce contexte clinique. La reprise postopératoire précoce du traitement par AVK n’était pas non plus envisageable pour des raisons de maniabilité, de pharmacocinétique (délai d’action, demi-vie d’élimination longue) et de risque hémorragique chez une patiente déjà victime d’un accident des AVK. Les traitements antiagrégants, aspirine ou prostacycline (Iloprostt), n’ont pas d’AMM pour cette indication et de plus sont difficilement réversibles en cas de reprise chirurgicale. Aussi notre choix s’est-il porté vers un inhibiteur direct de la thrombine, excrété et métabolisé en quasi-totalité par le rein : l’hirudine recombinante, la lépirudine (Refludant), pour des raisons de maniabilité (demi-vie courte : 1,3 heures) et de possibilité rapide d’adaptation thérapeutique suivant le TCA souhaité (allongement du TCA dose dépendant aux doses utilisées), bien que les effets indésirables de ce nouveau produit ne soient pas rares (syndrome hémorragique sévère (11 %), réactions allergiques (4 %) …) [3, 4]. Chez ces patients atteints de TIH de type II et nécessitant un traitement par hirudine recombinante, la formation d’anticorps anti-hirudine est retrouvée dans 40 % des cas. Cette constatation nécessite une surveillance rapprochée du TCA avec une utilisation prudente de la molécule, notamment lors d’une réintroduction.
DISCUSSION
CONCLUSION
L’hirudine recombinante (Refludant) trouve son indication dans la mise en route d’un traitement anti-
Cette observation rapporte l’utilisation encore peu documentée de l’hirudine recombinante dans le cadre
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d’une TIH de type II étendue à l’Orgarant chez une patiente bénéficiant d’une intervention neurochirugicale urgente pour une complication hémorragique d’un traitement par AVK. Le Refludant constitue ainsi une alternative thérapeutique intéressante, utilisée sans complication dans cette situation clinique. RE´FE´RENCES 1 MacDonald RL, Amidei C, Lin G, Munshi I, Baron J, Weir BK,
et al. Safety of perioperative subcutaneous heparine for prophylaxis of venous thromboembolism in patients undergoing craniotomy. Neurosurgery 1999 ; 45 : 245-51 discussion 251-2. 2 Geerts WH, Code KI, Jay RM, Chen E, Szalai JP. A prospective study of venous thromboembolism after major trauma. N Engl J Med 1994 ; 331 : 1601-6. 3 Camez A. Refludan. First line of treatment for type II heparineinduced thrombopenia. Press Med 1998 ; 27 Suppl 2 : 28-30. 4 Longrois D, de Maistre E, Bischoff N, Dopff C, Meistelman C, Angioi M, et al. Recombinant hirudin anticoagulation for aortic valve replacement in heparin-induced thrombocytopenia. Can J Anaesth 2000 ; 47 : 255-60.