LWotisme
fivol Psychiatr 1999 ; 64 : 9-12 0 Elsevier, Paris
Hommage h ktienne Trillat Y. Thoret* G I 1 tomba sur Paris un silence de neige... D. C’est sur ce vers de Louis Aragon que la disparition d’ktienne Trillat se manifeste a nous desormais. Cet homme discret, raffine, silencieux a l’envi, au regard confiant, a la mimique moqueuse, manque fortement a sa famille, B ses amis, a ses proches et au comite de redaction de L’,??volufion psychiatrique. 11savait user de son talent pour decrire aux auteurs les qualites de leur manuscrit, meme si un avis defavorable a la publication avait CtCCmis. 11 occupait une place Cminente dans la societe et la revue. Parlant peu, ecoutant longuement, il savait d’une phrase clore une discussion ou trouver une solution. C’est a lui qu’Henri Ey confia la charge de redacteur en chef en 1970 et il accomplit ce relais avec beaucoup de classe, avant de confier ce role a Jacques Postel en 1982. ImprCgnC de l’histoire de la societe et de la revue, il maintint son niveau d’trudition, sa qualite d’edition et son ouverture a tous les courants de pensee. Notre collegue Marie-Claude Amieux reprit la charge de direction de son secteur, le quartier Saint-Martin a Paris. Elle note que ce service fut un des premiers a s’ouvrir d&s 1972 sur son territoire parisien avec centre medicopsychologique (CMP), hbpital de jour et atelier therapeutique ; elle ajoute : (c le service gardait en son sein un certain parfum de bienveillante tolerance, de respect pour les patients et les Cquipes... >j. L’ouvrage principal d’etienne Trillat, Histoire de Z’hystkrie, fut publie en 1986 [l]. C’est une fresque passionnante des visages de I’hysterie, de ses passions et de ses souffrances. Si le discours medical, a la difference des approches theologique ou metaphysique, peut apparaitre comme c
* Dr Yves Thoret, psychiatre, hBpita1 intercommunal 78250 Meulan. France.
de Meulan-les-Mureaux,
1, rue du Fort,
Y. Thoret
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details qui condensent le temps ; ainsi de ce jesuite viennois, compagnon de Mesmer, qui s’appelait Bergasse. Le declin du mesmerisme laissera place aux vertus curatives du sommeil magnetique ; Etienne Trillat aimait rappeler la permanence de cette reference un peu magique dans la mythologie de notre pays : 4 ce courant souterrain venu du fond des ages ; eaux calmes et profondes qui donnent a ceux qui y sont plonges les clefs du merveilleux )>. C’est de ce courant-la que proviendra l’hypnose, avec Charcot. Btienne Trillat restait Cmerveille par le sujet de I’une des premieres seances des Annales mkdicopsychologiques en 1843, <
).11montre comment ce flux de manifestations cliniques spectaculaires donna source a la psychopathologie dynamique avec Charcot, Janet, Freud et leur descendance 121. Jamais Trillat ne neglige le vecu corporel du patient. 11fut I’un des premiers a souligner l’interet des travaux de Klaus Conrad sur le schema corporel. Mademoiselle Renee Boulay se souvient des discussions passionnees qui se tinrent 8 Bonneval entre Henri Ey, Etienne Trillat, Klaus Conrad et la fille de celui-ci. Dans son article de 1963, <( Le corps, son vecu et ses representations P [3], 8. Trillat dresse cj comme blason de l’image synthetique de l’unite corporelle que chacun Porte en luim&me, reprksentation de notre corps au singulier. II montre comment nous inscrivons notre presence et notre devenir entre deux champs complementaires, l’un spatial, l’autre temporel, la durke vecue, entre lesquels se place tout acte intentionnel, tel que par exemple, c
Le dernier texte qu’ecrivit Etienne Trillat parait dans le present numero, t< Un souvenir d’enfance de Casanova >P. C’est un honneur pour L’E‘volution Psychiarrique de rendre ainsi hommage a celui qui l’a si bien servie. Ce numero lui est dedie. Nous avons rassemble autour de son article des etudes concernant l’erotisme. Casanova, souffrant d’epistaxis, fut amen6 en consultation, a l’age de huit ans, aupres dune sorcibre qui le guerira et deviendra dans ses Souvenirs >,cotoie le cruel ou le burlesque, affute le sadisme ou actualise
Hommage
A &ienne
Trillat
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l’avenement triomphant du plaisir, dans un passage continu entre le passe et le present, ce temps continu que les Grecs appelaient I’Aoriste, marque des traces sensorielles les plus secretes et les plus personnelles. Partant du fantasme Crotique, firic Loonis nous propose une etude structurale basee sur quatre references de ces fantasmes : le temps, la logique, le role et le theme. Ce travail clinique Porte sur un recueil de fantasmes Crotiques exprimes par des sujets au tours dune consultation psychotherapique. Le contenu de ces fantasmes Cvoque la perversion, mais il s’agit de sujets n’ayant pas fait l’objet d’un diagnostic de perversion. Le propos de l’auteur est de d&oiler quelques traits de ces fantaisies dont les cliniciens hesitent ii parler. L’erotisme est de toujours, pouvons-nous penser en observant des sculptures de la prehistoire. Toutefois, Madame Eugenic Lemoine tente de determiner comment l’erotisme fut invent6 avec l’amour courtois. Son etude a le merite d’indrer l’erotisme entre le plaisir et l’amour, distingues ou conjugues. En contrepoint, Richard Rechtman nous rambne a une reflexion clinique sur la dimension anthropologique du desir, entre psychiatric et ethnologie, entre inconscient et culture. Le d&sir n’est-ii pas necessairement t< hors-champ de la culture >>,pour oser s’exprimer ? N’est-il pas oblige, en mCme temps, d’epouser les formes culturelles et langagibres dont le sujet est impregne ? L’auteur montre, a travers un cas clinique, comment les traumatismes et les persecutions peuvent devitaliser des experiences telles que la vie de couple, la grossesse et la maternite. Commentant le texte de Marguerite Duras, La maladie de la mort [4], Isabelle Roumanes montre la proximite des desirs Crotiques avec les angoisses de mort. Les deux personnages de ce roman, 1’Homme et la Femme, jouent avec ces representations pour dire leur experience Cnigmatique et pathetique, l’ambiguite de la rencontre, le mystere des corps, la musique de l’amour, le frisson de la vie. Enfin, Jean Allouch commente le seminaire de J. Lacan delivre en 1962-1963, aboutissant a la notion d’objet (a). L’auteur nous guide dans la conception lacanienne sans reduire sa complexite. L’homme, dans sa rencontre avec la femme, renvoie celle-ci a occuper tantot la position du phallus, tantot celle du grand Autre. Lacan interroge la jouissance feminine, la place qu’elle attribue a l’objet et la problematique de l’hysterie. Nous voila ainsi ramenes a l’ouvrage d’etienne Trillat et a ce mystere de la rencontre [5]. Va paraitre prochainement l’ouvrage d’etienne Trillat De I’hystirie h la psychose. Du corps d la parole [6] dans la collection c dirigee par Jacques Chazaud. Pour terminer cette presentation, je mentionnerai que ce numero est publie par le nouvel editeur de L’I?volution Psychiatrique, les kditions Elsevier. La devise de cette maison d’edition datant du XVIe siecle commence par ces mots : ’ (non seulement). Les travaux rassembles dans ce numero nous invitent a ne pas nous contenter des apparences et a maintenir vives notre curiosite et notre simplicite.
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&Fl%ENCES
Trillat 6.. Histoire de I’hysterie. Paris : Seghers, toll. (< Medecine et Histoire >p; 1986. Trillat 6,. Une histoire de la psychiatric au XXe sitcle. In : Postel .I, Quetel C, Bd. Nouvelle histoire de la psychiatric. Toulouse : Privat : 1983. ire Cd. RCeditCe par les editions Dunod en 1994. Trillat I? Le corps son vecu et ses representations. Revue Francaise de Psychanalyse 1963 : (Z-3) : 231-53.
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4
Duras M. La maladie de la mort. Paris : Minuit ; 1982.
5
Chaigneau H, Jacquelin C, Baillet P, No&l P, l?tienne Trillat 1919-1998. L’Information Psychiatrique 1998 : 74 : 720-4.
6
Trillat J?. De I’hysterie a la psychose. Du corps a la parole. Paris: L’Harmattan, ~011. ck; 1999.