Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 25 (2006) 1034–1040 http://france.elsevier.com/direct/ANNFAR/
Article original
Impact d’un protocole de nutrition artificielle en réanimation après chirurgie cardiovasculaire et thoracique Impact of the guidelines on clinical practice of artificial nutrition in intensive care unit after cardiovascular and thoracic surgery M. Hachemia,*, Y. Attofa, C. Flamensa, O. Bastiena, P. Boulétreaub, C. Chambrierb, J.-J. Lehota b
a Service d’anesthésie–réanimation, hôpital cardiovasculaire et pneumologique Louis-Pradel, BP Lyon-Montchat, 69394 Lyon cedex 03, France Département d’anesthésie–réanimation, unité de nutrition artificielle, hôpital Edouard-Herriot, 5, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France
Reçu le 16 mars 2005 ; accepté le 17 juillet 2006 Disponible sur internet le 26 septembre 2006
Résumé Objectif. – Analyser l’impact d’un protocole de nutrition artificielle après chirurgie cardiovasculaire et thoracique. Type d’étude. – Enquête rétrospective sur les pratiques. Patients et méthodes. – Échantillons de patients consécutifs d’un service de réanimation postchirurgie cardiovasculaire et thoracique, ayant un séjour supérieur à huit jours, groupés en trois périodes et séparées par l’écriture d’un protocole de nutrition artificielle : groupe 1 (G1 : 34 patients) période du 1er mars au 30 juin 2000 ; écriture du protocole et information des praticiens en février 2001 ; groupe 2 (G2 : 15 patients) période du 1er mai au 30 juin 2001, et groupe 3 (G3 : 40 patients) période du 1er mars au 30 juin 2003. L’analyse statistique a été réalisée par une analyse de variance. Quand l’analyse montrait une significativité, les comparaisons entre les trois moyennes ont été réalisées par un test de Newman-Keuls. p < 0,05 considéré comme significatif. Les résultats sont exprimés en moyenne ± ET. Résultats. – La durée de la nutrition artificielle était inférieure à sept jours respectivement dans 35 ; 40 et 22 % des cas dans les G1, G2 et G3 (NS). La prescription de la nutrition entérale a progressé, représentant 49 % des prescriptions postopératoires dans le G1, 40 % dans le G2, et 100 % dans le G3 (p < 0,001). L’apport calorique était insuffisant, respectivement de 19 ± 6 ; 21 ± 7 et 21 ± 8 kcal/kg par jour dans les groupes 1, 2, et 3 (NS). Il était inférieur à 80 % des dépenses énergétiques de base dans respectivement 33, 33 et 22 % des groupes 1, 2 et 3 (NS). L’apport azoté était non conforme aux recommandations, et était respectivement de 102 ± 32 ; 111 ± 31 et 92 ± 40 mg/kg par jour dans les groupes 1, 2 et 3. Cependant, le rapport glucidolipidique a progressé (p < 0,0001), respectivement de 47 ± 12 ; 58 ± 11 et 68 ± 12 % dans les groupes 1, 2 et 3. De même, l’apport de vitamines, d’oligoéléments, ainsi que la surveillance de la nutrition ont nettement progressé (p < 0,0001) après mise en place du protocole. Conclusion. – Le protocole institué a été suivi d’une majoration des apports de micronutriments, du rapport glucidolipidique, et de la surveillance de la nutrition artificielle. En revanche, les apports caloricoazotés restent inférieurs aux recommandations. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Objective. – To analyze the impact of an artificial nutrition program in postanaesthesia intensive care unit. Study design. – Observational study. Patients and methods. – Patients with length of stay greater than 8 days after cardiovascular and thoracic surgery: Group 1: 34 patients (4month period in 2000); group 2: 15 patients (2-month period in 2001); group 3: 40 patients (4-month period in 2003). Between these 3 periods, informations of physicians and written protocol in order to improve their nutritional knowledge. After analysis of variance (P < 0.05). NewmanKeuls tests to compare themselves each groups. Results. – Anthropometric, demographic and clinical parameters were similar in the 3 groups. Energic intakes were less than 80% of basal energetic expenditures in 33%, 33 and 22% of patient, respectively (NS). Caloric and nitrogen intakes were less than recommended, respectively * Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Hachemi).
0750-7658/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2006.07.081
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19 ± 6 (mean ± SD), 21 ± 7 and 21 ± 8 kcal/kg/24 h and 102 ± 32, 111 ± 31 and 92 ± 40 mg/kg/24 h (NS). However enteral nutrition was administered in 49, 40 and 100% of patients respectively (P < 0.001). The glucid/lipid ratio improved from 0.47 in group 1 up to 0.68 in group 3 (P < 0.0001). Vitamins, oligoelements and clinical and biological monitoring of artificial nutrition improved (P < 0.001). Conclusion. – A clinical audit demonstrated an improvement in artificial nutrition parameters but no significant change in others. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Audit clinique ; Protocole ; Nutrition entérale ; Nutrition parentérale ; Chirurgie cardiovasculaire et thoracique Keywords: Artificial nutrition; Intensive care; Cardiothoracic surgery; Guidelines; Audit
1. Introduction Le support nutritionnel en réanimation et en chirurgie a une efficacité bien démontrée améliorant le pronostic, diminuant les infections et la durée de séjour, favorisant la cicatrisation et stimulant les défenses immunitaires [1–9]. Il est défini comme un apport caloricoazoté exogène équivalent aux besoins du patient et comportant au moins deux des trois grands types de macronutriments (glucides, lipides, protides), des électrolytes, des vitamines, et des oligoéléments [10–12]. Deux conférences de consensus ont établi, en France, des recommandations sur la nutrition artificielle en période opératoire et chez l’agressé [10,11]. Beaucoup de travaux se sont intéressés à la nutrition en chirurgie cardiaque [13–15], mais à notre connaissance, aucun audit de nutrition n’a jamais été réalisé dans ce contexte. Cette étude évalue les pratiques en nutrition artificielle dans un service de réanimation de chirurgie cardiaque et thoracique, apprécie l’impact d’un protocole interne de nutrition suivant les recommandations des conférences de consensus [10,11] et selon la méthode de l’audit clinique [16,17].
entre le 1er mars et le 30 juin 2003 en réanimation, une durée minimale de séjour de huit jours, une NA parentérale et/ou entérale prescrite pour une durée supérieure ou égale à trois jours (NA dès que deux des trois macronutriments sont associés), un âge supérieur à 17 ans. Les paramètres descriptifs des patients étaient : l’âge, le sexe, la taille, le poids habituel (poids antérieur à l’épisode morbide recueilli lors de la consultation d’anesthésie), l’index de masse corporelle (IMC = poids/taille2), le type de chirurgie, la durée de circulation extracorporelle, et les scores de gravité utilisés en chirurgie cardiaque et en réanimation (Parsonnet, Euroscore, IGS II). Les paramètres évaluant la NA étaient : ● qualitativement : le type de NA (entérale, parentérale, mixte), sa durée, sa composition (apport en glucides, lipides, azote), apports en électrolytes (calcium, phosphore, magnésium), en micronutriments (oligoéléments, sélénium, zinc), en vitamines (avec un apport supplémentaire en vitamines C, E, B1) dont les résultats ont été exprimés en fréquence de prescription durant le séjour en réanimation ; ● quantitativement : l’apport calorique total, l’apport azoté, le rapport glucidolipidique.
2. Matériel et méthodes Il s’agissait d’une étude rétrospective réalisée selon la méthode de l’audit clinique [16,17], permettant de comparer trois périodes séparées par l’écriture de recommandations sur la nutrition artificielle (NA). Celles-ci étaient issues des conférences de consensus sur la NA en période périopératoire [10, 11]. La première période étudiée s’étalait de mars à juin 2000 (groupe 1), permettant de réaliser un état des lieux des pratiques en NA. En février 2001, un protocole de NA était présenté aux médecins anesthésistes réanimateurs du service ainsi qu’à l’équipe paramédicale (Annexe 1) Deux nouveaux recueils des données étaient réalisés respectivement sur les périodes mai à juin 2001 (groupe 2), et mars à juin 2003 (groupe 3). L’information et l’accompagnement des praticiens et de l’équipe paramédicale ont été réalisés durant l’année 2001 au décours de plusieurs réunions d’informations sur la nutrition (réalisées par un médecin nutritionniste), dans le cadre de deux thèses d’exercice en médecine ayant pour but d’apprécier les pratiques nutritionnelles. Cela a permis d’apprécier l’impact du protocole de NA sur la prescription médicale, mais également de la comparer aux recommandations issues des conférences de consensus. Les critères d’inclusion étaient : hospitalisation entre le 1er mars et le 30 juin 2000, entre le 1er mai et le 30 juin 2001 et
Seuls ont été sélectionnés les jours où deux types de macronutriments au moins, étaient administrés. Cela permettait de calculer le nombre de jours de NA par patient et par durée de séjour (JNA), l’apport énergétique total par patient et par durée de séjour (CALTOT), l’apport énergétique quotidien moyen (CAL J = CALTOT/JNA) total, et pour chaque type de nutriments (glucide, lipide, protide). Chez les patients recevant du propofol, l’apport calorique du solvant a été compté (équivalent à de l’Intralipide® à 10 %). Les dépenses énergétiques de base (DEB) ont été calculées d’après les équations de Harris et Benedict [18]. L’apport énergétique quotidien moyen a été rapporté au DEB. La qualité de la surveillance de la NA a été évaluée sur les critères définis par les conférences de consensus sur la nutrition artificielle en période périopératoire et chez l’agressé [10,11], et qui comprenaient : pesée au moins une fois tous les cinq jours, mention quotidienne de la diurèse, glycémie (ou glycémie capillaire) au moins deux fois en cinq jours, ionogramme urinaire, dosage sanguin des triglycérides, des transaminases, des gamma-GT, des phosphatases alcalines au moins une fois tous les cinq jours. Les marqueurs de dénutrition représentés par l’albuminémie, la préalbuminémie (transthyrétine) et la CRP n’ont pas été étudiés, d’une part parce que dans notre population de pathologies cardiovasculaires la dénutrition est
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peu fréquente, et d’autre part, parce que la circulation extracorporelle (CEC) fausse leur utilisation du fait d’une hémodilution et d’un syndrome inflammatoire après CEC. Chaque critère était retenu présent lorsque la trace écrite était trouvée dans le dossier du patient (feuilles de prescriptions, feuilles de température, dossier infirmier). Le traitement des données a été réalisé avec le logiciel Statview®. L’analyse statistique a été réalisée par une analyse de variance. Quand l’analyse montrait une significativité, les comparaisons entre les trois moyennes ont été réalisées par un test de Newman-Keuls, une valeur de p < 0,05 était considérée comme significative. Les résultats sont exprimés en moyenne ± écart type (ET).
pectivement dans G1, G2 et G3 de : 93, 100 et 101 %. Ils étaient inférieurs à 80 % des DEB respectivement chez 33, 33 et 22 % des patients des G1, G2 et G3 (Fig. 1). L’apport azoté moyen était respectivement dans G1, G2 et G3 de : 102 ; 111 et 92 mg/kg par jour (Tableau 2). Le rapport des calories glucidiques/calories glucidolipidiques était respectivement dans G1, G2 et G3 de : 47, 58 et 68 % (Fig. 2). Du point de vue quantitatif, l’introduction d’un protocole de NA n’a pas eu d’impact franc sur la majoration des apports caloriques, mais a permis de réduire le nombre de prescriptions hypocaloriques de 33 à 22 % bien que la différence ne soit pas statistiquement significative. 3.3. Aspects qualitatifs des apports nutritifs
3. Résultats 3.1. Description des échantillons Les effectifs des groupes étaient respectivement de 34 patients (13 femmes–21 hommes) pour G1 (période 2000), de 15 patients (cins femmes–dix hommes) pour G2 (période 2001) et de 40 patients (16 femmes–24 hommes) pour G3 (période 2003). La cause de non-inclusion était représentée par une durée de NA inférieure à trois jours. Il n’y avait pas de différence statistique entre les trois groupes en ce qui concernait l’âge, le sexe, la taille, le poids, l’IMC, la durée de circulation extracorporelle et les scores de gravité (Tableau 1). 3.2. Aspects quantitatifs des apports nutritifs L’apport énergétique moyen était respectivement dans les groupes G1, G2 et G3 de : 19 ; 21 et 21 kcal/kg par jour (Tableau 2). Les apports caloriques quotidiens rapportés aux dépenses énergétiques de base (DEB) étaient en moyenne resTableau 1 Caractéristiques des patients Groupe 1 (n = 34) 63 ± 14 21/13 24 ± 4
Groupe 2 (n = 15) 67 ± 9 10/5 25 ± 3
Groupe 3 (n = 40) 61 ± 15 24/16 24 ± 5
Âge (ans) Genre (H/F) IMC Scores de gravité Parsonnet 27 ± 16 29 ± 14 22 ± 14 Euroscore 9±4 8±3 8±4 IGS II 31 ± 14 35 ± 12 32 ± 12 Durée de CEC 105 ± 40 103 ± 55 93 ± 34 (min) Chirurgie 12 6 14 valvulaire Chirurgie de 6 0 4 l'aorte Chirurgie 7 2 7 coronaire Greffe cardiaque, 4 4 7 pulmonaire Divers (dont 5 (4) 3 (0) 8 (3) chirurgie thoracique) Les données sont exprimées en moyenne ± ET. Pas de différence significative entre les groupes. IMC : indice de masse corporelle.
La durée de la NA a été en moyenne de 11 ± 8 jours pour le G1, de 10 ± 6 jours pour le G2, et de 15 ± 10 jours pour le G3 (NS). La durée de la NA était inférieure à sept jours chez 35 % Tableau 2 Description des apports caloriques journaliers moyens (kcal/kg par jour ; pourcentage des dépenses énergétiques de base–DEB), des apports azotés journaliers moyens (mg/kg par jour), des apports en calcium, phosphore, magnésium (rapportés en fréquence de prescription durant le séjour), et de la durée de nutrition entérale Groupe 1 (n = 34) 19 ± 6,6
Groupe 2 (n = 15) 21 ± 7,1
Apport calorique (kcal/kg par jour) Pourcentage des DEB 93 ± 33 100 ± 33 Apport azoté (mg/kg par 102 ± 32 111 ± 31 jour) < 100 (%) 47 27 100 à 200 (%) 53 73 > 200 (%) 0 0 Apport en calcium (%) 95 95 Apport en phosphore (%) 25 32 Apport en magnésium (%) 50 50 Durée de NE (j) 5±7 2±3 Pourcentage de durée de 32 17 séjour Les données sont exprimées en moyenne ± ET. NE :
Groupe 3 (n = 40) 21 ± 8,2
p NS
101 ± 35 92 ± 40
NS NS
57 37 5 92 31 63 15 ± 9 76
0,02 0,03 < 0,0001 < 0,005 < 0,005
nutrition entérale.
Fig. 1. Répartition des patients des groupes 1, 2 et 3 selon que les apports caloriques journaliers moyens sont inférieurs à 80 % des dépenses énergétiques de base (DEB), compris entre 80 et 130 % des DEB, ou supérieurs à 130 % des DEB.
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quence de la réalisation du bilan hépatique n’a pas varié, mais était suffisante d’emblée (Fig. 4). 4. Discussion
Fig. 2. Rapports glucidolipidiques moyens pour chaque groupe. Il existe une différence significative entre les groupes (p < 0,0001). Les recommandations sont celles des conférences de consensus françaises sur la nutrition artificielle.
des patients du G1, 40 % chez ceux du G2 et 22 % chez ceux du G3 (p = 0,36). Il existait une différence très significative (p < 0,005) en termes de durée de nutrition entérale, qui a été augmentée dans G3 (14 ± 9 jours) par rapport à G1 (5 ± 6) et G2 (2 ± 3 jours), et qui correspondait à une durée de prescription de la nutrition entérale ayant compris 76 % de la durée de séjour pour G3, par rapport à 32 % pour G1 et 17 % pour G2 (Tableau 2). L’apport de calcium et de vitamine C n’a pas varié entre les trois groupes, tandis que celui de phosphore, vitamines, oligoéléments, sélénium, zinc, vitamines E et B1 (Fig. 3) a été majoré dans G2 et G3 de façon très significative (p < 0,001). La surveillance de la NA a été également améliorée en ce qui concerne la pesée, la surveillance de la glycémie, de la triglycéridémie et d’ionogramme urinaire (p < 0,001). Seule la fré-
Cette étude avait pour but de vérifier l’application du protocole de nutrition et d’en apprécier son impact au long cours. L’unité dans laquelle a été conduite cette étude comporte 25 lits de réanimation postchirurgie cardiovasculaire et thoracique, et emploie 22 médecins anesthésistes–réanimateurs exerçant à tour de rôle entre le bloc opératoire et la réanimation. Cela explique la variabilité des prescriptions, d’où l’utilité d’un protocole de nutrition afin d’harmoniser les pratiques. La chirurgie cardiaque est caractérisée par un important risque de survenue de bas débit cardiaque postopératoire et de choc cardiogénique [19,20]. À un moindre degré, les chirurgies vasculaires et thoraciques majeures peuvent être responsables d’instabilités hémodynamiques, rendant aléatoires les apports nutritifs. Par conséquent, la nutrition devrait être celle des patients agressés avec des apports caloriques moyens quotidiens sensiblement proches des DEB [11]. Ainsi, les apports caloriques journaliers constatés dans chaque groupe (19 à 20 kcal/kg), avant et après l’introduction du protocole de NA, sont légèrement inférieurs aux recommandations [10,11]. Des auteurs rapportent, lors de deux audits réalisés en 1994 et 1998 chez des patients de chirurgie digestive, des apports caloriques compris respectivement entre 80 et 120 % des DEB seulement chez 39 et 47 % des patients [21]. Chez environ 50 % des patients en 1994 et environ 45 % de ceux de 1998 les apports étaient inférieurs à 80 % des DEB et le rapport glucidolipidique était conforme respectivement dans 55 et 63 % des cas. En revanche, les apports azotés étaient conformes dans 65 et 78 % des cas cette étude [21] contre 53, 73 et 37 % dans la notre. De même, d’autres auteurs retrouvent lors d’un audit national en chirurgie digestive, des
Fig. 3. Apports en vitamines totales, vitamines C, E, B1, oligoéléments, sélénium et zinc pour chaque groupe. Les apports ont été exprimés en pourcentage de prescription durant le séjour (moyenne ± ET), c’est-à-dire selon qu’ils aient été prescrits ou non durant le séjour et exprimés en pourcentage : 1) par exemple les apports en vitamines pour G1 correspondent à 45 %, ce qui signifie que les patients du G1 ont reçu durant leur séjour des vitamines presque un jour sur deux ; 2) de même, les apports en vitamine C du G2 correspondent à 19 %, ce qui signifie que la vitamine C a été administrée durant 19 % du séjour des patients du G2 (soit presque un jour sur cinq). Cela a permis une approche qualitative et non quantitative des apports en micronutriments. ns = non significatif.
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Fig. 4. Description de la surveillance de la nutrition artificielle selon chaque groupe. Les résultats ont été exprimés en pourcentage de prescription (cf. légende Fig. 3) durant le séjour (moyenne ± ET). La surveillance de la glycémie, de la pesée, de la triglycéridémie et d’ionogramme urinaire s’est améliorée de façon significative (p < 0,05). ns = non significatif.
apports caloriques de 27 ± 11 kcal/kg par jour et par patient et inférieurs à 120 % des DEB chez 47 % des patients (en cancérologie : DEB conseillés > 120 %), un rapport glucidolipidique non conforme dans 47 % des cas et des apports azotés non conformes chez 40 % des patients [22]. Cela confirme que même dans des unités utilisant la NA quotidiennement les recommandations des experts sont peu respectées. Par conséquent, les améliorations de la pratique de la NA (diminution de la sous-nutrition, conformité du rapport glucidolipidique, banalisation de la voie entérale, majoration des apports en micronutriments, meilleure surveillance de la NA) enregistrés dans la présente étude apparaissent non négligeables. Dans cette étude les apports en micronutriments (vitamines, oligoéléments, supplémentation en zinc, sélénium, vitamines E et B1) ont été majorés après la mise en place du protocole de NA et sont jugés suffisants, la littérature ne proposant pas de posologie précise. L’importance des micronutriments en cas d’agression ou de SIRS (Systemic Inflammatory Response Syndrome) est connue. Les patients de notre unité sont soumis à des SIRS majeurs du fait de la gravité des atteintes multiviscérales, de la circulation extracorporelle et du terrain volontiers polyathéromateux favorisant les translocations bactériennes. Par conséquent, avoir maintenu des apports réguliers de micronutriments est une avancée dans la prise en charge nutritionnelle de ces patients. Cette avancée est aussi, voire plus importante que l’apport calorique en lui-même, sachant que la phase aiguë de l’agression est responsable d’une résistance à la nutrition [10, 11]. La surveillance de la NA (pesée, surveillance biologique) a également été améliorée de façon significative, mais reste insuffisante en termes de surveillance glycémique, au regard des travaux d’une équipe belge, qui souligne après chirurgie cardiaque la relation entre hyperglycémie et mortalité [15] Par conséquent, des progrès restent à faire en termes de surveillance glycémique et du maintien plus drastique de la normoglycémie via l’insulinothérapie intensive selon les recommandations de l’équipe belge [15]. Le fait que la prescription de
micronutriments se soit majorée alors que les apports caloricoazotés n’ont quasiment pas varié, s’explique par le fait que lorsque la nutrition artificielle était prescrite, il en résultait une administration systématique de micronutriments par les infirmières, alors que les apports quantitatifs restaient à la discrétion du médecin prescripteur qui appliquait ou non le protocole de nutrition. Cette motivation des médecins dans l’adhésion ou non au protocole, aurait pu être appréciée par l’envoi d’un questionnaire, mais cela n’a pas été réalisé. Enfin, il faut préciser que la mention à la chirurgie thoracique ne concernait que quatre patients du groupe 1 et trois patients du groupe 3. Malgré certaines limites méthodologiques (nombre de patients limité, motivation des médecins non évaluée, accompagnement du changement) cette étude nous paraît intéressante car elle permet de susciter le débat autour de la nutrition de patients sévèrement agressés après chirurgie cardiovasculaire et thoracique, et s’inscrit ainsi, dans une démarche de qualité de soins en anesthésie réanimation. 5. Conclusion Cette étude réalisée dans un service de réanimation postchirurgie cardiovasculaire et thoracique selon la méthode de l’audit clinique, a permis d’apprécier l’impact d’un protocole de NA. Les apports caloriques sont restés insuffisants par rapport aux recommandations des experts. Le protocole n’a pas eu d’impact sur les apports azotés qui étaient et restent insuffisants. En revanche, le protocole de nutrition a été suivi d’une majoration des apports en vitamines, oligoéléments, phosphore, sélénium, zinc, vitamines E et B1, et d’une amélioration la surveillance clinique et biologique de la NA. Les apports en calcium, magnésium et vitamine C n’ont pas augmenté, mais étaient suffisants. Le rapport glucidolipidique est devenu conforme aux recommandations. Enfin, le recours à la nutrition entérale, qui était insuffisant avant et juste après la mise en place du protocole, est devenu systématique.
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Annexe 1 Protocole de nutrition À débuter entre j2 et j3 chez tout patient dont la durée de séjour en réanimation sera supérieure à sept jours et/ou dont la durée de ventilation sera prolongée. La nutrition entérale sera introduite d'emblée à condition de respecter les modalités d'administration et que la stabilité hémodynamique soit contrôlée Sondalis iso 500 ml 500 kcal 3 g d'azote 2 l SG 10 % ou 1 l SG 20 % 800 kcal Total : 1800 kcal 8 ou 9 g d'azote 250 ml d'ivelip 20 % 500 kcal 500 ml de nutrilamine ou 250 ml d'hyperamine 6 ou 5 g d'azote j4–j5 : même modalité j6–j8 Sondalis iso 1000 ml 1000 kcal 6 g d'azote 1 l SG 10 % 400 kcal Total : 1900 kcal 11 ou 12 g d'azote 250 ml d'ivelip 20 % 500 kcal 500 ml de nutrilamine ou 250 ml d'hyperamine 6 ou 5 g d'azote > j8 : si bonne tolérance digestive, la nutrition entérale sera augmentée Sondalis iso 1500 ml 1500 kcal 9 g d'azote 1 l SG 10 % 400 kcal Total : 2100 kcal 12 ou 14 g d'azote 100 ml d'ivelip 20 % 200 kcal 250 ml de nutrilamine ou 250 ml d'hyperamine 3 ou 5 g d'azote Attention aux patients sous propofol (Diprivan®) : l'apport lipidique du propofol est équivalent à de l'intralipide à 10 %. 10 ml de Diprivan® 1 g de lipides 10 kcal Apport en vitamines et oligoéléments : tous les jours, tant que la nutrition entérale ne dépasse pas 1000 ml/j, dans 100 ml SG 5 % Un hydrosol polyvitaminés Un nonan Un sélénium deux fois/semaine Un zinc deux fois/semaine Un phocytan deux à trois fois/semaine (selon la fonction rénale et phosphorémie) Folinate de calcium une fois par semaine Vitamine B1 500 mg (Benerva®) trois fois par semaine Vitamine E 100 mg (Ephynal®) une fois par semaine, à augmenter en cas d'agression sévère (sepsis, SIRS) Vitamine C 500 mg, deux fois par semaine, à augmenter en cas d'agression sévère
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