Optimisation de la ventilation non invasive dans l’insuffisance respiratoire aiguë
Indications de la VNI
Ch. Girault L’efficacité de la ventilation non invasive (VNI) n’étant plus à démontrer dans la prise en charge de l’insuffisance respiratoire aiguë (IRA), les travaux présentés au Congrès de l’American Thoracic Society (ATS) 2004, à Orlando, se sont essentiellement attachés à promouvoir l’optimisation de sa pratique et de son utilisation. Les travaux sélectionnés et rapportés ici en soulignent les principaux aspects. Outre les indications et la sélection des patients, les facteurs susceptibles d’influencer l’optimisation de la VNI et son succès doivent prendre en compte l’interface utilisée et sa mise en place, le mode de ventilation appliqué et ses réglages, la surveillance et l’acquisition de la technique.
VNI et insuffisance respiratoire aiguë post-extubation
Service de Réanimation Médicale, Hôpital Charles-Nicolle, Centre Hospitalier Universitaire, 76031 Rouen, France.
7S168
Rev Mal Respir 2004 ; 21 : 7S168-7S170
Si les indications de VNI se sont élargies depuis plusieurs années, notamment à l’insuffisance respiratoire aiguë (IRA) hypoxémique [1], au sevrage et à l’extubation de la ventilation mécanique endotrachéale (VM) [2], rappelons que les patients les plus susceptibles d’en bénéficier restent actuellement ceux présentant une IRA hypercapnique suite à une exacerbation de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) [3] ou dans le cadre d’un œdème aigu pulmonaire (OAP) cardiogénique [4]. À côté de la VNI proposée comme technique d’extubation précoce chez des patients difficilement ou non sevrables [2], indication pour laquelle une étude multicentrique française est actuellement en cours chez l’insuffisant respiratoire chronique (IRC) [5], Ferrer et coll. [6] ont proposé le recours à la VNI dans une indication proche, mais de philosophie différente, à visée préventive ici, en vue de prévenir l’échec de l’extubation et donc la survenue d’une détresse respiratoire postextubation. Ces auteurs ont étudié, au moment du sevrage de la VM, 133 patients intubé-ventilés ayant passé avec succès une épreuve de ventilation spontanée sur tube en T (VS/T), mais présentant des critères d’échec de l’extubation définis par un âge > 65 ans, l’existence d’une insuffisance cardiaque sousjacente et un score APACHE II ≥ 12 le jour de l’extubation. Les critères d’échec d’extubation et de ré-intubation étant préa-
Section II : réanimation
Tableau I.
Impact de la VNI en prévention de l’IRA post-extubation [6]. Paramètres Echec d’extubation Délai d’échec d’extubation (h.)
Groupe VNI n = 67
Groupe contrôle n = 66
p
11,16 %
22,33 %
0,040
42,2
22,21
0,016
Ré-intubation
9,13
16,24
ns
Mortalité en réanimation
3,4 %
11,17%
0,045
10,15 %
17,27 %
ns
Mortalité hospitalière
lablement définis, les patients bénéficiaient de façon randomisée en post-extubation, soit d’une VNI pour 24 heures (groupe VNI, n = 67), soit d’un traitement médical conventionnel avec oxygénothérapie (groupe contrôle, n = 66). Le recours à la VNI était néanmoins autorisée dans ce dernier groupe en cas de survenue d’une détresse respiratoire post-extubation avant d’envisager une éventuelle ré-intubation. Les caractéristiques générales des 2 groupes étaient similaires à l’entrée dans l’étude et les principaux résultats sont résumés dans le tableau I. De plus, la VNI permettait d’éviter la ré-intubation chez 6/15 patients (40 %) du groupe contrôle présentant une IRA post-extubation avec des critères de ré-intubation non immédiate. Une analyse post-hoc, présentée seulement lors de la session scientifique, rapportait par ailleurs que le bénéfice sur la mortalité, tant en réanimation qu’intra-hospitalière, n’était retrouvée que chez les patients hypercapniques à l’état de base comparativement à ceux qui ne l’étaient pas. Les résultats de cette large étude prospective randomisée montrent donc clairement un bénéfice de la VNI appliquée en préventif au décours de l’extubation chez des patients considérés comme à risque d’échec de l’extubation., en particulier âgés et porteurs d’une insuffisance cardiaque. L’analyse post-hoc suggère que ce bénéfice est d’autant plus intéressant qu’il existe une hypercapnie sous-jacente. Enfin, les résultats obtenus dans le groupe contrôle suggèrent également l’intérêt de la VNI pour éviter le recours à la ré-intubation en cas de survenue d’une IRA postextubation. Sortant de l’objectif principal de l’étude, ces derniers résultats doivent être interprétés avec prudence, d’autant qu’ils vont à l’encontre de ceux très récemment rapportés par Esteban et coll. [7]. Ces auteurs, étudiant spécifiquement l’intérêt de la VNI en cas d’IRA post-extubation chez 221 patients, n’en retrouvaient aucun bénéfice pour prévenir la ré-intubation, qu’il existe ou non une BPCO sous-jacente. Ils rapportaient même un risque accru de mortalité dans le groupe VNI si la ré-intubation, possiblement retardée ici par la VNI, s’avérait nécessaire [7]. Ces données vont d’ailleurs dans le même sens qu’une autre étude prospective randomisée rapportant l’absence de bénéfice du recours à la VNI post-extubation sur l’incidence de la ré-intubation, mais sans effet délétère sur la mortalité, comparativement à un traitement médical standard [8].
Finalement, à la lumière des données actuelles de la littérature, la VNI appliquée au cours de la période post-extubation n’aurait d’intérêt que pour prévenir l’échec de l’extubation et la survenue d’une IRA post-extubation [6], mais ne saurait d’aucune utilité, voire même potentiellement dangereuse, pour traiter une IRA post-extubation une fois celle-ci installée [7, 8]. Des études complémentaires bien menées seront donc nécessaires pour clarifier au mieux ces deux indications de VNI post-extubation qui s’avèrent, pour le moins, étroitement liées. En attendant, il importe certainement de bien distinguer ces deux situations dans notre pratique.
VNI et OAP cardiogénique L’intérêt d’un mode “continuous positive airway pressure” ou CPAP dans le traitement de l’OAP cardiogénique a été validé à partir d’études randomisées déjà anciennes [9]. Cependant, le bénéfice rapporté par cette méta-analyse en termes de réduction du taux d’intubation n’était que modeste (odds ratio à 0,26 avec un intervalle de confiance à 95 % de – 0,13 à + 0,38) comparativement à l’oxygénothérapie simple [9]. Jusqu’à maintenant aucune étude prospective n’avait comparé la CPAP à la VM conventionnelle dans cette indication. Une équipe des Philippines a réalisé ce type d’étude en randomisant 31 patients avec OAP cardiogénique entre CPAP (n = 15) et intubation-ventilation (n = 16) [10]. Les principaux résultats sont reproduits dans le tableau II. L’amélioration gazométrique était par contre comparable dans les 2 groupes. En interrogeant les auteurs, la mortalité intrahospitalière n’était pas non plus significativement différente entre les 2 groupes. Par ailleurs, aucun paramètre d’admission (âge, IGS II, co-morbidités) ne permettait de distinguer, au sein du groupe CPAP, les patients qui allaient échouer. Ces données confortent donc, si il en était besoin, la place de la CPAP dans la prise en charge de l’OAP cardiogénique pour réduire le recours à l’intubation, mais également ici les durées d’hospitalisation comparativement à la VM conventionnelle. Une récente étude observationnelle propose d’ailleurs de recourir à la VNI pour les OAP cardiogéniques se présentant avec un pH < 7.25 ou une PA systolique < 180 mmHg associée à une hypercapnie, puisque cela concernait près de 40 % des © 2004 SPLF, tous droits réservés
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Optimisation de la ventilation non invasive dans l’insuffisance respiratoire aiguë
Tableau II.
Résultats de la CPAP chez 31 patients en OAP cardiogénique [10]. Paramètres Succès/Échecs
Groupe CPAP n = 15 7 (47 %)/8 (53 %)
–
–
46 ± 17
156 ± 59
0,01
Durée de séjour en réanimation (j)
3,0 ± 2,5
9,6 ± 4,9
0,03
9±5
24 ± 21
0,03
80 patients consécutifs sous oxygénothérapie de cette série et près de 90 % des patients qui ont finalement dû être intubés [11]. Quoi qu’il en soit, le principal débat actuel dans la stratégie ventilatoire non-invasive des OAP reste de savoir si il vaut mieux utiliser un mode CPAP ou un mode de VNI à double niveau de pression de type AI (aide inspiratoire) + PEPe (pression expiratoire positive externe) ou BiPAP (Bilevel Positive Airway Pressure) sans risquer d’augmenter le risque d’ischémie myocardique aiguë avec ce dernier mode [12]. Ce risque ne semblait pas accru dans la récente étude randomisée de Nava et coll. [4] comparant la BiPAP à l’oxygénothérapie chez 130 OAP cardiogéniques. Néanmoins, il nous faudra certainement attendre la prochaine étude randomisée, comparant la CPAP à la VNI en AI ou BiPAP, pour pouvoir définitivement trancher en faveur de l’un ou l’autre mode dans l’OAP cardiogénique.
VNI et autres indications Jusqu’à maintenant, peu d’études se sont intéressées à l’intérêt de la VNI comme traitement de première intention des IRA au cours des traumatismes thoraciques [13]. Dans une étude prospective observationnelle, Xirouchaki et coll. [14] ont évalué l’intérêt de la VNI selon un mode BiPAP chez 22 traumatisés thoraciques bénéficiant tous parallèlement d’une analgésie locorégionale. L’intubation pouvait être évitée chez 18 d’entre eux (82 %) et la VNI permettait d’améliorer l’oxygénation, la fréquence respiratoire et cardiaque dès la première heure. Les 4 patients intubés l’étaient pour aggravation de l’hypoxémie dans un délai de 10 ± 9 heures. Tous ont développé une infection nosocomiale et un patient est décédé de défaillance multi-viscérale contre aucun des patients chez qui la VNI avait été un succès. Ces résultats confortent la faisabilité et le bénéfice potentiel de la VNI chez le traumatisé thoracique qui présente, le plus souvent, une IRA essentiellement hypoxémique. Ils soulignent également tout l’intérêt et la faisabilité de l’analgésie loco-régionale en association à la VNI dans ce type d’indication.
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
Références
2
7S170
p
Durée de VM (h)
Durée de séjour hospitalière (j)
1
Groupe intubation n = 16
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14
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