Pour citer cet article : Gavand P-E, et al. Infection pulmonaire persistante à Legionella pneumophila et Enterococcus faecium : cherchez un abcès ! Presse Med. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2016.01.009 Presse Med. 2016; //: ///
Infection pulmonaire persistante à Legionella pneumophila et Enterococcus faecium : cherchez un abcès ! Persistant Legionella pneumophila and Enterococcus faecium pulmonary infection: Look for an abscess!
Introduction La légionellose pulmonaire est une maladie grave touchant préférentiellement les patients immunodéprimés. Le traitement repose sur une bi-antibiothérapie en cas d'atteinte grave [1,2]. Dans de rares cas on note une persistance de la positivité de la culture dans les prélèvements pulmonaires malgré un traitement bien conduit. Il est alors important de ne pas méconnaître un abcès ou une pleurésie purulente. Observation Nous rapportons le cas d'un patient de 56 ans suivi pour une leucémie aiguë bi-phénotypique. Il a bénéficié d'une cure d'induction qui a permis une rémission cytologique et de plusieurs chimiothérapies d'entretien (blocs de cytarabine, méthotrexate et cyclophosphamide). Au moment de cet épisode le patient n'avait pas de neutropénie mais compte tenu des importantes doses de corticoïdes et de chimiothérapie le patient avait un déficit majeur de l'immunité cellulaire. Quinze jours avant le début prévu de la procédure d'allogreffe, il a été hospitalisé pour une pneumopathie bilatérale aiguë communautaire (syndrome interstitiel bilatéral à la radio de thorax, fièvre, syndrome inflammatoire et hypoxie). L'hémogramme ne montrait pas de signe de rechute de la leucémie aiguë mais une lymphopénie à 0,08 G/L. Le patient ne présentait pas d'atteinte extra-pulmonaire. À j2 l'antigénurie légionelle de séro-groupe I (testBinaxNOWlegionella) et la culture du lavage broncho-alvéolaire (LBA) étaient positives à Legionella pneumophila (le CNR a confirmé l'indentification : séro-groupe 1 de type endémique paris). La culture du LBA était également positive à Enterococcus faecium à 105/mm3UFC/mL. Cette souche était résistante aux Blactamines, aux aminosides et seulement sensible aux glycopeptides. L'antigène aspergillaire était positif à 2,022 log dans le LBA (test Elisa BioRAD, seuil de positivité à 0,5 log). Un traitement par vancomycine monitoré (avec desdosages dans l'intervalle thérapeutique), ciprofloxacine,
rifampicine a été débuté. Il a été décidé d'introduire le voriconazole, malgré la documentation microbiologique, du fait des facteurs de risques d'aspergillose invasive chez ce malade. Compte tenu de l'apparition d'une hyperbilirubinémie, la rifampicine a été remplacée par de la spiramycine à j4 et la ciprofloxacine par de la levofloxacine. À j20, la fièvre, l'hypoxie et le syndrome inflammatoire persistaient, un nouveau LBA était encore positif en culture à L. pneumophila et E. faecium à 102UFC/mL (même phénotype de résistance). La vancomycine a été remplacée par la teicoplanine compte tenu de l'apparition d'un exanthème. Les taux de teicoplanine (intervalle thérapeutique : 20–30 mg/L) et de voriconazole (intervalle thérapeutique : 2–4 mg/L) étaient surveillés par des dosages réguliers. À j42, le patient a été transféré en réanimation devant un choc et une détresse respiratoire avec effet shunt majeur ; il a été intubé en vue d'une assistance respiratoire. Un nouveau LBA a confirmé la persistance des deux types de bactéries malgré l'antibiothérapie. L'hémodynamique s'est rapidement dégradée nécessitant l'ajout d'amines vasopressives. Le scanner thoracique rendu possible par l'anesthésie générale montrait une aggravation des lésions avec des plages de condensation bilatérales ainsi qu'une zone de cavitation du lobe inférieur gauche (3 cm 3 cm) à proximité de la plèvre déjà présente au scanner 20 jours avant. Il n'y avait pas d'argument pour une atteinte myocardique associée, ni pour une embolie pulmonaire. Durant l'hospitalisation en réanimation l'antibiothérapie a été poursuivie sans modification. À j48 (après une semaine de ventilation), un nouveau scanner montrait une majoration de la zone de cavitation avec un contenu hydro-aérique et un épanchement pleural en regard ; le drainage de celui-ci ramène un liquide purulent qui, après analyse, est un exsudat avec de très nombreux polynucléaires neutrophiles altérés. La culture était stérile. La PCR 16s aurait permis de mieux documenter l'abcès mais n'a malheureusement pas été réalisée. L'évolution fut ensuite très rapidement favorable avec un sevrage des amines, un sevrage respiratoire et une extubation. Un dernier LBA à j49 ne retrouvait plus L. pneumophila mais montrait la persistance d'E. faecium à 10 UFC/mL. Compte tenu de l'amélioration rapide après le drainage pulmonaire de l'épanchement méta-pneumonique, le diagnostic retenu est celui de légionellose pulmonaire associée à une co-infection par E. faecium compliquée d'un abcès pulmonaire avec secondairement une pleurésie purulente. Il n'y avait pas d'argument pour une nouvelle contamination nosocomiale.
Lettre à la rédaction
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Discussion Ce qui est remarquable dans cette observation est, d'une part, la durée de positivité des cultures malgré une antibiothérapie
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Pour citer cet article : Gavand P-E, et al. Infection pulmonaire persistante à Legionella pneumophila et Enterococcus faecium : cherchez un abcès ! Presse Med. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2016.01.009
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Lettre à la rédaction
P-E Gavand, R. Janssen, A. Martin, M-P Ledoux, F. Schneider
adaptée, et d'autre part, la survie du patient malgré la durée d'infection. Les sociétés savantes recommandent une bithérapie pour le traitement des légionelloses graves associant de préférence une fluoroquinolone et de la rifampicine (ou un macrolide) [1,2]. L'association fluoroquinolone-macrolide est synergique in vitro comme l'ont démontré Martin et al. [3]. C'est ce qui a été fait dans ce cas, et il n'y avait pas d'interaction médicamenteuse expliquant l'inefficacité de la bithérapie. Il n'y a pas de résistance décrite de L. pneumophila aux macrolides. Concernant les quinolones il y en a peu. Les méthodes de détection de résistance in vitro comprennent la méthode E-Test ainsi que les méthodes par PCR et par séquençage du gène gyrA dont certaines mutations confèrent à la bactérie une résistance aux quinolones. Récemment, Shadoud et al. et Bruin et al. [4,5] ont décrit des cas de résistances aux fluroroquinolones in vivo grâce à ces méthodes. Il n'y a pas eu de détection de résistance sur la souche de notre patient. Concernant E. faecium, le traitement était également adapté avec des taux sériques de vancomycine puis de teicoplanine supérieurs à 8 fois la CMI pour chacun. La diffusion des glycopeptides dans le parenchyme pulmonaire est certes modeste mais semble être la meilleure alternative dans les pneumopathies à E. faecium. La diffusion de l'antibiothérapie dans un abcès ou une pleurésie purulente est mauvaise. Dans le cas d'une pleurésie purulente abondante il est important de la drainer. À notre sens l'échec initial de l'antibiothérapie est lié à l'abcès en cours de formation dès le début de l'histoire de la maladie. Il n'y avait pas de possibilité de drainage précocement car ces foyers n'étaient pas collectés. De plus le drainage des abcès pulmonaires est rarement recommandé du fait du risque d'ensemencement pleural. Il est connu depuis plusieurs années que la PCR L. pneumophila peut rester positive plusieurs semaines dans le LBA malgré la guérison du patient. On ne retrouve dans la littérature que de rares observations relatant des cultures restées positives à L. pneumophila durant plusieurs semaines. O'Reilly et al. [6] rapportent le cas d'un patient de 60 ans sous chimiothérapie pour un cancer ORL ayant eu durant 30 jours une culture positive dans les prélèvements pulmonaires malgré une bi-antibiothérapie comportant une fluoroquinolone. L'évolution s'est faite vers un empyème pleural qui a pu être drainé, permettant ainsi une amélioration clinique. Les auteurs analysent cette évolution en supposant qu'il existait des abcès occultes. Gläser et al. [7] rapportent le cas d'un patient sans immunodépression connue ayant eu des prélèvements positifs en culture pendant 58 jours. Cependant ce patient n'avait pas bénéficié d'un traitement par fluoroquinolones. Il n'y avait pas d'abcès et la sensibilité in vitro aux macrolides et aux quinolones était bonne. L'évolution avait été favorable malgré la persistance de la culture positive. Ces deux patients ont survécu à l'infection. Morley et al. rapportent le cas d'un patient avec
une récidive de bactériémie à L. pneumophila 4 mois après un traitement efficace chez un patient au stade SIDA. Les prélèvements dans son environnement étaient négatifs [8]. Tan et al. [9] rapportent le cas d'un patient avec des prélèvements positifs pendant 14 jours ; cependant il avait été traité par azithromycine en monothérapie et avait un carcinome bronchiolo-alvéolaire. Enfin, l'évolution vers un abcès dans une légionellose a été rapportée plus de 57 fois dans la littérature [10]. Dans notre cas l'immunodépression cellulaire du patient préalable à la pneumopathie a certainement joué un rôle important. Dans la série de légionellose chez des malades d'oncologie et d'hématologie de Jacobson et al. [11], 11 % des malades ont eu une évolution vers une excavation et 38 % avaient une présentation sévère. Une co-infection était présente dans 36 % des cas. Les auteurs soulignent l'importance d'un traitement plus prolongé chez ces patients. Nous n'avons retrouvé dans la littérature qu'une seule observation d'association entre E. faecium et L. pneumophila, rapportée par Miyara et al. [12] : il s'agissait d'un malade atteint d'une légionellose compliquée d'un abcès pulmonaire. La culture du liquide de ponction réalisée en post-mortem retrouvait plusieurs bactéries dont E. faecium. Conclusion En cas de persistance d'une culture positive à Legionella pneumophila malgré un traitement médicamenteux bien conduit, il est essentiel d'éliminer un abcès pulmonaire ou une pleurésie purulente ainsi que des interactions médicamenteuses. P.-E. Gavand a rédigé l'article. R. Janssen, A. Martin, M.-P. Ledoux ont participé à la prise en charge du malade et ont relu l'article. F. Schneider a supervisé le travail et participé à la rédaction. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
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tome xx > n8x > xx 2016
Pour citer cet article : Gavand P-E, et al. Infection pulmonaire persistante à Legionella pneumophila et Enterococcus faecium : cherchez un abcès ! Presse Med. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2016.01.009
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Université de Strasbourg, faculté de médecine de Strasbourg, hôpitaux universitaires de strasbourg et FMTS, hôpital de Hautepierre, service de réanimation médicale, 1, avenue Molière, 67098 Strasbourg cedex, France 2 Hôpitaux universitaires strasbourg, département d'hématologie, 1, avenue Molière, 67098 Strasbourg cedex, France Correspondance : Pierre-Edouard Gavand, université de Strasbourg, faculté de médecine de Strasbourg, hôpitaux universitaires de strasbourg et FMTS, hôpital de Hautepierre, service de réanimation médicale, 1, avenue Molière, 67098 Strasbourg cedex, France
[email protected] Reçu le 13 septembre 2015 Accepté le 11 janvier 2016 Disponible sur internet le :
http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2016.01.009 © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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O'Reilly KMA, Urban MA, Barriero T. Persistent culture-positive Legionella infection in an immunocompromised host. Clin Infect Dis 2005;40:e87–9. [7] Gläser S, Weitzel T, Schiller R, Suttorp N, Lück PC. Persistent culturepositive Legionella infection in an immunocompetent adult. Clin Infect Dis 2005;41(5):765–6. [8] Morley JN, Smith LC, Baltch AL, Smith RP. Clin Recurrent infection due to Legionella pneumophila in a patient with AIDS. Infect Dis 1994;19(6):1130–2. [9] Tan JS, File Jr TM, DiPersio JR, et al. Persistently positive culture results in a patient with community-acquired pneumonia due to Legionella pneumophila. Clin Infect Dis 2001;32:1562–6. [10] Guy SD, Worth LJ, Thursky KA, Francis PA, Slavin MA. Legionella pneumophila lung abscess associated with immune suppression. Intern Med J 2011;41(10):715–21. [11] Jacobson KL, Miceli MH, Tarrand JJ, Kontoyiannis DP. Legionella pneumonia in cancer patients. Medicine (Baltimore) 2008;87(3):152–9. [12] Miyara T, Tokashiki K, Shimoji T, Tamaki K, Koide M, Saito A. Rapidly expanding lung abscess caused by Legionella pneumophila in immunocompromised patients: a report of two cases. Intern Med 2002;41(2):133–7.
Pierre-Edouard Gavand1, Ralf Janssen1, Aurélie Martin1, Marie-Pierre Ledoux2, Francis Schneider1
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Lettre à la rédaction
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