Éditorial
Infections et grossesse
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Presse Med. 2014; 43: 662–664 ß 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.
Dossier thématique
Infections et grossesse : un danger pour la mère et l’enfant Caroline Charlier1,2,3,4, Marc Lecuit1,2,3,4
1. Université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité, AP–HP, hôpital Necker–Enfants-Malades, service des maladies infectieuses et tropicales, Centre d’infectiologie Necker–Pasteur, Institut Imagine, 75015 Paris, France 2. Institut Pasteur, Unité de Biologie des Infections, 75015 Paris, France 3. Inserm U1117, 75724 Paris cedex 15, France 4. Institut Pasteur, Centre National de Référence Listeria, Centre collaborateur OMS Listeria, 75015 Paris, France
Correspondance : Caroline Charlier, AP–HP, hôpital Necker–Enfants-Malades, service des maladies infectieuses et tropicales, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France. Institut Pasteur CNR Listeria, 28 rue du Dr Roux, 75015 Paris.
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Infection and pregnancy: A threat for mother and child
C
haque année, on dénombre plus de 800 000 grossesses en France. Il n’est pas rare au cours de cette période qu’une femme enceinte soit confrontée à un événement évoquant une infection : fièvre, contage infectieux, découverte d’anomalies sérologiques lors de dépistages systématiques, prescription de traitements antibiotiques, administration d’un vaccin sont autant de situations fréquentes, dont le clinicien doit avoir la maîtrise chez la femme enceinte.
Des enjeux multiples
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Les enjeux d’une infection maternelle sont multiples et souvent chevauchants. Le premier est maternel, car certaines infections sont démontrées plus sévères chez la femme enceinte. Ainsi, la survenue d’une varicelle pendant la grossesse expose à un risque accru de pneumopathie grave (cf. article « Varicelle et grossesse » [1]), tandis que celle d’un paludisme est associée à un sur-risque de neuropaludisme et de mortalité maternelle associée [2]. Plus récemment, il a été noté un excès de formes sévères de grippe pandémique [3] ou de dengue chez les femmes enceintes [4]. Le deuxième enjeu est embryo-foetal, avec un risque de pertes foetales précoces ou tardives, d’accouchements prématurés, de tableaux malformatifs congénitaux. L’infection à cytomégalovirus, la rubéole et la varicelle sont associées à des tableaux malformatifs sévères détaillés dans ce dossier (cf. articles « Infection à CMV pendant la grossesse » [5], « Rubéole et grossesse » [6] et « Varicelle et grossesse » [1]). En revanche, la listériose n’est pas une infection tératogène, mais est associée à un tome 43 > n86P1 > 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.05.004
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risque élevé de perte foetale, en particulier en première partie de grossesse, et d’accouchement prématuré qui surviennent globalement dans 25 et 50 % des cas d’infection maternelle à Listeria monocytogenes (cf. article « Listériose et grossesse » [7]). Le troisième enjeu est néonatal. L’infection du nouveau-né peut survenir en période anténatale ou périnatale : par voie placentaire hématogène, comme au cours de la listériose néonatale, ou par voie ascendante ou au moment du passage de la filière génitale, lors de l’infection materno-foetale précoce à streptocoque B (cf. articles « Infections materno-foetales à streptocoque B » [8] et « Listériose et grossesse » [7]). La transmission de la mère à l’enfant du VIH peut survenir à chacune de ces étapes, et nécessite une évaluation spécifique et un suivi prolongé après la naissance. Elle est détaillée dans l’article sur « VIH et transmission mère–enfant » [9]. L’analyse des mécanismes associés à l’invasion placentaire, foetale et néonatale est cruciale pour mieux comprendre la genèse des lésions, améliorer leur diagnostic, leur prévention et leur traitement. Certains de ces aspects sont détaillés dans les articles dévolus à la listériose et aux infections liées au streptocoque B, infections « modèles » d’atteinte hématogène (listériose) et ascendante (infections à streptocoque B).
Une prise en charge diagnostique et thérapeutique spécifique Les modalités diagnostiques des infections chez la femme enceinte doivent être connues. Toute fièvre chez une femme enceinte, a fortiori isolée, doit ainsi lui faire bénéficier de la réalisation d’hémocultures, en parallèle au reste de l’évaluation infectieuse (recherche de pyélonéphrite, de chorio-amniotite, d’un autre foyer infectieux). L’interprétation des tests sérologiques pratiqués pendant la grossesse et leur spécificité doivent également être connues : l’exemple du diagnostic sérologique de la rubéole est détaillé dans ce dossier. Au plan thérapeutique, plusieurs éléments compliquent la prescription antibiotique chez la femme enceinte. L’exclusion des femmes enceintes des essais thérapeutiques limite les données disponibles et donc leur accès aux thérapeutiques les plus récentes. Malgré l’existence de modifications pharmacocinétiques démontrées chez la femme enceinte (augmentation de la forme libre des antibiotiques liée à l’hypo-albuminémie
physiologique, accélération du débit cardiaque et de la filtration glomérulaire, modification d’activité de certains cytochromes hépatiques sous l’effet des estrogènes, notamment), il n’existe aucune recommandation posologique spécifique chez ces patientes. Sur le versant embryo-foetal, le clinicien doit prendre en compte le passage transplacentaire des antibiotiques, reflété par le ratio concentration sérique foetale/maternelle, le risque de tératogénicité (démontré, par exemple, pour le fluconazole à posologie supérieure à 150 mg/j ou pour la ribavirine) et de toxicité d’organe similaire à celle observée chez l’adulte : comme, par exemple, la toxicité rénale foetale démontrée pour la streptomycine [10]. Des anomalies néonatales liées à la toxicité mitochondriale des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse prescrits pendant la grossesse et la période néonatale ont récemment été mises en évidence (cf. article VIH [9]). L’article sur l’administration des vaccins pendant la grossesse illustre ces questions et les compromis à arbitrer entre efficacité maternelle et sécurité foetale [11]. Par le biais de sept situations majeures (infection VIH, rubéole, infection à CMV, listériose, varicelle, infection à streptocoque B et vaccinations chez la femme enceinte), ce dossier a pour objectif d’illustrer la richesse et la diversité des questions soulevées par l’infectiologie appliquée au domaine des femmes enceintes en France. Il y aurait également beaucoup à dire sur cette questions dans le contexte des pays du Sud, où les maladies infectieuses transmissibles sont la première cause de mortalité des femmes enceintes, avant les complications obstétricales [12]. Ces aspects ne sont pas abordés dans ce dossier, ils nécessiteraient un dossier thématique spécifique. La santé des mères est un des « Objectifs du Millénaire pour le développement » fixés par l’OMS, ils visent à réduire de 90 % la mortalité des femmes enceintes entre 1990 et 2015, et il reste beaucoup à faire pour l’atteindre. En France, la situation est incomparablement meilleure, mais est encore perfectible. Puisse ce dossier contribuer à mieux faire connaître des praticiens cette situation particulière et la prise en charge spécifique qu’elle mérite.
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Infections et grossesse
Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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