Injection péridurale accidentelle de chlorure de sodium hypertonique

Injection péridurale accidentelle de chlorure de sodium hypertonique

© Masson, Paris. Ann Fr Anesth Reanim, 10: 401-403, 1991 CAS CLINIQUE Injection p ridurale accidentelle de chlorure de sodium hypertonique Accidenta...

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© Masson, Paris. Ann Fr Anesth Reanim, 10: 401-403, 1991

CAS CLINIQUE

Injection p ridurale accidentelle de chlorure de sodium hypertonique Accidental epidural administration of hypertonic saline M.E. GENTILI *, K. SAMII ** * Service d'Anesth6sie-R6animation, Clinique Sainte-Anne, 56110 Gourin ** D6partement d'Anesth~sie-Reanimation, Hdpital de Bic~tre, 94275 Le Kremlin-Bic~tre Cedex

RI~SUMI~ : Chez un patient de 53 ans se plaignant de lombosciatalgie, l'injection pEridurale accidentelle de 20 ml de s6rum hypertonique h 20 % a provoquE une douleur lombothoracique aiguE, qui a disparu aprEs injection pEridurale de 20 ml de lidoca'ine ~ 1 % et de 40 ml d'eau distill6e. Trois mois plus tard, la sciatalgie avait presque entiErement disparu et il n'existait pas de trouble moteur s6quellaire. Une revue de la littErature nous a permis d'expliquer les troubles observes. Des observations d'injections accidenrelies d'autres medicaments par voie pEridurale sont discut6es. Mots-cl6s : A D M I N I S T R A T I O N (VOLES D') : pdridurale ; C O M P L I C A T I O N S : anesthdsie p~ridurale.

INTRODUCTION L'utilisation croissante de l'analgEsie p6ridurale en chirurgie, dans les services de soins intensifs et e n c l i n i q u e d e la d o u l e u r , augmente le r i s q u e d'injection accidentelle dans l'espace pEridural sous-arachnoidien de substances autres que celles habituellement u t i l i s E e s e t e x p o s e les p a t i e n t s des complications neurologiques. Le cas present6 rapporte l'injection accidentelle de s6rum sale hypertonique par voie p6ridurale.

OBSERVATION I1 s'agissait d'un patient de 53 ans, souffrant d'une radiculalgie, de type sciatique droite L5, quatre mois aprEs une cure chirurgicale de hernie discale gauche de l'Etage L5-S1. Cette radiculalgie 6tait permanente, en dessous du genou, avec une sensation dEsagrEable d'engourdissement du gros orteil droit. Le patient se plaignait aussi de douleurs dans la partie postErieure de la cuisse, ainsi que dans la region fessiEre, limitant son pErim~tre de marche. Ces douleurs Etaient incomplEtement soulagEes par la prise diurne et nocturne de diclofEnac. Le bilan neurologique avait conclu h une fibrose postopEratoire. I1 avait donc Et6 propose de rEaliser une infiltration pEridurale de 80 mg de mEthylprednisolone par voie lombaire. Cette infiltration a 6tE rEalisEe au bloc opEratoire sur un patient Eveill6, install6 en d6cubitus lateral gauche, aprEs canu-

Requ le 22 novembre 1990, acceptE aprEs revision le 8 mars 1991.

lation d'une veine pEriphErique et anesthEsie locale de l'espace interEpineux L2-L3. Le monitorage comportait un cardioscope et un tensiom~tre automatique. L'espace pEridural a EtE atteint h 7 cm de profondeur par l'aiguille de Tuohy, en utilisant la technique du mandrin gazeux. La technique devait comporter une <~dilatation ~ prEalable de l'espace pEridural par une injection dans les quatre quadrants de 20 ml de chlorure de sodium isotonique qui devaient Etre prElevEs dans une cupule m6tallique. En raison d'une erreur de manipulation et en l'absence de verification par le praticien, 20 ml de chlorure de sodium hypertonique ~t 20 % ont EtE injectEs par l'intermEdiaire de l'aiguille de Tuohy. ImmEdiatement, le patient s'est plaint de douleurs thoraciques et lombaires importantes, accompagnEes d'une dyspnEe avec une tachycardie sinusale ~t 120 b • min -1 et une hypertension artErielle systolique ~t 190 mmHg. Ces douleurs Etaient accompagnEes d'hyperparesthEsies des membres infErieurs sans deficit moteur. Dans un premier temps, l'aiguille de Tuohy a 6t6 retiree et le patient remis en dEcubitus dorsal tandis que l'erreur 6tait constatEe. Puis 100 ~g de fentanyl ont 6tE injectEs ~t deux reprises par voie i.v., h 5 min d'intervalle sans amelioration de la symptomatologie. I1 a donc Et6 dEcidE de recommencer l'anesth6sie pEridurale en dEcubitus lateral, afin d'injecter lentement 10 ml de lidoca'ine h 1 % et 40 ml d'eau distillEe, qui ont entrainE une sedation complete des douleurs et des paresthEsies. Un IEger bloc moteur et une lourdeur nuchale ont EtE dEcrits par le patient et ont disparu spontanEment. Aucun trouble sphinct6rien n'a Et6 notE. Les douleurs ayant motiv6 l'injection pEridurale de corticoides avaient quasiment disparu le soir mEme. Ce patient est sorfi le

Tir~s ~ part: M.E. Gentili.

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lendemain e t a 6t6 revu tr~s r6guli~rement pendant trois mois. La symptomatologie clinique est actuellement diminu6e par rapport aux sympt6mes pr6alables /~ 1,injection p6ridurale, puisque limit6e ~ une 16g~re dysesth6sie du gros orteil droit se manifestant surtout le soir et c6dant au d6cubitus ou h la prise intermittente de 1 mg de loraz6pam. Le p6rimbtre de marche n'est plus limit6. L'utilisation du diclof6nac a 6t6 totalement arr6t6e depuis cette injection p6ridurale.

DISCUSSION

L'injection accidentelle de produits erron6s repr6sente peut-~tre un 6v6nement moins rare que ne le laissent supposer les donn6es de la litt6rature [3-5, 8, 9, 11, 12]. L'injection par voie p6ridurale de chlorure de sodium hypertonique a 6t6 propos6e dans un but th6rapeutique pour traiter des douteurs chroniques, dont les lombalgies [10]. D~UX m6canismes d'action s'associent : un ph6nom~fle de r6duction d'ced6me par transfert d ' e a u extracellulaire grace ~ un gradient osmotique [10] ; certaines 6tudes r6alis6es chez l'animal montrent que le chlorure de sodium hypertonique aurait un effet proche des anesth6siques locaux, en particulier sur les fibres des racines dorsales [6, 7]. En pratique clinique, les volumes de chlorure de sodium inject6 par voie p6ridurale lombaire sont de l'ordre de 8 ~ 12 ml [10] et sont syst6matiquement pr6c6d6s d'une injection de 10 & 15 ml de bupivacaine ~t 0,25 % , associ6e ~ 80 mg de m6thylprednisolone. Le non-respect de cette pr6caution entraine des douleurs s6v6res chez le patient [10] : la cause de ces douleurs iatrog6nes est li6e h u n d6placement du potentiel de repos des fibres amy61inis6es et des neurones ganglionnaires vers des valeurs moins n6gatives avec c o m m e cons6quence le d6clenchement d'influx suivi secondairement d'un bloc d6polarisant [5] : l'6tendue spatiale de la douleur traduit la diffusion rostrale de l'injectat. L'action b6n6fique sur la douleur aigu6 du <
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l'espace intrath6cal [13]: des s6quelles neurologiques ont 6t6 observ6es. En ce qui concerne le chlorure de potassium, la concentration 61ev6e du KCI repr6sente sans doute un facteur aggravant. La seule observation d6crivant une parapl6gie d6finitive est due fi l'injection d'une solution de KCI 11,25 % [11]. Ces s6quelles seraient li6es ~ un ph6nom6ne de d6polarisation induit par la concentration extracellulaire 61ev6e de potassium, puis aggrav6es par la n6crose du tissu nerveux. Les 6tudes r6alis6es chez l'animal concernent des solutions faiblement concentr6es de KCI [2, 9] et les manifestations b6nignes observ6es ne sont pas transposables ~ l ' h o m m e . Lorsque des anesth6siques locaux sont inject6s simultan6ment, leurs effets propres peuvent retarder les manifestations cliniques dues au KC1 [13]. Le traitement des manifestations neurologiques a c0mport6 une s6dation par diaz6pam [9]. LIN et coll. ont inject6 du chlorure de sodium isotonique p o u r abaisser la concentration en potassium dans l'espace p6ridural ; l'aggravation du bloc sensitif qui a suivi a fait interrompre cette th6rapeutique [9]. Cependant, TESSLER et coll. [12] ont soulign6 l'int6r6t de cette m6thode en y associant de la d6xam6thasone par vole i.v. L'issue favorable dans le cas rapport6 ne remplace pas la n6cessaire pr6caution de v6rifier la nature de tout ce qui est inject6 : de telles erreurs ne sont pas d6nu6es de cons6quences 16gales [1].

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Note de la r6daction : Depuis la soumission de cette observation un autre cas d'injection p6ridurale accidentelle a 6t6 publi6. Accidental injection of ether into the epidural space. Anaesthesia, 46: 124-125, 1991.

ABSTRACT : Twenty ml of 20 % hypertonic saline were accidentally injected into the epidural space of a 53-year-old man with lumbar backache and sciatica. This resulted in severe thoracolumbar pain, which disappeared after he received by the same route 20 ml of 1 % lidocaine and 40 ml distilled water. Three months later,, the sciatica had almost all disappeared; there remained no motor deficit. A literature survey helped to explain the signs described. Further cases of accidental epidural injections of other drugs are discussed.