Annales de chirurgie plastique esthétique 51 (2006) 512–516
a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / a n n p l a
ARTICLE ORIGINAL
Intérêt du lipofilling dans le traitement des séquelles de chirurgie des craniosténoses Interest of the lipofilling in the treatment of the sequelae in craniosynostosis surgery F. Laurent a,*, N. Capon-Dégardin a, V. Martinot-Duquennoy a, P. Dhellèmmes b, P. Pellerin a a
Service de chirurgie plastique, centre des brûlés, hôpital Roger-Salengro, CHU de Lille, boulevard du Professeur-JulesLeclercq, 59037 Lille cedex, France b Service de neurochirurgie pédiatrique, hôpital Roger-Salengro, CHU de Lille, boulevard du Professeur-Jules-Leclercq, 59037 Lille cedex, France Reçu le 12 octobre 2005 ; accepté le 16 février 2006 MOTS CLÉS Lipofilling ; Lipostructure® ; Séquelles ; Cranioplastie ; Craniosténose
Résumé But de l’étude Cette étude présente une technique originale de correction des séquelles de cranioplastie par le lipofilling chez neuf patients opérés de craniosténose dans la petite enfance avec évaluation des résultats à distance du geste opératoire. Patients et méthode Une étude prospective a été menée de janvier 2001 à février 2005, qui portait sur tous les cas de patients opérés consécutivement de lipofilling dans le service de chirurgie plastique de Lille. Pendant cette période de quatre ans et cinq mois, 144 patients ont été opérés de 206 gestes de lipofilling : 30 patients dans des indications de chirurgie esthétique et 114 patients dans des indications de chirurgie réparatrice. De cette étude, nous avons extrait les neuf cas de lipofilling réalisés en complément d’une chirurgie craniofaciale malformative. Tous ces patients présentaient un défect frontotemporal sous-cutané associé dans trois cas à un défect frontal médian. L’évaluation des résultats a été faite sur les contrôles postopératoires et par un observateur à distance de l’intervention. Résultats Neuf patients, d’âge moyen de 16,7 ans, sex-ratio une femme pour deux hommes, ont été opérés de 17 gestes de lipofilling. Le recul moyen était de 15,06 mois. Les neuf patients jugent le résultat bon. Il n’y a eu aucune complication observée. Conclusion La technique de réinjection de graisse selon la technique de S.R. Coleman nous apparaît allier différents avantages : simplicité du geste, apparente innocuité, reproductibilité, satisfaction des patients, des opérateurs et apparaît être une alternative de choix aux techniques classiques de traitement des séquelles dans la chirurgie de correction des craniosténoses.
© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. * Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Laurent).
0294-1260/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2006.02.008
Intérêt du lipofilling dans le traitement des séquelles de chirurgie des craniosténoses
KEYWORDS Lipofilling; Lipostructure®; Sequelae; Cranioplasty; Craniosynostosis
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Abstract Aim This study presents an innovative technique of correction of cranioplasty sequelae by lipofilling in 9 patients treated for cranioplasty in childhood with a long-term follow-up. Patients and methods A prospective study was conducted from January 2001 to February 2005, including all patients treated with lipofilling technique in the Plastic Surgery department of Lille. For a period of 4 years and 5 months, 144 patients were operated on with 206 lipofilling procedures: 30 patients for cosmetic purposes and 114 patients for reconstructive surgery. In the current investigation, we examined the 9 cases of lipofilling which were performed in complement to craniofacial surgery. All patients presented with a sub-cutaneous fronto-temporal deformation which in 3 of the cases was associated to a frontal medial defect. The assessment of results was performed in the context of post-operative follow-up visits by an observer. Results Nine patients, with a mean age of 16,7 years and a ratio of 1 female for 2 males underwent a total of 17 lipofilling procedures. The mean time lapse was 15,06 months. 9 patients judged the result to be good. No complication was observed. Conclusion The S.R. Coleman technique of fat grafting seems to offer several advantages, namely the simplicity of the procedure itself, its apparent innocuity, its reproductibility, as well as patients and surgeons satisfaction. It appears to be an alternative of choice in the corrective surgery of craniosynostosis.
© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Introduction Depuis quelques années, le lipofilling ou lipostructure® selon S.R. Coleman [1] trouve un regain d’intérêt chez les chirurgiens avec un élargissement des indications. Dans un premier temps, le lipofilling a été utilisé pour des indications purement esthétiques et plus particulièrement dans la chirurgie de rajeunissement facial [1–3]. Devant les bons résultats obtenus, ses indications se sont étendues à la chirurgie réparatrice. Dans notre équipe, nous avons utilisé la technique de lipofilling dans diverses indications de chirurgie réparatrice. Cela nous a permis de prendre en charge des pathologies sévères pour lesquelles, jusque-là, nous n’avions que peu de ressources thérapeutiques simples et fiables. Nous proposons une indication originale du lipofilling pour le comblement de défects sous-cutanés séquellaires d’une chirurgie craniofaciale malformative. Ce travail est fondé sur une étude prospective des résultats à moyen et à long terme du lipofilling sur l’ensemble des indications esthétiques et réparatrices du service entre janvier 2001 et février 2005. De cette étude, nous avons ressorti les cas particuliers, présentés ici, de lipofilling dans les suites de la chirurgie craniofaciale malformative.
Patients et méthode L’étude prospective, menée de janvier 2001 à février 2005, portait sur tous les cas de patients opérés consécutivement de lipofilling dans le service de chirurgie plastique de Lille. Pendant cette période de quatre ans et cinq mois, 144 patients ont été opérés de 206 gestes de lipofilling : 30 patients dans des indications de chirurgie esthétique et 114 patients dans des indications de chirurgie réparatrice.
De cette étude, nous avons extraits les cas de lipofilling réalisés en complément d’une chirurgie craniofaciale malformative (Tableau 1).
Patients Du 1er janvier 2001 au 28 février 2005, neuf patients ont été opérés de lipofilling pour prise en charge d’une séquelle après chirurgie craniofaciale malformative (cranioplastie avec levée d’un lambeau fronto-orbitaire). Tous les patients présentaient un défect sous-cutané temporal associé dans trois cas à un défect sous-cutané frontal. Ce défect sous-cutané est lié à un défaut de croissance osseuse en épaisseur sur les lignes d’ostéotomies frontoorbitaires, avec une croissance osseuse dans le plan sagittal conservée. Il n’existe pas dans ce cas de perte de substance osseuse transfixiante.
Indications Les neuf patients pris en charge ont été opérés dans la petite enfance (entre 10 et 12 mois) d’une malformation craniofaciale de type craniosténose selon une technique de cranioplastie comprenant des ostéotomies fronto-orbitaires : ● ● ● ●
trigonocéphalie : cinq ; maladie de Crouzon : deux ; plagiocéphalie : un ; brachycéphalie non syndromique : un.
Les indications de lipofilling portaient dans tous les cas sur des défects sous-cutanés frontotemporaux associés dans trois cas à un défect frontal médian.
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F. Laurent et al.
Tableau 1 Patients et méthode Cas clinique 1 2 3
Pathologie initiale
4
Trigonocéphalie
5
Trigonocéphalie
Plagiocéphalie Trigonocéphalie Crouzon
Numéro de protocole 1 1 1 2 1 2 3 1
Âge (ans)
Zone à corriger
15,7 15,8 12,9 13,5 13,8 14,4 15,8 18,4
2
19 16,2 16,7 19 19,4 19,9 16,7
Temporal Temporal Temporal Temporal Temporal Temporal Temporal Temporal + front Temporal + front Temporal Temporal Temporal Temporal Temporal Temporal + front Temporal + front Temporal + front
6
Brachycéphalie
7
Trigonocéphalie
8
Trigonocéphalie
1 2 3 1 2 1
9
Crouzon
1
17,6
2
18,9
bilatéral bilatéral bilatéral bilatéral bilatéral bilatéral bilatéral bilatéral
Volume réinjecté (cc) 7 5,8 11,7 7,5 3,8 6,4 2 16,5
Recul (mois) 6 18 – 8 – – 13,4 –
Fin de protocole Oui Oui – Oui – – Oui –
bilatéral
11,5
22,8
Oui
droit droit droit bilatéral bilatéral bilatéral
6,25 2,35 12 8 4,1 15,7
– – 9 – 24,4 24,4
– – Oui – Oui OUI
bilatéral
13,5
–
–
bilatéral
15
9,6
Oui
Méthode
Résultats
Méthode de recueil des données Le travail a été réalisé sur l’étude de fiches préétablies remplies le jour de l’intervention, avec une fiche par temps opératoire. Le recueil des données a été effectué de façon complémentaire dans une base de données informatisée spécifique (Logiciel File Maker Pro®) créée pour ce travail.
La série comprend neuf patients (trois femmes, six hommes). L’âge moyen au moment de l’intervention est de 16,7 ans (extrêmes : 13–20 ans). Le recul moyen par rapport à l’intervention est de 15,06 mois (extrêmes : 6–24,4 mois).
Méthode d’évaluation des résultats L’évaluation des résultats a été réalisée grâce à : ● l’étude des comptes rendus de consultation de contrôle postopératoire systématique effectuée par les opérateurs à trois, six mois et un an de l’intervention ; ● l’appréciation par un observateur différent des opérateurs pour les besoins de l’étude ; ● l’appréciation du résultat faite par le patient lui-même. Les résultats ont été évalués par les patients et l’observateur et ont été ainsi séparés en trois classes en fonction de la qualité du comblement des défects sous-cutanés temporaux : ● les bons résultats correspondaient à un résultat stable à au moins six mois de l’intervention et ne nécessitant pas de geste complémentaire ; ● les résultats moyens correspondaient à une amélioration à au moins six mois de l’intervention mais nécessitant un geste complémentaire ; ● les mauvais résultats correspondaient à une absence d’amélioration.
Procédure opératoire Les neuf patients ont bénéficié de 17 interventions de lipofilling soit une moyenne de 1,9 temps de réinjection de graisse par patient (mini : un temps, maxi : trois temps). Tous les patients ont été opérés sous anesthésie générale. Dans huit cas sur 17, la graisse a été prélevée au niveau périombilical et dans sept cas au niveau de la région péritrochantérienne. La quantité moyenne de graisse injectée par intervention était de 8,77 cc (mini : 2 cc, maxi : 16,5 cc).
Évolution postopératoire Sur l’ensemble des 17 interventions nous n’avons dénombré aucune complication précoce ou tardive. Les suites ont été marquées, sur le site donneur de graisse, par des ecchymoses modérées (un cas sur 17), et sur le site receveur, par un œdème (12 cas sur 17).
Résultats Les neuf patients ont jugé leur résultat comme bon. Parmi ces neuf patients, l’observateur a jugé un résultat moyen avec une asymétrie de volume temporal, mais le patient
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est satisfait du résultat et n’est pas demandeur de geste complémentaire.
résultat est jugé comme bon sans retouche complémentaire.
Cas cliniques illustrés
Discussion
Cas no 5 (Fig. 1) M. D.S., homme de 18 ans, ayant été opéré d’une trigonocéphalie à l’âge de 11 mois par cranioplastie comprenant la réalisation d’un bandeau fronto-orbitaire. Il présente un défect sous-cutané temporal bilatéral. Le protocole de lipofilling comprend deux temps opératoires espacés de six mois. Le patient est reconvoqué pour l’étude à 22,8 mois de la dernière intervention. Le résultat est jugé bon par le patient et par l’opérateur, sans nécessité de retouche complémentaire.
Le lipofilling selon la technique de S.R. Coleman a été décrit pour la première fois en 1994–1995 [1,2] et présenté à Marseille en 1998. Cette technique, dans un premier descriptif, a été validée scientifiquement par Jauffret et al. en 2001 [4]. C’est maintenant une technique d’utilisation courante et d’efficacité reconnue. Depuis 2001, cette technique est utilisée dans le service de chirurgie plastique de Lille et a fait l’objet d’une étude prospective. Le but de ce travail était d’évaluer les résultats à moyen et à long terme du lipofilling, la satisfaction des patients et d’apprécier la qualité des suites postopératoires. La conclusion de cette étude est que 94 % des patients estiment avoir eu une amélioration totale à moyen et à long terme. La série présentée ici, de neuf patients, est relativement homogène : tous les patients ayant eu une cranioplastie, comprenant la réalisation d’un bandeau fronto-orbitaire, effectuée par la même équipe chirurgicale. Les patients pris en charge sont pratiquement tous du même âge et présentent des séquelles postchirurgicales
Cas no 3 (Fig. 2) Mlle D.E., patiente âgée de 13 ans, opérée à l’âge de 12 mois d’une maladie de Crouzon par cranioplastie avec la réalisation d’un bandeau fronto-orbitaire. Elle présente un défect sous-cutané bitemporal majeur. Le protocole de lipofilling comprend deux temps opératoires espacés de six mois. La patiente est revue en consultation pour l’étude à huit mois du second temps de réinjection de graisse. Le
Figure 1 A : photo préopératoire, patient de 18 ans opéré d’une trigonocéphalie à 11 mois ; B : photo à cinq mois postopératoires du premier temps de lipofilling ; C : photo à un an et dix mois du second temps de lipofilling. Fin du protocole.
Figure 2 A : photo préopératoire, patiente de 13 ans opérée d’une maladie de Crouzon à 12 mois ; B : photo à cinq mois postopératoires du premier temps de lipofilling ; C : photo à huit mois du second temps de lipofilling. Fin du protocole.
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identiques, à savoir des défects frontotemporaux associés dans trois cas à un défect frontal médian. Les techniques de cranioplastie comprenant des ostéotomies fronto-orbitaires pour traiter certaines craniosténoses laissent parfois des séquelles à type de défects temporaux associés ou non à une impression de front étroit [5]. Pour corriger ces imperfections, certains auteurs ont proposé des techniques de greffe osseuse en apposition ou apport de substituts divers. Gosain [5] propose l’utilisation d’hydroxyapatite. Ce matériau est non autologue, non malléable et est très sensible à l’infection avec risque d’exposition secondaire et nécessité d’ablation de celui-ci [6]. Grant et al. [7] présentent la prise en charge des défects sous-cutanés avec interposition de greffe osseuse. La greffe osseuse, quelle que soit son origine (calvariale ou iliaque), nécessite une voie bicoronale. Le prélèvement de celle-ci entraîne des séquelles supplémentaires au niveau du site donneur. Le prélèvement calvarial fragilise la voûte crânienne, le prélèvement iliaque impose une cicatrice supplémentaire, est douloureux et nécessite une hospitalisation longue. La greffe osseuse peut se résorber partiellement, avec des irrégularités, peut être le siège d’une infection, de granulomes etc. Sur 62 cas, Grant et al. [7] rapportent une infection, une réintervention pour surcorrection et sept réinterventions pour nodules sous-cutanés palpables. C’est pour pallier ces différents inconvénients et différentes complications que nous avons appliqué la technique du lipofilling dans le traitement des séquelles, à type de défects sous-cutanés, des craniosténoses opérées. L’intérêt de cette technique porte principalement sur sa simplicité et son efficacité : ● le prélèvement de la graisse est effectué par une incision punctiforme pouvant être dissimulée, sans séquelle sur le site donneur, peu algique, sans immobilisation postopératoire ; ● la technique de réinjection est simple, effectuée également par une incision punctiforme, peu algique ; ● cette intervention est pratiquée sous anesthésie générale dans notre service et peut être gérée en ambulatoire ou nécessiter 24 heures d’hospitalisation pour la surveillance postanesthésique. Le principal inconvénient de cette technique est la résorption partielle de la graisse réinjectée. Tous les
F. Laurent et al.
patients revus en consultation s’accordent à dire que la stabilité du résultat, en termes de volume, est obtenue en trois mois. Plusieurs auteurs [2,8] rapportent une résorption constante, entre 10 et 30 % du volume initial injecté, mais cela reste une impression clinique et donc subjective. Dans notre série, il existe une stabilité du résultat à plus d’un an. Il existe une complication théorique de type infection, sur la série globale de 206 gestes nous ne l’avons pas observée.
Conclusion La chirurgie réparatrice habituelle des séquelles de cranioplastie pour les craniosténoses fait appel à des techniques lourdes, avec une morbidité reconnue non négligeable, et est source de séquelles des sites donneurs. Devant sa fiabilité, son innocuité, sa reproductibilité, et ses bons résultats jugés par les patients, et par l’équipe chirurgicale, le lipofilling nous apparaît être une alternative de choix aux techniques classiques.
Références [1] Coleman SR. The technique of periorbital lipoinfiltration. Operative techniques. Plast Reconstr Surg 1994;1:120–6. [2] Coleman SR. Long term survival of fat transplants: controlled demonstrations. Aesthetic Plast Surg 1995;19:421–5. [3] Coleman SR. Facial recontourning with lipostructure. Clin Plast Surg 1997;24:347–67. [4] Jauffret JL, Champsaur P, Robaglia-Schlupp A, Andrac-Meyer L, Magalon G. Plaidoyer en faveur de la greffe adipocytaire dans la technique de S.R. Coleman. Ann Chir Plast Esthet 2001;46: 31–8. [5] Gosain AK. Hydroxyapatite cement paste cranioplasty for the treatment of temporal hollowing after cranial remodeling in a growing child. J Craniofac Surg 1997;8:506–11. [6] Poetker DM, Pytynia KB, Meyer GA, Wackym PA. Complication rate of transtemporal hydroxyapatite cement cranioplasty: a case series review of 76 cranioplasties. Otol Neurotol 2004;25: 604–9. [7] Grant JH, Roberts TS, Loeser JD, Gruss JS. Onlay bone graft augmentation for refined correction of coronal synostosis. Cleft Palate Craniofac J 2002;39:546–54. [8] Carraway JH, Rubinstein C. Autologous extrusion fat graft. Worldplast.1996,4:261. Cité par Hernandez-Zendejas G. dans Plast Reconstr Surg 1999;103:1803.